vendredi 21 mars 2014

Dieu me déteste d’Hollis Seamon

Encore un bouquin sur des gamins cancéreux. A croire que c’est devenu une mode. Perso, ça fait mon troisième après « Nos étoiles contraires » et la BD « Boule à zéro ». Heureusement, à  chaque fois la qualité était au rendez-vous et ce « Dieu me déteste » ne dérogera pas à la règle. C’est pourtant sacrément casse-gueule comme thématique. Si on veut faire pleurer dans les chaumières, rien de plus facile. Mais si on choisit d’être davantage dans la finesse, d’amener un regard décalé sans nier l’aspect dramatique de la situation, les choses se compliquent.

Le narrateur se prénomme Richard, il aura bientôt 18 ans et il est cloîtré dans le service des soins palliatifs de l’hôpital Hilltop, à New York. Quand on rentre aux soins palliatifs, c’est qu’il n’y a plus rien à faire. Trente jours maximum avant de « tirer le rideau ». Richard se sait condamné mais il va ruer dans les brancards. Parce qu’avant d’être un malade en fin de vie, c’est surtout un ado. Un ado qui voudrait profiter au maximum du peu de temps qui lui reste, quitte à foutre un sacré merdier dans un service d’habitude si policé. Pas qu'il soit un perturbateur né, loin de là. C'est juste qu’il ne supporte pas le carcan irrespirable dans lequel on l’enferme. Et puis il voudrait aussi se rapprocher de Sylvie, la patiente de la chambre 302. Sylvie a 15 ans. Une vraie complicité les unit, et un peu plus que ça même. Sylvie, elle est comme lui, elle veut choper tous les jours qui lui restent comme une acharnée. Et ensemble, ils vont tout faire pour mener à bien la mission amoureuse qu’ils rêvent de voir aboutir…

« Dieu me déteste » est la chronique impertinente d’un gamin indocile et pétillant, drôle et lucide. Un gamin qui souffre, et pas qu’un peu, mais je trouve que la maladie n’est pas le sujet principal. Leur vraie guerre, Richard et Sylvie la mènent contre des adultes surprotecteurs et rabat-joie. Parce que même si le corps les lâche, il leur reste suffisamment d’énergie et de vitalité pour chercher à assouvir ce désir qui les titille. Il y a dans leur comportement une sorte d’acharnement, et leur obstination relève d’une urgence bien compréhensible. Mais les obstacles qui se dressent devant eux sont innombrables. Heureusement, ils vont aussi trouver quelques complices bienveillants comme l’oncle Phil, la grand-mère de Richard ou quelques membres du personnel hospitalier. L’intérêt du roman tient d’ailleurs pour beaucoup dans la richesse des personnages secondaires qui gravitent autour de nos tourtereaux.  

Ça peut sembler étrange mais on ressort revigoré d’une telle lecture. Je ne peux pas nier que j'ai eu la gorge serrée par moments mais au final, j'ai trouvé que ces Roméo et Juliette modernes nous offraient une sacrée leçon de vie. Une belle leçon d'optimisme aussi. Et ce n'est pas du luxe par les temps qui courent.


Dieu me déteste d’Hollis Seamon. La belle colère, 2014. 285 pages. 19,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Karine, Liliba, Noukette et Stephie.


Les avis de Clara et La Sardine.





jeudi 20 mars 2014

Mon second livre mystère - ????????

Voila. J’ai reçu et lu mon second livre mystère. Dévoré même. Facile, il était du genre maigrichon. Mais bon, c’est pas la taille qui compte, heureusement. Face la bête, recouverte en bonne et due forme, je me suis senti moins déstabilisé que la première fois. Peut-être parce que je commence à devenir un vieux briscard de l’exercice. Mais surtout,  je n’ai pas eu envie de me poser la moindre question. Juste profiter du plaisir de me lancer dans un livre choisi pour moi par quelqu’un qui me connait très bien. Parce que l’expéditrice n’était pas mystérieuse, elle. Et pour le coup, je n’avais aucune inquiétude, juste la certitude que ça allait me plaire.

