lundi 27 octobre 2014

Melvile T1 : L'histoire de Samuel Beauclair - Romain Renard

Noukette en a tellement bien parlé la semaine dernière que j'ai craqué. Oui, je suis faible, ce n'est pas un scoop...

Samuel Beauclair souffre. Lui, l'écrivain fils d'écrivain, dont le premier roman a connu un certain succès, ne parvient plus à aligner trois mots sur une feuille blanche. Malgré les relances de son éditeur, malgré les menaces des huissiers, malgré le soutien de sa femme enceinte, rien n'y fait. Installé depuis quelques mois à Melvile, au cœur d'une nature sauvage, dans la maison de ce père qu'il aura finalement peu connu avant son décès, Samuel semble perdu. Répondant à une petite annonce, il s'improvise peintre en bâtiment pour gagner un peu d'argent et tombe peu à peu sous la charme de la sœur de son client...

Très beau portrait d'un homme torturé, en proie au doute et rongé par la culpabilité. Un homme qui va devoir affronter ses démons intérieurs et tuer le fantôme paternel pour tracer sa propre voie. Au départ, on se dit que tout cela est cousu de fil blanc, prévisible au possible. Mais on se laisse prendre au jeu, Romain Renard nous embarque sur des chemins de traverse inattendus, il joue sans cesse entre contemplation et introspection et nous mène par le bout du nez dans un univers très personnel et très travaillé où la frontière entre le réel et l'imaginaire est en permanence poreuse.

Graphiquement, c'est impressionnant. Les décors naturels aux couleurs mordorées, parfois proches du photomontage, sont sublimes, tandis que chaque personnage, croqué à l'encre et au fusain, est criant de réalisme.

Un superbe album. J'ai aimé son ambiance si particulière, son héros qui se cherche et la réflexion proposée sur le poids de la filiation et sur ces amarres qu'il est parfois difficile mais indispensable de rompre pour pouvoir suivre son propre chemin.


Melvile de Romain Renard. Le Lombard, 2013. 128 pages. 20,00 euros.













samedi 25 octobre 2014

Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier

Le  soleil des Scorta, je l’ai lu il y a très longtemps. Presque dix ans. J’avais adoré, c’est encore et toujours mon Gaudé préféré. Alors quand Tishina a proposé de m’offrir cette réédition intégrale du texte dans une version illustrée, j’ai accepté avec plaisir. Voila un superbe objet-livre qui va avantageusement remplacer dans ma bibliothèque l’édition de poche achetée d’occasion sur une brocante. Pensez donc, un grand format cartonné avec une belle jaquette et cent illustrations originales de Benjamin Bachelier, ça le fait, comme dirait l’autre. Encres, aquarelles, ou acryliques, autant de techniques utilisées pour retranscrire la lumière et la chaleur écrasante des Pouilles où se déroule le roman. C’est beau, très beau même, et cela donne une autre dimension au texte.

Si vous ne connaissez pas les Scorta, laissez vous emporter par l’histoire de cette famille où, de 1875 à 1980, et de génération en génération, frères et sœurs restent coute que coute soudés les uns aux autres malgré les obstacles qui se dressent devant eux. Après une tentative avortée d’émigration vers l’Amérique à la fin des années 20, les frères Giuseppe et Domenico rentrent à Montepuccio et y ouvrent le tabac qui deviendra le centre névralgique du village. Contrebandiers, buralistes, tenanciers de bars, les Scorta auront souvent été hors la loi, mais avec une forme de noblesse, une dignité et un sens de la justice remarquables. Destins tragiques, secrets profondément enfouis, misère et rêves d’une vie meilleure sont au cœur de ce roman pétri d’une belle humanité.

Avec ses phrases courtes très descriptives et son lyrisme contenu, Gaudé retranscrit l’aridité de cette terre des Pouilles sans jamais tomber dans la grandiloquence. Pas un mot de trop et beaucoup de souffle, c'est vraiment très, très fort et dix ans après, je suis toujours aussi admiratif devant ce texte somptueux.

Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier. Tishina, 2014. 368 pages. 32,00 euros.

