Lupano et Moreau © Delcourt 2012 |
On se dit au départ que c’est
gros, trop gros. Comment peut-on confondre un singe et un homme ? Tout
simplement en pensant que cet énergumène braillard dont la langue semble si
agressive à l’oreille ne peut être qu’un de ces « fils de chienne
engrossée par le diable déguisé en porc » que l’on trouve sur le sol
français. Après tout, dans ce trou perdu d’Hartlepool, personne n’a jamais vu
un soldat de Napoléon. Lupano s’est inspiré d’une légende toujours
vivace en Angleterre. D’ailleurs la postface nous apprend qu’aujourd’hui encore
les habitants d’Hartlepool continuent d’être la risée du royaume et sont
affublés du sobriquet peu flatteur de monkey hangers, « les pendeurs de
singe ».
Le récit dénonce, en vrac et sans
hiérarchie, l’ignorance crasse, la haine, le nationalisme exacerbé, l’obscurantisme
le plus désolant ou encore l’effet de masse qui transforme des individus en un
groupe d’abrutis (petite dédicace personnelle en passant aux supporters des
équipes de foot que j’adore…). Le tout sans jamais tomber dans un quelconque
didactisme plombant. Parce qu’il faut bien reconnaître que cette histoire sordide
est aussi drôle, surtout grâce à son incroyable galerie de personnages (avec
une mention spéciale pour le vieux cul-de-jatte Patterson), tous plus lourdauds
et ridicules les uns que les autres et à ses savoureux dialogues truffés d’injures
que les rosbeefs adressent aux bouffeurs de grenouilles : « Saleté de
cloporte nourri à la fiente de poule ! Crevure de bouffeur de tripes de
rats ! Sale glaviot de vieux ragondin malade ! Espèce de déjection d’hirondelle
africaine bouffée par les vers ! » L’outrance des propos va de pair
avec la violence sourde de certaines scènes qui peuvent mettre le lecteur mal à
l’aise mais l’équilibre fragile entre le cocasse et l’insoutenable n’est jamais
rompu. Et si le sort du pauvre singe est abominable, le clin d’œil final
apporte un peu de lumière dans cette sombre tragédie.
Graphiquement, le trait nerveux
de Moreau sonne juste et traduit bien les emportements incontrôlés de la
populace, le tout sous un ciel gris délavé typiquement anglais.
Assurément un titre qui me
marquera durablement tant la portée de son message reste malheureusement
universel. Une découverte que je dois à Noukette (rendons à César !) et
que j’ai le plaisir de partager avec Mo’, Lunch et Badelel. Encore une lecture
commune me direz-vous. Et oui, il n’y pas de mal à se faire du bien !
Le singe de Hartlepool de Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau. Delcourt,
2012. 94
pages. 14,95 euros.
Lupano et Moreau © Delcourt 2012 |