mercredi 7 août 2013

Le vent dans les sables T5 : Du souk dans la casbah - Michel Plessix

Après leur périple dans le désert, Rat, Taupe et Crapaud retrouvent la ville et leur ami Blaireau. Grâce à lui, le trajet de retour vers le Bois Sauvage est enfin envisageable. Mais les choses ne sont pas si simples et un saucisson va entrer dans la danse, provoquant une course poursuite aussi folle que trépidante.

Voila c’est fini. Dix-huit ans après avoir entamé l’adaptation du roman Le vent dans les saules de Kenneth Grahame, Michel Plessix met un point final à l’aventure en clôturant ce second cycle avec maestria. Dix-huit ans pour neuf albums en tout, il aura fallu se montrer patient. Mais Plessix est sans doute l’un des derniers artisans de la BD actuelle : une semaine pour tomber une planche, dix à douze mois pour dessiner un album de trente-deux pages et quatre à cinq mois supplémentaires pour la couleur. Le résultat est là, c’est juste somptueux, découpé au millimètre, bourré de détails et toujours fort drôle. L’écriture des récitatifs et les dialogues sont très travaillés et le ton reste étonnamment léger.

Ce dernier tome est beaucoup plus mouvementé que les quatre précédents et fonctionne avec les mêmes ressorts que la conclusion du premier cycle à savoir un maximum d’humour et d’action. Ce second cycle sous forme de récit de voyage et d’ode à la culture maghrébine aura vraiment été un enchantement graphique : le travail sur la lumière, la minutie des décors et des costumes, tout est parfaitement ciselé.

Je ne suis pas objectif parce que je suis un fan absolu de Plessix mais il faut reconnaître que cette ambiance exotique à souhait, cette délicatesse du trait, cet éloge permanent de l’amitié et de la franche camaraderie rendent l’ensemble irrésistible. De la BD jeunesse réellement tout public comme on en fait plus. A lire, à relire et à faire lire sans modération.


Le  vent dans les sables T5 : Du souk dans la casbah de Michel Plessix. Delcourt, 2013. 32 pages. 12,50 euros.





mardi 6 août 2013

Le premier mardi c'est permis (19) : Il faut jouir, Édith

Bon, ce mois-ci, pas de clit lit à la c.., pas d’essai à la mords-moi-le-nœud mais un petit texte tout en finesse. Un texte publié pour la première fois en 2004 aux PUF dans la collection « Perspectives critiques ». Oui, vous avez bien lu, aux Presses Universitaires de France. Un roman érotique aux PUF, ça a quand même plus de gueule qu’un Passion intense chez j’ai lu, non ?

Ça commence par un coup de téléphone. Elle prospecte pour tenter de placer des stations d’affinage censées purifier l’eau courante. Il décroche et se lance dans un plan drague plutôt convenu mais qui a l’air de fonctionner. Il lui annonce qu’il est écrivain et lui demande ses coordonnées afin de lui envoyer son livre. Ils se recontactent à plusieurs reprises par téléphone puis entament une correspondance. Elle est mariée et mère de famille mais elle se laisse petit à petit embarquer dans un jeu de séduction qui bouscule son train-train quotidien et réveille une libido en sommeil depuis trop longtemps. Leurs échanges deviennent de plus en plus torrides et ils vont se rencontrer à plusieurs reprises, dans un parc, dans une voiture et finalement à l’hôtel. Lui n’a qu’une idée en tête, la faire jouir (car elle ne s’en croit plus capable depuis longtemps). Avec obstination, imagination et persévérance, il va parvenir à ses fins.

Enfin un vrai plaisir de lecture dans le cadre du rendez-vous de Stephie, je commençais à désespérer. Un délicieux petit roman, uniquement basé sur des échanges téléphoniques et épistolaires. C’est fin, jamais vulgaire, tout en suggestion, loin des descriptions quasi gynécologiques qui fleurissent partout ailleurs. Tellement plus émoustillant en somme. Et puis les personnages ont de l’épaisseur. D’un coté l’écrivain canaille, un brin pervers, séducteur patenté qui sait parfaitement ce qu’il fait et ce qu’il veut (sans compter qu’il n’a ni passé douloureux avec une fêlure d’enfance à cicatriser et encore mois un physique de dieu grec) et de l’autre une mère de famille faussement ingénue qui cherche juste à pimenter son quotidien et reste d’une totale lucidité quant à cette relation adultère (pas une oie blanche nunuche qui tombe amoureuse de son patron en attaquant son premier jour de stage).    