Les avis de Blablablamia et Jostein

Cerise sur le gâteau, l'éditeur propose de vous faire gagner un exemplaire. Pour cela, rien de plus simple, il suffit de proposer en commentaire de ce billet votre roman illustré rêvé (un binôme roman / illustrateur). J'effectuerai un tirage au sort le lundi 3 novembre pour désigner le gagnant.

Roulement de tambour... Vous étiez onze sur la ligne de départ. Pépette n°2 a noté vos noms et effectué le tirage au sort de sa petite main innocente :



Et la gagnante est : Eva
Un grand bravo, j'attends maintenant tes coordonnées par mail pour les transmettre à l'éditeur.







vendredi 24 octobre 2014

Là-haut vers le nord - Joseph Boyden

Une jeune fille amoureuse d’un loup. Une femme qui annonce les numéros du bingo, perchée sur son estrade. Un garçon qui prétend se transformer en ours. Un autre, SDF, assistant impuissant à un meurtre. Un groupe punk féminin se reformant le temps d’un concert. Une troupe de catcheurs… et bien plus encore dans ce recueil de nouvelles mettant en scène des indiens du nord de l’Ontario.

La plupart des histoires se déroulent au cœur de la réserve où le gouvernement les parque depuis tant d’années. Toutes les problématiques de cette communauté à l’abandon sont abordées avec une rare finesse : pauvreté, violence, alcoolisme, toxicomanie, luttes environnementales perdues d’avance, disparition des traditions séculaires, tentatives d’évangélisation menées par des hommes d’église sans illusion, rêves d’ailleurs chimériques, etc. Le tableau dressé est sombre, désespéré même, tant aucune possibilité d'avenir ne semble poindre à l’horizon. Et pourtant on ressent à chaque page toute l’affection et la tendresse que Boyden porte aux descendants de ses ancêtres Cree. L’état des lieux est catastrophique mais jamais misérabiliste. Aussi lucide que sensible, le propos fait mouche car il se teinte d’une vraie force d’évocation, parfois poétique.

Chaque personnage croisé au fil des nouvelles est attachant en diable malgré ses défauts, ses difficultés et son parcours chaotique. J’ai aussi adoré cette capacité (rare) consistant à changer de ton et de niveau de langue en fonction des narrateurs (avec une mention spéciale pour la verve de l’ivrogne Joe Cheechoo dans le texte intitulé « Joe Cul-de-Jatte contre la Robe Noire »). Un superbe recueil et une écriture magnifique. Je découvre Joseph Boyden avec ce titre et je crois que c’est une belle histoire qui commence entre lui et moi.

Un grand merci à Athalie qui m’a proposé cette lecture commune. Pour elle c'était une relecture, elle savait que j’y trouverais mon compte et elle ne s’est pas trompée.

Là-haut vers le nord de Joseph Boyden. Le livre de poche, 2010. 316 pages. 6.60 euros.

L'avis de Brize


jeudi 23 octobre 2014

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano

Presque rien. C'est par ces deux mots que commencent le nouveau Modiano. Tout est dit, fermez le ban. L'art du presque rien est sa signature, incontestablement. Une fois encore, ne cherchez ici nulle intrigue, nulle histoire. On y croit pourtant au départ. Le personnage central, Jean Daragane, reçoit l'appel d'un inconnu qui lui affirme avoir retrouvé son carnet d'adresse. Ils conviennent d'un rendez-vous et Daragane comprend rapidement que son bon samaritain n'est pas si innocent qu'il en a l'air. Il s'intéresse de près a l'un des noms inscrits dans le carnet et voudrait en savoir davantage. On se dit que ça va mal tourner, que l'intensité dramatique va aller crescendo jusqu'aux révélations fracassantes. On se trompe, évidemment. Tout cela n'est que prétexte à une nouvelle variation sur les souvenirs et l'oubli. Ce nom qui, de prime abord, ne dit rien à Daragane, va peu à peu déchirer le voile de la mémoire et lui faire remonter le fil du temps.

