Le narrateur a 30 ans et il se
meurt. Il a trouvé refuge dans un ancien sanatorium qui sera bientôt détruit et
remplacé par un hôtel de luxe. Il est seul, sa chambre a les volets clos, il
vit son dernier été et sa mémoire s’effiloche. Son corps est un corps qui tousse,
qui s’essouffle et s’asphyxie. « C’est une toux qui vient de loin. De l’enfance.
A quatre ans, les premières crises apparaissent, l’asthme commence à rythmer
les nuits. »
Il arrive au bout du chemin et il
le sait. « C’est le début de l’été et je sens la mort qui accélère. »
Une dernière fois il se rappelle les cures, les séjours sans fin près du lac de
Côme, les bains de Trieste, les thermes de l’hôpital St Vincent, la maison de
santé du Val d’Aoste… Il se souvient de son père, des premières années à Bracca,
près de Bergame, quand ses parents ont fui l’aridité des terres du sud. Il
pense souvent à Simona, malade comme lui. Simona, morte il y a longtemps déjà. Simona
qu’il a aimé passionnément, avec laquelle il a connu ses premières étreintes :
« Mordre le bas du ventre, les fesses et l’intérieur des cuisses. Entre
deux crises. Ne pas craindre la montée des pulsations du cœur. […] Simona lèche
ma bouche, respire plus vite, frotte son pubis contre mon ventre. Dans le creux
de la nuque, un grain de beauté noir et net. Les mains découvrent le corps dans
ses retraits. Timide et aspiré, j’ai un goût de sang dans la gorge. N’aie pas
peur, n’aie pas peur. »
Je ne sais pas si on peut
qualifier ce texte de roman. A vrai dire je m’en contrefiche. Ce récit bref, au
lyrisme contenu, à l’écriture mélancolique et sensuelle, est une pure
merveille. Sébastien Berlendis est professeur de philosophie à Lyon. J’avoue
que ça aussi je m’en fiche un peu. Ce qui compte, c’est qu’il signe un premier
livre éblouissant de maîtrise. Chaque phrase semble scandée entre deux râles.
Des phrases courtes, hachées, lâchée par un corps au bord de l’asphyxie. Un
corps qui lutte : « je me demande s’il faut mourir le plus tard possible,
si je dois garder la maladie dans mon camp. »
C’est tellement beau que je
pourrais recopier chaque paragraphe. « Dans la chambre du chemin de la
Résistance, je me demande combien de temps ça prend un cœur qui cesse de
battre. Je n’ai pas de nostalgie, je ne souffre pas d’un manque d’enfance et
les bouffées du dehors ne me sautent pas à la gorge. »
Je vous offre pour conclure les
dernières phrases, celles qui m’ont collé des frissons : « Un matin
de brumes de juillet, mon corps au ralenti ne se lève plus. Il reste dans la
nuit. » J’avoue que je ne sais plus quoi dire. Une écriture d’une telle
pureté est rare, elle se déguste, mot après mot. C’est magnifique et triste à
pleurer, c’est juste de la littérature.
Une dernière fois la
nuit de Sébastien Berlendis. Stock, 2013. 92 pages. 12,50 euros.
L'avis (enthousisate) du petit carré jaune et celui (tout aussi enthousiaste) de Noukette.
L'avis (enthousisate) du petit carré jaune et celui (tout aussi enthousiaste) de Noukette.