mercredi 8 octobre 2014

L’aliéniste - Fabio Moon et Gabriel Bá

A Itagaï, petit village brésilien, le docteur Simon Bacamarte parvient à convaincre les édiles de construire un bâtiment pour accueillir et soigner les fous. L’asile, baptisé « La maison verte », est inauguré en grande pompe et reçoit ses premiers « déshérités de l’esprit ». Mais Bacamarte voit plus loin, il voudrait « étendre le territoire de la folie », déplacer les limites entre la raison et la démence. Pour mener à bien sa tâche, il va peu à peu interner la majorité des habitants du village, trouvant en chacun d’eux une pathologie cérébrale à traiter…

L’aliéniste est l’adaptation d’un classique de la littérature brésilienne publié en 1882. Joaquim Maria Machado de Assis y dresse une imparable chronique de l’absurdité humaine. Partant du principe que la raison est le parfait équilibre de toutes les facultés mentales et constatant que personne ne parvient à être raisonnable, Bacamarte multiplie à l’infini les enfermements dans la maison verte et soulève l’ire de la population. Pour lui, la lucidité, la clairvoyance, la loyauté, la franchise, la sagesse ou la sincérité sont autant de symptômes de la folie. Se retranchant derrière le dogmatisme scientifique pour légitimer ses décisions, le médecin semble être le seul à posséder les caractéristiques du parfait équilibre mental et moral. Sauf que tout est relatif…

Le propos est d’une grande finesse et la démonstration, pleine d’ironie, prouve au final qu’il est impossible de répondre à la question centrale soulevée par le texte, à savoir, qu’est-ce que la normalité ?

L’adaptation est fidèle, l’ensemble peut paraître un poil trop bavard mais difficile de faire autrement. J’ai retrouvé avec plaisir le trait souple et élégant des frères Moon et Bá qui m’avait tant séduit dans Daytripper. Le travail au lavis et les tons cuivrés donnent au dessin une patine digne des gravures d’antan. Un album qui pousse à la réflexion et interroge sur les méandres de la nature humaine. A mettre entre toutes les mains !


L’aliéniste de Fabio Moon et Gabriel Bá. Urban Comics, 2014. 70 pages. 14,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.








mardi 7 octobre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : Les chambres - Tran Arnault

« La chambre ici est chambre de passage. Passage de celui ou celle qui fait halte en échange d’un dû acquitté. Le lieu est sans repère, que seul désigne un numéro. […] Ce lieu est sans témoins et sans lois, sans passé ni avenir. Dans la clôture et le secret toute demande y est recevable. Je suis pour l’autre qui m’accueille apparition avant la disparition. Dans l’effacement sitôt sortie d’un champ de vision. Mon corps ne prend forme qu’invité à en rejoindre un autre. Je n’existe que convoquée. »

La narratrice franchit le seuil de chambres d’hôtel anonymes  pour rejoindre celles qui ont fait appel à elle. Elle loue ses services pour « vivre des seuls plaisirs à dispenser » et ne traite qu’avec des femmes. Après chaque rencontre, elle envoie au mystérieux D. le rapport détaillé de ses ébats. Elle n’agit pas sous la contrainte, n’entre jamais à reculons dans les alcôves où on l’accueille. Elle aime le renouvellement permanent des demandes, des corps, des situations, des caresses. Elle aime plaire, être désirée. Elle aime jouir et faire jouir…

Je pourrais jouer le blasé, le gars détaché, revenu de tout, que plus rien ne surprend. Mais avec ce genre de plans entre filles, racontés de cette façon-là, j'avoue, je ne peux pas rester de marbre. Souvent je m’ennuie ferme avec la littérature érotique mais pour le coup je dois reconnaître que ce bouquin est diablement émoustillant. L’écriture est très belle, les scènes sont variées, les descriptions ont une rare force d’évocation et m’ont réellement fait de l’effet. A chaque chambre sa nouveauté, sa mise en scène originale, sa « cliente » aux attentes particulières. Même la description de la toilette coquine d’une obèse m’a mis dans tous mes états alors que normalement j’aurais dû en avoir des hauts le cœur, c’est dire ! Un livre dont je n’attendais strictement rien et qui s’avère être au final une divine surprise, c'est rare mais ça arrive encore de temps en temps.