L’œuvre de Modiano est comme un puzzle dont chaque pièce semble identique. Il faut juste repérer l'infime variation qui permettra de l'imbriquer parmi les autres. L'enquête intime se pare ici d'un halo brumeux qui s'opacifie au fil des pages. Comme d'habitude oserais-je dire. Et comme d'habitude, le lecteur musarde, s'égare, se promène entre les ombres. Soyons clair, si vous n'aimez pas l'univers modianesque, ce nouveau roman ne vous fera pas changer d'avis. Mais si comme moi vous appréciez cet univers où prédominent une certain forme de nonchalance, une fausse insignifiance et une douceur diffuse, n'hésitez pas. Si vous aimez les antihéros solitaires et un peu perdus, les blessures tues, les souvenirs d'enfance douloureux et la mélancolie, vous y trouverez votre compte.

Et l'écriture me direz-vous ? Et bien elle aussi est comme d'habitude. Sans éclats, sans cris. D'une neutralité au charme fou. Ce charme qui, chez Modiano, vous étreint et jamais ne vous lâche. En tout cas en ce qui me concerne.

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier de Patrick Modiano. Gallimard, 2014. 146 pages. 16,90 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.














mercredi 22 octobre 2014

Love in vain : Robert Johnson, 1911-1938 - Mezzo et J.M Dupont

« You may bury my body, down by the highway side
So my old evil spirit, can catch a Greyhound bus and ride

« Je voudrais qu’on m’enterre au bord d’une route sur le bas-côté 
pour que le démon qui est en moi puisse prendre un bus et filer »

Robert Johnson est une légende de la musique noire américaine. Le plus grand bluesman de tous les temps, un mythe vénéré par Hendrix, Clapton, Led Zeppelin, les Rolling Stones et tant d’autres. Un musicien raté qui aurait vendu son âme au diable pour jouer comme un Dieu. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre affirmaient que ses mains couraient sur le manche de son instrument comme des araignées. Sur scène, il se tenait dos au public pour que personne ne puisse voir sa technique. Son image sulfureuse, il l’a entretenue soigneusement. Oui, un soir d’errance, sur une route du Mississippi, à un carrefour, le prince des ténèbres lui est apparu. Il lui a pris sa guitare et l'a accordée, scellant le pacte. Johnson a alors connu la gloire dans les Juke Joints, « ces églises de la nuit qui sentaient bon le soufre ». Il a pu enregistrer vingt-neuf chansons entre 1936 et 1937. Tout ce qu’il reste aujourd’hui de celui que les apôtres de la vertu appelaient « le fils de Satan », mort empoisonné par un mari jaloux au cours de l’été 1938. Il avait 27 ans.   

Dupont et Mezzo (« Le roi des mouches ») remontent la vie de Johnson à contre courant des versions folkloriques pour ancrer son parcours dans la réalité. La référence au diable est présente mais elle s’affiche surtout comme un élément « commercial » que bien d’autres avant lui avaient d’ailleurs déjà utilisé. L’histoire de ce gamin n’a rien d’originale.  Enfance difficile. Marié très tôt, sa femme adorée et son enfant meurent en couches. Il n’a que 19 ans. Il entame alors une longue errance sur les routes et les rails du sud profond, sa guitare en bandoulière. Des débuts catastrophiques où les autres musiciens se moquent de son manque de talent. Il disparait plusieurs mois. A son retour, son jeu s’est transfiguré, sa technique éblouit l’assistance. Ainsi débute la légende. Sa transformation est due selon lui à sa rencontre avec le Malin, sa réputation est en marche. Il en jouera jusqu’au bout, au moins autant que de son charme incroyable. Chaque nuit, il se noie dans l’alcool et les aventures d’un soir. Les femmes sont folles de sa beauté troublante, de son charisme, de son visage imberbe, de son regard aux lueurs ensorcelantes. Son ascension sera aussi fulgurante que sa chute. L’enfer l’attendait de toute façon, il lui fallait bien payer sa dette, le moment venu. Et le lecteur de tourner la dernière page en se disant que, finalement, sa seule malédiction était sans doute son inégalable talent.