L’histoire se passe à Bruxelles. Enfin, les histoires. Deux histoires à priori sans rapport. Celle de Thomas et Marie, des tourtereaux fauchés qui vivent dans un taudis loué par un affreux marchand de sommeil. Marie est très malade, alitée en permanence. Le couple doit partager son appartement avec des jumeaux albanais et deux familles, les Varoum et les d'Anchuso, dans une promiscuité totale. Les temps sont durs, le loyer n’est plus payé depuis des lustres et l’expulsion les guette. En parallèle on suit Serge, un chômeur un peu glandeur qui va perdre son ami Toni dans des circonstances effroyables dès les premières pages. Par la suite, Serge va s’improviser plombier et rencontrer Louise. Une divine surprise à laquelle il n’était à l’évidence pas préparé.

Les  chapitres présentent tour à tour les pérégrinations de Serge et la situation catastrophique de Thomas et Marie. Aucun lien entre ces différents personnages à première vue, jusqu’au moment où l’on comprend que c’est Thomas qui raconte l’histoire de Serge (je ne sais pas si j’explique les choses clairement mais dans le livre, c’est limpide). A partir de là, le roman prend une autre dimension, belle et tragique. C’est parfaitement amené, j’avoue que je n’ai rien vu venir.

Je suppose que l’auteur est belge, pas seulement parce que ça se passe à Bruxelles mais parce que son vocabulaire ne laisse pas planer d’ambiguïté (qui d’autre qu’un belge écrirait « septante » ! ). Je parierais sur un homme car l’écriture me semble très masculine (même si je serais bien incapable de définir précisément ce qu’est une écriture masculine). En tout cas c’est une écriture à la fois orale et travaillée, fluide et imagée comme j’aime.

Le ton est pessimiste sans être désespéré. Il relève plutôt d’une certaine forme de réalisme. Le regard porté sur le monde, les gens, la vie, n’est pas des plus joyeux mais je l’ai trouvé d’une grande lucidité. Surtout, ce roman nous raconte une magnifique histoire d’amour. Pure et forcément triste aussi. Une histoire sans cynisme, d’une sincérité bouleversante. Une histoire qui m'a énormément plu et a essoré mon petit cœur de pierre.

Finalement, c’est ce que j’adore avec les livres mystère. On m’embarque sur un terrain où je ne serais jamais allé moi-même. Bien sûr, je peux me dire que j’ai eu de la chance et que je suis à chaque fois bien tombé. Mais ce serait oublier à quel point les livres qui m’ont été adressé ont été choisis avec soin. Mes expéditrices ne se sont pas trompées et je les remercie pour la pertinence de leur choix. Et si la première souhaitait garder l’anonymat, ce n’est pas le cas de la seconde alors, ma très chère Noukette, permets-moi de t’adresser un grand merci et de te faire une tonne de bisous. Tu m’as en quelque sorte rendu la monnaie de ma pièce, et rien ne pouvait me faire plus plaisir.

En attendant, à l’heure qu’il est, je ne connais toujours pas le titre et l’auteur de ce roman… Je reviendrai lever le voile ce soir.

Edit de 18h00 :


Voila, j'ai déshabillé mon livre mystère. C'était "Quatrième étage" de Nicolas Ancion, un auteur dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Une bien belle découverte ! Noukette, je suis partant pour découvrir d'autres titres de ce belge talentueux, si tu veux m'accompagner ce sera évidemment avec plaisir.






mercredi 19 mars 2014

Mamette T6 : Les papillons - Nob

Mamette fête ses 84 ans. En cadeau elle reçoit un « ordonnateur », une box « internette » et un appareil photo « radioactif ». Sa petite fille, avant de s’expatrier à Londres, vient lui donner des cours d’informatique : transférer les photos, les poster sur son mur… tout ça c’est du chinois pour Mamette. La vieille dame se lance aussi dans le yoga avec ses copines, histoire de se relaxer un peu. Et puis sa mémoire lui joue des tours. Elle oublie des mots, elle ne sait plus où elle range ses affaires. Mamette se doute que quelque chose cloche. Surtout, elle se dit qu’en perdant la mémoire elle risque d’oublier son Jacques !

Un sixième album plus grave que les précédents. Mamette grandit encore, elle sent davantage le poids des ans. Son choupinet de fils s’inquiète de la voir décliner physiquement et moralement. Un album qui, sous couvert de perte d’autonomie, laisse une large place à la nostalgie. Mais entendons-nous, si le propos est plus sérieux, l’humour reste bien présent, tout comme la fraîcheur et la gourmandise qui caractérisent cette adorable grand-mère. Finalement, Nob a trouvé une façon intelligente de se renouveler. Sans rien forcer, en déroulant de nouvelles thématiques avec une parfaite évidence. Et puis la dernière page, magnifique de douceur, remet les choses en perspective et rappelle que cette série reste avant tout un hymne à la vie.

