mardi 17 février 2015

Cheval océan - Stéphane Servant

Angela avait promis à sa grand-mère d’aller jusqu’à l’océan. Quittant les tours de son quartier misérable, elle rejoint après un loin voyage cette mer indomptable du Portugal qui, espère-telle, l’engloutira bientôt définitivement. Car Angela traîne avec elle un fardeau impossible à porter, un fardeau pour lequel elle voudrait « meurtrir [son] corps pour effacer la meurtrissure. Déchirer le silence blanc dans un vacarme assourdissant. Défier la mort pour souffler les infimes braises de vie. »

Comme d’habitude avec cette collection, le lecteur n’est pas ménagé. L’histoire douloureuse d’Angela, déroulée à la première personne, vous saisit à la gorge dès la première ligne et vous poursuit bien après le point final. La confession secoue par sa sincérité et son humanité, sans pleurnicherie. Le ton est juste, poignant. Les mots sont durs mais lucides, rien n’est forcé, c’est ce qui rend le texte si touchant. Cette gamine, on a envie de la prendre dans nos bras et de lui dire que tout va bien se passer. La rassurer pour ne pas la laisser céder devant une situation à première vue inextricable. Heureusement, elle montre une vraie force de caractère et la dernière phrase, pleine d’espoir, lui ouvre une porte vers l’avenir : « L’océan est la preuve que ma vie s’étend bien au-delà de l’horizon. »

Un dernier mot sur l’écriture de Stéphane Servant, tout en délicatesse et qui offre des passages vraiment superbes :
« L’Océan était pareil à un cheval lancé au galop. L’échine blanche de sel. Les naseaux crachant des embruns. Sous la peau frémissante d’écume, les muscles tendus par la course. La longue cavalcade avant de venir se fracasser sur la grève dans un hennissement furieux. Et même s’il disparaît un instant, jamais le cheval ne meurt. Il se retire lentement, reprend ses forces et surgit à nouveau, plus loin, et repart à l’assaut de la côte. Une course interminable qui ne laisse aucun répit aux hommes. »

Bref, une fois de plus, me voila touché-coulé-bousculé par un titre de la collection « D’une seule voix ». Ça devient une habitude dont je n’ai pas envie de me passer.

Cheval océan de Stéphane Servant. Actes Sud junior, 2014. 58 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.

L'avis d'Hélène









samedi 14 février 2015

Le chinois du XIVe - Melvin Van Peebles

J'ai toujours aimé les troquets. Mon grand-père m'y emmenait le samedi et le dimanche matin. C'était le début des années 80, j'avais 5-6 ans et j'étais la mascotte du « Paris-Calais ». J'y croisais des travailleurs évacuant la fatigue de la semaine et des retraités qui venaient y boire leur pension. J'y ai appris toutes les subtilités du Tiercé, j'ai enrichi mon vocabulaire avec les expressions les plus outrancières que l'on puisse imaginer, j'ai découvert la belote et le 421. J'avais droit à un Vittel menthe et je voyais défiler les ballons de rouge. La cigarette avait encore sa place au bar et en salle, la fumée était partout, les cendriers puaient le tabac froid. J'ai grandi dans ce troquet, entre le flipper et le babyfoot. Lycéen, j'y ai fréquenté un temps le génial Christophe, serveur poète et alcoolique qui m'a fait découvrir Breton. Avec lui, j'ai commis quelques excès mémorables et construit une réputation qui me poursuit encore parfois aujourd'hui. Objecteur de conscience, j'y prenais mon café chaque matin à 7 heures avec les ouvriers du petit jour aux yeux gonflés par le manque de sommeil et au corps meurtri par la journée de la veille. Et puis surtout, j'y ai rencontré celle qui allait devenir ma femme et la mère de mes filles. Aujourd'hui, le « Paris-Calais » existe toujours. Il a été rénové et aseptisé. On n'y fume plus, les banquettes en similicuir sont confortables et les tables ne sont plus nettoyées avec un torchon dégueulasse sorti d'une eau de vaisselle aussi trouble que celle des chiottes. La fin d'un monde.