Je kiffe, que dis-je, je surkiffe Robert Johnson depuis que j’ai découvert son histoire en visitant le Texas au début des années 90. J’ai entendu ses chansons des centaines de fois et le charme opère toujours. Ce gars est l’incarnation absolue du blues. « Love in vain » est le plus bel hommage que l’on pouvait lui rendre. Graphiquement, c’est juste fabuleux. Le noir et blanc de Mezzo est sensuel, presque organique. Ses aplats sont d’une profondeur et d’une densité rarement vues. Le format à l’italienne, les nombreuses illustrations pleine page et la voix off achèvent de plonger le lecteur au cœur de cette vie brûlée par les deux bouts. Cerise sur le gâteau, on trouve en fin d’ouvrage les textes des chansons de Robert Johnson, en VO et en français, dont le célébrissime « Sweet Home Chicago ». Un album incontournable, indispensable à tout amateur de Blues qui se respecte. Une bien jolie pépite, à offrir ou à s’offrir (moi, c’est déjà fait !).


Love in vain : Robert Johnson, 1911-1938 de Mezzo et J.M Dupont. Glénat, 2014. 72 pages. 19,50 euros.








mardi 21 octobre 2014

La nappe blanche - Françoise Legendre

La nappe blanche, c’est une merveille de fil de lin confectionnée en 1910 par Jeanne pour le mariage de sa petite fille Anna. 1911, la nappe est sur la table du banquet, le jour des noces. 1914, le mari d’Anna part pour la der des der. Il n’en reviendra pas. 1936, les premiers congés payés. La nappe est utilisée pour un pique-nique en bord de Seine. Anna est devenue à son tour une grand-mère. 1944, un soir de mai. La police fait irruption dans l'appartement... Ainsi va la vie, ainsi va cette merveille en lin blanc qui traverse les décennies au sein de la même famille. 2014, la petite Jeanne écoute son aïeule Marie lui raconter l’histoire de la nappe.

Très joli texte, tout en retenu et en douceur qui traverse le 20ème siècle et aborde, entre autre, les relations mère-fille et la notion de transmission. La nappe est en quelque sorte l’objet transitionnel familial, ce doudou rassurant que l’on se passe de génération en génération, cet héritage, ce trésor précieux, symbole d’une mémoire commune que personne ne veut effacer. Encore une réussite dans cette collection « Petite poche » qui recèle décidément de biens belles pépites.

La nappe blanche de Françoise Legendre. Thierry Magnier, 2014. 46 pages. 5,10 euros. A partir de 8-9 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.



lundi 20 octobre 2014

Un dîner affreusement parfait - Marie Wilmer et Alexandra Gabrielli-Kuhn

Berthe s'ennuie. Accompagnée du hibou Toutoutou, elle décide de partir à la chasse aux horreurs pour préparer le repas du soir. Avec son filet à chauve-souris, sa canne à pêche et son panier en osier, direction le marais. Sa barque se faufile entre les roseaux, et elle croise successivement un loup garou et un croque-mitaine avant d'arriver à l'arbre aux horreurs. Elle y trouvera une tranche de lard, deux vieilles chaussettes sales, trois gros crapauds, quatre vipères et cinq aromates, tous les ingrédients nécessaires à la préparation d'un bon bouillon à l'odeur délicieusement immonde.

Très joli album, parfait pour dédramatiser l'affreux bestiaire peuplant souvent les histoires pour enfants. Berthe est dans son élément parmi les monstres et les araignées. La petite sorcière et son charmant hibou ne font rien d'autre que leur marché après tout. Malgré le noir dominant, la nuit et la forêt, rien d'oppressant dans cette balade en barque.Le procédé des ombres chinoises, en plus d'offrir une certaine poésie, permet de laisser à distance la sensation d'angoisse.

Contrairement à ce qu'affirme la quatrième de couverture, aucune raison, donc, d'avoir froid dans le dos en découvrant ce dîner affreusement parfait. Une lecture de saison, idéale pour préparer Halloween.


