mardi 3 juin 2014

Le premier mardi c'est permis (27) : Jours tranquilles à Herchies (1)

L’an dernier, pour les deux ans du Premier mardi c’est permis, je m’étais jeté dans le vide et j’avais mis en ligne un texte coquin écrit par mes soins. Je renouvèle l’opération cette année pour fêter le troisième anniversaire du célèbre rendez-vous de Stephie. Un texte coquin mais pas trop, un personnage féminin à des années lumières de la clit lit et de ses oies blanches initiées au plaisir par des magnats de la finance beaux comme des Dieux grecs. Une histoire simple, sans prise de tête et sans prétention. Le texte est tellement long que je vais le découper en deux « épisodes ». Si tout va bien, je vous proposerai la suite début juillet.
Une fois de plus je me lance sans filet et je compte sur votre indulgence (n’oubliez pas que je ne suis pas écrivain et que je ne le serai jamais). En tout cas une fois de plus je me suis beaucoup amusé à imaginer ce petit scénario…


Jours tranquilles à Herchies

Mes parents avaient accoutumé de villégiaturer l’automne en Italie. Ils m’abandonnaient la maison d’Herchies, à un jet de pierre de Beauvais. Et la petite voiture qui était, ces années-là, une Renault noire deux places. J’étais seul dans la grande bâtisse de brique en attendant la reprise des cours. Après avoir tâté du droit, par filiation (mon père était notaire), je m’étais inscrit en cinéma à Paris VIII. Je n’avais nulle intention d’exercer quelque profession que ce soit en la matière mais ma mère avait été sensible à ma volonté de titiller la fibre artistique. J’entrepris donc de fréquenter avec assiduité les salles obscures, amortissant mes frasques nocturnes en boîte de nuit en visionnant systématiquement deux à trois longs métrages dans mon après-midi. C’est que grande était mon inculture pour le cinéma « avouable », entendez art et essai, car mes penchants naturels étaient autres, comme vous l’allez voir...

Ce jour-là, à la séance de 14h, j’avais vainement tenté de percer l’âme chinoise en regardant Leslie Cheung et Zhang Fengyi se déchirer dans « Adieu ma concubine ». J’avais moi-même mis fin, deux mois plus tôt, à une liaison qui s’enlisait dans le prude et attendais de Chen Kaige qu’il me donnât quelques idées de substitution. Hélas le spectacle de la révolution culturelle me laissa désemparé. Deux heures trente quand même ! Du coup, à 18h, j’optai pour un changement radical de style. « La Vénus bleue » de Michel Ricaud me remit les idées en place. D’autant que Deborah Wells y produit un pastiche avantageux de Marlène Dietrich dans « L’ange » de même couleur. Avantageux pour la gourmandise des chairs, aux côtés d’Elodie Chérie et de Julia Chanel (qui en exhibe souvent deux, des « n » dans son nom…). Une production Marc Dorcel, c’est dire. Il n’aura pas échappé aux cinéphiles que nous sommes là en 1993, une grande année pour le X puisque je découvris Tabatha Cash (tout juste vingt ans) dans : (dans l’ordre) « Tales from the Zipper », « Rêves de cuir 2 », « Raunch 6 », « Anal academy », « Night train », « More dirty débutantes », « Ladykiller », « The golden girl », « Gangbang girl 9 »… « Adolescenza perversa » serait pour l’automne. « Quand elle exhibe les deux, Julia Channel ressemble à s’y méprendre à Tabatha Cash » a pu écrire un critique avisé dans le Quotidien du Médecin.
Avant la dernière séance, je me tapai un petit chinois. La serveuse était tout ce qu’il y a de plus asiatique. Quand j’en fus au dessert, je l’impressionnai fortement en reprenant cinq fois du gingembre. Je n’aurais pas dû : avec le sourire elle me glissa que généralement deux suffisent à faire de l’effet. A quoi je répondis qu’une seule m’aurait suffi si ç’avait été elle. Un partout. Et un sourire qui valait promesse. Ce sur quoi je m’engouffrai dans le hall, salle 3, où se projetait la palme d’or de Cannes. Jeanne Moreau, à mon goût dans « Jules et Jim » (bien que peu dévêtue), présidait le jury qui avait donc distingué une Néo-Zélandaise. Je n’étais pas un fada des tatouages et les prisais peu sur les bras ou dans le dos quand l’essentiel de l’action s’activait à l’étage inférieur.

Quelques jours plus tôt, clin d’œil du destin, j’en avais pourtant remarqué un à la table voisine du bistrot où j’avais mes habitudes. Une jeune femme téléphonait. Elle se tourna de trois quarts, posa l’index sur l’oreille pour mieux entendre. Sa main s’arrondit sur la joue. La manche de sa chemise glissa dévoilant une mince chaîne d’or et, sur la naissance du bras, s’épanouissait une rose à l’encre bleue. Les taches de rousseur donnaient à son visage un rien d’enfantin et de fragile. Son parfum fleurait le jasmin. Je ne sais pourquoi elle s’excusa en refermant son portable. Je lui souris, « Yâsaman ? » Que comprit-elle ? Elle secoua la tête, « Non, Frida ! » Je ne sus s’il s’agissait de son prénom ou du nom de son parfum. « Yâsaman, c’est le nom du jasmin en persan. » Mais il n’y avait pour l’heure rien de plus perçant que le sombre de ses yeux. « Frida, les Persans nomment ainsi les choses précieuses » répondit-elle malicieusement.
Le film était commencé depuis un bon moment quand elle se glissa dans le noir, premier fauteuil venu. Un mouvement près de moi, un soupir de banquette, un parfum qui s’installe et s’estompe. Je n’avais pas quitté l’écran des yeux. « La leçon de piano ». Hervey Keitel et Holly Hunter, ce moment où « Il y a des choses que j’aimerais faire quand vous jouez », un abandon. Elle se pencha vers moi, « C’est la première fois que vous le voyez ? » Je me tournai vivement, reconnus la silhouette, les yeux, souris, Non, la deuxième. « Vous voulez que je vous raconte la fin ? », je lui dis tout bas à l’oreille. Elle se baissa pour poser son sac à ses pieds, « Racontez-moi plutôt le début, le premier regard c’est ce qu’il y a de plus beau ». Je restai interdit. Elle s’était déjà tournée vers l’écran, calée dans son fauteuil. Elle dénoua le foulard qu’elle portait au cou, posa le bras sur l’accoudoir. Son aisance m’intimidait. J’observai le front, la frange de cheveux sombres, l’aplat de la joue. Je me penchai vers elle, « Je peux vous embrasser ? » Elle ne répondit pas, plaça juste l’index sur ses lèvres, Chut ! J’ajoutai, « Quatre touches, le baiser ! » Elle se tourna lentement vers moi, « Non, cinq ! », un sourire léger l’illuminait.
Ainsi était Frida. Qui devint vite hercinienne, puisque tel est le gentilé de Herchies.