Les échanges sont enlevés, il y a ce petit soupçon vachard qui empêche le récit de tomber dans la guimauve et en plus quelques passages sont plutôt drôles. Bref, je recommande chaudement si vous voulez sortir de la médiocrité ambiante.

Il faut jouir, Édith d’Alain Bonnand. La Musardine, 2013. 138 pages. 7,60 €.





dimanche 4 août 2013

Zéro pour l’éternité T1 - Naoki Hyakuta et Souichi Sumoto

Kentarô est un NEET, un célibataire sans emploi ayant arrêté ses études. Un jeune qui passe son temps à ne rien faire et a du mal à se voir un avenir. Quand sa sœur lui propose de faire des recherches sur leur grand-père mort au cours de la seconde guerre mondiale, Kentarô accepte du bout des lèvres. Dès le début de son enquête il découvre que ce grand-père a perdu la vie au cours d’une mission suicide. En rencontrant un des derniers pilotes encore vivant ayant connu son aïeul, il comprend que ce dernier était tout sauf un héros.       

J’avoue que j’y suis allé à reculons. Un manga sur les kamikazes japonais, pas vraiment mon truc. La surprise fut d’autant plus belle. Adaptée d’un roman, cette histoire met en lumière la difficulté pour la jeunesse nippone actuelle d’accepter le passé guerrier de l’archipel. Elle montre aussi à quel point la société a toujours du mal à se considérer à la fois comme victime de la bombe et complice de la folie du Reich. Et puis l’on découvre que nombre de Kamikazes n’étaient pas habités par une quelconque fierté et que leur sacrifice, loin de relever du courage, était souvent dicté par un ordre de la hiérarchie auquel il était impossible de ne pas se plier. Des hommes comme les autres et non des ultranationalistes prêt à tout pour la prospérité éternelle de leur pays (le fameux cri « banzaï » signifie « prospérité éternelle »). Autre thème abordé par ce manga, l’attentat du 11 septembre au cours duquel les djiadistes d’Al-Qaida furent qualifiés par les médias de kamikazes. Une appellation inadmissible pour les japonais tant l’attitude des kamikazes de la seconde guerre mondiale n’avait pour eux strictement rien à voir avec celle des terroristes.         

Une lecture passionnante qui insiste sur la difficulté pour le Japon d’aujourd’hui de faire sereinement son devoir de mémoire. Trois autres tomes sont parus (la série en comptera 5 en tout) et je vais me faire un plaisir de tous les découvrir.



Zéro pour l’éternité  T1
de Naoki Hyakuta et Souichi Sumoto. Delcourt, 2013. 205 pages.  8,00 euros.

L'avis de Choco
L'avis de Yaneck



samedi 3 août 2013

Le guide des voyages (2)

Le guide des voyages revient pour un second numéro (il devrait y en avoir quatre en tout d’ici fin août). Le principe est simple, cette publication de 12 pages regroupe des chroniques livresques réparties en trois catégories : Pays chauds (des ouvrages que l’on a aimé) ; Pays froids (des ouvrages que l’on n’a pas aimé) ; Ailleurs (où l'on parle de quelque chose qui a à voir avec la littérature sans en être directement : une maison d'écrivain, un recueil de photos, une bio de compositeur, de peintre...).

Ce second numéro regroupe une fois encore les chroniques de 11 ouvrages. Parmi les pays froids, nous avons pour la première fois une visite en pays glaciaire avec « L’envie » de Sophie Fontanel (le degré zéro de l’écriture selon l’auteur de la critique) et  une balade sans saveur parmi la bourgeoisie de province avec Stéphane Hoffmann ("Les auto tamponneuses"). Du coté des pays chauds, Lydie Salvayre, Pierre Gamarra, Stewart O’Nan, Philippe Besson ou encore Sandor Marai…

Si je n’avais rien écrit dans le premier numéro, j’ai cette fois-ci contribué avec deux textes (à vous d’essayer de les retrouver, même si je reconnais que d’une part, c’est plutôt facile et que, d’autre part, ce petit jeu n’a aucun intérêt).


En tout cas si vous souhaitez recevoir ce numéro par mail, n'hésitez pas à me le demander, comme d’habitude, je me ferais un plaisir de vous l'envoyer.

vendredi 2 août 2013

Petit éloge des vacances - Frédéric Martinez

Le narrateur se balade dans les rues de Paris. Il pense à l’enfant qu’il était à la fin des années 70, au dernier jour d’école, à la nationale 7, aux séjours dans la Creuse... Surtout, il regarde les passantes et leur imagine un destin. Elles sont jeunes, belles, attirantes et lui il divague, se laisse emporter par son imagination...