Pourquoi le nier, une fois encore je sors enchanté de ce rendez-vous avec Mamette, cette mamy que, décidément, j’aime d’amour. Oui, j’adore Mamette et Bukowski, c’est le grand écart mais je n’y peux rien, ces deux-là sont un peu mon Yin et mon yang.


Mamette T6 : Les papillons de Nob. Glénat, 2014. 48 pages. 10,00 euros.




mardi 18 mars 2014

Ma tempête de neige - Thomas Scotto

C’est un père de 19 ans qui parle à son enfant. Un enfant pas encore né mais auquel il raconte son coup de foudre avec Katell, la maman.
Leur première fois.
Le test de grossesse (« Les deux barres sur le test. J’ai poussé un cri, mais un truc indéfinissable de rage et de plaisir. A partir de là, je voulais que tout le monde le sache. […] Que tout le monde sache que t’étais pas un accident »).
La première échographie (« En revenant je crois que j’ai chialé […] des larmes dégoupillées pour l’explosion, des larmes d’un bruit assourdissant. […] Rien à voir avec la tristesse. Ne crois pas. Mais plutôt… avec Katell… c’était là qu’on changeait vraiment. Sur la quatre voie et dans nos vies »).
L’annonce aux amis et à la famille.
L’avenir...

Un monologue qui semble sortir d’une traite. Pas une plainte non, ni une crainte. Une certitude plutôt : « Je voulais un enfant ». « Ça ne m’a même pas fait peur comme désir. Je pourrais trouver que je suis inconscient. Que c’est une vraie connerie, la pire de toute ma vie et que je vais foutre mes études en l’air. En fait, non… je crois que j’ai de la chance. D’avoir confiance en moi, c’est une chance ». La conclusion ne pouvait que s’imposer d’elle-même, limpide : « On y est. Tu vas arriver. Tu vas naître. Et tu vois comme t’es attendu… tu vois, t’es attendu. »   

C’est beau parce que c’est à la fois sincère et naïf. C’est beau parce que ce n’est pas du tout cucul. Bien sûr ce ne sera pas un long fleuve tranquille et au fond, il se doute que ce bébé va aussi lui faire vivre quelques moments difficiles (écrit celui qui vient de passer une nuit quasi blanche à cause d’une vilaine poussée dentaire). Mais je retiendrai avant tout de ce texte sa justesse de ton. Un cri d’amour, un cri du cœur pas dégoulinant pour deux ronds, une sorte de soliloque nécessaire, pour s’affirmer et se rassurer. Un superbe petit roman, vraiment.

Ma tempête de neige de Thomas Scotto. Actes sud junior, 2014. 58 pages. 9,00 euros. A partir de 14 ans.


Une nouvelle pépite dénichée avec mon incontournable complice Noukette. Ça fait un certain temps que l’on vous parle de textes courts et percutants (Depuis qu'on a déménagé / Candy / Une preuve d'amour / A copier 100 fois). L'idée d'un petit rendez-vous régulier est donc venue d'elle-même. Au gré de nos trouvailles, nous essayerons de vous dénicher des petits romans jeunesse que les ados auront envie de se passer de main en main... et que les adultes n'auront de cesse de vouloir leur piquer...! Ma tempête de neige inaugure de bien belle façon ce nouveau rendez-vous...! 



lundi 17 mars 2014

Les lectures de Charlotte (3) : Oseras-tu chatouiller le loup ? - Emiri Hayashi

Chatouiller le loup, glisser une enveloppe dans la boîte aux lettres, arroser la plante, secouer un arbre, lancer un ballon, caresser le chat… Charlotte a adoré faire tout ça.

Le principe est simple. Une question, une action à effectuer et on soulève un petit rabat pour découvrir le résultat de cette action. Les rabats se lèvent à l’horizontale ou à la verticale selon les situations et la surprise est au rendez-vous à chaque fois sans que jamais la lassitude ne s’installe. Les dessins sont mignons comme tout et le petit format permet à bébé de manipuler le livre tout seul. Un bémol quand même, les rabats sont un peu fragiles. Heureusement, Charlotte n’est que douceur (comme son père) et tourne les pages avec précaution, mais je connais quelques grosses brutes qui auraient vite fait de transformer les volets à soulever en confettis.

