mardi 4 novembre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : In Bed - Lydia Frost et Kalondji

Dans un hôtel de Central Park, un couple après l’amour. La femme est rayonnante, l’homme bien plus soucieux. Il faut dire que Rachel et Luka sont mariés, mais pas ensemble. Une relation adultérine vécue différemment par ses deux protagonistes, l’un culpabilisant beaucoup plus que l’autre…

Une réflexion très fine sur l’adultère. Il est appréciable que les auteurs ne se soient pas emparés du sujet pour tomber dans la simple histoire de cul multipliant les visuels aussi froids que cliniques. Ici, tout est en suggestion, l’approche étant essentiellement psychologique. L’histoire est certes des plus banales mais l’intérêt tient dans le fait que l’on s’intéresse aux causes et aux conséquences de la tromperie. Sans jugement, sans défendre où accuser. Lui va voir ailleurs parce qu'il est dans une fuite en avant, ne sachant pas vraiment ce qu’il cherche ni ce qu’il veut. Il est fragile, mal à l’aise, manquant d’assurance. Il est lâche et ne parvient pas à compartimenter les choses. C’est un homme, quoi. Rachel est au contraire une working girl bien sa peau, qui veut juste briser la routine d’un quotidien avec mari et enfants. Elle assume, fait la part des choses et ne se prend pas la tête. Je ne dirais pas qu’elle a le beau rôle, mais presque.

Et finalement, c’est ce que j’ai aimé. Le portrait, même un poil caricatural, d’une femme belle, talentueuse et sûre d’elle face à un homme qui se perd en tergiversations. Comme j’ai aimé l’individualisation d’une problématique universelle, le fait que leur histoire banale possède un caractère unique. Et puis niveau dessin, c‘est d’une rare élégance et les scènes « coquines », certes discrètes, sont passionnées et brûlantes.

Finalement, la réflexion est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pour Rachel, coucher n'est pas tromper. Pour Luka, ce n'est pas si simple, loin de là. Pour le lecteur, c'est une question de point vue, d'opinion ou d'expérience personnelle, voire de mauvaise foi...

In Bed de Lydia Frost et Kalondji. Delcourt, 2014. 90 pages. 15,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka. Et ce n'est rien dire que ça me fait très plaisir !









lundi 3 novembre 2014

Meursault, contre-enquête - Kamel Daoud

« Un français tue un arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c’est l’été 1942. Cinq coups de feu suivis d’un procès. L’assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé d’elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil où à de l’oisiveté pure. […] Tout le reste n’est que fioritures, dues au génie de ton écrivain. Ensuite, personne ne s’inquiète de l’arabe, de sa famille, de son peuple. A sa sortie de prison, l’assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l’absurde. Tu peux retourner cette histoire dans tous les sens, elle ne tient pas la route. »

Un vieil homme se confesse dans un bar d'Oran. Dans un long monologue proféré à un prétendu universitaire, il raconte celui qui, pour tous, a toujours été « l'arabe », et rien d'autre. Une victime innocente, tuée sur une plage. Une victime qui n'était autre que son frère, Moussa : « celui qui a été assassiné est mon frère. Il n'en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera. » Haroun n'avait que sept ans à l'époque. Il ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé ce jour-là. Alors il extrapole, il digresse et revient sur son enfance, sur cette mère assoiffée de vengeance qui l'a toujours traité comme un moins que rien. Sur le meurtre qu'il commettra lui-même vingt ans plus tard, en 1962, au moment de l'indépendance. Un meurtre gratuit, contre un français.

Tout cela a bien entendu à voir avec « L'étranger » et sonne comme une réponse à ce dernier. Pourtant, jamais le nom de Camus n'est cité. Le livre est attribué à Meursault, qui l'aurait écrit lui-même en sortant de prison. Comme s'il s'agissait d'un véritable fait divers, comme si la réalité rejoignait la fiction. Les correspondances entre cette contre-enquête et « L'étranger » sont nombreuses et l'on peut dire que Daoud écrit contre Camus, collé tout contre lui. L'effet miroir est saisissant : son « héros » a un problème avec sa mère, son héros tue sans véritable raison un français, son héros voit sa solitude fugitivement brisée par une figure féminine, son héros hait la religion et le crie bien fort.