Le premier soir fut celui-là, celui de Jane Campion. Nous bûmes un ou deux whiskies dans un pub. Elle était d’une conversation fort agréable et, circonstance aggravante, se passionnait pour le cinéma dont elle voulait faire son métier. Elle écrivait des scénarios, elle en avait d’ailleurs un dans son sac, elle me le tendit. « Vous savez ce que je vais vous dire ? » demandai-je. Avec une belle assurance, elle répondit : « Oui : Pas ici. » On éclata de rire et l’on monta céans dans la Renault noire. La route n’est pas bien longue, de Beauvais à Herchies et passe par le bois. « J’ai écrit un scénario à tourner de nuit dans un bois », dit-elle. Sa voix était vive, rieuse, une voix adolescente prompte à s’enflammer. Je ralentis et pris sur la droite un petit sentier qui s’évasait en parking. Je me tournai vers elle, je distinguais très nettement les traits de son visage à la clarté de la lune. Ils étaient fins, d’une douceur d’ange. Mon index toucha la joue, elle ne bougea pas, descendit jusqu’aux lèvres, elle me laissa faire. « Je peux vous embrasser ? » Elle approcha sa bouche, la posa sur la mienne sans presser, sa main droite caressa mon cou. Nous nous dévisageâmes longtemps. Ce fut tout.

La maison l’étonna. Nous ne nous étions rien dit de nos vies, nous avions toute la nuit pour cela. Elle jetait les yeux partout. Mon père avait le goût de l’architecture et le sens des proportions, ma mère celui de la décoration et de la profusion. Il en résultait une impression de quelque chose d’insatiable : où que les yeux portassent, ils avaient à s’émerveiller. Et si j’y étouffais, j’en goûtais le confort privilégié.
Dès la première minute, Frida fut chez elle. Après le premier Ardbeg Uigeadail, elle était chez moi. Elle m’avait peu dit de sa vie mais je la sentais palpiter. Elle s’esclaffait, parlait vite, sa voix chantait dans les aigus, l’amande de ses yeux brûlait d’envie. Des rayonnages de CD je tirai quelques standards. L’heure passa sans qu’on y prenne garde. « Je peux dormir chez toi ? » demanda-t-elle ex abrupto, car, depuis notre halte forestière, nous étions passés du voussoiement au tutoiement. Elle fit effort pour se lever mais elle titubait (le malt écossais titrait ses 54°2 !) en riant aux éclats. Elle s’enroula dans mes bras quand je la soulevai. Pour éviter les escaliers, je choisis la chambre du bas, qui fut celle de l’aïeule. Je la déposai sur le gros édredon à fleurs. Elle s’était endormie. Je la contemplai longuement, je la détaillai, depuis les cheveux châtain foncé qu’elle portait courts, à la garçonne, jusqu’aux jambes du collant, bleu nuit, à damiers aux motifs ajourés. Je délaçai les bottines de cuir clair, elle ne broncha pas. Je n’osai pas tout de suite faire glisser le collant, non que l’envie m’en manquât mais je ne voulais pas qu’elle se méprenne : je la voulais, bien sûr, mais consentante, vivante et plus que vive. Je déboutonnai son chemisier gris souris, soulevai doucement son bras gauche pour dégager la manche. Quand je fis de même avec le droit, elle soupira doucement. Elle portait un soutien-gorge noir à petits pois blancs. Ses seins étaient petits, comme de prime adolescente. Il faisait encore chaud, le soleil de juillet était généreux et attiédissait les nuits. Sa robe prune avait remonté à mi-cuisse. La boutonnière la délivra. Je creusai à peine l’édredon pour la descendre sur les pieds. Je m’arrêtai dans ma besogne pour contempler son corps. Toute la soirée je l’avais imaginée, là je la voyais. Il me restait une chose à faire pour l’avoir toute sous mon regard. Avec mille précautions j’écartai le tissu souple du collant pour dégager les jambes. La culotte était assortie au soutien-gorge, noire à pois blancs. Je sentis, au contact qu’en eut le dos de ma main, qu’elle était en satin. Elle eut un mouvement du buste pour se tourner légèrement et sa jambe gauche recouvrit la droite. De trois quarts je vis l’ambre de son dos, l’arrondi ferme des fesses, la plénitude des cuisses, le dessin des mollets, la finesse des attaches, la longueur des orteils qui étaient d’une princesse sud-américaine. Je ne sais d’où me vint cette comparaison, sans doute le prénom, Frida, ne lui était-il pas étranger. Son corps m’apparut dans toute sa splendeur et mes yeux n’en finissaient pas de glisser de haut en bas et de bas en haut. Je mourais d’envie de la caresser. Je pris sur moi, soulevai le coin de l’édredon et le refermai sur le trésor, Ali-Baba refermant son Sésame sans toucher à l’or. Je déposai juste un baiser léger dans le creux poplité du genou gauche. Elle soupira et, sans ouvrir les yeux, je crus l’entendre murmurer « Viens ! » Je demeurai interdit. Je vis alors sa main gauche s’égarer lentement sur le lit et venir se glisser dans ma chemise ouverte cependant qu’elle répétait « Viens ! » Puis elle tourna le visage, ouvrit les yeux et dit encore « Oh ! Viens ! »
Le lendemain matin, c’est son rire qui me tira du sommeil. Elle m’apportait le café. Sur le plateau était posée une enveloppe portant mon prénom. Je demandai « Une lettre de toi ? » Elle répondit « Une lettre de moi ». Je l’ouvris et lus ceci :