PS : Ne cherchez pas ce titre en librairie, il n’est malheureusement plus disponible. Vraiment dommage tant il est d’une qualité bien supérieure aux médiocrités publiées ces derniers temps dans le même genre.

Les chambres de Tran Arnault. Hors Collection, 2010. 142 pages. 12,90 euros.










lundi 6 octobre 2014

A l'origine notre père obscur - Kaoutar Harchi

« Envie brutale de fuir cette maison singulière, aux frontières de l’irréel, cette maison dont les femmes disent qu’elle est le vestige d’un temps ancien, archaïque, une maison de pierres aux chambres carrées, à peine meublées, une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l’obscurité des forêts, une maison entourée d’un terrain vague, construite à l’écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d’isoler d’autres femmes, la maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d’y passer des années, par la seule force de l’enfermement. Il faudrait dire de l’emmurement. Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes. Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l’enfance et sont devenues leurs propres sentinelles. »

La maison des femmes est un lieu où sont parquées les recluses, celles convaincues d’avoir fauté, celles qui ont bafoué l’honneur de leur mari et de leur famille, celles qui ont parfois simplement voulu être elles-mêmes. La narratrice y vit avec sa mère. Elle y est née. Devenue adolescente, elle se heurte au silence maternel et ne supporte plus la passivité de cette communauté courbant l’échine sous le joug des traditions. Les circonstances vont lui donner la force de pousser la lourde porte en bois de la bâtisse et d’aller chercher des réponses auprès de ce père qu’elle n’a jamais connu.

Au-delà de la quête des origines, ce texte d’une beauté élégiaque est avant tout un cri de révolte. Contre la complaisance, la résignation de ces femmes acceptant leur sort, ces femmes devenues dépendantes au mal qu’infligent les hommes. C’est une voix qui s’élève pour dire « je viens de vous mais je ne suis pas à vous et je refuse de me sacrifier comme les femmes, depuis des millénaires, se sacrifient ». Sacrifiées « par fidélité, par honneur, par devoir, n’osant pas se lever et se rebeller. On les avait, ces femmes, dressées pour et quand est venu mon tour de choisir quel chemin prendre, il y eut, d’abord, ce besoin viscéral de me dresser contre. Contre elles et leur docilité de petites chiennes effrayées par l’ombre du maître quand moi, moi ma vie, moi mon destin, c’était, ce maître, l’approcher, le sentir, le toucher, et, yeux dans yeux, malgré le souffle court et le soulèvement vif du cœur dans la poitrine, lui murmurer à l’oreille : vois comme je n’ai pas peur de toi. Vois comme je te comprends. Vois comme je t’aime. »

Je suis sorti de ce roman abasourdi par la puissance de l’écriture, sensuelle, heurtée, poétique. L’absence d’ancrage géographique et temporel donne au propos un coté universel. Et mon regard masculin ne peut que constater l’évidence : oui, en se réfugiant derrière le poids des traditions et la force brute, les hommes ne font que signifier leur lâcheté. Incontestablement ma lecture la plus marquante de la rentrée littéraire.

A l'origine notre père obscur de Kaoutar Harhci. Actes Sud, 2014. 164 pages. 17,80 euros.

Les avis de Jostein, Leiloona, Marilyne, Nadael, Noukette, Stephie










dimanche 5 octobre 2014

Le festin de Raccoon - Marianne Ratier

Comme chaque année, les Smith vont donner une grande fête. La veille, alors que la maisonnée est endormie et le festin préparé, Racoon se glisse dans le garde manger, affamé. Au menu pour lui, brunch à l’anglaise, salade Caesar, gnocchis au fromage, limonade, saumon sauce chien, tartare de bœuf, cheese burger, fondant au chocolat, punch et cheesecake. De quoi se régaler à priori. Sauf que…

Un excellent « cherche et trouve » grand format fourmillant de détails. Pour passer inaperçu, Raccoon se fond dans le décor. Plus fort encore, on découvre parfois sa présence en voyant uniquement les dégâts qu’il a causés. Il faut alors chercher parmi les aliments celui qu’il a dévoré. Les illustrations sont magnifiques, couvrant des doubles pages dans un style « papier peint »très coloré du plus bel effet.