Ce ne pourrait être qu'un exercice de style, c'est bien plus ambitieux. Peut-être trop d'ailleurs. J'avoue que je suis resté sur ma faim. L'idée d'exploiter la figure de la victime anonyme, cet angle mort du roman de Camus, ce « hors champ », était intéressante, mais j'aurais préféré découvrir vraiment la vie de cette victime plutôt que celle de son frère. Je m'attendais à découvrir cette histoire-là, je ne sais pas pourquoi. Du coup, le monologue décousu du narrateur sur sa propre existence, sa volonté, inconsciente ou pas, de créer le parallèle avec le personnage de Meursault m'a laissé quelque peu indifférent. Pas vraiment une déception, j'admire la façon dont le sujet a été traité, mais ce n'est pas celui que j'aurais aimé découvrir.

Dernière précision qui a son importance, je trouve l'écriture de Kamel Daoud très belle, oscillant sans cesse entre colère sourde et envolées pleines d'exaltation : « Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace ».

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. Actes Sud, 2014. 153 pages. 19,00 euros.

Une lecture commune que je partage une fois encore avec Noukette.

L'avis de Marilyne





vendredi 31 octobre 2014

La malédiction du bandit moustachu - Irina Teodorescu

Ça commence comme un conte. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, quelque part en Roumanie, et une malédiction est lancée à l’encontre de Gheorghe Marinescu par un bandit moustachu détrousseur de bourgeois : la mort frappera tous les descendants mâles de sa famille, et ce jusqu’à l’an 2000. A partir de là nous suivons, de génération en génération, le destin tragique des fils Marinescu qui ne pourront échapper à la fatalité. Et l’on découvre que les Marinescu n’ont rien de bons samaritains, tant les hommes que les femmes d’ailleurs. Ce ne sont pas « Maria la cochonne », « Maria la laide », « Ana la sorcière » ou « Margot la vipère » qui me contrediront.

Bof, bof, bof, ai-je envie dire. Ce premier roman d’une jeune auteure roumaine de 35 ans (écrit en français, je précise que ce n’est pas une traduction) a un coté loufoque qui pourrait être plaisant. L’écriture est dynamique, le changement de niveaux de langue donne beaucoup de vivacité, comme les chapitres très courts. Mais pour le reste... Les choses vont trop vite. On passe d’une époque à l’autre, d’un « Marinescu » à l’autre sans véritable liant. Et puis je me rends compte que j’ai beaucoup de mal dès qu’il y a plus de cinq personnages dans un roman. Je suis finalement un lecteur assez limité (bon ça, il y a longtemps que je le sais). Mais là, franchement, pour suivre le rythme et m’y retrouver, il m’aurait fallu un arbre généalogique détaillé. L’autre aspect qui m’a dérangé, c’est la méchanceté et le cynisme permanent dont font preuve les membres de cette famille. Je freine toujours des quatre fers devant le cynisme et la méchanceté. Il paraît que ça peut être drôle mais ça ne me fait jamais sourire. Du coup, les Marinescu et leur histoire, je n’en ai rien eu à faire, et ce dès le début. J’ai même été bien content de les quitter en tournant la dernière page, c’est dire.

Alors oui, c’est un premier roman enlevé et original qui sort des sentiers battus et de l’autofiction généralisée (ce qui est quand même un sacré bon point !), mais non, il ne m’a pas séduit une seconde et en ce qui me concerne,  je vais le classer sans regret dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».


