« L’âge idéal
est six ou sept ans quand la peau est douce et les articulations tendres. Il
faut d’abord préparer deux petites paires de souliers bien cousus et tout
l’équipement nécessaire : une bande blanche de tissu de chanvre, raidie
avec l’amidon, bien sèche et enroulée ; également une paire de ciseaux, un
dé à coudre, une bonne aiguille et du gros fil de couture, sans oublier de
l’alcool jaune, une cuvette, du coton, des chutes de tissu… Ah oui, j’allais
oublier, il faut encore du sang frais de chèvre. » « La potion
est amère mais le jeu en vaut la chandelle. »
Au début du 20ème
siècle, en Chine, si une femme voulait se marier avec un fils de bonne famille,
elle devait avoir de tout petits pieds. Et pour avoir de tout petits pieds, il
fallait les bander de manière abominable, une vraie torture. Une torture qu’a
dû endurer Chunxiu. Elle n’avait que huit ans lorsqu’on lui a bandé les pieds.
Dix ans plus tard, alors qu’elle était devenue une magnifique jeune femme prête
à marier, l’armée révolutionnaire renversa l’empereur et édicta de nouvelles
règles. Les vestiges de l’institution féodale furent bannis et le bandage des
pieds interdit. Retournant dans son village natal, Chunxiu devint, suite à un
événement tragique, une simple paysanne puis la nounou de Li Kunwu, l’auteur de
ce one-shot en tout point édifiant.
Un douloureux destin de femme intimement lié à celui de son
pays. Un destin individuel qui symbolise
l’évolution de la Chine et sa marche forcée vers la révolution communiste. J’ai
trouvé les pages où est décrite la technique du bandage à la limite de l’insoutenable.
Quelle horreur ! Le personnage de Chunxiu est pour sa part touchant. Elle
a traversé avec une étonnante dignité une existence pas épargnée par le malheur.
Li Kunwu mélange avec bonheur la petite et la grande histoire. Son propos est
clair et la progression chronologique se fait sans heurts. Une vraie maîtrise
de la narration en somme.
Coté dessin, j’ai bien aimé ce noir et blanc (of course !)
à l’encrage épais et un peu tremblotant. Les scènes de foule et de marché sont notamment
très réussies.
Un bel album, riche et instructif. En même temps c’était une
recommandation de Mo’ et de Marilyne donc je ne prenais pas de grands risques
en me lançant dans cette lecture.
Les pieds bandés de Li Kunwu. Kana, 2013. 127 pages. 15
euros.