En plus, l’album raconte une véritable histoire, ce n’est pas un simple exercice d’observation, et à la fin sont listés les ingrédients de chaque plat qu’il faut retrouver parmi différents dessins. Beau et ludique, une alternative au classique mais ronronnant  « Où est Charlie »dont l’esthétique particulièrement léchée séduira petits et grands.

Le festin de Raccoon de Marianne Ratier. Marmaille & compagnie, 2014. 44 pages. 16,00 euros. A partir de 3-4 ans.

L'avis de MyaRosa


samedi 4 octobre 2014

Tag défi positif



Tiens, un tag. Il y avait longtemps. Philisine a pensé à moi, c’est gentil de sa part et elle sait que je ne peux rien lui refuser. Le principe est simple, citer trois choses positives de ma journée, et ce trois jours de suite. Par chose positive, j’entends surtout moments agréables, et j’avoue qu’ils se font plutôt rares ces derniers temps. Mais en cherchant bien, j’ai trouvé quelques bricoles.

Jeudi 2 octobre

1) Prendre un café en bonne compagnie pour attaquer la journée sur de bons rails.


2) Aller parler de livres dans un collège. Soixante élèves en face de moi, 45 minutes pour leur donner envie de lire et me sentir bien, à ma place.

3) Trouver dans la boîte aux lettres le cadeau d’anniversaire de ma femme. Elle est déjà au courant mais rien ne pouvait lui faire plus plaisir.



Vendredi 3 octobre

1) Déposer comme chaque matin la petite dernière à la crèche et la sentir heureuse d’y aller. Jamais un pleur, jamais un au revoir. Elle m’ignore totalement dès la porte franchie pour aller rejoindre sa grande copine Emma qui lui tombe dans les bras. C’est trop mimi et je me réjouis de la voir couper le cordon aussi facilement (bon, entendons-nous, elle est quand même très contente de nous retrouver chaque soir, et c’est rien de le dire !).



2) Avoir comme chaque vendredi après-midi un « rendez-vous » que je ne raterais pour rien au monde tant il me fait du bien.

3) Apprendre un nouveau mot : sérendipité. J’aime bien enrichir mon vocabulaire, j’ai l’impression de me coucher moins bête le soir venu. Si vous ne savez pas ce que ça veut dire, vous ferez comme moi, vous chercherez. Et si vous êtes joueur, vous pourrez essayer de le placer dans une conversation. Pas simple…

Samedi 4 octobre

1) Aller à la banque pour finaliser le rachat de notre crédit immobilier et se dire que l’on va faire de sacrées économies.

2) Aller pour la 4ème fois de l’année chez le coiffeur, un record ! Avant c’était plutôt une fois tous les deux ans… Bon, là, je triche un peu, ce n’est pas vraiment un bon moment parce que j’ai horreur de ça mais on va dire que la chose positive c’est de sortir de chez le coiffeur en se disant que la corvée est terminée !

3) Un samedi soir entre amis, de l'excellent champagne... ou comment finir la semaine sur une note des plus agréables.


