samedi 12 janvier 2013

Wilderness de Lance Weller (Gallmeister)

Weller © Gallmeister 2013
Le prologue se déroule en 1965. Dans la petite chambre de sa maison de retraite, Jane Dao-ming Poole est submergée par les souvenirs. La vieille femme, aveugle depuis que ses yeux ont gelé au cours d’un hiver fort lointain alors qu’elle n’était qu’une petite fille, repense à ses trois pères. De son premier, il ne lui reste rien. Elle sait juste qu’il a été tué en même temps que sa mère, dans les montagnes, alors qu’elle avait cinq ans. C’est son second père, Abel Truman, qui l’a secourue et l’a sauvée d’une mort certaine. Le troisième a pris le relais peu après. Glenn Makers l’a adoptée et éduquée au mieux. Lui, l’homme noir marié avec une femme blanche, qui sera retrouvé pendu à une branche de peuplier.

C’est Abel Truman qui est au cœur du roman. Les chapitres alternent entre deux époques. On suit d’une part son parcours en mai 1864, au moment de la terrible bataille de la Wilderness, une des plus sanglantes de la guerre de sécession. Soldat confédéré (sudiste), Abel vit l’horreur absolue pendant plusieurs jours avant d’être recueilli et soigné par une esclave en fuite. Fait prisonnier, il décide à la fin du conflit de rejoindre la côte pacifique, au nord-ouest. On l’y retrouve en 1899, vivant en ermite dans une cabane au bord de la plage avec son chien pour seul compagnon. Malade et fatigué, il décide d’effectuer un dernier voyage au cœur de la forêt. C’est là, après de douloureuses péripéties, que sa route croisera celle de la petite Jane.   

Encore un premier roman américain impressionnant. Quel souffle, quelle maîtrise de la narration ! L’écriture de Lance Weller est très visuelle, riche de bruits et d’odeurs. La longue partie consacrée à la bataille de la Wilderness est d’un réalisme sidérant qui m’a laissé groggy. Du très grand art ! Weller est un peintre subtil de la nature. Il procède par petites touches, entre lumière et crépuscule, s’attardant sur les moindres détails. Il serait toutefois injuste de limiter Wilderness à un simple exercice de Nature Writing. Il y est aussi question de souvenirs déchirants, de convictions ébranlées et de rédemption.    
            
Aussi solidement charpentée qu’ambitieuse, cette épopée à travers l’Amérique sauvage de la seconde moitié du 19ème siècle est une nouvelle pépite dénichée par les éditions Gallmeister. Pour mon premier roman de l’année 2013, je ne pouvais pas rêver mieux !           
  
Wilderness de Lance Weller. Gallmesiter, 2013. 335 pages. 23,60 euros. 

Les avis de Dominique et de Clara


vendredi 11 janvier 2013

Ronde de nuit - Simon Hureau

Hureau © Didier jeunesse 2013
La nuit, tous les chats sont gris. Certes, mais il se passe bien d’autres choses la nuit venue. Une fête dans un immeuble, un train qui passe, des hommes et des femmes sortant du restaurant, un renard qui bondit dans la lumière des phares...

Un superbe album où les illustrations invitent à la contemplation. La nuit est ici présentée comme un moment paisible et agréable. Une période au cours de laquelle l'activité ne s'arrête pas, bien au contraire. Simon Hureau aborde le sujet loin des thématiques angoissantes que l’on retrouve souvent. Point de danger ou de mystère, juste une déambulation sereine. Les illustrations, indépendantes les unes des autres, défilent en même temps que les heures que l’on peut lire sur chaque double page, coté gauche. Une succession de petits tableaux magnifiques où le noir et les différents tons de bleu sont d’une surprenante douceur. Le texte, plutôt poétique, nous emmène dans une délicieuse balade du crépuscule à l’aurore. Pendant que l’adulte lit, l’enfant observe, cherche les détails entre ombre et lumière. Autant d’arrêts sur image dont on se délecte avec la plus grande attention.     
 