Tout ça pour vous dire que je ne pouvais pas passer à coté de « ces contes de bistrot » signés d'un cinéaste américain débarqué à Paris à l'été 1960 sans un sou en poche et sans connaître un mot de français. Après une rencontre avec Choron, Cavanna et la clique d'Hara-Kiri, Van Peebles collabore à la revue en signant « La chronique du gars qui sait de quoi il parle » et en prépubliant en grande partie « Le chinois du XIVe ». Apprenant la langue de Molière dans la rue et les cafés, l'américain écrit comme on parle dans les arrondissements les plus populaires de la capitale. Il n'écrit pas dans sa langue natale mais parvient à trouver un ton très oral, aussi fluide que savoureux.

Le recueil, illustré par Topor, repose sur un principe simple et déjà-vu : dans un café du XIVe, alors que le quartier est plongé dans la pénombre par une coupure de courant, les clients se regroupent autour d'une lampe à pétrole et d'une bouteille de vin. Du patron à la bonne, du vieillard au clochard, chacun va y aller de son histoire. Des histoires drôles, tristes, crues ou cruelles. Pas des racontars de poivrots, plutôt des fragments de vie, des destins improbables brisés par la guerre ou la pauvreté. Chacun s’exprime à sa façon mais tous ont en commun une humanité débordante.

Ces histoires ont beau avoir plus de cinquante ans, elles me parlent. Et j’aurais adoré être autour de la table pour les partager, un verre à la main.


Le chinois du XIVe de Melvin Van Peebles. Wombat, 2015 (1ère édition en 1966). 155 pages. 17 euros.





vendredi 13 février 2015

Le vilain défaut - Anne-Gaëlle Balpe et Csil

« Quand je suis né, j'avais une différence. Une différence toute petite qui se voyait à peine. Et puis j'ai grandi. Et ma différence aussi. Les gens m'ont dit que c'était un vilain défaut... »

Un vilain défaut qui empêche de faire les choses comme il faut, qui empêche de se faire des amis, qui empêche d’écouter et d’apprendre, qui déclenche de grosses colères. Un vilain défaut qui, peu à peu, prend toute la place. Et malgré les docteurs consultés en nombre, rien à faire, aucune solution à l’horizon…

Le vilain défaut comme un ennemi identifié mais incontrôlable, un ennemi face auquel on ne peut pas lutter. Un ennemi comme un autre soi, que l’on regarde vivre sa propre vie et pourrir la nôtre. Jusqu’au jour où l’on tombe sur la personne qui identifie le problème et aide à le surmonter.

Un album plein d’espoir qui montre la possibilité de surmonter les obstacles, avec le temps, avec un optimisme à toute épreuve et le concours de professionnels compétents. Un album qui parle de différence et d’intégration, qui en, ne nommant pas le trouble dont souffre l’enfant, donne un caractère universel au propos. Le dessin naïf est tout en émotion et sert à merveille la profondeur du texte. Un bel  hommage « à tous les enfants qui luttent, chaque jour, pour dépasser leurs difficultés ».

L’édition luxueuse, avec coffret et feuilles de calque, offre un écrin à la hauteur de ce petit bijou d’intelligence. Qu’on se le dise !

Le vilain défaut d’Anne-Gaëlle Balpe et Csil. Marmaille & compagnie, 2015. 36 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette


jeudi 12 février 2015

Un pays pour mourir - Abdellah Taïa

« Je suis libre. A paris et libre. Personne pour me ramener à mon statut de femme soumise. Je suis loin d’eux. Loin du Maroc. Et je parle seule. Je cherche mon père dans mes souvenirs. »

Depuis qu’elle a quitté son village au pied de l’Atlas pour la France, Zahira se prostitue. Elle est en fin de carrière et a parfois du mal à joindre les deux bouts mais sa générosité reste inébranlable. Elle joue les confidentes pour son meilleur ami Aziz, un algérien qui se rêve en fille et qui bientôt, par la grâce d’une opération, se réveillera en Zannouba et quittera le « territoire maudit des hommes » : « Je la coupe. Sans bite. Sans verge. Sans zob. Sans excroissance. Sans sperme. Sans couilles. Sans cette chose inutile entre les jambes qui me bousille la vie depuis toujours ». Zahira recueille aussi Mojtaba, homosexuel chassé d’Iran, perdu dans les rue de Paris. Elle passera avec lui un merveilleux mois plein de complicité, avant qu’il disparaisse sans crier gare. Mais Zahira va également devoir faire face à la rancœur d’Allal, son premier amour resté au Maroc et qui cherche, coûte que coûte, à la retrouver…

