mardi 24 mars 2015

Max et les poissons - Sophie Adriansen

« Nous, on est juifs. C’est pour ça qu’on a des étoiles cousues à nos habits. Papa et maman me répètent qu’être juif, ce n’est pas avoir fait quelque chose de mal. Mais je n’arrive pas à les croire. »

Max aura bientôt huit ans et il est ravi. Ravi parce qu’il va pouvoir mettre un deuxième poisson dans son bocal, ses parents lui ont promis, et parce que sa sœur va lui offrir un cadre en pâte à sel. Mais dehors c’est la guerre. Et depuis peu Max doit porter une étoile sur ses vêtements. Au début il a trouvé ça joli, une étoile, mais quand ses camarades de classe l’ont traité de « youpin avec une étoile de mer », il a déchanté. Et quand la police française est venue les chercher, lui et sa famille, il s’est demandé ce qu’il se passait. Avec ses mots à lui…

J’ai aimé ce texte pour son point de vue si particulier. Celui d’un petit garçon qui prend de plein fouet des événements abominables avec une naïveté touchante et naturelle, sans aucun recul, sans rien y comprendre. Clairement, la force et l’originalité de ce court roman tient dans le fait qu’il aborde un épisode tragique de la seconde guerre mondiale à travers le regard d’un gamin de huit ans. Et puis j’ai beaucoup aimé la fin, tellement juste, tellement tristement réaliste.

Ce témoignage à hauteur d’enfant, tout en douceur et en délicatesse, se révèle bouleversant. Pas besoin de dramatiser à outrance, pas besoin de chercher des effets tire-larmes artificiels. Sophie Adriansen l’a bien compris, la pudeur et la suggestion laissent un impact bien plus marquant sur le petit lecteur. Cerise sur le gâteau, je trouve la couverture de Tom Haugomat, un illustrateur qui m’avait bluffé avec son travail sur l’album « Hors-pistes », absolument splendide.

A lire donc, et à faire lire pour être ému et ne pas oublier une des pages les plus sombres de notre histoire.

Max et les poissons de Sophie Adriansen. Nathan, 2015. 88 pages. 5,00 euros. A partir de 9 ans.

Comme tous les mardis ou presque, c’est une lecture commune que je partage avec Noukette. Et cette semaine, Stephie nous accompagne pour notre plus grand plaisir.

Les avis d'HélèneL'irrégulière, Martine et Myarosa.









lundi 23 mars 2015

Les sauvages - Mélanie Rutten

« C’était une nuit. C’était il y a longtemps. Perdues dans les marécages, deux maisons se faisaient face. De ces maisons, deux ombres s’enfuirent. […] Pieds nus, en pyjama, elles arrivèrent sur l’île abandonnée. Elles marchaient et s’enfonçaient dans l’obscurité. Elles allaient sans hésitation, sans peur. Les arbres se penchaient pour les protéger. C’était leur nuit. »

C’est une nuit où les rêves sont permis, où la réalité perd la partie, une nuit où l’on peut échanger les rôles et lâcher prise. Dans leur fuite, au bout de leur périple, les deux ombres vont retrouver une bande de sauvages connue d’eux seuls. Dans la clairière où ils s’installent, certaines choses apparaissent et d’autres disparaissent, la lumière et la joie se répandent. Dans cette clairière, la peur n’a pas sa place.

Comme d’habitude avec Mélanie Rutten, on croise d’étranges personnages : un bonhomme de paille, une branche, une pierre et un bébé mousse. Comme d’habitude avec Mélanie Rutten, rien ne s’offre d’emblée. L’interprétation est multiple, l’onirisme et la poésie dominent. Elle installe une atmosphère étrange et envoutante par petites touches successives. Au lecteur de se laisser prendre par la main, de se laisser porter le cœur léger. Son univers graphique tout en douceur m’enchante toujours autant, même quand elle s’oriente vers des teintes plus sombres.

C’est l’histoire d’une nuit de tous les possibles, d’une nuit où les chemins s’ouvrent. Parce que le jour, « tant de choses se taisent ». C’est l’histoire d’une nuit où on grandit, ni plus ni moins.

Les sauvages de Mélanie Rutten. Memo, 2015. 36 pages. 14,50 euros.