Le livre en lui-même, avec sont format à l’italienne et sont épais papier mat, est un fort bel objet. Une lecture apaisante à partager avec un petit bout qui voit arriver la nuit avec appréhension. J’ai beaucoup aimé et ma pépette n°2 aussi. D’ailleurs elle a monté l’album dans sa chambre, sur sa table de chevet. Un signe qui ne trompe pas, il va falloir le relire souvent. Tous n’ont pas cette chance, loin s’en faut !

Ronde de nuit de Simon Hureau. Didier jeunesse, 2012. 36 pages. 13,10 euros. A partir de 4-5 ans.



Hureau © Didier jeunesse 2013

jeudi 10 janvier 2013

Treize alligators - Gaetano Bolan

Bolan © Livre de poche 2012
En voulant faire une blague idiote à son ancien patron, Manuel déclenche une catastrophe. Obligé de quitter en catimini la petite ville d’Arica avec sa famille, il part pour Valparaiso. Sur place, une mauvaise rencontre va plonger ce grand couillon dans un engrenage dévastateur dont il ne sortira pas indemne…

Bon, avouons-le sans détour, je n’ai pas passé un bon moment avec ce roman. Rien ne tient debout. L’histoire est totalement improbable (un mafieux croisé dans les chiottes d’un bar vous confie une mission mettant en jeu des sommes énormissimes alors qu’il vous connait depuis 24 heures. Bien sûr, bien sûr…). Impossible d’y croire une seconde. Quitte à se lancer dans le foutraque et le décousu, autant jouer sur la dérision et l’humour comme le fait Hiassen (je vous en parle bientôt, promis Hélène). Ou alors il faut tomber dans l’hyper réalisme noir et désespéré version Benjamin Whitmer, Eric Miles Williamson ou encore Richard Price. En tout cas on ne peut pas rester dans l’eau tiède. Ici l’écriture est plate, scolaire, sans aucune personnalité. Les dialogues sonnent faux et même le décor ne dégage aucun charme. Heureusement que l’on sait au départ que ça se passe au Chili parce que sinon on aurait du mal à le deviner.  Après je ne veux pas non plus être trop méchant (trop tard me direz-vous^^). Le personnage de Manuel est plutôt bien campé, comme sa nympho de petite amie. Il y a quelques passages assez drôles et les très courts chapitres donnent du rythme. Pour le reste, je ne préfère pas en dire plus…

Désolé Clara, je sais que tu as beaucoup aimé mais je ne te suivrais pas sur ce coup là. Après tout, on peut bien ne pas être d’accord de temps en temps. On m’a soufflé que le premier roman de l’auteur était beaucoup plus réussi. Comme je ne veux pas rester sur une mauvaise impression, je vais m’y mettre de ce pas.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette, même si pour une première on aurait pu mieux tomber. Pas grave, on essaiera de se rattraper la prochaine fois.

Treize alligators de Gaetano Bolan. Le livre de poche, 2012. 135 pages. 5,10 €.

mercredi 9 janvier 2013

Un printemps à Tchernobyl - Emmanuel Lepage

Lepage © Futuropolis 2012
Avril 2008. Emmanuel Lepage arrive en Ukraine, près de Tchernobyl. Accompagné de l’illustrateur Gildas Chasseboeuf, il se rend sur place pour réaliser un reportage sur la vie des survivants et de leurs enfants à l’ombre de la centrale. D’abord terrorisé par les risques de contamination, le dessinateur va finir par appréhender les lieux avec davantage de sérénité et découvrir que, malgré l’horreur de la situation, les habitants résistent et s’organisent.
     
Si le début de l’album est particulièrement anxiogène, les choses basculent peu à peu par la suite. Bien sûr les autochtones vivent dans une misère totale, « abandonnés à leur sort avec l’alcool et la foi comme seuls horizons » mais leur accueil est chaleureux, la joie de vivre reste présente malgré tout et l’entraide n’est pas un vain mot. Lepage va aussi s’apercevoir qu'il n'y a pas à Tchernobyl d’animaux à cinq pattes, que le muguet continue de fleurir et que les champignons (certes radioactifs) poussent toujours aux pieds des arbres. Venu pour dessiner l’horreur, il constate « l’éclatante beauté des lieux. » Dans ce monde dangereux qui « se cache, triche, ment », il veut « trouver des signes tangibles qui disent la tragédie. »  La difficulté pour lui est de retranscrire l’invisible, l’impensable. Dans la zone interdite près de la centrale, il découvre « une terre sans les hommes… et qui s’en passe. […] Une terre d’où les hommes sont exclus, se sont exclus, se sont chassés eux-mêmes. » Venu défier la mort dans un décor de fin du monde il se surprend à constater que la vie, coute que coute, n’a jamais baissé les bras.
 
