lundi 9 février 2015

La rivière aux lucioles - Miyamoto Teru

Les deux textes de ce recueil (deux novelas plutôt que deux romans à proprement parler) datent de  1977. Leur auteur n’avait que 30 ans à l’époque, il signait alors ses premières publications et remporta avec La rivière aux lucioles le prix Akutagawa, l’équivalent de notre Goncourt.  Dans ce récit d’enfance on découvre le quotidien de Tatsuo, gamin pauvre de Toyama devant faire face à la maladie de son père et aux envies d’ailleurs de sa mère. L’autre titre, « Le fleuve de boue », met également en scène un enfant, Nobuo, vivant dans la gargote que tiennent ses parents sur les bords du fleuve Ajikawa, dans la baie d’Osaka.

Deux textes quasi jumeaux, deux premiers volets de « La trilogie des rivières » qui rendra Miyamoto célèbre, deux histoires d’enfance dans les quartiers populaires du Japon de l’après-guerre. On y trouve un mélange étrange d’ode à la nature, de passages poétiques, de lyrisme contenu et de dialogues réalistes. Une ambiance particulière se dégage de l’ensemble, renforcée à chaque fois par une rencontre mi-naturelle, mi-fantastique (avec des lucioles dans le premier cas et avec une carpe géante dans le second) venant clôturer le récit en lui offrant une morale dont chacun pourra tirer les leçons qu’il souhaite.

Très belle découverte pour moi  d’un auteur japonais majeur. Les deux textes sont excellents, même si j’ai préféré le second, où tout se passe réellement à hauteur d’enfant et qui n’est pas sans me rappeler, dans l’esprit, les nouvelles d’Ernest J. Gaines.    

La rivière aux lucioles de Miyamoto Teru. Picquier, 2015 (1ère édition en 1991). 202 pages. 8,00 euros.










dimanche 8 février 2015

La drôle d’évasion - Séverine Vidal

Alcatraz était une prison construite sur une île, face à la baie de San Francisco. Une prison dont nul ne s’est jamais échappé. Enfin, officiellement. Parce que le 11 juin 1962, trois détenus ont disparu. Personne ne les a jamais revus, les autorités ont donc conclu qu’ils avaient trouvé la mort en voulant s’enfuir. Cinquante ans plus tard, Zach, 9 ans, ne croit pas à la version officielle. Pour lui il y a bien eu évasion. Et il va le prouver. En se rendant sur place et en s’évadant à son tour. Comment va-t-il s’y prendre ? Ben pour ça il faudra lire le livre, je ne vais pas tout vous raconter non plus !

Ce petit roman est l’exemple type du « livre-accroche » qu’il faudrait proposer aux enfants réfractaires à la lecture. C’est drôle, truculent, enlevé, sans temps-mort. Il y a de l’action, une petite dose de suspens, un soupçon de tension et une fin qui interroge beaucoup. La langue, à la fois orale et très visuelle, est pleine de peps, et les dialogues sonnent juste. Au-delà du fond, la mise en page joue également un rôle ludique fort appréciable avec les bonus illustrés en fin de chapitres et de savoureuses notes de bas de page.

Et puis le petit Zach vaut son pesant de cacahuètes ! Tellement tentant de s’identifier à lui et d’admirer sa débrouillardise et sa répartie. Le personnage du père est aussi très bien trouvé, un spécimen rarissime, farfelu à souhait.

Tout ça pour vous dire que la réussite est ici totale. A  tel point que je compte bien soumettre ce titre au comité de sélection du prix des jeunes lecteurs dont j'ai la charge. Et s'il fait partie des cinq livres choisis au final, je me ferais un plaisir d'aller le défendre devant les élèves.

La drôle d’évasion de Séverine Vidal. Sarbacane, 2015. 152 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.

Les avis de Martine et Stephie

Une lecture commune que je partage avec Noukette dans le cadre de du coup de projecteur sur la collection Pépix chez Stephie.












samedi 7 février 2015

33 blogueurs sont Charlie


Un mois après, la cicatrice reste ouverte, béante. Sans doute ne se refermera-t-elle jamais. Un mois après, 33 blogueurs sont encore et toujours Charlie, pour défendre la liberté d’expression, la liberté tout court.