Comme d'habitude je ne tague personne, j'ai une réputation de "briseur de tag" à préserver.





vendredi 3 octobre 2014

Fannie et Freddie - Marcus Malte

Deux longues nouvelles dans ce recueil. La première se déroule à New York. On y croise Fannie et son œil de verre, en route pour un parking de Wall Street. Elle s’y gare et attend. Un homme lui demande de bouger sa voiture mais elle voudrait d’abord qu’il l’aide à sortir sa roue de secours du coffre. Le gars se penche vers la roue et elle lui balance une décharge de 900 000 volts avec un poing électrique avant de lui enfoncer une aiguille dans le cou et de l’embarquer jusque chez elle…

Dans la seconde, un flic de la Seyne-sur-Mer revient sur la plage où, des années plus tôt, on a trouvé le cadavre de son meilleur ami. « Il lui manquait une partie du visage. Le quart supérieur droit. Il lui manquait les cils, les sourcils et une oreille. Il lui manquait cette lueur de malice au fond des yeux qui souvent lui tenait lieu de passe-droit. […] Il lui manquait cette incroyable énergie, cette époustouflante santé des jeunes plants poussés à l’air libre. Il lui manquait le souffle et la vie. Paul avait quatorze ans. » Si la thèse du suicide a toujours été privilégiée, il n’y a jamais cru. Depuis, il s’est juré de retrouver le coupable…

Bienvenue chez Marcus Malte. Son univers glaçant, sa prose au scalpel et ses personnages un rien flippants. Dans la première nouvelle, je me suis cru revenu chez D. Ray Pollock avec une routarde du crime qui trouve ses victimes par hasard et cherche à leur en faire baver. Sauf que ce n’est pas si simple. La seconde est plus classique, pleine de tristesse et de mélancolie. Les deux sont parfaitement ciselées. On y trouve en toile de fond les dégâts de la mondialisation, la solitude, la violence, le poids des souvenirs, le temps qui passe et ravage les espoirs. Le propos se veut aussi politique, engagé. L’écriture est tendue, froide comme le marbre. Du Malte pur jus, oserais-je dire.

Fannie et Freddie de Marcus Malte. Zulma, 2014. 160 pages. 15,50 euros.

Et une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.










jeudi 2 octobre 2014

La beauté du diable - Radhika Jha

Si vous passez ici régulièrement, vous savez que je suis un adepte du grand écart. Au niveau des lectures du moins. J’aime varier les plaisirs, sortir de ma zone de confort, m’aventurer sur des chemins totalement inconnus. C’est pour cela que je me suis laissé tenter par ce roman de prime abord digne du diable s’habille en Prada ou des confessions d’une accro du shopping. Je dis de prime abord parce qu’au final, on en est loin.

A Tokyo, Kayo, la narratrice, s’adresse à un mystérieux destinataire. Elle lui explique son parcours : mariée trop vite à un salaryman accaparé par son métier de banquier, elle devient mère trop jeune et végète dans un rôle de femme au foyer sans avenir ni perspectives. Son désœuvrement la ronge. L’ennui insondable qu’elle vit au quotidien la pousse inexorablement vers la dépression.  En retrouvant Tomoko, une ancienne camarade de lycée, elle découvre le monde de la mode, le shopping compulsif, les vêtements, chaussures et accessoires de marque. Elle enchaîne les ventes privées, fait sienne la devise de son mentor (« Les vêtements représentent le seul vrai pouvoir que nous autres femmes détenons sur le monde ») et finit par se brûler les ailes.

Ayant ouvert un compte sans en parler à son mari grâce à un don de sa mère, elle dépense sans compter jusqu’au jour où la source se tarît. Croulant sous les dettes, elle s’adresse à des usuriers mafieux pour obtenir un crédit. Les yakuzas vont lui faire comprendre qu’il y a un moyen très simple d’obtenir tout l’argent qu’elle désire en toute discrétion : la prostitution…

J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé ce roman. Radhika Jha est indienne mais j’ai retrouvé dans son texte le sombre désespoir que j’apprécie tant dans la littérature japonaise contemporaine, notamment chez Murakami Ryu. Aucune superficialité malgré les apparences. Le mal être de Kayo est profond, elle achète pour exister, pour ne pas devenir invisible. Elle achète pour combler un vide qui a désespérément besoin d’être rempli. Sa confession agace, touche, inquiète. Elle fascine aussi. Sous les abords légers la cruauté affleure, le glamour devient glauque, l’ivresse du shopping tourne à l’aigre. Percutant et fort bien mené.