Le dessin est sublime, envoutant. Le gris délavé des premiers temps laisse peu à peu la place à la lumière et à la couleur. Quelques grandes cases panoramiques, un découpage plus resserré, intimiste, lorsque les scènes se déroulent à l’intérieur des maisons. C’est simple, beau et efficace, rien à dire.
 
La sincérité de la démarche de Lepage est remarquable. Il a su retranscrire l’évolution de ses sentiments au fil de son séjour. Impossible pour lui de nier la beauté de cette nature et de cette humanité toujours debout malgré le désastre. Persuadé dans un premier temps qu’il aura matière à réaliser un implacable témoignage à charge contre le nucléaire, il se retrouve au final à proposer un récit qui, sans nier la réalité et le danger permanent de contamination, fait d’abord et surtout la part belle à l’amitié, à l’espoir et à la solidarité. Chapeau bas pour ce tour de force !
 
Un album qui m’a fait du bien. Par son indéfectible optimisme mais aussi parce que nos petits soucis nous paraissent bien légers à coté de ce qui se passe là-bas. Une évidence qu’il est parfois bon de se rappeler. Merci Mo’ pour ce beau cadeau, tu ne pouvais pas trouver mieux !

Un printemps à Tchernobyl d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2012. 164 pages. 24,50 euros.  


Lepage © Futuropolis 2012











mardi 8 janvier 2013

Gabriel et Gabriel - Pauline Alphen

Alphen ©
 Le livre de poche jeunesse 2011
A onze ans, Gabriel prend l’avion pour la première fois. Seul. Il part pour le Brésil, pays natal de sa mère, passer les vacances dans une famille qu’il ne connaît pas. Sur place, c’est sa marraine qui l’accueille. Gabriel découvre un drôle de pays. Tellement de chaleur, d’humidité… Le soleil semble plus grand, plus blanc et quand il pleut, « les grosses gouttes chaudes s’écrasent sur la peau avec un bruit de balle qui claque. Le ciel gronde et fume, les arbres gémissent et ploient comme s’ils allaient tomber. Et puis, brusquement, la pluie repart comme elle est venue, les arbres s’ébrouent et se redressent, le ciel redevient bleu comme dans une peinture, la terre sent bon, le soleil se dépêche de tout sécher, la vie entière est lavée. » Au Brésil, Gabriel va rencontrer un autre Gabriel, du même âge que lui. Alors que tout semble les opposer, les deux garçons vont devenir amis, jusqu’au jour où la magie va s’en mêler…


Pauline Alphen aura mis 19 ans à rédiger une version définitive de ce texte. Née d’un père français et d’une mère brésilienne (comme son héros), elle a à l’évidence mis beaucoup d’elle-même dans ce court roman fort bien écrit. Jouant avec sensibilité sur le registre de l’amitié et de la différence, elle campe deux enfants attachants en diable.    

L’écriture assez elliptique, les nombreux dialogues et le changement de narrateur (lorsque Gabriel écrit dans son journal à la première personne) pourront rendre le texte difficilement accessible aux faibles lecteurs. De même les mots brésiliens, très fréquents et non traduits, renvoyant au lexique en fin d’ouvrage, cassent parfois le rythme de la lecture et la fluidité de l’ensemble. Mais ces quelques bémols n’empêcheront pas une très grande majorité d’apprécier à sa juste valeur ce récit intimiste et touchant faisant la part belle aux sentiments sans aucune mièvrerie. 