Un grand merci à Galéa pour la réalisation de cette vidéo. J'ai déjà eu l'occasion de te le dire mais je le répète avec plaisir : chapeau bas madame !

Vous y trouverez notamment (par ordre alphabétique et non par ordre d'apparition) :

Anne-Véronique, Asphodèle, Céline, EnnaEva, FéliFleurGaléa, Jérôme, Laurielit, Le Petit Carré JauneLittér'auteursMarilyne, Martine, Mind the GapMiss LéoMo', Mon Petit Chapitre, Pascale, Philistine Cave, Sharon, Sidonie, SylSylire, Tiphanie, Titine, Valou 









vendredi 6 février 2015

Ma mère ne m’a jamais donné la main - Thierry Magnier et Francis Jolly

Il a suffi d’un message sur le répondeur. Un message du notaire de là-bas, du pays de son enfance, de l’autre coté de la mer. Vingt ans plus tôt, après « l’accident de l’escalier » qui avait couté la vie à son père, le narrateur, sa sœur jumelle et sa mère sont rentrés en France. Aujourd’hui, la mère est elle aussi décédée et il faut organiser la succession, se rendre sur place pour signer les papiers et vendre la maison. Un retour aux sources douloureux, entre les murs d’une bâtisse en ruine, au milieu des fantômes d’une autre vie.

« Partir, c’est mourir un peu » a écrit Alphonse Allais. Mais pour le narrateur, revenir, c’est prendre de plein fouet « les éclaboussures du passé. Celles qui vous frappent au visage, rouvrent les cicatrices ». Les souvenirs affluent, il retrouve ce lieu où il ne s’est jamais senti chez lui, il se revoit avec cette maman qui n’en fut jamais vraiment une : « Je me demande si ma mère après son accouchement n’avait pas oublié qu’elle avait mis au monde des jumeaux. C’est Carole qui était sortie la première. Elle restera toujours la première, l’unique ». Carole, il ne l’a pas vue depuis des années, son quotidien fait de silence et de solitude est un choix assumé. Mais le message du notaire va peut-être changer la donne, permettre de « régler les affaires », de tourner enfin la page pour en écrire une nouvelle…

Un très joli texte, tout en retenu, magnifié par les sublimes photos de Francis Jolly. Il y a du Choplin et du Mingarelli chez Thierry Magnier. Phrases courtes et limpides, confession discrète, digne, sensible. Le minimalisme est délibéré, il confine presque au chuchotement. En mélodiste économe, l’auteur déroule sa partition sans faute, avec une désarmante fragilité. Tout ce que j’aime.

Ma mère ne m’a jamais donné la main de Thierry Magnier (photographies Francis Jolly). Le Bec en l’air, 2015. 92 pages. 14,90 euros

L'avis de Noukette, qui m'a donné envie de découvrir ce livre. J'ai eu raison de lui faire confiance, une fois de plus.











jeudi 5 février 2015

Les lectures de Charlotte (4) : Caché ! et Qui a mangé la petite bête ? d'Hector Dexter

Charlotte fête aujourd’hui ses deux ans et quels meilleurs cadeaux pouvais-je lui trouver que ces quelques livres ? Mais rendons d’abord à Kikine ce qui lui appartient, c’est grâce à elle et à son billet que j’ai découvert Amaterra, un éditeur lyonnais qui m’était jusqu’alors inconnu et dont les ouvrages sont d’une qualité assez bluffante.

Ce soir donc, en rentrant de la crèche, mon bébé d’amour (qui n’en est plus vraiment un – de bébé je veux dire, parce que d’amour, forcément…) pourra déballer trois beaux livres qui, je le sais d’avance, vont l’enchanter.