La beauté du diable de Radhika Jha. Picquier, 2014. 274 pages. 19,50 euros.









mercredi 1 octobre 2014

Chlorophylle T1 - Godi et Zidrou

Chlorophylle le lérot et son comparse Minimum le mulot sont de retour sur l’île de Coquefredouille, lieu de leurs anciens exploits. Invités par le roi Mitron XIII à la cérémonie d’ouverture de la 33ème édition du festival international de cinéma, les deux compères vont devoir affronter un groupuscule indépendantiste bien décidé à renverser le pouvoir en place. L’occasion pour eux de sortir de leur semi-retraite et de revivre une aventure digne de leur glorieux passé.

Attention, série culte ! Pour moi du moins. Chlorophylle, c’est toute mon enfance. Le premier album date de 1954, je n’étais évidemment pas né (ben oui, je suis encore très, très jeune, faut pas croire) mais je l’ai découvert trente ans plus tard, lorsque j’ai enfin eu le droit de mettre le nez dans les BD de mon père. Et Raymond Macherot, le créateur de Chlorophylle, reste dans mon panthéon  personnel comme un des plus grands auteurs de l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge. Certes bien moins connu que Franquin, Morris, Uderzo, Peyo ou Roba, mais tout aussi talentueux. Un dessinateur animalier dont la poésie et les ambiances bucoliques ont fait rêver le petit garçon que j’étais à l’époque.

Bref, trêve de nostalgie, je me suis plongé dans cet album avec pas mal d’appréhension, tant les reprises de ce genre sont rarement convaincantes. Avant coup, la présence de Zidrou avait de quoi rassurer. Après coup, je me dis que le pari est gagné et que ce diable de scénariste a su trouver un certain équilibre en saupoudrant d’un zeste de modernité un univers forcément un peu daté et, oserais-dire, suranné. Ainsi, lorsque Chlorophylle reconnaît, en bon personnage de BD des années 50-60, qu’il ne sait pas s’y prendre avec les filles parce que, de son temps, « on naissait célibataire et on le restait jusqu’à ce que mort s’ensuive », il s’entend répondre : « De ton temps, c’est bien simple, on n’avait pas encore inventé le sexe ».

Le mélange de thématiques modernes et de respect de l’esprit original est donc une réussite. Niveau dessin, Godi n’est pas Macherot, c’est une évidence, mais il s’en sort plutôt bien. Maintenant, je ne sais pas si la résurrection d’une aussi vieille série va trouver son public, notamment chez les enfants. Sincèrement, j’en doute. Par rapport à Titeuf, aux P’tits diables ou aux Sisters, Chlorophylle ne fait pas vraiment le poids. Et par rapport aux BD jeunesse d’aventure, Les légendaires ou La rose écarlate sont bien plus attirants. Finalement, ce n’est peut-être qu’une madeleine de Proust à destination des « vieux » lecteurs comme moi. Pas certain que cela suffise à pérenniser cette reprise, même si un second tome est d’ores et déjà annoncé.

Chlorophylle T1 de Godi et Zidrou. Le Lombard, 2014. 48 pages. 10,60 euros.


Qui dit Zidrou dit Noukette, c'est donc une fois de plus avec elle que je partage cette lecture commune.











mardi 30 septembre 2014

Mots rumeurs, mots cutter - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Le collège. Une histoire d’amour qui balbutie parce que le prince charmant, coureur patenté, ne veut pas se contenter de simples bisous et aimerait passer à la vitesse supérieure. Une fête entre copines qui tourne à la mauvaise blague, une photo compromettante et la vie de Léa devient un enfer, entre rumeurs, harcèlement, violence et cruauté…

Un vrai plaisir de retrouver le duo Charlotte Bousquet - Stéphanie Rubini après l’excellent « Rouge Tagada ». Une fois encore, l’adolescence est au cœur de leur propos. Et une fois encore, elles en dressent un tableau aussi sensible que réaliste. Des personnalités fragiles, une vraie souffrance, une réflexion profonde sur la force de l’image. Celle que l’on voudrait préserver, cultiver. Et celle que l’on renvoie, parfois bien malgré nous. Destructrice. Aujourd’hui les nouvelles technologies et les réseaux sociaux changent fortement notre rapport au monde. Tous les faits et gestes peuvent être relayés, partagés en deux clics. La méchanceté gratuite fait ensuite le reste et l’humiliation subie est parfois impossible à supporter. Tout cela est ici abordé en finesse, sans pathos, sans en rajouter des tonnes, sans tomber dans la mise en garde moralisatrice.