Vu le titre, je m’attendais à une variation en finesse sur le thème des vacances, des textes à la Delerm, légers et délicieux. Pour tout dire, ça a été la grosse déception, je me suis retrouvé avec un petit exercice de style tout en futilité. Regarder les jolies filles et fantasmer leur vie, on fait tous ça non ? Là, c’est bien réalisé mais au final on n’est pas loin d’une certaine forme de masturbation littéraire. Le gars sait qu’il a une belle plume mais il ne pense qu’à se chatouiller tout seul dans son coin plutôt que d’en faire profiter le lecteur. Une pratique solitaire qui n’intéresse que lui il me semble. Tout cela m’a paru tellement vain, tellement inutile. Il n’y a rien d’autre à retenir que la vacuité des réflexions, certes bien troussées mais aussi vite lues qu’oubliées. C’est vraiment bien écrit, il y a de forts beaux passages mais j’ai juste eu l’impression de partager les soliloques d’un dandy qui s’écoute parler, tout ce qui me fait horreur quoi.   

Une lecture qui m’a agacé au plus haut point (mais je crois que l’avez compris...).

Petit éloge des vacances de Frédéric Martinez. Folio, 2013. 116 pages. 2 euros.

PS : vous savez quoi, je suis tellement passé à coté de ce texte que je veux bien lui offrir une seconde chance. Alors le premier ou la première qui se manifeste dans les commentaires en précisant qu’il souhaite recevoir ce livre, je lui envoie avec plaisir.


L’avis d’Hélène


jeudi 1 août 2013

Moi après mois : juillet 2013

Moi après mois, d’après une idée de Moka. C’est une grande première, je ne sais pas si je ferai ça régulièrement mais comme je suis en vacances et que j’ai un peu de temps, je me lance.  Et puis bon, c’est une idée Moka et j’adore Moka (elle me le rend bien il me semble). Je m’étais toujours dit que je me prêterai à l’exercice au moins une fois, alors voila. J’espère que vous serez indulgents…


Être sollicité par une chercheuse de l’université // Croiser Hardoc et Hautière par hasard dans une librairie et discuter longuement avec eux de leurs lulus // Amener sa fille une dernière fois à l’école avant le collège // Représenter les collègues au cours d’une réunion houleuse avec la direction pour demander qu’ils soient traités avec un minimum de respect // Recevoir un beau colis de Canel et un livre précieux de la part de Marilyne // Appeler le samu à 4h du mat pour son bébé dans une ville totalement inconnue et tomber sur un médecin de bon conseil qui vous évite de vous précipiter à l’hosto // Faire plus de 2000 km en voiture sans jamais entendre une seule fois bébé pleurer // Porter ce même bébé en écharpe façon kangourou et attirer les regards de la gente féminine // Profiter des vacances en bord de mer pour faire quelques excès alors que l’on est restés sages depuis trop longtemps // Souffrir de la chaleur comme rarement dans une maison trop petite et impossible à aérer // Fêter les 11 ans de sa grande et se dire qu’il y a 11 ans j’avais 10 kilos de moins // Constater une fois de plus que j’ai une femme en tout point admirable // Recevoir un mail qui fait partie de ceux que l’on ne voudrait jamais lire et penser comme Stig Dagerman que notre besoin de consolation est impossible à rassasier // changer de téléphone portable et avoir l’impression de changer de monde // Réaliser et programmer toujours plus de LC BD avec ma partenaire préférée // Passer les 15 derniers jours à lire encore et toujours plus parce que, bordel, il n’y a rien de meilleur quand on a enfin du temps devant soi !