Et qui dit Mélanie Rutten dit lecture commune avec Moka. C’est à elle que je dois la découverte de cette auteure inclassable, il était impensable que nous ne plongions pas ensemble dans son nouvel album.






vendredi 20 mars 2015

Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

Ifemelu quitte le Nigeria pour poursuivre ses études aux États-Unis. La jeune femme laisse derrière elle son grand amour Obinze et débarque sur le sol américain pleine d’espoir. Pendant quinze ans, elle tentera de trouver sa place dans un pays où la discrimination n’est pas un vain mot avant de revenir finalement vers son pays natal. Entre temps elle aura vécu plusieurs histoires de cœur plus ou moins compliqués et aura surtout connu un immense succès grâce à son blog « Observations diverses sur les noirs américains par une noire non-américaine ».

Adichie déploie sur 500 pages une fresque sociale ample et sensible, une expérience de l’exil riche de rêves et de désillusions. Elle propose également une réflexion profonde sur la condition noire, du Nigeria aux Etats-Unis, mais vue par une « intelligentsia » aisée et cultivée très éloignée de la réalité quotidienne je trouve. Ifemelu côtoie en Amérique des blancs bobos pour lesquels antiracisme rime forcément avec charité. Quant à ses amis noirs, profs d’université et artistes, ils incarnent un esprit de gauche élitiste et pédant qui me hérisse le poil. De retour au Nigeria, elle évolue au milieu d’une diaspora enrichie par la corruption et fascinée par un mode de vie consumériste à l’occidentale. J’ai bien saisi le coté souvent satirique du propos mais il n’y a personne dans cette galerie de portraits pourtant riches en couleur qui trouve grâce à mes yeux. Finalement mon passage préféré restera son arrivée en Amérique chez sa tante et ses premiers pas sur le campus où, sans le sou, elle tire le diable par la queue.

A part ça j’ai aimé l’insolence d’Ifemelu, sa volonté sans faille de se construire seule malgré les obstacles. Mais son caractère, sa relation aux autres souvent pleine d’arrogance et d’un certain mépris la rendent assez antipathique et ne m’ont pas permis de m’attacher à elle.

Autre bémol (oui, je sais, ça commence à faire beaucoup), la fin sirupeuse et dégoulinante de guimauve donne des faux-airs de bluette à un roman qui se veut, et à juste titre, bien plus ambitieux qu’une simple histoire à l’eau de rose.

Je me demande quand même pourquoi je ne me suis pas davantage laissé embarquer par ce texte moderne et enlevé. Peut-être parce qu’il est trop féminin ? Peut-être parce que mes références littéraires sur la condition noire sont venues parasiter ma lecture. Quand on a en tête Chester Himes, Ernest J. Gaines, Walter Mosley ou Iceberg Slim, les billets d’Ifemelu sur son blog ou les réflexions de ses amis paraissent bien fades. Quoi qu’il en soit, je ne regrette pas une seconde d’avoir découvert ce roman-fleuve et la voix d’une auteure à la personnalité très marquée.

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. Gallimard, 2015. 524 pages. 24,50 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Enna.

Les avis de Cathulu, Clara, CunéEva, Hélène, KathelLeiloona, Papillon.











mardi 17 mars 2015

Un beau jour - François David

De François David et chez le même éditeur, j’avais beaucoup aimé Charlie, belle histoire d’amitié entre une petite fille et un SDF. Il revient ici avec deux nouvelles mettant en scène des ados. Dans la première, le narrateur est un chien d’aveugle. Grâce à lui son maître, José, est bien intégré au collège malgré son handicap, et tout irait parfaitement bien s’il n’y avait pas Julian, un camarade aussi pénible qu’odieux. Dans la seconde, Nathalie va, sans aucune raison, subir la stupidité de deux garçons de son âge devant un arrêt de bus. Un traumatisme dont il lui sera difficile se remettre.

Deux variations autour de cette violence gratuite qui pollue le quotidien et laisse chez les victimes des traces indélébiles, bien plus psychologiques que physiques. Rien de spectaculaire, juste des petits riens pouvant en apparence ne pas sembler d’une extrême gravité, mais emplis d’une insupportable bêtise. Le pire dans cette forme de violence insidieuse reste l’incompréhension. Une incompréhension qui ne permet pas de digérer les événements et d’aller de l’avant : « Aussi, je voulais comprendre. Tellement ! J’en avais besoin, je le sentais. Comprendre en moi. A l’intérieur. »

Beaucoup de finesse dans la façon d’aborder un sujet aussi sensible. Suffisamment de tact pour engendrer chez le lecteur l’indignation sans dramatiser lourdement et jouer à outrance sur la corde sensible. Peu de pages, peu de mots mais beaucoup d’effet, tout ce que j’apprécie en somme.

Un beau jour de François David. Le muscadier, 2015. 60 pages. 6,90 euros.