Un dîner affreusement parfait de Marie Wilmer et Alexandra Gabrielli-Kuhn. Naïve, 2014. 40 pages. 15,00 euros. A partir de 6 ans.  












samedi 18 octobre 2014

Je refuse - Per Petterson

C’est l’histoire de deux hommes sur un pont. L’un est en train de pêcher, l’autre passe en voiture. Tente cinq ans qu’ils ne se sont pas vus et pourtant ils se reconnaissent. Leur échange dure à peine quelques secondes. Dans le temps, ils étaient les meilleurs amis du monde. Aujourd’hui, Jim, le pêcheur, vit seul au nord d’Oslo. Il est en arrêt maladie depuis un an, fume trop et « a mis son existence en berne ». Tommy, lui, au volant de sa belle Mercedes, est un courtier plein aux as. Est-il heureux pour autant ? Vaste question.

Le roman relate une journée de septembre 2006 où ces deux hommes se croisent à nouveau. Une journée où ils vont remonter le temps. Prenant tour à tour la parole, ils laissent affleurer les souvenirs. 1966-1970-1971. Tommy, battu par son père, va être séparé de ses trois sœurs et placé en famille d’accueil. Jim, vivant seul avec une mère bigote, sera le confident, le soutien permanent, le complice indéfectible. L’époque des certitudes, mais aussi des premiers doutes :
-  On est amis depuis combien de temps, Tommy ? 
- Depuis toujours. On a toujours été amis.
- Autant que je m’en souvienne, oui, dit Jim.
- Je crois que ça durera jusqu’à la fin de notre vie. Tu ne crois pas ?
- On changera tous les deux. Avant, on se ressemblait plus que maintenant.
Tout est dit dans ce dialogue. L’éloignement, inévitable, pointe en sourdine. Un micro-événement, un grain de sable viendra mettre un terme à leur histoire.

Bon, je vais être clair, j’ai adoré ce roman. On navigue entre le passé et le présent et on comprend pourquoi les choses ont pu en arriver là. La trajectoire de chacun a fluctué en fonction des aléas. Comment peut-on tirer un trait sur une telle amitié ? C’est simple, banal, c’est juste la vie, le temps qui nous sépare et nous éloigne les uns des autres, même de ceux avec lesquels on pense rester connecté à jamais. Le propos me parle, sans doute parce que je m’y suis retrouvé. Le temps passe et fracasse tout sur son passage, « on oublie facilement que les choses sont différentes quand on est jeune ; l'univers est plus beau et on a la vie devant soi. Et puis ça se gâte, tout fout le camp, le monde vole en éclat du jour au lendemain. »

Dans ce récit polyphonique, Per Petterson met en scène des hommes qui s’écroulent. Dans tous les sens du terme. Des hommes seuls, désorientés, en plein doute. Des hommes fragiles, qui pleurent et se cherchent. Des hommes lucides, sachant pertinement qu’il est impossible de regarder en même temps en avant et en arrière si l’on veut avancer. Mais ont-ils encore envie d'avancer ? A un moment, Tommy se demande si le temps n’est pas qu’un sac dans lequel on peut enfouir ce que l’on veut. En cette journée de septembre 2006, il va ouvrir le sac et remonter le fleuve du temps, luttant contre un courant qui l’emporte. C’est beau, fort, poignant. La fin ouverte est parfaite, en suspens, elle nous laisse le choix, un peu comme dans un roman de Modiano. Le mien est le plus pessimiste. On ne se refait pas…

Je refuse de Per Petterson. Gallimard, 2014. 270 pages. 19,50 euros.

 PS : J’aime ce titre. Ces deux mots sont prononcés par un personnage secondaire. Sur son lit d’hôpital, il refuse de mourir. Un vœu pieux, forcément.