Chiennes de vies - Frank Bill

Bon, après les minauderies cucul la praline de Frédéric Martinez (je vous en parle demain), il fallait que je retourne à la source, que je replonge dans cette littérature américaine cradingue que j’aime tant. En dernière page, parmi une tripotée de remerciements, on peut lire ceci : « Merci à Donald Ray Pollock pour son amitié, son soutien et ses conseils. » Sûr que Frank Bill doit beaucoup à Pollock. Même ambiance de fin du monde dans l’Amérique des paumés, au sud de l’Indiana. Mêmes trouduc alcooliques et violents, accros aux méthamphétamines et vivant dans des mobiles homes entourés de carcasses de bagnoles. Tous voleurs et escrocs à temps partiels, ivrognes à temps plein. Ils ont les cheveux sales, le « regard vide, comme dépouillé de toute étincelle de vie par un dieu qui ne [sait] dispenser que la souffrance. » Ici, on trouve « des couples où les hommes à l’haleine chargée de bière ne savent caresser leur femme qu’à coup de poing, leur offrant généreusement ecchymoses violettes, boursouflures rouge vif et os fracturés. » Ici, ce n’est qu’ « hommes et femmes d’un certain âge aux mains devenues calleuses à force de trimer pour survivre, et qui aspirent au carnage. » 

Dix sept nouvelles en tout où l’on découvre des chasseurs de ratons laveur, des organisateurs de combats de chiens, des dealeurs à la petite semaine, des junkies prêts à tout pour se payer leur dose, des femmes aux mœurs foutrement dépravées. C’est l’Amérique profonde des rednecks où l’on n’hésite pas à enfermer dans un sac un nourrisson né dans l’adultère pour le balancer à la rivière comme un chaton dont on veut se débarrasser et où les rancœurs séculaires entre voisins se terminent dans un bain de sang. Certains personnages se retrouvent d’une nouvelle à l’autre et donnent un semblant de fil conducteur à l’ensemble. Il faut dire que ce monde est tout petit et aux mains de quelques clans. Autre point commun entre ces textes, ils se terminent systématiquement mal, l’espoir n’ayant aucune raison d’être ici-bas.   
    
Âme sensible s’abstenir, un recueil aussi brutal vous secouera forcément. L’écriture est sèche comme un coup de trique, très visuelle. Frank Bill va à l’essentiel, il ne s’embarrasse pas de superflu et ne donne pas dans le gratuitement vulgaire. Chienne de vies s’est vu décerner le titre de meilleur polar de l’année par le magazine Lire du mois d’avril. Je ne vois pas bien en quoi c’est un polar mais on s’en fout un peu. Sachez juste que ça dépote sévère et qu’on en sort pas indemne. Autant dire que j’ai adoré.   


Chiennes de vies : chroniques du sud de l’Indianna de Frank Bill. Gallimard, 2013. 248 pages. 21 euros.

mardi 30 juillet 2013

La vraie vie de Toto : J’adore les animaux

Toto aimerait beaucoup avoir un animal à la maison mais son père ne veut pas en entendre parler. Il faut dire que le garçon possède quelques fâcheux antécédents : plus jeune, il passait son temps à arracher les ailes des mouches et à faire du pâté avec les vers de terre. Sans compter que quand sa grand-mère lui a offert un poisson rouge, ce dernier n’a pas survécu plus d’une semaine. Devant son insistance, ses parents trouvent une solution imparable : s’il rapporte un bulletin sans un seul zéro, il pourra avoir un chien. Autant dire, mission impossible…  

Le personnage de Toto fait immédiatement penser aux fameuses blagues. Déjà présent en BD chez Delcourt, il est devenu depuis peu le héros de mini-romans. Gamin facétieux et déterminé, il va ici tout mettre en œuvre pour faire céder les réticences paternelles en utilisant des procédés  pas toujours très catholiques. L’humour, loin d’être policé, donne plutôt dans l’irrévérencieux et les illustrations de Serge Bloch (connu pour son travail sur la série Max et Lili) sont dans l’ensemble drôles et parlantes.

Ma pépette n°2 (bientôt 8 ans) qui a lu cet ouvrage sur la route des vacances l’a qualifié de « trop classe », ce qui, dans sa hiérarchie de lectrice, correspond au top du top. Je n’irai pas jusque là mais il faut bien reconnaître que ce petit bonhomme malicieux en diable a tout pour plaire au jeune public auquel il s’adresse.

La vraie vie de Toto : J’adore les animaux de Marie-Agnès Gaudrat (ill. Serge Bloch). Tourbillon, 2013. 90 pages. 6,15 euros. A partir de 6-7 ans.


lundi 29 juillet 2013

Les enquêtes du limier T1 : Chien d’aveugle - Jirô Taniguchi

Taku Ryûmon vit quasiment en ermite au cœur d’une région montagneuse. Depuis son chalet, il exerce une activité de détective privé spécialisé dans la recherche de chiens de chasse perdus ou volés. Mais lorsqu’une jeune fille aveugle se fait dérober son chien guide, Ryûmon accepte de faire une exception et il se lance sur la trace du kidnappeur….       