Intérieur nuit. Chambre, lit défait, oreillers et draps bleu nuit. Deux lampes de chevet. Musique : « Summertime » par Miles Davis.
Un été. Plein jour. Volets tirés. Fenêtre dans l’espagnolette. (Murmuré) Allonge-toi ! Moi en feu. Brûlante. Le cœur en fusion. Un désir à en avoir mal. Jusque dans les doigts. Ses yeux. Sa voix. Le mouvement à peine de ses lèvres. Son arc de Cupidon sur le V de mon ventre. Un brandon. Le hoquet du pubis sous les caresses. Son souffle chaud qui enfle. Mes poils au vent. Ondulent. Se couchent. S’éparpillent. Se dispersent. Appeler l’air dans les narines. Inspir expir au rythme de ses baisers. Ma peau claire entre les touffes. Le pointu frais de sa langue. Contraction. Un frisson jusqu’à l’omoplate. Sursaut du ventre. Pluie de baisers vers la clairière du sexe. Battements très fort aux tempes. M’ouvrir. Doucement. Sans heurt. Écarter mes lèvres. Tremblantes. Frémir de toute l’échine. Un abandon. Ce qui bat en haut en bas. Entre-deux l’indistinct du corps. Léger. Volatil. Chaque parcelle de ma peau. Ma main sur ses cheveux. Tignasse mal peignée. Îlots touffus collés par la sueur. Crêtes d’Indien. La virevolte de mes doigts écartelés sous le plaisir qui vient. Presser sa tête là. Un geignement m’échappe. Tout en bas monte le lancinant clapot du plaisir. Écraser sa chaleur dévorante qui me troue et me fouille. Éclairs prodigieux à travers le corps. Des sagaies. Tressautement des seins. Palpitation dans la gorge. Cela glisse en moi. Se propage. S’immisce. Cela coule en moi. Me dévaste. Lentement. Interminablement. Sans hâte. Des soupirs. Je m’entends soupirer. Ses lèvres, leur lent voyage jusqu’à mes lèvres. Le poids de son corps. Sa chair. Timidités. Frissons. Halètements. Sa poitrine sur la mienne qui s’érige. Son cou dans le creux de mon épaule. Sa main sous ma nuque. Son souffle sur mon visage. Son regard dans le mien. Un silence hors du temps. Sa bouche. Sa langue dans ma bouche. Ailleurs. Un été de nulle part.

… qui était l’exact scénario de notre première nuit d’amour. Je n’y résistai pas. Je l’attirai à moi, mordis dans sa bouche cependant que ma main faisait glisser le peignoir. Elle roula sur moi. Mes mains caressèrent son dos, ses fesses, elle gémit quand ma main gauche pétrit ses petits seins et que la droite glissa entre ses belles collines rebondies pour arpenter son périnée et entrer dans la grotte profonde où s’écoula une source chaude et chuchotante et clapotante qui lui tira de petits jappements joyeux de chien fou. Nos langues mêlaient leurs salives avec ardeur. Elle m’attira sur elle. Je redressai le buste pour respirer. Elle vint appuyer ses jambes sur mes épaules, inclinant le bassin à l’oblique, et guida ma turgescence dans son sexe béant. Son va-et-vient s’accéléra. Nous haletions comme des forcenés, ses muscles vaginaux enserraient mon phallus. Elle râla sous la première vague orgasmique. Ce fut un roulis incessant de plusieurs minutes. Je me contractai pour retarder l’éclosion de mon propre plaisir. Quand elle tressauta de tout le buste et que son râle se fit continu, avec des stridences de merle, je me cassai brusquement en deux, me déchirai la gorge d’un « Frida » d’agonisant tandis que de ma queue jaillissait le divin élixir.

A suivre...



lundi 2 juin 2014

La lune assassinée - Damien Murith

Ce livre a une histoire (j'aime bien quand les livres ont une histoire). Il m'a été offert par une lectrice du blog. Pas une blogueuse ni une personne qui commente mes billets. Une lectrice de Suisse qui m'a un jour écrit pour me dire qu'elle ne ratait rien de ce qui se passe sur mes berges. Elle m'a par la suite suggéré quelques albums jeunesse que je me suis empressé de découvrir puis elle m'a proposé de m'offrir ce livre. Le premier ouvrage d'un auteur romand de 43 ans. Un livre qui ne l'a pas enthousiasmée mais qui, selon elle, pourrait me plaire. J'ai évidemment accepté sa proposition .C'est tout ce que j'aime avec le blog. Faire des découvertes, des rencontres, des échanges, être à l'écoute. Et pour le coup je n'ai pas été déçu, je trouve ce texte absolument magnifique.