La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu. Gaïa, 2014. 155 pages. 17,00 euros.





jeudi 30 octobre 2014

Un pommier dans le ventre - Simon Boulerice et Gérard Dubois

Quand Raphael mange une pomme, il la mange en entier, sauf la queue. Lorsqu’on son copain Rémi l’apprend, il est affolé : « Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ?! ». Raphael ne veut d’abord pas le croire mais il finit par se plier aux arguments de son ami. Horrifié, il retourne en classe avec des crampes à l’estomac. Plus tard, devant le miroir, il lui semble voir son ventre tout bosselé. Et quand il cogne sa poitrine, il a l’impression de frapper une porte en bois. A la maison, sa mère lui coupe les cheveux. Les yeux fermés, il sent « que le plancher de la cuisine se couvre de petites branches et de feuilles mortes »…

Un très joli album sur les peurs enfantines, sur la capacité des bambins à laisser leur imaginaire extrapoler une situation du quotidien jusqu’à la rendre particulièrement anxiogène. Les proportions prises par la certitude pour Raphael qu’un pommier pousse dans son ventre deviennent vite incontrôlables. Heureusement, en partageant son angoisse avec sa mère, il parviendra à la raisonner. La conclusion est très joliment trouvée, laissant au final l’insouciance de l’enfance emporter la partie.

Graphiquement, c’est totalement vintage, à tel point que j’ai cru au départ avoir entre les mains la réédition d’un album des années 50. Les illustrations sont superbes, elles ont le charme suranné des vignettes d’antan. Un très bel objet-livre, une histoire à la fois tendre et sensible qui permettra peut-être à certains petits lecteurs d’exorciser leurs propres peurs. Que demander de plus ?

Un pommier dans le ventre de Simon Boulerice et Gérard Dubois. Grasset Jeunesse, 2014. 48 pages. 13,50 euros. A partir de 5 ans.


Les avis de Martine et Sophie Van der Linden







mercredi 29 octobre 2014

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot - Lupano et Cauuet

Quel plaisir de retrouver ces chers vieux fourneaux ! Pierrot, l’activiste du groupe, se retrouve à la tête d’une coquette somme d’argent, offerte « pour la cause ». Mais c’est moins l’impressionnant paquet de fric que le nom de la généreuse donatrice qui le bouleverse. Ce cadeau tombé du ciel est le point de départ d’un enchaînement de situations cocasses où l’on découvre une fois de plus que le 4ème âge n’a besoin d'aucune leçon pour faire chier le système.

Invasion de bars branchouilles par des commandos d’ancêtres au son de la java bleu, attentats gériatriques malodorants dans les soirées sélects de l’UMP, hacking du blog de Nadine Morano par une mamy férue de nouvelles technologies, communauté libertaire autogérée plutôt que maison de retraite, Lupano se lâche et le lecteur se marre ! Après le passé d'Antoine, l’accent est cette fois mis sur celui de Pierrot et de Mimile, avec toujours en toile de fond une vieille histoire d’amour qui gratte et sur laquelle il est difficile de tirer un trait. Et comme dans le tome précédent, de nombreux flashbacks apportent les éclaircissements nécessaires à la compréhension de l’ensemble.

Le premier volume restera sans doute mon grand coup de cœur BD de l’année. Si ce second est lui aussi très réussi, je l’ai quand même trouvé un cran en dessous (il faut dire que la barre était haute !). Peut-être l’effet de surprise en moins. Peut-être le propos beaucoup plus politique. Peut-être le fait d’insister davantage sur le comique de situation et de répétition (l’histoire des baguettes de pain) au détriment des dialogues, un poil moins savoureux. Franchement, je chipote, mais qui aime bien châtie bien.

Et puis peu importe après tout.  J'ai beaucoup rigolé au cours de ma lecture et ce n’est pas le genre de chose qui m’arrive tous les jours. Je salue donc à nouveau la prise de risque des auteurs, leur inventivité et leur engagement. Trois qualités qui se font de plus en plus rares, même (et surtout…)  dans le monde de la BD.