Des vies brisées. Abîmées. En fragments. Des voix aux accents incantatoires qui disent le désespoir, la honte, la pauvreté, l’exil, le passé qui vous poursuit toujours, partout, le rêve impossible d’une existence et d’un ailleurs meilleurs. Les monologues, fiévreux, habités, se succèdent et s’enchâssent pour brosser le tableau dérangeant, aussi cru que poétique, de migrants fugitifs, précaires, sans pays et sans illusions. Point de misérabilisme, aucune caricature. Les phrases courtes bousculent et apostrophent, l’économie de moyens donne à la confession de chacun une puissance narrative impressionnante. J’en suis sorti groggy…

Un pays pour mourir d’Abdellah Taïa. Seuil, 2015. 164 pages. 16,00 euros.








mercredi 11 février 2015

Vincent - Barbara Stok

Février 1888. Vincent Vang Gogh quitte Paris et son frère Théo pour s’installer à Arles. Il y trouve une lumière limpide et des couleurs comme nulle part ailleurs. L’été arrivant il découvre en admirant les champs, « du vieil or, du bronze, du cuivre dirait-on, et cela, avec l’azur vert du ciel chauffé à blanc, cela donne une couleur délicieuse excessivement harmonieuse avec des tons rompus à la Delacroix ».

Vincent peint à longueur de journée, sa production est énorme mais aucun de ses tableaux ne se vend. Entretenu par Théo, il rêve de créer une maison d’artistes et voudrait que Gauguin en soit le premier invité. Le jour où ce dernier débarque avec toiles et pinceaux, Van Gogh est aux anges. Mais il déchante rapidement. Gauguin n’est que de passage, il souhaite réunir suffisamment d’argent pour retourner sous les tropiques. Peu à peu, les relations entre les deux peintres s’enveniment. Jusqu’à la rupture et ce geste dément, cette oreille coupée. Suivront un internement en psychiatrie et le retour en région parisienne, à Auvers. Vincent y retrouvera Théo et un semblant de sérénité, en grande partie grâce au docteur Gachet.

Sceptique, très sceptique. Voila quel état mon état d’esprit en ouvrant cet album. A cause du dessin surtout. Naïf, minimaliste, maladroit, froid, avec des aplats de couleur sans âme. A des années lumière du trait plus réaliste qui, me semblait-il, aurait convenu pour une telle biographie. Mais passé l’effet de surprise et une fois bien installé dans le récit, force m’a été de constater que Barbara Stok est parvenue à créer une ambiance accrocheuse, saisissant notamment avec une belle inventivité graphique les moments de folie et les comportements excessifs qui ont rythmé la vie de l’artiste.

Portrait sensible approchant au plus près l’esprit torturé d’un travailleur infatigable doutant en permanence de son travail, d’un peintre en manque de reconnaissance culpabilisant d’être un fardeau pour son frère, cet album réalisé avec la Fondation Mondrian et le Van Gogh Muséum se révèle au final aussi instructif que riche en émotion (ce qui, sur ce dernier point, était quand même loin d’être gagné au départ !).

Vincent de Barbara Stok. Emmanuel Proust, 2015. 140 pages. 16,00 euros.



La BD de la semaine est
aujourd'hui chez Noukette








mardi 10 février 2015

Eben ou les yeux de la nuit - Élise Fontenaille-N'Diaye

Eben est un adolescent namibien d’aujourd’hui, de la tribu des Hereros. Un orphelin à la peau sombre et aux yeux bleus, des yeux qu’il a voulu s’arracher le jour où il a compris d’où leur venait cette couleur si particulière. Mais son double héritage, aussi douloureux soit-il, va lui permettre d’appréhender la destinée tragique de son pays…

Sous couvert de fiction, Elise Fontenaille-N'Diaye propose un texte quasi documentaire. Comme elle l’avait déjà fait, entre autres, avec Le garçon qui volait des avions, Les disparues de Vancouver ou Les trois sœurs et le dictateur. Comme elle sait si bien le faire, finalement. Ici, au-delà de l’histoire d’un pays frappé par le plus abominable des colonialismes, elle utilise la figure d’Eben pour faire œuvre de mémoire. A travers le regard bleu du garçon défilent les pires moments de la conquête allemande et les traces encore vivaces de la présence des colons blancs malgré l’indépendance de 1990 : « c’est toujours eux qui tiennent le pays, ils font la pluie et le beau temps ».

