Une fois de plus je me lance sans filet et je compte sur votre indulgence (n’oubliez pas que je ne suis pas écrivain et que je ne le serai jamais). En tout cas une fois de plus je me suis beaucoup amusé à imaginer ce petit scénario…
Jours tranquilles à Herchies
Mes parents avaient accoutumé de villégiaturer l’automne en Italie. Ils m’abandonnaient la maison d’Herchies, à un jet de pierre de Beauvais. Et la petite voiture qui était, ces années-là, une Renault noire deux places. J’étais seul dans la grande bâtisse de brique en attendant la reprise des cours. Après avoir tâté du droit, par filiation (mon père était notaire), je m’étais inscrit en cinéma à Paris VIII. Je n’avais nulle intention d’exercer quelque profession que ce soit en la matière mais ma mère avait été sensible à ma volonté de titiller la fibre artistique. J’entrepris donc de fréquenter avec assiduité les salles obscures, amortissant mes frasques nocturnes en boîte de nuit en visionnant systématiquement deux à trois longs métrages dans mon après-midi. C’est que grande était mon inculture pour le cinéma « avouable », entendez art et essai, car mes penchants naturels étaient autres, comme vous l’allez voir...
Ce jour-là, à la séance de 14h, j’avais vainement tenté de percer l’âme chinoise en regardant Leslie Cheung et Zhang Fengyi se déchirer dans « Adieu ma concubine ». J’avais moi-même mis fin, deux mois plus tôt, à une liaison qui s’enlisait dans le prude et attendais de Chen Kaige qu’il me donnât quelques idées de substitution. Hélas le spectacle de la révolution culturelle me laissa désemparé. Deux heures trente quand même ! Du coup, à 18h, j’optai pour un changement radical de style. « La Vénus bleue » de Michel Ricaud me remit les idées en place. D’autant que Deborah Wells y produit un pastiche avantageux de Marlène Dietrich dans « L’ange » de même couleur. Avantageux pour la gourmandise des chairs, aux côtés d’Elodie Chérie et de Julia Chanel (qui en exhibe souvent deux, des « n » dans son nom…). Une production Marc Dorcel, c’est dire. Il n’aura pas échappé aux cinéphiles que nous sommes là en 1993, une grande année pour le X puisque je découvris Tabatha Cash (tout juste vingt ans) dans : (dans l’ordre) « Tales from the Zipper », « Rêves de cuir 2 », « Raunch 6 », « Anal academy », « Night train », « More dirty débutantes », « Ladykiller », « The golden girl », « Gangbang girl 9 »… « Adolescenza perversa » serait pour l’automne. « Quand elle exhibe les deux, Julia Channel ressemble à s’y méprendre à Tabatha Cash » a pu écrire un critique avisé dans le Quotidien du Médecin.
Avant la dernière séance, je me tapai un petit chinois. La serveuse était tout ce qu’il y a de plus asiatique. Quand j’en fus au dessert, je l’impressionnai fortement en reprenant cinq fois du gingembre. Je n’aurais pas dû : avec le sourire elle me glissa que généralement deux suffisent à faire de l’effet. A quoi je répondis qu’une seule m’aurait suffi si ç’avait été elle. Un partout. Et un sourire qui valait promesse. Ce sur quoi je m’engouffrai dans le hall, salle 3, où se projetait la palme d’or de Cannes. Jeanne Moreau, à mon goût dans « Jules et Jim » (bien que peu dévêtue), présidait le jury qui avait donc distingué une Néo-Zélandaise. Je n’étais pas un fada des tatouages et les prisais peu sur les bras ou dans le dos quand l’essentiel de l’action s’activait à l’étage inférieur.