Un gamin en colère. Un gamin capricieux qui veut, qui exige un cocodrile ! Pas une girafe, pas un éléphant, pas un escargot, un COCODRILE !!!! Plus les animaux défilent et plus il s’énerve. Jusqu’au moment où…

Un excellent album plein d’humour. Les illustrations, épurées, sont terriblement expressives. Et le final ne manque pas de sel ! Après, on pourrait ronchonner en soulignant que ce n'est pas avec ce texte que l'on va apprendre à bien prononcer le mot "crocodile" mais franchement, on s'en fiche. De toute façon, pour Charlotte, on dit "codile" et pas autrement, donc...




Je veux un cocodrile de Laure Monloubou. Amaterra, 2014. 26 pages. 8,90 euros. A partir de 2 ans.


C’est ce titre que j’ai déniché chez Kikine. Un livre où l’on joue à cache-cache. Qui se cache dans les œufs ? Qui se cache derrière le fromage ? Où se cache le lapin ? Qui se cache dans mon bain ? Simple et efficace, surtout très original grâce aux nombreuses découpes qui ménagent le suspens et donne un coté ludique à l’exploration de l’ouvrage. Par exemple dans l’extrait ci-dessous, en tournant la page de droite et en la superposant à celle de gauche, on va faire apparaître à travers les découpes une ampoule qui s’allume et des chauves-souris aux yeux rouges. Effet de surprise garanti !

La réalisation est parfaite, très soignée, et le cartonnage suffisamment résistant pour supporter les manipulations les plus vigoureuses, ce qui est loin d’être un détail.



Caché d’Hector Dexter. Amaterra, 2014. 36 pages. 12,50 euros. A partir de 2 ans.


Autre titre d’Hector Dexter, « Qui a mangé la petite bête ? » fonctionne un peu comme le précédent, jouant sur les découpes, mais en privilégiant l’effet de profondeur. A chaque page on tente de répondre à la question contenue dans le titre en proposant un suspect potentiel, et à chaque page on se rapproche un peu plus de la coccinelle. Alors, qui est le coupable ? L’ours blanc ? L’éléphant gris ? Le poisson bleu ? Les flamants roses ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire, mais sachez juste que, l’air de rien, avec tous ces animaux, on peut commencer à apprendre les couleurs… 

Là encore la réalisation est  superbe, avec, entre autres, un cartonnage des plus épais et des coins arrondis pour éviter les accidents en cours de manipulation.



Qui a mangé la petite bête ? d’Hector Dexter. Amaterra, 2014. 26 pages. 12,50 euros. A partir de 2 ans.


Trois jolies trouvailles dont je ne suis pas peu fier et un éditeur qui gagnerait à être davantage connu tant il soigne avec une rare minutie l'ensemble de ses publications. Qu'on se le dise ! 




Deux ans déjà, ça passe trop vite !!!












mercredi 4 février 2015

Les carnets de Cerise T3 : le dernier des cinq trésors - Joris Chamblain et Aurélie Neyret

Troisième aventure de Cerise et troisième mystère à résoudre. Cette fois, l’enquêtrice en herbe va aider Sandra, une relieuse de livres, à identifier le propriétaire de partitions retrouvées dans un coffre poussiéreux. Sans le savoir, la collégienne et ses amies Line et Erica vont en fait se lancer dans un jeu de piste qui fera remonter chez Sandra de douloureux souvenirs…

Ouvrir un album de Cerise, c’est s’offrir une cure de tendresse. Beaucoup de douceur dans l’univers de cette fillette, beaucoup de chaleur humaine aussi. Les dessins plein de sensibilité aux couleurs pastel contribuent à renforcer cette ambiance « cosy » dans laquelle le lecteur se sent si bien. Même s’il y a, comme toujours, un léger point de tension, une cicatrice difficile à refermer qui donne un petit goût acidulé à l’histoire, la bienveillance reste de mise et le dénouement heureux, inévitable.

Petit plus non négligeable, quelques encarts didactiques et ludiques « made in Cerise » où l’on apprend par exemple le vocabulaire propre aux livres (la coiffe, le dos, les plats…) et la méthode utilisée par les relieurs pour les restaurer ou encore la recette des cookies et sablés de la mamie d’Erica.