Et comme chaque mardi (ou presque), c'est une lecture jeunesse que je partage avec Noukette.






lundi 16 mars 2015

L’orangeraie - Larry Tremblay

Amed et Aziz sont jumeaux. Ils ont neuf ans et vivent dans un pays en guerre. Les ennemis se trouvent de l’autre coté de la montagne. C’est de là qu’est venu l’obus qui a tué leurs grands-parents. Quelques jours après ce tragique événement, un certain Soulayed s’est présenté chez eux et s’est entretenu avec leur père. Avant de repartir, le visiteur a laissé un sac. Dans le sac, une ceinture. Une ceinture tellement lourde qu’il fallait la porter à deux mains. Et dans la maison a résonné le cri de leur mère…

« C’est un très beau livre qui est brutal, qui est habité, qui est hanté. Vraiment superbe ». Ce n’est pas moi qui le dis mais Sorj Chalandon. Et il a bien raison. C’est un livre qui dénonce la folie des hommes. Une réflexion sur l’idée de sacrifice, sur l’embrigadement, la manipulation, la culpabilité. C’est un livre plein d’amour fraternel et de douleur. C’est le regard d’une mère qui va perdre ses enfants, celui d’un père persuadé qu’au-delà de l’horreur, il lui restera la fierté. C’est une fable politique, un conte cruel. Tout cela en 180 pages de tension permanente, en laissant à distance une émotion trop brute qui nuirait à la puissance du propos.

Je ne vais pas m’étendre davantage, c’est un texte qui m’a laissé sur le carreau. Ni plus ni moins. Et c’est un texte que vous devez lire parce qu’il est beau, brutal, habité, hanté. Pas mieux Mr Chalandon.

Extrait :
« Mais pourquoi faut-il vivre dans un pays où le temps ne peut pas faire son travail ? La peinture n’a pas le temps de s’écailler, les rideaux n’ont pas le temps de jaunir, les assiettes n’ont pas le temps de s’ébrécher. Les choses ne font jamais leur temps, les vivants sont toujours plus lents que les morts. Les hommes dans notre pays vieillissent plus vite que leur femme. Ils se dessèchent comme des feuilles de tabac. C’est la haine qui tient leurs os en place. Sans la haine, ils s’écrouleraient dans la poussière pour ne plus se relever. Le vent les ferait disparaître dans une bourrasque. Il n’y aurait plus que le gémissement de leur femme dans la nuit. Ecoute-moi, j’ai deux fils. L’un est la main, l’autre le poing. L’un prend, l’autre donne. Un jour c’est l’un, un jour c’est l’autre. Je t’en supplie, ne me prends pas les deux. »

L’orangeraie de Larry Tremblay. La Table Ronde, 2015. 180 pages. 14.80 euros.


Et une nouvelle lecture commune que je partage avec Noukette

Les avis d'AnneClara et Karine.








samedi 14 mars 2015

Acquanera - Valentina D’Urbano

Le titre annonce la couleur (ou plutôt l'absence de couleur). L’eau noire, celle du lac de montagne près duquel se déroule l’intrigue, est aussi sombre que l’âme des héroïnes. Des femmes sans hommes entretenant un rapport tellement particulier et étroit avec les morts qu’il relèverait presque d’une malédiction. Elsa la grand-mère fait des rêves prémonitoires où celles et ceux qu’elle voit sombrer sous les flots vont disparaître ou tomber malade. Pour sa fille Onda c’est encore pire puisqu’elle est capable de dialoguer avec les défunts, ce qui la mènera au bord de la folie. Seule Fortuna, la petite-fille et narratrice, semble avoir échappé au mauvais sort. Mais après dix ans passés loin du village, elle y revient pour affronter sa mère et un secret qui la mine depuis trop longtemps...

Je découvre Valentina d’Urbano avec ce roman et je dois lui reconnaître un vrai talent de conteuse. Chaque chapitre est construit comme l’épisode d’une saga familiale implacable prenant forme petit à petit sans aucun temps mort. La narration prend parfois des faux airs de thriller et la mécanique enclenchée dès la première ligne attrape le lecteur pour ne plus le lâcher jusqu’au point final. Le problème en ce qui me concerne, c’est que je ne suis pas du tout fan de ce genre de texte à la limite du surnaturel. Surtout, il n’y a ici aucune lumière et cela fini par être très plombant. Le récit est glauque, morbide, recouvert en permanence d’une chape de tristesse étouffante. Dans ce village italien, sous un ciel bas et gris, la pluie est froide, les maisons humides, le lac glacé, les cœurs secs et la forêt sinistre. Pas un rayon de soleil, rien pour réchauffer une atmosphère lourde de silences et de non-dits. A la longue, ça devient plus déprimant que fascinant je trouve.