Gabriel et Gabriel de Pauline Alphen. Le livre de poche jeunesse, 2011. 122 pages. 4,90 euros. A partir de 9 ans.

dimanche 6 janvier 2013

Mon premier atlas de la terre

© Tourbillon 2012
Encore une belle découverte des éditions Tourbillon avec ce Premier atlas de la Terre qui fait suite à La maison aux trésors.  Ce n’est pas seulement un atlas mais un ensemble composé de trois parties : d’abord un planisphère géant dépliable, ensuite un livre d’accompagnement présentant 80 animaux, lieux de vie, instruments de musique et moyen de transport continent par continent, enfin une planche d’autocollants à positionner au bon endroit sur le planisphère en fonction des informations trouvées dans le livre d’accompagnement. Une vraie gymnastique interactive et ludique qui oblige à jongler entre les trois supports. Remplir la carte avec application demande un minimum d’attention (pour ne pas mettre la tour Eiffel en Chine ou les pyramides en Russie). Surtout, le petit lecteur apprend plein de choses grâce au livre, puisque dans ce dernier chaque autocollant est illustré par un texte de quelques lignes. Par exemple, ce drôle d’oiseau que l’on colle sur l’Islande est un macareux et quand il pêche, il peut coincer jusqu’à 30 poissons dans son bec ou alors ces habitations de cinq à sept étages au Yemen qui ont plus de mille ans et sont toujours habitées s’appellent des maisons-tours. Pas forcément des infos indispensables mais le fait de ne pas se concentrer sur des éléments économico-démographiques rend les choses abordables pour les petits bouts.
Bref, l’enfant apprend et s’amuse. Avec cet atlas, la Cathédrale Saint-Basile de Moscou, la mosquée d’Ispahan, le Taj Mahal ou encore la statue de la liberté n’auront plus de secrets pour lui. Ma pépette n°2 a passé une bonne heure à placer tous les autocollants et depuis elle y revient régulièrement pour picorer selon ses envies des informations sur tel ou tel continent. L’autre jour j’ai eu droit à « Papa, je savais pas que le Japon c’était en Asie ! » J'ai pensé : ok, le programme de géographie en CE1 n’est pas au point mais au moins cet atlas aura servi à quelque chose.
  
Un beau cadeau pour découvrir le monde en douceur. Testé, approuvé et adoré par le public cible, je ne peux pas vous dire mieux !

Mon premier atlas de la terre de Cécile Jugla, Sandra Laboucarie et Julie Mercier. Tourbillon, 2012. 48 pages. 16,95 euros. A partir de 5 ans.

L'avis de Sophie

extrait du livre d'accompagnement

Un "bout" du planisphère
(avec les autocollants)










samedi 5 janvier 2013

La rousse - Ed McBain

McBain © Gallimard 1996
Je claironne un peu partout sur vos blogs que je ne lis pas de polars, que c’est un genre qui ne me tente pas du tout et me laisse totalement insensible. Ce n’est pas tout à fait vrai. Quelques auteurs (très rares !) trouvent grâce à mes yeux. J’adore Chandler par exemple, mais aussi Chester Himes et surtout Ed McBain. Sa saga du 87ème District fut pour moi une révélation. Mc Bain y a inventé dès 1956 tous les codes propres aux séries policières modernes, notamment en faisant de l’ensemble de la brigade le personnage central des romans et en mêlant constamment vie professionnelle et vie privée des flics qu’il met en scène. Bien sûr, il faut lire plusieurs enquêtes pour comprendre la complexité et la pertinence du projet. Il existe plus de 50 romans consacrés au 87ème District réunis chronologiquement par Omnibus dans une magnifique intégrale en neuf volumes (qui trône fièrement sur les étagères de ma bibliothèque soit dit en passant). Comme il est joliment écrit dans la préface de cette intégrale, l’œuvre explore « ce qui se passe sous la peau des maisons, quand un crime donne l’occasion d’aller y voir de plus près, de sonder les cœurs, les âmes et les esprits, l’âpre grouillement des passions humaines. »     
    