Interactif et ludique, ce premier titre de la nouvelle collection « Coucou caché » est surtout très addictif. Arrivé à la maison il y a peu, il est devenu le livre préféré de bébé Charlotte aux cotés des petits imagiers sonores de Gallimard, c’est dire !


Oseras-tu chatouiller le loup ? d’Emiri Hayashi. Tourbillon, 2014. 20 pages. 10,50 euros. A partir de 12 mois.

L'avis de Mya Rosa











samedi 15 mars 2014

Les gouffres - Antoine Choplin

Quatre nouvelles dans ce recueil. Dans la première, deux hommes marchent vers l’océan. Autour d’eux, le silence et la désolation. Devant eux, la terre s’est ouverte par endroits. Des gouffres vertigineux qui leur tendent les bras et qu’ils vont tenter de contourner. La seconde met en scène Wagram, employé de « La fabrique » dont le job consiste à éviter que le cours des choses ne s’arrête. La 3ème se passe dans un camp. Trois prisonniers mal en point veulent rendre un dernier hommage à une mathématicienne de génie. Dans la dernière, on suit un homme poussant un orgue de barbarie dans les rues d’une ville déserte. Arrivé sur la place centrale, il va tourner la manivelle et commencer à jouer. Pour qui ? Pour quoi ?

Étrange recueil, traversé par une certaine forme d’angoisse. L’univers décrit est déshumanisé, irréel. Partout la solitude. Des personnages qui errent, sans véritable but. Pour moi, c’est l’absurdité du monde qu’Antoine Choplin veut souligner. Des hommes fragiles, vulnérables, dépassés, perdus. Mais aussi des hommes solidaires, unis dans les pires moments par un fil aussi invisible qu’indestructible. Une fraternité, certes peu démonstrative, mais qui tient en de petits riens. Une main sur un bras ou sur une épaule, un geste discret et réconfortant.

Pour autant, je ne ressors pas emballé de ce recueil. Il y a comme un goût de trop peu. Dans la nouvelle éponyme, j’aurais bien accompagné plus longtemps les deux personnages, dignes de Beckett. Pareil pour le dernier texte, j’aurais aimé rester davantage avec le joueur d’orgue. Et puis je n’ai pas retrouvé la magnifique écriture de Choplin, sa petite musique susurrée comme dans un souffle dans « La nuit tombée » et « Le radeau ». A tel point que je me demande si ces nouvelles ne sont pas des œuvres de jeunesse tant elles me semblent « inabouties ». Bref, même si j’ai passé un agréable moment, ce n’est pas un coup de cœur, loin de là.

Les gouffres d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2014. 132 pages. 16 euros.


Une lecture commune que je partage avec Leiloona et Noukette.






jeudi 13 mars 2014

Des entrées pour le salon du livre à gagner



Comme beaucoup de copinautes, j'ai la chance de pouvoir vous offrir 5 entrées pour le salon du livre qui ouvre ses portes la semaine prochaine. Vous avez jusqu'à demain minuit pour vous manifester dans les commentaires de ce billet. Je ferai le tirage au sort samedi matin.

Personnellement, je serai sur la salon le samedi toute la journée. Je n'ai pas de programme précis en dehors de déambuler dans les allées à la recherche de belles surprises livresques. J'irai aussi rendre visite à mes éditeurs chouchous et je me plierai sans doute à l'exercice de la dédicace avec quelques auteurs de BD.

Peut-être aurais-je le plaisir de croiser certain(e)s d'entre vous comme ce fut le cas l'an dernier. Qui sait ?


mercredi 12 mars 2014

Le Horla - Guillaume Sorel et Maupassant

Dans Le Horla, Maupassant raconte, sous forme de journal, les hallucinations d’un homme persuadé qu’une présence maléfique veut prendre possession de son corps et de son esprit. Un être surnaturel imposant à sa victime sa propre volonté et absorbant peu à peu son énergie vitale. Une nouvelle vraiment flippante dont je garde un souvenir très précis des années après l’avoir lue.