En 1904, le général von Trotha et son armée perpétuent l’un des premiers génocides de l’histoire contre les Hereros. Il récidivera en 1905 avec les Namas, l’autre ethnie majoritaire de Namibie. Plus de 80 000 morts en tout, une population décimée, des survivants parqués dans des camps de concentration et étudiés par les scientifiques comme des animaux. Eben raconte l’horreur, il dit son malaise et s’insurge, mais fait également preuve de pédagogie. Le texte est parfois dur, les faits rapportés, d’une violence terrible. Mais le récit reste accessible aux adolescents, il permet de mettre en lumière un événement historique peu connu, terrifiant et en même temps symptomatique de la façon dont les européens considéraient l’Afrique et ses habitants au début du 20ème siècle.

Une lecture riche de sens, qui secoue autant qu’elle éclaire.

Eben ou les yeux de la nuit d’Élise Fontenaille-N'Diaye. Rouergue, 2015. 58 pages. 8,30 euros. A partir de 11-12 ans.

Un roman jeunesse que je partage comme chaque mardi (ou presque) avec Noukette.

L’avis de Mirontaine







lundi 9 février 2015

La rivière aux lucioles - Miyamoto Teru

Les deux textes de ce recueil (deux novelas plutôt que deux romans à proprement parler) datent de  1977. Leur auteur n’avait que 30 ans à l’époque, il signait alors ses premières publications et remporta avec La rivière aux lucioles le prix Akutagawa, l’équivalent de notre Goncourt.  Dans ce récit d’enfance on découvre le quotidien de Tatsuo, gamin pauvre de Toyama devant faire face à la maladie de son père et aux envies d’ailleurs de sa mère. L’autre titre, « Le fleuve de boue », met également en scène un enfant, Nobuo, vivant dans la gargote que tiennent ses parents sur les bords du fleuve Ajikawa, dans la baie d’Osaka.

Deux textes quasi jumeaux, deux premiers volets de « La trilogie des rivières » qui rendra Miyamoto célèbre, deux histoires d’enfance dans les quartiers populaires du Japon de l’après-guerre. On y trouve un mélange étrange d’ode à la nature, de passages poétiques, de lyrisme contenu et de dialogues réalistes. Une ambiance particulière se dégage de l’ensemble, renforcée à chaque fois par une rencontre mi-naturelle, mi-fantastique (avec des lucioles dans le premier cas et avec une carpe géante dans le second) venant clôturer le récit en lui offrant une morale dont chacun pourra tirer les leçons qu’il souhaite.

Très belle découverte pour moi  d’un auteur japonais majeur. Les deux textes sont excellents, même si j’ai préféré le second, où tout se passe réellement à hauteur d’enfant et qui n’est pas sans me rappeler, dans l’esprit, les nouvelles d’Ernest J. Gaines.    

La rivière aux lucioles de Miyamoto Teru. Picquier, 2015 (1ère édition en 1991). 202 pages. 8,00 euros.










dimanche 8 février 2015

La drôle d’évasion - Séverine Vidal

Alcatraz était une prison construite sur une île, face à la baie de San Francisco. Une prison dont nul ne s’est jamais échappé. Enfin, officiellement. Parce que le 11 juin 1962, trois détenus ont disparu. Personne ne les a jamais revus, les autorités ont donc conclu qu’ils avaient trouvé la mort en voulant s’enfuir. Cinquante ans plus tard, Zach, 9 ans, ne croit pas à la version officielle. Pour lui il y a bien eu évasion. Et il va le prouver. En se rendant sur place et en s’évadant à son tour. Comment va-t-il s’y prendre ? Ben pour ça il faudra lire le livre, je ne vais pas tout vous raconter non plus !