Ce qui caractérise les romans de McBain c’est ce réalisme glaçant décrivant l’ordinaire des inspecteurs de la brigade. L’écriture est magnifique et il y a souvent des passages d’anthologie, notamment lorsque le narrateur décrit en longs paragraphes cette ville d’Isola (sœur jumelle fictive de New York) où se déroule chaque affaire. J’adore le narrateur du 87ème District. Totalement omniscient, il nous balade des flics aux délinquants avec une musique bien à lui, oscillant entre humour noir, cynisme désabusé et description clinique des crimes les plus atroces. Tout cela avec une distance et un détachement qui rendent son propos absolument délicieux. Les dialogues sont l’autre gros point fort de la série. Fluides, pertinents, faisant de chaque interrogatoire un morceau de bravoure plus vrai que nature.    
      
La rousse (1968) est un roman un peu part dans la saga puisqu’il fait partie des cinq titres qui composent le feuilleton à rebondissement consacré au Sourd, un criminel insaisissable qui met toute la brigade sur les dents en imaginant des plans machiavéliques et toujours très meurtriers. Pas le meilleur, loin de là, mais puisque je lis les épisode dans l’ordre (La rousse est le 24ème) je ne pouvais pas faire l’impasse. Il y est question de lettres anonymes, de demandes de rançon, de menaces de mort sur le personnel municipal et de la mise à exécution de ces menaces. Comme toujours, plusieurs affaires se croisent et pendant que ses collègues se focalisent sur le Sourd, l’inspecteur Carella tente d’attraper des ados qui s’amusent à bruler des clochards cuvant sur les trottoirs. Au final rien de bien passionnant je dois l’avouer. Pour autant, c’est toujours avec le même plaisir que je retrouve les flics d’Isola et cette ambiance propre au 87ème District. Il me reste une trentaine de romans à découvrir avant de les quitter définitivement. De bien belles lectures en perspective…  

         
La rousse d’Ed McBain. Gallimard, 1996. 294 pages. 7,80 euros. 

vendredi 4 janvier 2013

Le guide du mauvais père - Guy Delisle

Delisle © Delcourt 2012
- Papa ! C’est quoi la pénétration ?
- La pénétration c’est quand le monsieur est sexuellement excité et que son pénis devient tout dur. Ça s’appelle une érection. Ensuite le monsieur fait entrer son pénis dans le vagin de la madame. C’est ça qu’on appelle la pénétration.
- Mais moi je parlais dans Zelda...

On a tous connu ces grands moments de solitude avec nos enfants. Guy Delisle déroule ainsi quelques anecdotes sur la façon dont il vit sa paternité. Un mauvais père ? En aucun cas. Juste un papa maladroit, gaffeur et pas toujours très attentif à sa progéniture. Un père normal, quoi. Je me suis retrouvé dans certaines situations. Oublier de faire passer la souris et voir le petit bout tout penaud le lendemain matin sa dent à la main ça nous est arrivé il y a peu. Pareil quand il emmène sa fille à la piscine, promet qu’il va la regarder et file à la cafète boire un coup pour revenir deux minutes avant la fin du cours, j’ai fait ça aussi. Et ces discussions sur Pâques, du genre, "comment c’est possible qu’un lapin géant saute par-dessus la clôture avec son panier rempli d’œufs en chocolat" et nous qui tentons juste de noyer le poisson en constatant que ce bambin, malgré son âge, il cogite déjà drôlement et qu’il va être de plus en plus en plus difficile de le rouler dans la farine. Après il y a des choses plus spécifiques à la vie du dessinateur, comme quand sa fille lui amène un dessin fait pour lui et qu’il analyse la chose avec l’œil du pro : « J’te le dis franco, c’est pas avec ça que tu risques de ramener un Fauve d’or à la maison. »