Guillaume Sorel n’a pas choisi de faire une adaptation à l’identique. D’ailleurs il déclarait récemment qu’ « une bonne adaptation est une trahison ». Si certains monologues sont bien des passages du texte source, exit  le journal. Le narrateur est accompagné d’un chat (inexistant à l’origine) auquel il confie ses tourments et ses états d’âme. Il y a aussi une vraie ambiguïté quant au mal qui frappe la victime. Chez Maupassant, il ne fait aucun doute que l’homme souffre d’un trouble du système nerveux et bascule dans la folie. Dans la BD, le problème ne vient pas forcément de sa santé mentale mais il pourrait bien avoir des causes réellement surnaturelles. En tout cas rien n’est clairement tranché je trouve. Ce qui est certain c’est qu’il vit dans une grande solitude, dans un isolement qui va peu à peu accentuer le sentiment de terreur l’envahissant chaque jour davantage.       

Le dessin, c’est pas un scoop, est une tuerie totale. Je dis que ce n’est pas scoop parce que Sorel est un des plus talentueux dessinateurs actuels. Il y a dans cet album des planches incroyables, de véritables tableaux. Et le plus fort c’est que l’esthétisme reste constamment au service du récit, jamais il ne tombe dans la démonstration gratuite. Couleurs, décors, ambiance oppressante à la lueur des bougies, tout est parfaitement travaillé.

J’ai beaucoup aimé la façon dont Sorel s’est approprié le texte d’origine pour mieux le triturer avec ses propres références, finalement beaucoup plus fantastiques que psychanalytiques. Une adaptation à la fois fidèle et personnelle, visuellement somptueuse.



Le Horla de Guillaume Sorel. Rue de Sèvres, 2014. 64 pages. 15,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Leiloona, Noukette et Stephie. Quel trio !

L'avis de Paikanne






mardi 11 mars 2014

Depuis qu’on a déménagé - Ingrid Thobois

« Depuis qu’on a déménagé, on dirait qu’on a plus le droit d’être heureux. »

Depuis qu’elle a déménagé, la narratrice, âgée de 10 ans, n’a plus le droit de regarder la télé, à part le journal de 20 heures. Depuis qu’elle a déménagé, ses parents ne se parlent plus. La joyeuse tablée du soir s’est transformée en « morceau de banquise à la dérive ». Il faut dire qu’avant ils étaient quatre. Maintenant, ils ne sont plus que trois. Sandra, la sœur cadette, n’est plus là. Elle avait quatre ans quand c’est arrivé. C’était l’année dernière.

Le deuil, la douleur, l’incompréhension. Une fillette qui s’interroge et voudrait voir sa mère s’occuper d’elle. « Que maman se souvienne que sur ses deux p’tites, il lui en reste quand même encore une et que […] c’est mieux que rien. » Elle voudrait qu’elle arrête de culpabiliser, qu’elle arrête de prendre ces pilules qui l’abrutissent et qu’elle continue à vivre, tout simplement. Surtout, elle voudrait qu’elle arrête d’avoir l’impression de trahir sa fille morte en s'occupant de sa fille vivante.  

39 pages, un quart d’heure de lecture. Ingrid Thobois propose un texte fort, d’une infinie tristesse. Elle parle du deuil avec justesse. La voix de la narratrice résonne sans fausse note et vous secoue. La scène finale, pleine d’optimiste, ouvre la voix à une reconstruction possible. Un tout petit roman d’une grande puissance qui va, je pense, me poursuivre longtemps.


Depuis qu’on a déménagé d’Ingrid Thobois. Oskar, 2013. 39 pages. 5,00 euros. A partir de 9 ans.

Une lecture commune que je partage avec Noukette. Vous allez me dire "encore" et je vous répondrais que ce n'est pas fini puisque l'on va se retrouver deux autres fois d'ici la fin de la semaine. Comment ça on est devenus inséparables ?

lundi 10 mars 2014

Nouveaux contes de la folie ordinaire - Charles Bukowski

Prenez un gamin de 17-18 ans. Un gamin un peu paumé qui se destinait à une carrière de footballeur, fauché en plein vol par une sale blessure. Un gamin obtenant le bac par le plus grand des hasards alors que ce n’était pas prévu au programme. Un gamin obligé de faire les trois huit dans une usine de crèmes glacées pour aider un peu ses parents. Maintenant imaginez que l’on encourage ce gamin à poursuivre ses études. Dans sa petite ville de province, le choix est limité, très limité. Un DEUG de langues étrangères appliquées ou un autre de lettres modernes, point barre. Comme les langues ce n’est pas son truc, le gamin se tourne vers les lettres, sans conviction. A la fac, il va faire une rencontre. Enfin deux rencontres. D’abord, un étudiant qui va vite devenir un copain. Puis un écrivain. Parce que le copain lui aura mis dans les mains un bouquin de cet écrivain, un bouquin qui a pour titre « Nouveaux contes de la folie ordinaire »…