Ce petit roman est l’exemple type du « livre-accroche » qu’il faudrait proposer aux enfants réfractaires à la lecture. C’est drôle, truculent, enlevé, sans temps-mort. Il y a de l’action, une petite dose de suspens, un soupçon de tension et une fin qui interroge beaucoup. La langue, à la fois orale et très visuelle, est pleine de peps, et les dialogues sonnent juste. Au-delà du fond, la mise en page joue également un rôle ludique fort appréciable avec les bonus illustrés en fin de chapitres et de savoureuses notes de bas de page.

Et puis le petit Zach vaut son pesant de cacahuètes ! Tellement tentant de s’identifier à lui et d’admirer sa débrouillardise et sa répartie. Le personnage du père est aussi très bien trouvé, un spécimen rarissime, farfelu à souhait.

Tout ça pour vous dire que la réussite est ici totale. A  tel point que je compte bien soumettre ce titre au comité de sélection du prix des jeunes lecteurs dont j'ai la charge. Et s'il fait partie des cinq livres choisis au final, je me ferais un plaisir d'aller le défendre devant les élèves.

La drôle d’évasion de Séverine Vidal. Sarbacane, 2015. 152 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.

Les avis de Martine et Stephie

Une lecture commune que je partage avec Noukette dans le cadre de du coup de projecteur sur la collection Pépix chez Stephie.












samedi 7 février 2015

33 blogueurs sont Charlie


Un mois après, la cicatrice reste ouverte, béante. Sans doute ne se refermera-t-elle jamais. Un mois après, 33 blogueurs sont encore et toujours Charlie, pour défendre la liberté d’expression, la liberté tout court.

Un grand merci à Galéa pour la réalisation de cette vidéo. J'ai déjà eu l'occasion de te le dire mais je le répète avec plaisir : chapeau bas madame !

Vous y trouverez notamment (par ordre alphabétique et non par ordre d'apparition) :

Anne-Véronique, Asphodèle, Céline, EnnaEva, FéliFleurGaléa, Jérôme, Laurielit, Le Petit Carré JauneLittér'auteursMarilyne, Martine, Mind the GapMiss LéoMo', Mon Petit Chapitre, Pascale, Philistine Cave, Sharon, Sidonie, SylSylire, Tiphanie, Titine, Valou 









vendredi 6 février 2015

Ma mère ne m’a jamais donné la main - Thierry Magnier et Francis Jolly

Il a suffi d’un message sur le répondeur. Un message du notaire de là-bas, du pays de son enfance, de l’autre coté de la mer. Vingt ans plus tôt, après « l’accident de l’escalier » qui avait couté la vie à son père, le narrateur, sa sœur jumelle et sa mère sont rentrés en France. Aujourd’hui, la mère est elle aussi décédée et il faut organiser la succession, se rendre sur place pour signer les papiers et vendre la maison. Un retour aux sources douloureux, entre les murs d’une bâtisse en ruine, au milieu des fantômes d’une autre vie.

« Partir, c’est mourir un peu » a écrit Alphonse Allais. Mais pour le narrateur, revenir, c’est prendre de plein fouet « les éclaboussures du passé. Celles qui vous frappent au visage, rouvrent les cicatrices ». Les souvenirs affluent, il retrouve ce lieu où il ne s’est jamais senti chez lui, il se revoit avec cette maman qui n’en fut jamais vraiment une : « Je me demande si ma mère après son accouchement n’avait pas oublié qu’elle avait mis au monde des jumeaux. C’est Carole qui était sortie la première. Elle restera toujours la première, l’unique ». Carole, il ne l’a pas vue depuis des années, son quotidien fait de silence et de solitude est un choix assumé. Mais le message du notaire va peut-être changer la donne, permettre de « régler les affaires », de tourner enfin la page pour en écrire une nouvelle…

Un très joli texte, tout en retenu, magnifié par les sublimes photos de Francis Jolly. Il y a du Choplin et du Mingarelli chez Thierry Magnier. Phrases courtes et limpides, confession discrète, digne, sensible. Le minimalisme est délibéré, il confine presque au chuchotement. En mélodiste économe, l’auteur déroule sa partition sans faute, avec une désarmante fragilité. Tout ce que j’aime.

Ma mère ne m’a jamais donné la main de Thierry Magnier (photographies Francis Jolly). Le Bec en l’air, 2015. 92 pages. 14,90 euros

L'avis de Noukette, qui m'a donné envie de découvrir ce livre. J'ai eu raison de lui faire confiance, une fois de plus.