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot de Lupano et Cauuet. Dargaud, 2014. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette, deux vieilles de la vieille que l'on ne présente plus !







mardi 28 octobre 2014

1, 2, 3... foulard - Eric Sanvoisin

« J’étais moche. La vie était moche. Tout était moche. »

Charlotte est mal dans sa peau. Après avoir fui trois familles d’accueil différentes, elle semble s’être enfin stabilisée. Mais à la veille de l’entrée au collège, son angoisse est à son paroxysme. Pas facile, à douze ans, lorsque l’on a un passé aussi « chargé » que le sien, de se faire une place dans cette jungle. Heureusement, Coraline l’a vite prise sous son aile. Elle lui a fait rencontrer les membres du « clan des étoiles filantes », une société secrète présidée par le charmant Jordan. Dans ce club très fermé, on s’envoie en l’air grâce au jeu du foulard. Jordan lui promet un voyage dans le cosmos qu’elle ne pourra pas oublier. Et puis tout est sous contrôle. Tant que l’on ne pratique pas le jeu seul, il n’y a aucun risque. Seulement, parfois, il y a certains voyages dont on a du mal à revenir…

« Brrrrr », « outch », « terrible » ! Voila les mots que nous avons échangé, Noukette et moi, après avoir terminé ce texte. Difficile en même temps de ne pas être d’accord. Ce roman fait froid dans le dos. Son réalisme glaçant, son insondable tristesse, son désespoir… tout concorde à vous laisser ko debout. La narration à la première personne renforce le malaise. Charlotte rembobine le fil de son  histoire sans omettre aucun détail de sa souffrance. Sa mère biologique qui refait surface soudainement, son histoire compliquée avec Jordan et les nombreuses autres filles qui lui courent après, cette vie de préado pas vraiment comme les autres, ce monde dans lequel elle ne trouve pas sa place. On sent malgré tout la pudeur, la volonté de ne pas en rajouter. Les faits se suffisent à eux-mêmes, engrenage implacable l’entraînant vers le fond.

Après, j’avoue, je m’interroge. Est-ce que ce roman a des vertus pédagogiques ? Sensibilisera-t-il aux dangers du jeu du foulard ? J’en doute. L’histoire de Charlotte est trop particulière, trop complexe, trop « extrême » pour endosser ce rôle. Ou alors il faut la considérer comme les clips chocs de la prévention routière, pour marquer les esprits. Mais à la limite peu importe. Je vois dans ce texte le portrait déchirant d’une gamine dont la voix vous fouille les tripes. Une gamine dont on partage la détresse et qui fait vibrer nos cordes sensibles. Une gamine que l’on quitte les larmes aux yeux, foi de gros dur tatoué !

1, 2, 3... foulard d’Eric Sanvoisin. Gründ, 2014. 150 pages. 8,95 euros. A partir de 13-14 ans.

C'est évidemment une nouvelle pépite que j'ai le plaisir de partager avec Noukette





lundi 27 octobre 2014

Melvile T1 : L'histoire de Samuel Beauclair - Romain Renard

Noukette en a tellement bien parlé la semaine dernière que j'ai craqué. Oui, je suis faible, ce n'est pas un scoop...

Samuel Beauclair souffre. Lui, l'écrivain fils d'écrivain, dont le premier roman a connu un certain succès, ne parvient plus à aligner trois mots sur une feuille blanche. Malgré les relances de son éditeur, malgré les menaces des huissiers, malgré le soutien de sa femme enceinte, rien n'y fait. Installé depuis quelques mois à Melvile, au cœur d'une nature sauvage, dans la maison de ce père qu'il aura finalement peu connu avant son décès, Samuel semble perdu. Répondant à une petite annonce, il s'improvise peintre en bâtiment pour gagner un peu d'argent et tombe peu à peu sous la charme de la sœur de son client...

Très beau portrait d'un homme torturé, en proie au doute et rongé par la culpabilité. Un homme qui va devoir affronter ses démons intérieurs et tuer le fantôme paternel pour tracer sa propre voie. Au départ, on se dit que tout cela est cousu de fil blanc, prévisible au possible. Mais on se laisse prendre au jeu, Romain Renard nous embarque sur des chemins de traverse inattendus, il joue sans cesse entre contemplation et introspection et nous mène par le bout du nez dans un univers très personnel et très travaillé où la frontière entre le réel et l'imaginaire est en permanence poreuse.