L'histoire se passe dans un village,
« Le village, comme une teigne, avec ses maisons basses que mangent les vents, avec ses granges vides où l’on se pend, avec ses bêtes maigres, avec l’odeur du moisi qui rampe le long des ruelles, avec son auberge où l’on boit sa rage, sa haine, avec son clocher qui griffe la croûte grasse du ciel, et son cimetière, rectangle jaune et gris où reposent les os, avec ses chemins de poussière, ses sentiers de misère où poussent la ronce et l’ortie, et plus loin, l’usine, de briques, de fer, de sueur, avec la peur de l’autre, l’étranger à qui l’on entrouvre la porte, une lame cachée dans le dos, et le diable qui rôde, la nuit, sur les toits, et les chapelets qui s’égrènent, au coin des poêles, on prie la Sainte Vierge car dehors, les ombres guettent, avec ses gens, usés, râpés, cassés, la figure creuse, la douleur muette, traînant derrière eux un siècle d’âmes vaines, et encore plus loin, tout autour, la plaine, à l’infini, comme les restes d’une promesse. » 

Le village et l'usine où
« les hommes, verseurs de sueur, de larmes, de sang, errent comme des fantômes dans des brouillards jaunes, baissant la tête, courbant l'échine, ils toussent, ils crachent, ils étouffent, et pour paye : leur lente agonie. Et quand vient le soir, il s'en retournent au village, marée de têtes blêmes, traînant leur carcasse, et seul l'alcool bu à l'auberge donne la force sur les lèvres de crier la rage et de maudire le sort. »

Dans ce village, on va à l'église,
« on s'agenouille. Les yeux bouffis de ferveur, on prie Dieu, comme on passe commande, chez le marchand, on se relève, les genoux craquent, on s'assoit, on écoute le curé qui dira de bien belles choses, et puis on se relève à nouveau, on s'avance à petits pas, l'un derrière l'autre, les vieilles, avec leurs jambes maigres, avec leurs figures de poussière, suintant le drame jusque dans leur canne, tirent des langues blanchâtres à celui qui, miracle ! déjà pardonne la grimace, alors on s'en retourne chez soi, gavé de génuflexions, ivres de signes de croix, l'âme lisse et légère, délestée de la petite cloque du péché. »

Et quand vient l'étranger,
« il voit les femmes qui braillent devant les maisons, qui comme des chattes furieuses rassemblent autour de leurs robes rêches des essaims d'enfants sales, traîne-misère, filles et fils de la brume, qui de la vie ne connaissent que l'odeur de la crasse qui colle aux os et le goût du sang dans la bouche quand les gifles ivrognes tombent lourdes et font se fendre les lèvres. »

Dans ce village vivent Pierre, l'ouvrier, sa femme Césarine et la vieille, la mère de Pierre. Depuis quelques temps Pierre rentre tard ou découche. La faute à la garce. Après six ans de mariage, Pierre est allé voir ailleurs. La garce et son ventre « lisse comme un galet que le soleil aurait sucé ». « Pierre la boit : son odeur, son souffle, et lorsque de plaisir elle se cambre, ses soupirs ». Césarine sait mais se tait. La vieille sait aussi, forcément, comme tout le village d'ailleurs. Autour d'eux quatre, le drame va se nouer, inéluctable...

J'ai adoré ce texte âpre, sensuel, tout en poésie et en lyrisme contenu. On est chez « Ces gens-là » chantés par Brel, des petites gens taciturnes et miséreux, abrutis d'alcool et de travaux de forçats, méchants comme des teignes. Aucune lumière, point de ravissement naturaliste, seule la tragédie peut nouer des destins comme ceux-là. Et malgré sa noirceur, j'ai trouvé ce très court roman d'une beauté crépusculaire sidérante...

Merci Natacha pour la découverte, j'ai passé un très grand moment de lecture.

La lune assassinée de Damien Murith. L'âge d'homme 2013. 106 pages. 16 euros.

Et une quatrième pépite pour le challenge de Galéa !







jeudi 29 mai 2014

Petits arrangements avec nos cœurs - Camille de Peretti

J’accepte très rarement de recevoir un roman envoyé directement par l’auteur car je n’aime pas installer une trop grande proximité et me sentir redevable de quoi que ce soit. Pourquoi avoir fait une exception avec ce roman alors ? Parce que Camille de Peretti a su s’y prendre et que je suis faible. Elle m’a contacté avec un mail très personnalisé prouvant qu’elle avait lu certains billets du blog, notamment celui sur le livre de Daphné duMaurier ou j’affirmais être allergique aux écrivains à particule. Elle s’est engouffrée dans la brèche, me disant que « même si un réflexe de votre passé ouvrier vous interdit de lire un auteur à particule (mais c'était avant de découvrir Daphné Du Maurier), je souhaiterai vous envoyer mon livre » et ajoutant un argument imparable : « Je prends le risque que vous détestiez mon écriture, mais je suis curieuse, moi aussi. » J’avoue, j’ai aimé cette façon de procéder, cette petite pointe d’humour, cette absence de prétention que l’on trouve souvent chez les écrivains persuadés d’avoir pondu un chef d’œuvre dont on doit absolument parler. Bref, je me répète, elle a su s’y prendre et je suis faible. Et puis c'est bien connu, un homme a vite fait de jeter ses principes aux orties quand on sait s’y prendre…

Lorsque j’ai reçu le livre, j’y ai trouvé une gentille dédicace avec cette phrase pleine de lucidité : « j’ai bien peur de tendre le livre pour me faire battre ». Lucide parce qu’un roman mettant en scène une héroïne à particule amoureuse d’un trader, il y a des chances pour que ça m’agace au plus haut point. Pour autant, je me suis lancé sans à priori (promis !) et sans la moindre inquiétude, me disant qu’après tout, si vraiment ça ne passait pas, je ne me priverais pas de le dire.

L’histoire en deux mots ? Camille, 25 ans, retrouve le garçon de son premier baiser d’adolescente. Stanislas est devenu trader à Londres. Il est beau, riche et musclé, ils vont s’aimer et vivre grand train. Mais l’usure du quotidien va rapidement les rattraper et peu à peu les tourtereaux vont s’éloigner l’un de l’autre. Dans un dernier sursaut, ils vont tenter le tout pour le tout et entreprendre une traversée des États-Unis en voiture. Un road trip qui, loin de les rapprocher, va souligner de façon évidente la fin de leur histoire.