Le dernier Taniguchi en date n’est sans doute pas le meilleur de son imposante production mais il se lit quand même avec un réel plaisir. Adapté d’une série de romans d’Itsura Inami, ce manga mettant en scène un privé un peu particulier ne se caractérise pas par un rythme trépidant et un foisonnement de scènes d’action. Les intrigues sont plutôt convenues et laissent la part belle aux bons sentiments. Ce n’est pas désagréable mais ça manque de peps. Au moins ai-je appris beaucoup de choses sur les chiens d’aveugle et la façon dont on les dresse, sans compter que le dessin de Taniguchi est toujours aussi fluide et aussi lisible. Rien que pour cela, ce volume vaut le coup d’œil.      

Un manga certes loin d’être indispensable mais qui reste néanmoins de fort bonne tenue. Et puis en ce qui me concerne ce titre restera comme la première découverte de cet auteur culte pour ma pépette n°1 qui a beaucoup aimé ces histoires animalières touchantes. Il gardera donc une petite place à part dans la mangathèque familiale.  


Les enquêtes du limier T1 : Chien d’aveugle de Jirô Taniguchi. Casterman, 2013. 228 pages.  

L'avis de manU


samedi 27 juillet 2013

La sauvage - Jenni Fagan

« J’ai été placée à ma naissance, je suis passée par vingt-quatre familles d’accueil avant l’âge de sept ans, j’ai été adoptée, je suis partie à onze ans, et j’ai changé encore vingt-sept fois au cours des quatre dernières années. » Anaïs a quinze ans. Soupçonnée d’avoir agressé une policière, elle est emmenée pour la énième fois dans un foyer pour ados. Au cas où la victime, dans le coma, venait à décéder, Anaïs serait envoyée dans un centre fermé jusqu’à sa majorité, en attendant la prison. Mais si les forces de l’ordre l’accusent, elle est persuadée d’être innocente. A vrai dire, elle ne se souvient de rien.

Au foyer, elle rencontre des gamines de son âge et des garçons un peu plus jeunes. Taciturne, provocatrice, en butte à toute forme d’autorité, Anaïs va peu à peu se rapprocher d’Isla, anorexique et séropositive et de son amoureuse Tash qui se prostitue pour qu’elles puissent louer un appart en sortant du foyer. Mais elle va aussi découvrir Shortie, Dylan, John et quelques autres, enfants en perdition marqués au fer rouge par un passé des plus douloureux. Et si la nouvelle pensionnaire a une réputation sulfureuse à entretenir, elle n’a pas besoin de se forcer pour montrer aux autres qu’il vaudrait mieux éviter de la chercher : « Je déteste dire s’il vous plait, ça me donne l’impression de me rabaisser. Je déteste dire merci. Je déteste dire que j’ai besoin de quelque chose. S’il fallait se lever et demander de l’air tous les jours, je serais déjà morte, putain. »     

Sauvage est roman coup de poing, cru, abrasif. Un récit dur, vulgaire, violent qui met en scène des gamins cabossés. Anaïs est la narratrice. On plonge dans son esprit torturé, ravagé par les psychotropes qu’elle consomme sans retenu. Évoluant constamment à la limite de la schizophrénie, ne cessant de se questionner sur ses origines, elle est persuadée d’être le fruit d’une expérience menée par un laboratoire secret. Totalement insoumise, elle est aussi particulièrement intelligente et lucide. Surtout, elle n’a pas encore tiré un trait sur ses rêves d’avenir.

En filigrane, l’auteur, écossaise, dénonce la façon dont les services sociaux traitent les enfants en souffrance. Elle dresse quelques portraits d’adultes qui frôlent parfois la caricature : il y a forcément un éduc plus compréhensif et humain que les autres, forcément une juge pour enfants incapable d’imaginer que les jeunes délinquants pourront un jour s’en sortir et forcément des forces de police totalement abruties. Mais à la limite peu importe. Le sel du roman tient dans la puissance de l’écriture ultra réaliste, dans la force des dialogues parfaitement crédibles et dans une construction imparable pleine de souffle et de colère contenue.

Un grand premier roman qui secoue furieusement et ne pourra laisser personne insensible. Nul doute que longtemps après avoir tourné la dernière page, la voix d’Anaïs continuera à vous hanter. On prend les paris ?   
Une belle découverte que je dois une fois de plus à Marilyne.


La sauvage
de Jenni Fagan. Métailié, 2013. 312 pages. 19,00 euros.