Au final ce nouveau tome riche en émotions continue d’allier avec bonheur la forme et le fond. J’avais trouvé le second épisode un cran en dessous, celui-là remet les pendules à l’heure. Et comme d’habitude, je suis ébloui par la beauté de la couverture.



Les carnets de Cerise T3 : le dernier des cinq trésors de Joris Chamblain et Aurélie Neyret. Soleil, 2014. 86 pages. 15,95 euros. A partir de 9 ans.









mardi 3 février 2015

Le premier mardi c'est permis (33) : Alice - Emma Becker

Alice a vingt ans, Emmanuel est deux fois plus âgé. De leur rencontre naîtra une histoire à l’érotisme débridée, une histoire trouble et sensuelle, mouvementée…

Alice la femme-enfant vivant avec ses petites sœurs dans l’appartement parisien abandonné par ses parents depuis leur divorce. Alice qui se rêve romancière et s’abandonne sans retenue dans les plaisirs charnels : « Le plaisir est sacré […] Parce que, au fond, ce n’est que ça, la vie. Soixante-dix, quatre-vingt ans à tout perdre. Le sexe n’a jamais rien eu à voir avec quoi que ce soi d’autre. Le sexe, au fond, le plaisir, c’est la seule chose qui compte en ce monde. J’ai l’air d’un homme à dire ça ? On est tous esclaves de la même chose. Les hommes sont esclaves de leur soif de chattes, je suis esclave de l’érection des hommes. De la séduction. Ça me va, d’être réduite à un ensemble de trous ayant besoin d’être remplis. Je ne vois pas ce que je pourrais être de plus intéressant. Ou de plus constructif. »

Alice et sa vision étriquée du monde et des relations hommes-femmes, Alice et ses caprices, son mal-être qui ferait la fortune d’un psy. Alice qui ne peut pas garder le moindre boulot parce que travailler c’est trop dur, Alice qui pleure dans les jupes de son père quand elle n’a plus un sou en poche pour acheter ses cigarettes…

Le pire c’est qu’Emmanuel n’est pas mieux. Vieux beau fraîchement séparé, tombant amoureux fou d’une gamine au corps de déesse, amant jaloux ne supportant pas que sa dulcinée, aux mœurs plus que légères, aille voir ailleurs mais qui, de son coté, n’hésite pas à la tromper (« Je ne savais plus où j’en étais » ; « Elle n’est rien pour moi cette fille » ; « cette fille n’a rien de commun avec toi » ; « cette fille est sans saveur à coté de toi »). Justifications pitoyables d’un homme pitoyable…

Mon Dieu que je les ai détestés, ces deux-là ! Une envie de les baffer à chaque page, de les secouer, de leur ouvrir les yeux et de leur faire comprendre la futilité de leurs pauvres petits problèmes existentiels. Envie de leur hurler dessus et de mettre un terme à leurs jérémiades tellement superficielles. Tout ce que je déteste chez des personnages de roman.

Après, je ne dis pas, l’écriture est pleine de charme, oscillant entre de très beaux passages et une certaine vulgarité que je n’ai jamais trouvé choquante. Sans compter que les scènes « explicites », nombreuses, sont particulièrement bien menées et souvent fort émoustillantes. Il y a donc beaucoup de qualité dans la plume d’Emma Becker, c’est juste que cette sulfureuse histoire d’amour intergénérationnelle et ce couple imbuvable m’ont agacé au plus haut point, gâchant tout plaisir de lecture. Pour autant, je n’en resterai pas là avec cette auteure car je sens chez elle un vrai potentiel. Son premier roman est dans ma pal et je compte bien m’y plonger très bientôt, j’espère simplement que j’y trouverai des protagonistes plus à mon goût.

Alice d’Emma Becker. Denoël, 2015. 350 pages. 19,90 euros.