Premier constat, le name dropping permanent me gave toujours autant. C’est plus fort que moi, je ne vois pas l’intérêt de cette mode consistant à citer à tout bout de champ des noms de marques ou de personnalités. Deuxième constat, des amoureux transis qui se vouvoient, je n’arrive pas à m’y faire. Ça donne un coté précieux qui me hérisse le poil (et pas dans le bon sens). Troisième constat, pas moyen que je m’attache à une héroïne qui déclare : « Les choses qui m’impressionnent chez un homme sont rarement celles qu’il croit. L’argent, oui. […] La hargne, la persévérance, l’ambition, oui. C’est beau, des dents qui rayent le parquet. La rapidité d’esprit, oui. » Euh, c’est exactement tout le contraire de moi ça (même la rapidité d’esprit…).

Finalement Camille de Peretti avait raison de penser que son livre n’était pas pour moi. L’histoire d’amour qui vire en eau de boudin de ces pauvres petits enfants riches m’a laissé totalement de marbre. Par contre je n’ai pas détesté son écriture, loin de là, et je dois reconnaître qu'il y a quelques très jolis passages. Je ne doute par ailleurs pas un instant qu’elle ait mis beaucoup d’elle-même dans ce texte loin d’être désagréable à lire. C’est juste que ce genre d’autofiction (ben oui, la narratrice s’appelle Camille de Peretti et est écrivain) ne sera jamais à mon goût. Mais merci quand même pour la découverte de votre plume, chère Camille, le lecteur curieux que je suis ne regrette absolument pas d'avoir accepté votre proposition.

Petits arrangements avec nos cœurs de Camille de Peretti. Stock, 2014. 230 pages. 18,50 euros.


Une lecture commune que je partage avec L'irrégulière, Moka et Noukette.






mercredi 28 mai 2014

Shelley : la vie amoureuse de l'auteur de Frankenstein - Casanave et Vandermeulen

Le sous titre est trompeur, l’album s’attardant davantage sur la vie amoureuse de l’époux de Mary Shelley que sur celle de l’auteur de Frankenstein. Un drôle de loustic, le Sir Percy Bysshe Shelley. Renvoyé d’Oxford en 1811, à 17 ans, pour avoir rédigé et diffusé auprès de tous les évêques d’Angleterre une brochure intitulée « De la nécessité de l’athéisme ». Shelley le poète maudit, personnage sulfureux, intime de Byron, pionnier du romantisme anglais, punk avant l’heure dont le décès à 26 ans aux larges des côtes italiennes contribua à construire la légende.

Un jeune homme haï par ses contemporains dont va tomber amoureuse Mary Godwyn, sa future seconde épouse. La célèbre romancière avait, il faut dire, baigné depuis sa tendre enfance dans une ambiance des plus modernes aux cotés d’une mère philosophe et d’un père, William Godwin, qui fut l’un des premiers penseurs anarchistes établis à Londres.

Cet album au format atypique, réédition en un seul volume d’un diptyque paru précédemment, revient sur la construction de leurs relations en se focalisant néanmoins largement plus sur Percy que sur Mary. C’est le second titre de la série Romantica, une collection présentant la vie et l’œuvre de grandes figures du romantisme européen en mêlant à la biographie réelle une œuvre de l’auteur. Ici, aux faits historiques avérés, David Vandermeulen a associé des éléments d’un roman de Mary Shelley peu connu sous nos contrées, « Le dernier homme ». Dans ce roman, une épidémie ravage l’Europe et la couronne d’Angleterre tombe. Le scénariste a inséré ces épisodes dans son récit de la vie des Shelley et c’est à mon avis là que le bât blesse, ce mélange des genres ne permettant pas de distinguer clairement la réalité de la fiction. Personnellement, j’aurais préféré que la biographie reste réaliste jusqu’au bout et je ne vois pas ce que les éléments du roman apocalyptique apportent de plus.

En dehors de cette réserve d’importance, je dois reconnaître que l’atmosphère gothico-décadente propre aux prémices du romantisme anglais est bien rendue et qu’il est fort agréable de croiser au fil des pages des figures comme celles de Byron ou de John Polidori, un auteur auquel on attribue la paternité du vampirisme en littérature.

Une plongée à la source du romantisme, peut-être un peu légère, manquant parfois de fond, mais qui peut constituer une bonne introduction à la découverte de personnalités marquantes des lettres européennes.

Shelley : la vie amoureuse de l'auteur de Frankenstein de Casanave et Vandermeulen. Le Lombard, 2014. 288 pages. 22,50 euros.


PS : le second album de la collection est consacré à Chamisso. Le troisième, à paraître, retracera la parcours de  Nerval.








mardi 27 mai 2014

Pas couché - Cathy Ytak

« Je n’ai pas couché avec Timothée. Alors ça suffit cette histoire. Timothée, c’est mon ami, c’est tout. » Difficile de faire taire les rumeurs. Difficile de convaincre les autres filles de la classe qu’une amitié sincère et profonde entre deux personnes de sexe opposé ne doit pas obligatoirement finir dans un lit. Alors pour mettre les choses au clair, Manon remonte le fil de l’histoire. Une première rencontre tout à fait anodine (« on a dû échanger deux phrases sans intérêt, et puis ça s’est arrêté là ») et un rapprochement qui se fait petit à petit, renforcé par une passion commune pour les vinyles et les chanteurs poètes des années soixante-dix ou quatre-vingt. Timothée est juste devenu son ami, c’est aussi simple que cela. Et pour elle, l’amitié, c’est tout. Même quand Timothée sort avec Maelys, Manon s’en réjouit : « J’étais heureuse. Ça vous dépasse ? C’est parce que vous ne savez pas ce que c’est que l’amitié. » Mais sa vision atypique des relations filles/garçons va être bousculée par un événement inattendu…

Un beau texte, intelligent et qui sonne juste. La voix de Manon coule avec naturel, le cheminement de sa réflexion est parfaitement construit. J’ai aimé qu’elle ne s’arc boute pas sur ses certitudes, qu’elle ne reste pas enfermée dans ses convictions. Parce que finalement, les choses ne sont pas si simples, la frontière entre l’amitié et l’amour peut parfois être poreuse, même si on pense avoir construit des barrières infranchissables : « Entre l’amour et l’amitié il n’y a rien, même pas un lit. L’un est dans l’autre, intimement lié. Mais l’amitié, elle survit à tout, y compris aux désirs inconnus, aux désirs impromptus. Il faut cesser d’en avoir peur, et se dire que si ces désirs existent, ils existent, qu’ils sont une des multiples composantes de l’amitié, que rien de ce qui est partagé ne peut être mauvais. »

Intelligent je vous dis. Et réaliste, pertinent, drôlement bien écrit. Bref, vous avez compris où je voulais en venir…


Pas couché de Cathy Ytak. Actes sud junior, 2014. 68 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.