Le dessin est simple et efficace, le découpage reste constamment au service du récit et de la lisibilité tandis que les couleurs pastel adoucissent l’âpreté de certaines situations. La fin est joliment trouvée, elle montre que l’adversité offre parfois de magnifiques rencontres, mais je l’ai trouvée trop abrupte. J’ai refermé l'ouvrage avec la désagréable impression de laisser Léa en plan au moment où une éclaircie s’annonce, et j’aimerais vraiment découvrir la façon dont les choses vont se passer pour elle par la suite. Espérons que ce sera dans le dernier volume de cette trilogie adolescente qui, pour l'instant, ne souffre d'aucune fausse note.



Mots rumeurs, mots cutter de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulf Stream, 2014. 72 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Leiloona, Noukette et Stephie. M'est avis qu'elles ont aimé autant que moi...

Les avis de Laël et Liyah.





lundi 29 septembre 2014

Hyperbole - Allie Brosh

Bon, bon, bon. Un roman graphique qui donne dans l’autofiction avec un dessin digne d’une gamine de cinq ans, j’avais de quoi me réjouir à l’avance et me préparer à un dézingage en règle. Quand en plus la 4ème de couv m’apprend que tout cela est tiré d’un blog comptant 72 millions de visites, que son auteure, une américaine de vingt-cinq ans, a 500 000 fans sur Facebook et que le bouquin a été élu meilleur livre d’humour de l’année, Prix des libraires et best-seller du New York Times,  je me dis que tous les ingrédients sont réunis pour que je déteste ce que je vais lire.

Premier chapitre, elle revient sur quelques souvenirs d’enfance. Une gamine un peu étrange, qui consomme de la crème pour le visage comme on mange une glace, qui a des amis imaginaires morts, se balade constamment à poil et aime tellement les chiens qu’elle se comporte comme eux. Ok, c’est bien amené et je n’ai pu éviter quelques sourires. Le second chapitre est d’ailleurs consacré au meilleur ami de l’homme. Des chiens, elle en a deux. L’un est totalement crétin (elle va lui faire passer un test de QI dont les résultats parleront d’eux-mêmes…) et l’autre a tout du psychopathe. Là, j’ai franchement ri. Puis Allie se met à parler de son présent. Sa procrastination chronique, son incapacité à se comporter comme une adulte, ses angoisses existentielles, sa quête d’identité. Et sa dépression. Là on ne rigole plus vraiment.

Pour autant, pas question de sortir les mouchoirs. C’est là que la différence avec les autofictions graphiques que j’ai pu lire précédemment est la plus marquante. Allie Brosh affronte ses névroses avec humour et légèreté, avec une forme de désinvolture qui fait mouche. Ça ne l’empêche pas d’avoir de vraies réflexions profondes sur le mal qui la ronge, mais elle n’en rajoute pas des caisses et c’est franchement agréable. Du coup, on a envie d’écouter sa confession, on se sent moins voyeur et on est davantage touché.

Conclusion, alors que j’étais prêt à sortir les couteaux et à jouer les méchants, je dois bien reconnaître que tu m’as eu, Allie. Bon, tu dessines comme une patate, c’est indiscutable, mais tu as un vrai don pour l’autodérision. Il est devenu tellement rare de tomber sur des gens qui abordent des sujets graves sans se prendre au sérieux que je ne peux que te remercier pour ta fraîcheur revigorante.



Hyperbole d’Allie Brosh. Les arènes, 2014. 310 pages. 20,80 euros.