Une lecture commune que je partage avec Noukette. Surprenant, non ?











lundi 2 février 2015

Elliot, super-héros - Cécile Chartre

Un néon qui claque dans le bureau du directeur, en pleine punition, et Elliot le fayot, le premier de la classe adoré par la maîtresse et détesté par ses camarades, se persuade qu’il est devenu un super-héros. Bon, ok, son pouvoir est assez limité, comme celui des deux autres élèves présents au moment de l’incident, mais cela suffit pour que ces trois-là forment un gang prêt à rendre la justice à la moindre occasion…

Difficile de ne pas rire aux éclats en découvrant les (més)aventures d’Elliot et de ses acolytes. Des superpouvoirs ? Quels superpouvoirs ? Peu importe à la limite, l’important, avec un superpouvoir, c’est d’y croire. Et l’important, quand on est un super-héros, c’est d’avoir un costume : collant, bottes, tuniques moulante et slip. A porter par-dessus le collant, le slip. Se rendre à l’école attifé de la sorte ? Même pas peur !

J’adore Cécile Chartre depuis mes lectures de Joyeux Ornithorynque et surtout Petit meurtre et menthe à l’eau. Elle possède un art de la formule qui déclenche le sourire, ses descriptions, très imagées, sont un régal d’humour parfois assez grinçant, même si on sent en permanence affleurer tendresse et bienveillance pour les bras-cassés qu’elle met en scène. Ici, Elliot vaut son pesant de cacahuètes ! Sa naïveté n’a d’égale que ses convictions, chevillées au corps et à « deux jambes trop courtes pour un garçon de dix ans ». C’est lui qui parle, qui nous raconte sa transformation, avec ses mots à lui. Parce que transformation il y aura, et le gamin solitaire et renfermé du début de l’histoire ne sera plus tout à fait le même à la fin, avec ou sans superpouvoirs.

Elliot, super-héros de Cécile Chartre. Rouergue, 2015. 62 pages. 6,70 euros. A partir de 8 ans.






vendredi 30 janvier 2015

Fin de mission - Phil Klay

Des soldats. Américains. En Irak. Celui-là rentre chez lui après avoir passé son temps, là-bas, à abattre des chiens qui se nourrissaient de cadavres. A la maison il retrouve sa femme et son labrador, couché au pied du canapé. Celui-là vient de délivrer des policiers irakiens torturés dans la cave d’une maison tenue par des insurgés. Celui-là a du mal à se remettre de la mort d’un gamin de 14 ans, tué sous ses yeux par son collègue. Lui, il était affecté aux « affaires mortuaires », chargé de récupérer et transporter les corps de combattants, qu’ils soient américains ou irakiens. Cet autre, civil, rêvait de remettre en service une station de traitement de l’eau pour venir en aide à la population. Eux, ils débriefent à la cantine après avoir envoyé leur premier obus sur des cibles humaines. Combien en ont-ils eu en tout ? Combien ça fait de morts par membre de la section ? Et puis il y a cet aumônier recueillant des confessions difficiles à entendre, cet étudiant revenu du front, pointé du doigt par une camarade musulmane sur les bancs de la fac ou encore ce pauvre gars, défiguré par une mine, qui raconte son histoire dans un bistrot de New-York...

Attention, grosse claque ! Douze nouvelles que j’ai dévorées en à peine deux jours. On comprend à la lecture pourquoi ce recueil d’un débutant totalement inconnu s’est vu octroyer le National Book Award, l’un des plus prestigieux prix littéraires de la planète.

Phil Klay, vétéran du corps des marines ayant servi en Irak entre 2007 et 2008, a l’intelligence de ne pas sombrer dans les clichés, de ne pas jouer au « pro » ou au « anti » guerre. Son angle d’attaque est beaucoup plus fin : de l’artilleur à l’aumônier, du civil engagé par l’armée à l’administratif n’ayant jamais vu une zone de combat, il multiplie les points de vue et alimente la réflexion. Avec un réalisme sidérant, il décrit la vie d’une compagnie au jour le jour, il dit la peur du soldat sur le terrain, la haine absolue et aveugle de l’ennemi, les traumatismes physiques et psychologiques, l’impossible retour à une vie normale à la fin d’une mission, mais aussi l’incompréhension des proches, la quête de sens face à l’absurdité de certaines situations, les nombreux suicides, le regard, parfois difficile à supporter, de ceux qui vous jugent sans avoir la moindre idée de ce que vous avez vécu.