PS bis : « Je refuse » sera ma première pépite de la rentrée chez Galéa. Une pépite sans doute trop personnelle et intime pour emporter l’adhésion d’une majorité d’autres lecteurs, j’en ai bien conscience. Mais j’assume, évidemment.








vendredi 17 octobre 2014

L’élevage des enfants - Emmanuel Prelle et Emmanuel Vincenot

Pas simple l’élevage des enfants quand on y pense. A chaque âge ces ennuis, ce n’est pas un scoop. Le 0-3 ans est le plus facile à gérer, quoique. Entre la naissance, le choix du prénom, celui de la crèche ou de la nounou et les couches, il y a de quoi faire. Le 3-6 ans est le temps des questions sans fin, de l’entrée à l’école et de l’autonomie qui ne cesse de croître. De 6 à 10, les choses sérieuses commencent. Apprentissage de la lecture, console de jeu, spectacle de fin d’année et cahiers de vacances, entre autres. A partir de 11 ans vient l’heure du collège, virage important et particulièrement pénible. Collège privé ou collège privé ? Relations parents-profs, début de la puberté, le programme est joyeux. Et à 16 ans, l’ado prend son envol : orientation professionnelle (et sexuelle), goût musicaux douteux, rébellion à deux balles permanente, contraception et toxicomanie, conduite accompagnée, prise de position politique… j’en passe et des meilleures.

Un essai humoristico-rigolo sans prétention. C’est gros sans être grossier, énorme même souvent, mais j’ai ri franchement, et pas qu’un peu. Il y a beaucoup de mauvaise foi et le texte est à prendre au deuxième, voireau troisième degré. Pour autant, je me suis retrouvé dans certaines situations, comme par exemple « l’enfilage casse-tête » de l’écharpe porte-bébé. En bonus, les illustrations de Florence Cestac sont drôles et apportent une vraie valeur ajoutée. Il me semble que le but premier, au-delà de l’humour, est de dédramatiser. On a (ou on aura) tous le sentiment à un moment ou l’autre d’être de mauvais parents, de faire les choses à l’envers, d’être à coté de la plaque, de ne plus comprendre notre enfant. Rien de grave. Rien de plus normal en fait. Alors autant en rire…

L’élevage des enfants d’Emmanuel Prelle et Emmanuel Vincenot (ill. Florence Cestac). Wombat, 2014. 140 pages. 14,00 euros.


Un billet qui signe ma participation mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.

Je n’ai pas l’habitude de faire cela mais pour une fois je vous mets la 4ème de couv. Attention, gros spoiler, tout est dit !


Le cauchemar de l'écharpe porte-bébé...


La nounou...



Un petit bilan de compétences parentales a effectuer avant l'entrée en maternelle...


Le collège et ses bulletins scolaires...


Les ados...







jeudi 16 octobre 2014

Un été en famille - Arnaud Delrue

Ça commence par un enterrement. Celui de Claire, la sœur de Philippe, le narrateur. Un narrateur qui s’adresse tout au long du texte à Marie, son autre sœur de onze ans. Sur le ton de la confession, il dévoile petit à petit une étrange histoire de famille. Sa relation ambigüe avec Claire, la maladie de cette dernière, qui l’a poussée au suicide, le conflit permanent avec leur mère, son job d’assureur qu’il a abandonné sans regret. Et bien d’autres choses encore qui, peu à peu, font froid dans le dos…

Bon, soyons clair, c'est une déception. J’ai aimé le malaise qui s’est emparé de moi petit à petit, les révélations fracassantes et dérangeantes disséminées l’air de rien au détour d’une phrase. Mais pour le reste, je me suis perdu face aux membres de cette famille aussi nombreuse que tordue, j’ai trouvé que le récit manquait d’âme, que les pièces s’imbriquaient de façon mécanique, limite exercice de style, et j’ai vu la fin arriver à des kilomètres, grosse comme une maison. De toute façon, quand un narrateur à la première personne ne suscite ni empathie ni réaction épidermique, juste un soupçon d’indifférence polie (parce que, quand même, je suis un lecteur bien élevé), il n’y a pas grand-chose à faire, juste attendre de tourner la dernière page en se disant qu’il est temps de passer à autre chose.

Un premier roman à la construction maîtrisée mais bien trop froid (glaçant même par moment) pour me donner un quelconque plaisir de lecture. Décevant, quoi.

Un été en famille d’Arnaud Delrue. Seuil, 2014. 160 pages. 16,00 euros.