Au final, je suis ravi d’avoir découvert une auteure dont j’avais jusqu’alors (et à juste titre) entendu le plus grand bien. Mais je pense que son premier roman, dans une veine plus sociale, me conviendrait bien mieux. D’ailleurs il vient tout juste de sortir en poche, je n’ai plus d’excuse !

Acquanera de Valentina D’Urbano. Philippe Rey, 2015. 350 pages. 20,00 euros.

Les avis de Clara, Sylire et Valérie.




jeudi 12 mars 2015

Revolver - Fuminori Nakamura

Un étudiant découvre un soir le cadavre d’un homme sous un pont. A coté de lui se trouve le revolver qui l’a tué, un Magnum 357. L’étudiant le récupère et le fourre dans sa poche. Une fois chez lui, il est ébloui par la beauté de cette arme, son magnétisme. Il la nettoie consciencieusement, la manipule et l’astique chaque jour. Il va commencer à sortir en la cachant sous son manteau, puis il va ressentir le besoin irrépressible de l’utiliser…

C’est un roman à la japonaise, subtil mais teinté de modernité. Inquiétant, tendu, malsain. C’est aussi une réflexion sur une jeunesse perdue, solitaire, en quête de sens, sur une existence dont le vide abyssal est comblé par un objet fascinant. C’est enfin le récit d’une vraie histoire d’amour entre un homme et une arme, une histoire de désir qui croit peu à peu, une histoire qui va mal finir tant cette compagne encombrante et dangereuse envahit le quotidien. Tout se déroule l’air de rien, sans jamais en rajouter, tout s’enchaîne naturellement avec un détachement proprement effrayant. Bien sûr j’ai pensé à Ryu Murakami, mais Nakamura est moins excessif, moins provocateur. Et c’est d’autant plus flippant !

Revolver de Fuminori Nakamura. Picquier, 2015. 174 pages. 18,00 euros.




mercredi 11 mars 2015

Cet été-là - Julian et Mariko Tamaki

Comme chaque année, Rose part en vacances avec ses parents à Awago Beach. Comme chaque année, elle y retrouve Windy, d’un an et demi sa cadette. Mais cet été-là n’est pas tout à fait comme les autres, puisque c’est celui où Rose va basculer peu à peu dans les affres de l’adolescence…

Je vais faire court car je ne voudrais pas m’étendre sur un album dont je pense qu’il ne me restera pas grand-chose d’ici peu. Clairement, je me suis ennuyé. C’est une réflexion intéressante sur le passage compliqué de l’enfance vers une plus grande maturité. Le corps change aussi vite que les préoccupations, on abandonne les châteaux de sable pour regarder des films d’horreur, on est fasciné par les relations sentimentales des jeunes adultes, on entre en conflit avec les parents, etc. J’ai apprécié le fait que la différence d’âge entre Rose et Windy joue énormément sur leurs comportements respectifs. Windy est la plus jeune et elle est encore « bébé » dans ses réflexions et ses attitudes. L’analyse est donc très fine et très subtile mais la narration est lente, très lente. On se traîne sur les pas de Rose, on vit avec elle un été apathique et franchement ce n’est pas passionnant.

Par contre j’ai bien aimé le dessin nerveux à l’encrage épais. C’est simple et direct, un peu brut de décoffrage parfois, mais aussi très spontané.

Une petite déception, donc. Je ne regrette pas pour autant d’avoir découvert le travail des cousines Tamaki et j’ai apprécié leur façon de mettre en scène les silences et les non-dits propre à cette période si particulière qu’est « la fin de l’insouciance ».


Cet été-là de Julian et Mariko Tamaki. Rue de Sèvres, 2014. 316 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Sandrine.

Les avis de Anne, Antigone, Bouma, Kathel, Lasardine, Leiloona, Marion, Mo', Noukette, Stephie.



Les BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie





mardi 10 mars 2015

Le baiser du mammouth - Antoine Dole

Arthur aime Fiona, la meilleure amie de sa sœur. Mais Fiona a quinze ans et lui n’en a que neuf. Une différence d’âge qui n’est pas un problème à ses yeux. Et même si personne ne veut prendre ses sentiments au sérieux, Fiona la première, lui est bien décidé à prouver que cette histoire d’amour, ce n’est pas de la rigolade !

