Au royaume des ogres, la consanguinité affaiblit la race à
chaque nouvelle génération. A tel point que le dernier rejeton du roi est à la
naissance à peine plus grand qu’un bébé humain. Hors de question pour le
monarque de laisser en vie un pareil avorton. Pour lui éviter une mort certaine,
sa mère le cache et il est élevé par sa tante Desdée, une géante mis au ban de
sa communauté car elle refuse de manger de la chair humaine. L’enfant prénommé
à juste titre « Petit » grandit loin de la folie et de la violence de
la cour mais plus les années passent et plus il lui est difficile de rester
dans la clandestinité…
Un album SOMPTUEUX ! L’objet-livre en lui-même est
superbe, de très grande taille (logique vu son sujet), et la mise en page
particulièrement soignée avec une narration alternant les séquences de BD et
des intermèdes présentant, au fil de longs et beaux textes à la typographie travaillée,
les aïeux de Petit. Graphiquement, Gatignol propose une incroyable galerie de
personnages, jouant sur les effets d’échelle et de perspective pour souligner les
différences entre les géants et les humains. Il rend à merveille l’immensité du
château et la terreur provoquée par ces monstres semblant perpétuellement en
quête de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les tons de gris renforcent l’aspect
sombre et angoissant du récit et offrent relief et texture à l’ensemble. Du
grand art !
Loin du simple conte, cette histoire aux accents gothiques propose
une réflexion profonde sur le déterminisme familial et le libre arbitre. Petit est
celui qui peut sauver les siens d’une dégénérescence inéluctable, il est entre
deux mondes régis par des rapports de force inégaux et ne sait plus vraiment auquel
de ces mondes il souhaite appartenir (celui des ogres sclérosé par des siècles
de repli sur soi ou celui des humains, bien plus moderne et culturellement
avancé mais pas pour autant moins cruel). Une histoire fascinante à la
construction imparable. Il est rare de trouver autant de finesse, d’intelligence
et d’originalité sur un thème aussi éculé.
Les ogres-Dieux T1 : Petit d’Hubert et Gatignol.
Soleil, 2014. 174 pages. 26,00 euros.