Voila comment une vie de lecteur se joue. Une vie tout court, même. Parce que sans ce copain et sans ce livre je ne serais pas là pour vous en parler aujourd’hui. J’aurais forcément pris une autre direction. Si certains sont touchés par la grâce, moi j’ai été touché par Bukowski. Foudroyé même. Il est celui qui a ouvert la porte de ma bibliothèque à tous les autres. Pourquoi un tel coup de foudre ?

C’est difficile à dire. Avant toute chose, c’est son écriture qui m’a parlé. Découvrir que l’on pouvait écrire comme ça, qu’on avait le droit, ça a été une surprise totale. Sa liberté de ton m’a stupéfié, choqué, paralysé, enchanté. Évidemment la langue n’est pas belle. Zéro esthétisme. Mais c’est clair, limpide, fluide. Son éditeur lui avoua un jour : « A cause de toi je ne peux plus lire les autres poètes. Tu marches droit au but, sans la moindre fioriture, comme si tu suivais une voie ferrée traversant l’enfer. » Et j’ai découvert pour la première fois quelqu’un s’adressant aux laissés pour compte, aux sans grades, aux marginaux : « j’ai toujours parlé la langue du peuple en l’appliquant au monde de derrière les miroirs. » Le tout sans jugement, sans un regard extérieur mais au contraire en appartenant au monde qu’il décrit. Loin de Zola et du naturalisme, quoi. Si Bukowski vous raconte une bagarre de poivrots, il fait partie des protagonistes. Quand il vous décrit une journée aux courses, il l’a vécue. Les gueules de bois, il a connu ça au quotidien. Bien sûr c’est un gros mythomane et un misogyne de première. Bien sûr, il adorait choquer, il était d'une grossièreté sans limite. Quand il se met dans la peau d’un violeur suivant une beauté jusque dans son appartement, il affabule totalement. Quand il décrit un pédophile surveillant sa proie, il vous donne la nausée.

Bukowski fanfaronne, il est ridicule, il est grotesque, il est tragi-comique. Mais je le trouve génial parce qu’il assume tout cela. Il est dans l’autodérision permanente, sans jamais se prendre au sérieux. Loin de toute prétention littéraire alors qu’il avait des lettres : Genet, Kafka, Céline, Dostoïevski et Fante, entre autres, étaient ses héros.  Mais il est toujours resté dans l’authenticité lorsqu’il écrivait, la peur, la violence, la solitude et les ravages de l’alcool. Il a multiplié les boulots minables pour survivre, devant arracher des heures d’écriture au cœur de journées dont il sortait abruti par la fatigue et les excès en tout genre. J’ai retrouvé des années plus tard l’esprit de Bukowski dans un poème d’André Laude et je crois que c’est tout à fait ce que j’attends de la littérature :

« La langue doit coller à la vérité des hommes
Elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Traîner dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes, les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu »

La langue de Bukowski, c’est tout cela à la fois. Il restera à jamais, dans mon panthéon personnel, comme le plus grand des écrivains. Et j’ai bien conscience que peu de monde partage mon avis. Mais je vous avoue que j’en ai strictement rien à cirer…

Les nouveaux contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski. Le livre de poche, 1991. 315 pages. 6,10 euros.

Ce billet est spécial à bien des égards. J'avais toujours dit que je ne parlerai jamais de Bukowski sur le blog. D'une part, je craignais de ne pas être à la hauteur et d'autre part, notre relation me semblait trop intime pour que j'ose un jour la dévoiler. Mais A Girl from earth et Noukette sont passées par là et m'ont convaincu de me lancer dans une lecture commune. Qu'elles en soient remerciées, je me suis replongé avec un réel plaisir dans les nouvelles de mon cher Vieux Dégueulasse et j'ai hâte de découvrir leurs avis respectifs, même si je me doute bien qu'ils ne seront pas aussi enthousiastes que le mien.