Et une nouvelle pépite jeunesse que je partage avec Noukette.

lundi 26 mai 2014

Des bisous pour tous les goûts - Bénédicte Rivière et Christian Guibbaud

Parce que les temps sont durs et l'actualité bien triste, j'ai envie de vous offrir des bisous. Plein. Mon catalogue est large et j'en ai pour tous les goûts alors profitez-en.

Si vous voulez un long, long bisou, vous aurez droit au bisou girafe. Un mouillé ? Ça ne me fait pas peur et je vous servirais un bisou chien. Le bisou grognon de l'ours, c'est un peu ma spécialité mais on ne me le réclame pas souvent. Si vous préférez un tout petit, petit, petit bisou, je vous ferais un bisou souris. A l'inverse, pour un bisou écrasant, je donnerais dans le bisou éléphant. Et comme je ne me rase pas souvent, je n'aurais aucun problème pour le bisou hérisson. Par contre, pour le bisou papillon, j’émets quelques restrictions. Celui-là, je le réserve aux intimes.Pensez donc, un bisou doux comme un frisson. Dans ce bel album, on parle aussi du bisou chat, du bisou pinson, du bisou renard, du bisou crapaud ou encore du bisou chouette, du bisou tortue (il prend tout son temps), du bisou pie (un bisou volé), du bisou pélican (on met tout ce qu'on veut dedans), du bisou marmotte (celui qui dorlote avant de dormir), du bisou paon ou bien du bisou coq (celui que l'on fait au réveil).

Excellent ce petit catalogue de bisous, qui n'est pas sans rappeler le magnifique « 365 bisous » de  Kimiko. On a qu'une envie, les mettre en pratique, tous ces bisous. Des illustrations simples et colorées se déclinant sur des doubles pages, un texte minimaliste mais qui va à l'essentiel, une lecture que l'on peut forcément théâtraliser à l'envie, bref c'est du tout bon !



Des bisous pour tous les goûts de Bénédicte Rivière et Christian Guibbaud. Gautier-Languereau , 2014. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 3 ans.


samedi 24 mai 2014

Mon troisième livre mystère - ????????

Ce troisième livre mystère m'a été remis en mains propres par Stephie lors du dernier salon du livre. Aucun mystère donc concernant l'expéditrice, comme ce fut d'ailleurs le cas avec mes deux lectures à l'aveugle précédentes, ce qui ne me gêne pas le moins du monde.

Première constatation, c'est un texte court (140 pages). Un point plutôt positif pour moi. Seconde constatation, c'est un grand format et la police de caractère est du genre atypique. Du coup, je me demande quel peut bien être l'éditeur. En tout cas j'écarte d'emblée Actes,Sud, Albin Michel, Stock et d'autres grands noms que j'ai l'habitude de fréquenter. Je me focalise un peu sur cette police parce que j'ai quand même l'impression de l'avoir déjà vue quelque part (après tout, un livre mystère mérite que l'on mène un peu l'enquête sur son compte.). Et là, ça me revient ! Cécile Coulon, Le roi n'a pas sommeil. Un roman lu il y a longtemps mais que j'ai feuilleté à nouveau il y a peu suite à un billet d'Athalie. Bref, je ressors mon volume de la bibliothèque et bingo, c'est exactement ça, même police et même format ! Mon livre est donc édité par Viviane Hamy, l'éditrice de Fred Vargas (ok, tout ça ne m'avance pas à grand chose mais j'ai été content de résoudre le mystère de l'éditeur tout seul comme un grand – que voulez-vous, on s'amuse comme on peut).

Vu le catalogue de Viviane Hamy, je me dis que je pourrais bien tomber sur un polar. Et je me dis aussi que Stephie connaît suffisamment mes goûts pour savoir que je ne suis pas fan du genre. Mais elle sait aussi que j'aime me laisser embarquer à contre courant vers des lectures qui ne sont à priori pas ma tasse de thé, donc je lui fais totalement confiance et je me lance sans retenue.

Le verdict tombe assez vite, on a bien affaire à une histoire de meurtre : à Londres, on découvre, flottant dans la Tamise, le corps d'un enfant âgé de 4 à 7 ans. Il est nu à l'exception d'un short orange. Le corps a été démembré, sa tête, ses bras et ses jambes retirés de telle sorte que seul reste le torse. L'enquête est confiée à l'inspecteur  Ling de Scotland Yard. L'enfant est d'origine africaine et très vite la police pense que le meurtre a une dimension rituelle. Ce fait divers abominable est suivi de près par Jean Windeman, journaliste à Libération. Étant proche de Ling, il va pouvoir s'immerger au cœur de l'enquête et rencontrer l'anthropologue sud africaine Saartjie Baartman dont il va tomber fou amoureux.

Ce roman n'est pas à proprement parler un polar selon moi. On se focalise beaucoup plus sur les personnes gravitant autour de l'enquête (Jean et l'anthropologue) que sur l'enquête elle-même. Il y a une dimension psychologique forte, avec beaucoup de références au vaudou, aux mythes et à la culture d'Afrique noire. Les personnages sont très incarnés, il se dégage de l'ensemble une atmosphère assez étrange, envoûtante, sensuelle, et l'écriture est par moments d'une grande beauté, tout en lyrisme contenu. Bref, une fois encore, ce livre mystère m'a beaucoup plu et c'est évidemment à nouveau un livre que je n'aurais jamais lu si une personne bien intentionnée ne l'avait choisi pour moi. Alors un grand merci à toi Stephie, tu as vu juste. Reste plus qu'à arracher le papier de couverture pour découvrir le titre et l'auteur...