Quelques jours plus tôt, clin d’œil du destin, j’en avais pourtant remarqué un à la table voisine du bistrot où j’avais mes habitudes. Une jeune femme téléphonait. Elle se tourna de trois quarts, posa l’index sur l’oreille pour mieux entendre. Sa main s’arrondit sur la joue. La manche de sa chemise glissa dévoilant une mince chaîne d’or et, sur la naissance du bras, s’épanouissait une rose à l’encre bleue. Les taches de rousseur donnaient à son visage un rien d’enfantin et de fragile. Son parfum fleurait le jasmin. Je ne sais pourquoi elle s’excusa en refermant son portable. Je lui souris, « Yâsaman ? » Que comprit-elle ? Elle secoua la tête, « Non, Frida ! » Je ne sus s’il s’agissait de son prénom ou du nom de son parfum. « Yâsaman, c’est le nom du jasmin en persan. » Mais il n’y avait pour l’heure rien de plus perçant que le sombre de ses yeux. « Frida, les Persans nomment ainsi les choses précieuses » répondit-elle malicieusement.
Le film était commencé depuis un bon moment quand elle se glissa dans le noir, premier fauteuil venu. Un mouvement près de moi, un soupir de banquette, un parfum qui s’installe et s’estompe. Je n’avais pas quitté l’écran des yeux. « La leçon de piano ». Hervey Keitel et Holly Hunter, ce moment où « Il y a des choses que j’aimerais faire quand vous jouez », un abandon. Elle se pencha vers moi, « C’est la première fois que vous le voyez ? » Je me tournai vivement, reconnus la silhouette, les yeux, souris, Non, la deuxième. « Vous voulez que je vous raconte la fin ? », je lui dis tout bas à l’oreille. Elle se baissa pour poser son sac à ses pieds, « Racontez-moi plutôt le début, le premier regard c’est ce qu’il y a de plus beau ». Je restai interdit. Elle s’était déjà tournée vers l’écran, calée dans son fauteuil. Elle dénoua le foulard qu’elle portait au cou, posa le bras sur l’accoudoir. Son aisance m’intimidait. J’observai le front, la frange de cheveux sombres, l’aplat de la joue. Je me penchai vers elle, « Je peux vous embrasser ? » Elle ne répondit pas, plaça juste l’index sur ses lèvres, Chut ! J’ajoutai, « Quatre touches, le baiser ! » Elle se tourna lentement vers moi, « Non, cinq ! », un sourire léger l’illuminait.
Ainsi était Frida. Qui devint vite hercinienne, puisque tel est le gentilé de Herchies.
Le premier soir fut celui-là, celui de Jane Campion. Nous bûmes un ou deux whiskies dans un pub. Elle était d’une conversation fort agréable et, circonstance aggravante, se passionnait pour le cinéma dont elle voulait faire son métier. Elle écrivait des scénarios, elle en avait d’ailleurs un dans son sac, elle me le tendit. « Vous savez ce que je vais vous dire ? » demandai-je. Avec une belle assurance, elle répondit : « Oui : Pas ici. » On éclata de rire et l’on monta céans dans la Renault noire. La route n’est pas bien longue, de Beauvais à Herchies et passe par le bois. « J’ai écrit un scénario à tourner de nuit dans un bois », dit-elle. Sa voix était vive, rieuse, une voix adolescente prompte à s’enflammer. Je ralentis et pris sur la droite un petit sentier qui s’évasait en parking. Je me tournai vers elle, je distinguais très nettement les traits de son visage à la clarté de la lune. Ils étaient fins, d’une douceur d’ange. Mon index toucha la joue, elle ne bougea pas, descendit jusqu’aux lèvres, elle me laissa faire. « Je peux vous embrasser ? » Elle approcha sa bouche, la posa sur la mienne sans presser, sa main droite caressa mon cou. Nous nous dévisageâmes longtemps. Ce fut tout.