J’avais hâte de découvrir Antoine Dole dans un registre différent, s’adressant à des lecteurs plus jeunes que des ados et sur un ton moins acide et moins teinté d’humour noir que ce qu’il propose avec la série Mortelle Adèle. Et bien je n’ai pas été déçu. Sa capacité à se glisser dans la peau d’un gamin de neuf ans est stupéfiante. Tout sonne juste dans la réflexion d’Atrhur, dans sa façon naïve et déterminée de vivre ce premier amour avec une sincérité absolue, avec la certitude que Fiona et lui, c’est pour la vie : « Elle est faite pour moi et, moi, je suis fait pour elle. Enfin, je crois. Et si c’est pas le cas, c’est pas grave, je trouverai un moyen de la faire changer d’avis. » On le sent prêt à bousculer des montagnes, avec ses mots à lui, ses sentiments à hauteur d’enfant. Et il faut bien reconnaître que tout cela est diablement touchant.

L’autre point positif tient dans le fait que l’auteur de « Je reviens de mourir » garde une vraie ambition dans l’écriture alors qu’il aurait pu succomber à la tentation de « bébéifier » un peu son discours. Ce n’est évidemment pas le cas et on retrouve ici son style percutant, son phrasé imagé et sensoriel : « C’est bête un cœur, ça s’ouvre pour un rien et ça bat la chamade, ça s’épluche même, comme un artichaut. » […] « Les chagrins d’amour, comme papa les appelle, c’est pour ceux qui abandonnent, ceux qui ne croient plus, ceux qui ont trop peur, ceux qui s’avouent vaincus. Si on baisse les bras dès que c’est compliqué, si on lâche l’affaire, alors on ne va jamais rien vivre de tout ce bonheur-là, on ne va jamais ressentir comment c’est tendre au-dedans, comment ça crépite, comment ça bouillonne, comment c’est plein de caresses, de rire et de joie. »

Et puis j’avoue que j’ai aimé la fin teintée d’un réalisme lucide, d’une certaine forme de morale qui sort quelque peu des sentiers battus. Pas cucul en tout cas. Du tout. En même temps, connaissant Antoine Dole, je serais tombé de ma chaise si cela avait été le cas.

Le baiser du mammouth, d’Antoine Dole. Actes sud junior, 2015. 78 pages. 6,90 euros.

Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette pépite jeunesse avec Noukette.








lundi 9 mars 2015

Scipion - Pablo Casacuberta

Anibal, le narrateur, ne parvient pas à régler la question du père. Un père universitaire érudit et célèbre, spécialiste de l’antiquité qui lui a donné le prénom d’un héros carthaginois des guerres puniques. Un père qui n’a eu de cesse de l’humilier et de le rabaisser, un père qui, il en est persuadé, ne l’a jamais aimé. Et même s’il est mort depuis deux ans, la cicatrice est toujours ouverte. Alors qu’une fondation gère l’héritage paternel considérable, le fils, devenu alcoolique, vit dans une pension minable avec un vieillard grabataire comme colocataire. Son seul legs se résume à trois boîtes contenant beaucoup de paperasse dont une lettre lui accordant l’intégralité des biens de son géniteur, mais uniquement s’il parvient à remplir des conditions très contraignantes. Comme un ultime affront, une dernière façon de l’humilier et de le conforter dans sa médiocrité.

J’ai cru au départ à une variation de plus sur les relations père-fils compliquées. Mais c’est beaucoup plus fin. J’ai aimé chez Anibal cette légèreté de ton, cette amertume lucide et cette forme d’autodérision permanente qui, au final, se révèle touchante. Il y a bien quelques digressions à première vue pas indispensables mais l’introspection de ce pauvre homme se devait de passer par quelques séquences plus psychologiques que rocambolesques. La galerie de personnages entourant notre anti-héros vaut son pesant de cacahuètes, de l’avocat retors à l’infirme nymphomane en passant par l’ex-petite amie ayant réussi une brillante carrière.

Difficile de grandir à l’ombre d’un père à l’aura écrasante. Le manque de reconnaissance, la confiance en soi qui s’effrite, l’impossibilité d’assumer un nom trop lourd à porter. Finalement, seul le deuil permettra de transformer la haine et la colère en une certaine forme d’empathie. Un roman à la fois drôle et grave à l’indéniable sens comique. L’occasion pour moi de découvrir la voix singulière de Pablo Casacuberta, un auteur uruguayen que je ne suis pas près d’oublier.

Scipion de Pablo Casacuberta. Métailié, 2015. 262 pages. 18,00 euros.

Les avis de Clara et Nadael