Edit du 25 mai :

Ok, j'avais tout faux. Je croyais que l'éditeur était Viviane Hamy alors que pas du tout. Pourtant la police est exactement la même et elle est suffisamment spéciale pour qu'on ne la retrouve pas à tous les coins de rue. L'auteur est guadeloupéen, dramaturge, philosophe... j'aurais jamais cru. Je connais un peu la littérature antillaise que j'ai pas mal fréquentée à une époque mais là je n'aurais jamais fait le rapprochement.

Conclusion de tout ça :

1) je suis un enquêteur totalement nul et je me couvre de ridicule dans mon billet en pérorant avoir trouvé l'éditeur alors que j'étais carrément à coté de la plaque, mais j'assume.Le ridicule ne tue pas et c'est pas plus mal car il y a longtemps que je serais mort sinon.
2) au lieu d'essayer de faire le malin en conjecturant, j'aurais mieux fait de ne pas me poser de question et d'avancer dans cet texte vraiment à l'aveugle, même si au final ça n'a pas changé grand chose.
3) Le choix de Stephie était parfait, elle m'a fait découvrir un auteur dont je n'avais jamais entendu parler et j'ai vraiment apprécié cette découverte. Merci encore !



vendredi 23 mai 2014

La question qui tue - Audren

Comment colle-t-on un sparadrap sur une limace ? Y-a-t-il des vents qui ne soufflent pas ? Pour Wendy, petite fille d’origine laotienne, ces questions ne sont pas absurdes, elles sont intéressantes. Mais la maîtresse ne l’entend pas de cette oreille. Exaspérée par l’extravagance de ces interrogations qui viennent perturber son cours, elle lui demande de les réserver à ses proches et de ne plus dire tout haut ce qui lui passe par la tête. Mais après s’être tenue à carreau pendant une semaine, Wendy ne peut plus résister. Elle lève la main pour demander : « Est-ce que les fleurs sont des soupirs ? » Pour Mme Lamourette, cette fois, c'en est trop : « Alors là c’est la question qui tue ! ».

Le lendemain, quand elle apprend que la maîtresse est morte, Wendy, horrifiée, est persuadée que c'est sa question qui l'a tuée. Pensant posséder un pouvoir aussi dangereux qu’incontrôlable, la jeune fille décide alors de ne plus jamais répondre quand on l’interroge en classe. Il lui faudra l’aide de son père et de son meilleur ami Tobias pour comprendre que le problème ne vient pas forcément d’elle…

Un texte tout en finesse, pétri d’intelligence et de sensibilité. Au-delà des apparences et des différences, Wendy et son ami Tobias possèdent une grandeur d’âme qui les rend délicieusement attachants. Un petit roman introspectif qui, sans avoir l’air d’y toucher, aborde quelques questions importantes auxquelles les enfants d’aujourd’hui sont trop souvent confrontés (famille monoparentale, violence, handicap…). Un texte à mettre entre toutes les mains.


La question qui tue d’Audren. L’École des Loisirs, 2011. 80 pages. 8,00 euros. Dès 9 ans.

Une lecture commune que je partage une nouvelle fois avec Noukette et une contribution à la semaine thématique de Stephie consacrée à l'auteur.

Du coup je vous mets le lien vers un billet consacré à un autre de ses romans, Ma grand-mère m'a mordu.






jeudi 22 mai 2014

On ne va pas se raconter d'histoires - David Thomas

65 textes en 150 pages. Des tout petits riens, des instantanés, des polaroïds. Beaucoup d’histoires de couples qui vacillent, mais pas que. Les narrateurs sont des hommes et des femmes qui savent manier l’ironie et ont la répartie cinglante. Des hommes et des femmes désabusés, lucides, d’une sincérité qui ne laisse aucune place à l’orgueil mal placé. C’est un régal absolu, c’est parfois absurde, souvent cruel, toujours très drôle. Et la légèreté de façade cache des réflexions bien plus profondes qu’il n’y parait.

L’exercice est incroyablement difficile. Parvenir à une telle épure et à une telle efficacité en termes d’écriture et de narration relève du tour de force. Et puis l’art de la chute est ici maîtrisé à la perfection. Mes histoires préférées ? Celle du gars seul qui, pour son anniversaire, s’achète un cadeau, le planque dans la maison et quelques jours plus tard s’enfile une bouteille de whisky. « Et une fois que je ne sais plus comment je m’appelle ni s’il fait jour ou nuit, je cherche mon cadeau. Cette année, je l’ai retrouvé. C’était un papillon épinglé dans une boîte. Je ne sais pas ce qui m’a pris de m’offrir un truc pareil. » J’ai aimé aussi celle du gars discret et silencieux, celui qu’on ne remarque jamais mais qui s’explose les oreilles chaque soir avec du hard rock (sans doute parce qu’il m’a rappelé quelqu’un…) ou encore ce dîner guindé où de l’apéritif au digestif, la discussion glisse de « Ah, moi je suis plutôt parc à l’anglaise, les jardins à la française m’ennuie… » à « Comment tu veux que je te branle ? ». Je pourrais en citer des tas d’autres tant les pépites se suivent à chaque page.

Un énorme coup de cœur, donc. Ce recueil, c’est la micro-fiction comme je l’aime, tellement, tellement plus irrévérencieuse que ce que fait Delerm par exemple.  

On ne va pas se raconter d'histoires de David Thomas. Stock, 2014. 150 pages. 14,00 euros.

Un recueil que je m’empresse d’ajouter au challenge « Nos pépites de l’année » chez Galéa et une lecture commune que je partage une fois de plus avec une Noukette tout aussi emballée que moi.