La maison l’étonna. Nous ne nous étions rien dit de nos vies, nous avions toute la nuit pour cela. Elle jetait les yeux partout. Mon père avait le goût de l’architecture et le sens des proportions, ma mère celui de la décoration et de la profusion. Il en résultait une impression de quelque chose d’insatiable : où que les yeux portassent, ils avaient à s’émerveiller. Et si j’y étouffais, j’en goûtais le confort privilégié.
Dès la première minute, Frida fut chez elle. Après le premier Ardbeg Uigeadail, elle était chez moi. Elle m’avait peu dit de sa vie mais je la sentais palpiter. Elle s’esclaffait, parlait vite, sa voix chantait dans les aigus, l’amande de ses yeux brûlait d’envie. Des rayonnages de CD je tirai quelques standards. L’heure passa sans qu’on y prenne garde. « Je peux dormir chez toi ? » demanda-t-elle ex abrupto, car, depuis notre halte forestière, nous étions passés du voussoiement au tutoiement. Elle fit effort pour se lever mais elle titubait (le malt écossais titrait ses 54°2 !) en riant aux éclats. Elle s’enroula dans mes bras quand je la soulevai. Pour éviter les escaliers, je choisis la chambre du bas, qui fut celle de l’aïeule. Je la déposai sur le gros édredon à fleurs. Elle s’était endormie. Je la contemplai longuement, je la détaillai, depuis les cheveux châtain foncé qu’elle portait courts, à la garçonne, jusqu’aux jambes du collant, bleu nuit, à damiers aux motifs ajourés. Je délaçai les bottines de cuir clair, elle ne broncha pas. Je n’osai pas tout de suite faire glisser le collant, non que l’envie m’en manquât mais je ne voulais pas qu’elle se méprenne : je la voulais, bien sûr, mais consentante, vivante et plus que vive. Je déboutonnai son chemisier gris souris, soulevai doucement son bras gauche pour dégager la manche. Quand je fis de même avec le droit, elle soupira doucement. Elle portait un soutien-gorge noir à petits pois blancs. Ses seins étaient petits, comme de prime adolescente. Il faisait encore chaud, le soleil de juillet était généreux et attiédissait les nuits. Sa robe prune avait remonté à mi-cuisse. La boutonnière la délivra. Je creusai à peine l’édredon pour la descendre sur les pieds. Je m’arrêtai dans ma besogne pour contempler son corps. Toute la soirée je l’avais imaginée, là je la voyais. Il me restait une chose à faire pour l’avoir toute sous mon regard. Avec mille précautions j’écartai le tissu souple du collant pour dégager les jambes. La culotte était assortie au soutien-gorge, noire à pois blancs. Je sentis, au contact qu’en eut le dos de ma main, qu’elle était en satin. Elle eut un mouvement du buste pour se tourner légèrement et sa jambe gauche recouvrit la droite. De trois quarts je vis l’ambre de son dos, l’arrondi ferme des fesses, la plénitude des cuisses, le dessin des mollets, la finesse des attaches, la longueur des orteils qui étaient d’une princesse sud-américaine. Je ne sais d’où me vint cette comparaison, sans doute le prénom, Frida, ne lui était-il pas étranger. Son corps m’apparut dans toute sa splendeur et mes yeux n’en finissaient pas de glisser de haut en bas et de bas en haut. Je mourais d’envie de la caresser. Je pris sur moi, soulevai le coin de l’édredon et le refermai sur le trésor, Ali-Baba refermant son Sésame sans toucher à l’or. Je déposai juste un baiser léger dans le creux poplité du genou gauche. Elle soupira et, sans ouvrir les yeux, je crus l’entendre murmurer « Viens ! » Je demeurai interdit. Je vis alors sa main gauche s’égarer lentement sur le lit et venir se glisser dans ma chemise ouverte cependant qu’elle répétait « Viens ! » Puis elle tourna le visage, ouvrit les yeux et dit encore « Oh ! Viens ! »
Le lendemain matin, c’est son rire qui me tira du sommeil. Elle m’apportait le café. Sur le plateau était posée une enveloppe portant mon prénom. Je demandai « Une lettre de toi ? » Elle répondit « Une lettre de moi ». Je l’ouvris et lus ceci :
Intérieur nuit. Chambre, lit défait, oreillers et draps bleu nuit. Deux lampes de chevet. Musique : « Summertime » par Miles Davis.