Graphiquement, c'est impressionnant. Les décors naturels aux couleurs mordorées, parfois proches du photomontage, sont sublimes, tandis que chaque personnage, croqué à l'encre et au fusain, est criant de réalisme.

Un superbe album. J'ai aimé son ambiance si particulière, son héros qui se cherche et la réflexion proposée sur le poids de la filiation et sur ces amarres qu'il est parfois difficile mais indispensable de rompre pour pouvoir suivre son propre chemin.


Melvile de Romain Renard. Le Lombard, 2013. 128 pages. 20,00 euros.













samedi 25 octobre 2014

Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier

Le  soleil des Scorta, je l’ai lu il y a très longtemps. Presque dix ans. J’avais adoré, c’est encore et toujours mon Gaudé préféré. Alors quand Tishina a proposé de m’offrir cette réédition intégrale du texte dans une version illustrée, j’ai accepté avec plaisir. Voila un superbe objet-livre qui va avantageusement remplacer dans ma bibliothèque l’édition de poche achetée d’occasion sur une brocante. Pensez donc, un grand format cartonné avec une belle jaquette et cent illustrations originales de Benjamin Bachelier, ça le fait, comme dirait l’autre. Encres, aquarelles, ou acryliques, autant de techniques utilisées pour retranscrire la lumière et la chaleur écrasante des Pouilles où se déroule le roman. C’est beau, très beau même, et cela donne une autre dimension au texte.

Si vous ne connaissez pas les Scorta, laissez vous emporter par l’histoire de cette famille où, de 1875 à 1980, et de génération en génération, frères et sœurs restent coute que coute soudés les uns aux autres malgré les obstacles qui se dressent devant eux. Après une tentative avortée d’émigration vers l’Amérique à la fin des années 20, les frères Giuseppe et Domenico rentrent à Montepuccio et y ouvrent le tabac qui deviendra le centre névralgique du village. Contrebandiers, buralistes, tenanciers de bars, les Scorta auront souvent été hors la loi, mais avec une forme de noblesse, une dignité et un sens de la justice remarquables. Destins tragiques, secrets profondément enfouis, misère et rêves d’une vie meilleure sont au cœur de ce roman pétri d’une belle humanité.

Avec ses phrases courtes très descriptives et son lyrisme contenu, Gaudé retranscrit l’aridité de cette terre des Pouilles sans jamais tomber dans la grandiloquence. Pas un mot de trop et beaucoup de souffle, c'est vraiment très, très fort et dix ans après, je suis toujours aussi admiratif devant ce texte somptueux.

Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier. Tishina, 2014. 368 pages. 32,00 euros.

Les avis de Blablablamia et Jostein

Cerise sur le gâteau, l'éditeur propose de vous faire gagner un exemplaire. Pour cela, rien de plus simple, il suffit de proposer en commentaire de ce billet votre roman illustré rêvé (un binôme roman / illustrateur). J'effectuerai un tirage au sort le lundi 3 novembre pour désigner le gagnant.

Roulement de tambour... Vous étiez onze sur la ligne de départ. Pépette n°2 a noté vos noms et effectué le tirage au sort de sa petite main innocente :



Et la gagnante est : Eva
Un grand bravo, j'attends maintenant tes coordonnées par mail pour les transmettre à l'éditeur.







vendredi 24 octobre 2014

Là-haut vers le nord - Joseph Boyden

Une jeune fille amoureuse d’un loup. Une femme qui annonce les numéros du bingo, perchée sur son estrade. Un garçon qui prétend se transformer en ours. Un autre, SDF, assistant impuissant à un meurtre. Un groupe punk féminin se reformant le temps d’un concert. Une troupe de catcheurs… et bien plus encore dans ce recueil de nouvelles mettant en scène des indiens du nord de l’Ontario.