Les avis de Krol et Moka




Allez, trois petits textes en cadeau :

Un autre homme
« Je ne regrette pas de t’avoir rencontré. Je ne regrette pas les enfants, d’avoir renoncé à bien des choses pour les élever, d’avoir quitté ma ville que j’aimais tant pour que tu aies ce boulot qui te plaisait tant. Je ne regrette pas ces vacances en Bretagne, même si, comme tu le sais, je déteste la Bretagne. Je ne regrette pas d’avoir fait pendant toutes ces années des dîners pour tes amis que je trouve un peu cons-cons, pas bien méchants, mais pas bien futes-futes non plus. Je ne regrette pas que tu m’aies trompée pendant six mois avec cette petite idiote, je ne t’en veux même pas, elle était très jolie et je l’étais nettement moins que lorsque que l’on s’est rencontrés. Je ne regrette pas que tu ne te sois jamais intéressé aux mêmes choses que moi, que tu n’aies jamais pu supporter ma sœur ou que tu m’emmènes pour mes anniversaires dans des villes ou des pays que tu rêvais de découvrir. Je ne regrette rien, mais dire que j’ai passé quinze ans avec toi, et qu’il a juste fallu que je rencontre un autre homme pour comprendre enfin que tu ne vaux rien. »

Volonté
« Ça y est ? Tu as pensé toutes tes horreurs, ça va mieux ? Je sais ce que tu t’imagines, et si je ne dis rien c’est parce qu’il n’y a rien à dire. C’est la faute au temps, c’est la faute au quotidien, c’est la faute au désir, c’est la faute au travail, c’est la faute à pas de chance, y a toujours une bonne raison. Toutes les raisons sont bonnes pour en avoir marre, pour céder, pour renoncer. Toutes et aucune. C’est une question de volonté. C’est tout. On a la volonté ou on ne l’a pas. Et toi, tu ne l’as plus. Tu n’as pas perdu ton désir pour moi, tu n’as pas perdu ton amour pour moi, tu n’as perdu que ta volonté. Je t’aime d’une façon beaucoup plus forte et plus intelligente qu’il y a douze ans. Mais cet amour-là, il t’ennuie. Et ça, ce n’est pas ma faute. »

Boule de pétanque

« Ça a commencé par des regards en biais, puis des soupirs, puis des gestes secs et enfin, pour que la parole se joigne aux actes, des insultes. Ensuite on s’est envoyé à la gueule tout ce qu’on avait sous la main, d’abord des torchons, après des bouteilles d’eau vides, puis pleines, et les choses sont devenues vraiment sérieuses avec des objets plus durs, à l’image des colères et des ressentiments. On est passés aux casseroles, appareils photo, ordinateurs portables, chaises… et hier ça a été une boule de pétanque demi-dure en acier et inox de 700 grammes et 78 millimètres de diamètre. Une boule de tireur, faite pour les carreaux. Ça a brisé net mon poignet. Et notre couple. »    






mercredi 21 mai 2014

Chico et Rita - Javier Mariscal et Fernando Trueba

Cuba, 1948. Chico est un pianiste de génie et Rita une chanteuse à la voix envoûtante. Leur rencontre ne pouvait que déboucher sur une idylle passionnée. Mais leurs carrières respectives ne décollant pas à la même vitesse, les amoureux vont devoir s’éloigner l’un de l’autre, par la force des choses. Les retrouvailles ponctuelles sont aussi "caliente" que tumultueuses et précèdent toujours une nouvelle séparation. Leur histoire n’est faite que de ruptures et de réconciliations, sur fond de jazz et de Be Bop avec, au cœur de leur relation, une sensualité à fleur de peau et des caractères bien trempés. soixante ans plus tard, Chico se souvient…

Il y avait à priori de sacrés bons ingrédients dans ce roman graphique basé sur le film d’animation éponyme : le Cuba des années 50, l’amour fou, la passion, la musique, la chaleur des corps et des nuits tropicales, tout cela était fort alléchant. Oui mais voila, je suis resté de marbre. Limite, je me suis ennuyé.

Pour des amoureux passionnés, Chico et Rita manquent singulièrement d’âme. Difficile de s’attacher à eux, à leur parcours, à leur histoire commune. Le récit est lent, contemplatif par moments mais paradoxalement j’ai eu l’impression que tout allait trop vite. La Havane, New York, Hollywood, Paris, Las Vegas, les événements  s’enchaînent, se précipitent, s’emballent même, sans jamais m’avoir véritablement embarqué.

Il faut dire que parler de musique en BD, créer l’émotion en mettant la musique au cœur du propos, ce n’est pas évident. N’est pas Renaud Dillies qui veut. Pareil pour le dessin, auquel je n’ai pas accroché une seconde. Trop proche de l’animation, trop froid malgré les couleurs pétantes, manquant singulièrement de personnalité. Et puis là encore, quand on vient de voir la Havane dessinée par Berthet dans Perico, celle de Chico et Rita ne soutient pas la comparaison. Bon, tout n’est pas à jeter, entendons-nous. J’ai aimé par exemple la tirade de Rita devant son public sur sa condition de star noire à Vegas : « Je suis là devant vous ce soir, en train de chanter dans ce club fabuleux, cet hôtel merveilleux mais je ne peux pas y dormir, je dois dormir dans un motel en dehors de la ville. A Miami, ce fut encore pire. On m’a laissée rester, mais on a vidé la piscine pour m’empêcher de m’y baigner ! Malgré tout on ne cesse de me dire que je suis une star. Qu’en pensez-vous ? »

Pour autant, je dois reconnaître que ma rencontre avec Chico et Rita est un rendez-vous manqué, vraiment. J’en suis le premier déçu. Surtout que cet album est arrivé jusqu’à moi depuis La Réunion grâce à Unchocolatdansmonroman qui a eu la gentillesse de me le prêter. Mais peu importe, je tenais à le lire et je ne regrette pas une seconde de l’avoir découvert.


Chico et Rita de Javier Mariscal et Fernando Trueba. Denoël Graphic, 2011. 212 pages. 23,00 euros.

Les avis de Canel, Hélène et Unchocolatdansmonroman