Un été. Plein jour. Volets tirés. Fenêtre dans l’espagnolette. (Murmuré) Allonge-toi ! Moi en feu. Brûlante. Le cœur en fusion. Un désir à en avoir mal. Jusque dans les doigts. Ses yeux. Sa voix. Le mouvement à peine de ses lèvres. Son arc de Cupidon sur le V de mon ventre. Un brandon. Le hoquet du pubis sous les caresses. Son souffle chaud qui enfle. Mes poils au vent. Ondulent. Se couchent. S’éparpillent. Se dispersent. Appeler l’air dans les narines. Inspir expir au rythme de ses baisers. Ma peau claire entre les touffes. Le pointu frais de sa langue. Contraction. Un frisson jusqu’à l’omoplate. Sursaut du ventre. Pluie de baisers vers la clairière du sexe. Battements très fort aux tempes. M’ouvrir. Doucement. Sans heurt. Écarter mes lèvres. Tremblantes. Frémir de toute l’échine. Un abandon. Ce qui bat en haut en bas. Entre-deux l’indistinct du corps. Léger. Volatil. Chaque parcelle de ma peau. Ma main sur ses cheveux. Tignasse mal peignée. Îlots touffus collés par la sueur. Crêtes d’Indien. La virevolte de mes doigts écartelés sous le plaisir qui vient. Presser sa tête là. Un geignement m’échappe. Tout en bas monte le lancinant clapot du plaisir. Écraser sa chaleur dévorante qui me troue et me fouille. Éclairs prodigieux à travers le corps. Des sagaies. Tressautement des seins. Palpitation dans la gorge. Cela glisse en moi. Se propage. S’immisce. Cela coule en moi. Me dévaste. Lentement. Interminablement. Sans hâte. Des soupirs. Je m’entends soupirer. Ses lèvres, leur lent voyage jusqu’à mes lèvres. Le poids de son corps. Sa chair. Timidités. Frissons. Halètements. Sa poitrine sur la mienne qui s’érige. Son cou dans le creux de mon épaule. Sa main sous ma nuque. Son souffle sur mon visage. Son regard dans le mien. Un silence hors du temps. Sa bouche. Sa langue dans ma bouche. Ailleurs. Un été de nulle part.
… qui était l’exact scénario de notre première nuit d’amour. Je n’y résistai pas. Je l’attirai à moi, mordis dans sa bouche cependant que ma main faisait glisser le peignoir. Elle roula sur moi. Mes mains caressèrent son dos, ses fesses, elle gémit quand ma main gauche pétrit ses petits seins et que la droite glissa entre ses belles collines rebondies pour arpenter son périnée et entrer dans la grotte profonde où s’écoula une source chaude et chuchotante et clapotante qui lui tira de petits jappements joyeux de chien fou. Nos langues mêlaient leurs salives avec ardeur. Elle m’attira sur elle. Je redressai le buste pour respirer. Elle vint appuyer ses jambes sur mes épaules, inclinant le bassin à l’oblique, et guida ma turgescence dans son sexe béant. Son va-et-vient s’accéléra. Nous haletions comme des forcenés, ses muscles vaginaux enserraient mon phallus. Elle râla sous la première vague orgasmique. Ce fut un roulis incessant de plusieurs minutes. Je me contractai pour retarder l’éclosion de mon propre plaisir. Quand elle tressauta de tout le buste et que son râle se fit continu, avec des stridences de merle, je me cassai brusquement en deux, me déchirai la gorge d’un « Frida » d’agonisant tandis que de ma queue jaillissait le divin élixir.
A suivre...