La plupart des histoires se déroulent au cœur de la réserve où le gouvernement les parque depuis tant d’années. Toutes les problématiques de cette communauté à l’abandon sont abordées avec une rare finesse : pauvreté, violence, alcoolisme, toxicomanie, luttes environnementales perdues d’avance, disparition des traditions séculaires, tentatives d’évangélisation menées par des hommes d’église sans illusion, rêves d’ailleurs chimériques, etc. Le tableau dressé est sombre, désespéré même, tant aucune possibilité d'avenir ne semble poindre à l’horizon. Et pourtant on ressent à chaque page toute l’affection et la tendresse que Boyden porte aux descendants de ses ancêtres Cree. L’état des lieux est catastrophique mais jamais misérabiliste. Aussi lucide que sensible, le propos fait mouche car il se teinte d’une vraie force d’évocation, parfois poétique.

Chaque personnage croisé au fil des nouvelles est attachant en diable malgré ses défauts, ses difficultés et son parcours chaotique. J’ai aussi adoré cette capacité (rare) consistant à changer de ton et de niveau de langue en fonction des narrateurs (avec une mention spéciale pour la verve de l’ivrogne Joe Cheechoo dans le texte intitulé « Joe Cul-de-Jatte contre la Robe Noire »). Un superbe recueil et une écriture magnifique. Je découvre Joseph Boyden avec ce titre et je crois que c’est une belle histoire qui commence entre lui et moi.

Un grand merci à Athalie qui m’a proposé cette lecture commune. Pour elle c'était une relecture, elle savait que j’y trouverais mon compte et elle ne s’est pas trompée.

Là-haut vers le nord de Joseph Boyden. Le livre de poche, 2010. 316 pages. 6.60 euros.

L'avis de Brize


jeudi 23 octobre 2014

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano

Presque rien. C'est par ces deux mots que commencent le nouveau Modiano. Tout est dit, fermez le ban. L'art du presque rien est sa signature, incontestablement. Une fois encore, ne cherchez ici nulle intrigue, nulle histoire. On y croit pourtant au départ. Le personnage central, Jean Daragane, reçoit l'appel d'un inconnu qui lui affirme avoir retrouvé son carnet d'adresse. Ils conviennent d'un rendez-vous et Daragane comprend rapidement que son bon samaritain n'est pas si innocent qu'il en a l'air. Il s'intéresse de près a l'un des noms inscrits dans le carnet et voudrait en savoir davantage. On se dit que ça va mal tourner, que l'intensité dramatique va aller crescendo jusqu'aux révélations fracassantes. On se trompe, évidemment. Tout cela n'est que prétexte à une nouvelle variation sur les souvenirs et l'oubli. Ce nom qui, de prime abord, ne dit rien à Daragane, va peu à peu déchirer le voile de la mémoire et lui faire remonter le fil du temps.

L’œuvre de Modiano est comme un puzzle dont chaque pièce semble identique. Il faut juste repérer l'infime variation qui permettra de l'imbriquer parmi les autres. L'enquête intime se pare ici d'un halo brumeux qui s'opacifie au fil des pages. Comme d'habitude oserais-je dire. Et comme d'habitude, le lecteur musarde, s'égare, se promène entre les ombres. Soyons clair, si vous n'aimez pas l'univers modianesque, ce nouveau roman ne vous fera pas changer d'avis. Mais si comme moi vous appréciez cet univers où prédominent une certain forme de nonchalance, une fausse insignifiance et une douceur diffuse, n'hésitez pas. Si vous aimez les antihéros solitaires et un peu perdus, les blessures tues, les souvenirs d'enfance douloureux et la mélancolie, vous y trouverez votre compte.

Et l'écriture me direz-vous ? Et bien elle aussi est comme d'habitude. Sans éclats, sans cris. D'une neutralité au charme fou. Ce charme qui, chez Modiano, vous étreint et jamais ne vous lâche. En tout cas en ce qui me concerne.

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier de Patrick Modiano. Gallimard, 2014. 146 pages. 16,90 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.