Aucun pathos, aucun jugement, pas d’envolée lyrique, le ton est sec comme un coup de trique, empreint d’une lucidité qui fait froid dans le dos. Plus proche, dans l’esprit, de « Yellow Birds » que de « Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn », deux autres textes abordant le conflit irakien, ce recueil marque la fracassante entrée en littérature d’un jeune trentenaire incroyablement talentueux.

Fin de mission de Phil Klay. Gallmeister, 2015. 310 pages. 23,80 euros.


Extraits :

« J’avais pensé qu’il y aurait au moins une certaine noblesse dans la guerre. Je sais qu’elle existe. On raconte tant d’histoires, il faut bien que certaines d’entre elles soient vraies. Mais je vois surtout des hommes ordinaires, essayant de faire le bien, abattus par l’horreur, par leur incapacité à apaiser leur propre rage, par les airs virils qu’ils affectent et leur prétendue dureté, leur désir d’être plus implacables et par conséquent plus cruels que la situation dans laquelle ils se trouvent. »

« Qu’est-ce qu’on fait ? […] Nous, on vient ici, on leur dit, On va vous apporter l’électricité. Si vous travaillez avec nous. On vous garantira la sécurité. Si vous travaillez avec nous. Mais attention, votre meilleur ami sera votre pire ennemi. Si vous nous faites chier, vous vivrez dans la merde. Et ils nous répondent, OK, on vivra dans la merde. Alors qu’ils aillent se faire foutre. »

« Tout le monde présumait que mon âme était profondément marquée par ma rencontre avec le Réel : le monde-tel-qu’il-est, dur, sans fard, violent, loin de la bulle protectrice de l’Amérique et du monde universitaire, un séjour au Cœur des Ténèbres qui, s’il ne vous détruit pas, vous rend plus triste et plus sage. C’est des conneries, bien sûr. »











mercredi 28 janvier 2015

Moby Dick - Chabouté

Moby Dick ou la baleine blanche entraînant dans son sillage le capitaine Achab et son bateau, jusqu’aux frontières de la folie. Achab avec la vengeance comme moteur, comme seule et unique raison d’être. L’obsession d’un homme, son entêtement, son jusqu’auboutisme qui causera la perte de l'équipage…

Tout le monde connaît l’histoire, l’originale et ses innombrables adaptations. Quel intérêt d’en proposer une de plus ? Peut-être parce que le texte de Melville exerce encore une fascination sur bien des auteurs d’aujourd’hui, peut-être aussi parce qu’il véhicule des thèmes universels et intemporels. Quoi qu’il en soit, quand Chabouté s’en empare, le résultat est à la hauteur. « Adapter Moby Dick est venu d’une envie, celle de me frotter à Achab, qui est à la fois fort et fragile, faible et puissant, et dont l’acharnement me fait penser à ce que l’on peut parfois ressentir lorsque l’on fait une BD. »

Avec son noir et blanc dense et profond, sa mise en scène des silences, sa capacité à représenter l’océan en mouvement, il installe une atmosphère pesante où l’intensité dramatique du huis clos maritime en train de se jouer est magnifiée. Clairement, il faut lire ce diptyque d’une traite pour en extraire « la substantifique moelle ». Le premier tome ne fait que poser les bases et s’achève sur un goût de trop peu, c’est dans le second que le récit prend toute son ampleur tragique. Pas envie d’en faire des caisses ni d’en dire plus, je préfère vous laisser plonger la tête la première dans l’écume et profiter, entre autres merveilles, des incroyables séquences muettes qui illuminent ces deux albums de leur envoûtante présence (si vous avez lu « Tout seul », vous savez parfaitement de quoi je veux parler…).


Moby Dick, livre premier de Chabouté. Vents d’Ouest, 2014. 118 pages. 18,50 euros.
Moby Dick, livre second de Chabouté. Vents d’Ouest, 2014. 134 pages. 18,50 euros.

Les avis de SandrineSaxaoul et Yvan