Il fallait forcément m’offrir cette BD en ce moment. Le cadeau tout trouvé qui fait bien marrer. Le pire c’est que c’est vrai, je me suis bien marré. Il n’y a que le titre que je trouve franchement mauvais (c’est du marketing diront les pros du commerce). C’est tout sauf un guide et ce n’est en aucun cas le portrait d’un mauvais père. Où alors nous le sommes tous. Des papa-poules raides dingues de leurs têtes blondes qui sacrifient tout pour eux et ne font jamais la moindre erreur en matière d’éducation, j’en connais pas beaucoup et je suis certain de ne jamais le devenir. Suis-je pour autant un mauvais père ? J’ai pas l’impression. Tant que je suis là pour leur donner la main en sortant de l’école, leur faire un câlin dès que l’envie s’en fait sentir, leur offrir des tas de bouquins et leur tenir les cheveux au-dessus de la cuvette à 4 heures du mat pendant qu’elles vomissent comme ce fut le cas la nuit dernière (la gastro cartonne sévère cette année en Picardie, c’est une réalité !), je me dis que je ne m’en tire pas si mal. Vous allez sans doute me rétorquer que je n’ai pas non plus d’ambitions démesurées. Certes, mais rassures-toi ma petite pépette à venir très bientôt, tu aurais pu tomber plus mal...

En tout cas Le guide du mauvais père est une bonne BD d’humour. Ça se lit peut-être un peu vite mais c’est vraiment drôle, n’est-ce pas là le principal ?

Le guide du mauvais père de Guy Delisle. Delcourt, 2012. 190 pages. 9,95 euros.





jeudi 3 janvier 2013

Je sauve le monde dès que je m’ennuie - Guillaume Guéraud

Guéraud © Rouergue 2012
Je souhaite cette année davantage parler de littérature jeunesse sur ce blog. Jusqu’alors je me contentais des albums pour les plus petits. Tous les romans jeunesse que je lis, notamment pour les 9-12 ans, étaient présentés sur Lire pour le plaisir, un site que j’ai créé il y a quelques années. Or depuis peu une chroniqueuse épatante (cherchez pas elle n’a pas de blog^^) m’a rejoint pour m’épauler et assurer une grande partie de l’animation du site. Du coup, maintenant, quand je lirai un ouvrage au départ destiné à Lire pour le plaisir, j’en parlerai ici et elle fera le billet de l’autre coté (je me garde quand même le billet BD du mercredi, faut pas pousser !). Ça offrira plus de visibilité aux différents titres et les points de vue pourront diverger. Tout ça pour vous dire qu’il va y avoir plein de littérature jeunesse dans le coin en 2013 !

Allez, on commence dès aujourd’hui avec le dernier roman de Guillaume Guéraud, auteur du célèbre et controversé Je ne mourrai pas gibier, rencontré quelques minutes à Montreuil début décembre (merci Noukette !).

« Eugène est incapable de se concentrer. »
« Eugène est incapable de supporter les contraintes. »
« Eugène est incapable de faire des efforts pour modifier son comportement. »
C’est Mme Charbonneau, la maîtresse, qui l’écrit dans son dossier. Il n’y peut rien, Eugène, s’il préfère rêver à de folles aventures plutôt que d’écouter ses cours. Voyager avec Jack Sparrow, Naruto ou Spiderman, c’est quand même autre chose que de se coltiner les tables de multiplication. En classe, « il faut écouter. Il faut apprendre. Il faut réciter. Tu parles d’une aventure. » Eugène est un rêveur, un point c’est tout. Dès qu’il ferme les yeux, son imaginaire l’emporte dans des contrées lointaines et fait de lui un héros sauvant la veuve et l’orphelin. Forcément, ses parents s’inquiètent. La meilleure solution ? Prendre rendez-vous chez le « pédopsy comportementaliste »…

Un joli petit texte sur le pouvoir de l’imagination propre à l’enfance. Guéraud en profite en passant pour se payer ces parents persuadés qu’il vaut mieux se frotter à la dure réalité dès ses plus jeunes années plutôt que de rêvasser et qui, à la moindre supposée alerte « comportementale », se ruent chez un spécialiste à priori seul capable de régler le problème.

Plaidoyer plutôt drôle pour le droit de rêver et le besoin de s’évader, Je sauve le monde dès que je m’ennuie est un petit roman sans prétention et très facile à lire qui m’a fait passer un bon moment. Peut-être à réserver davantage aux garçons dès 8 ans, même si les filles éprises de grandes aventures pourront aussi y trouver leur compte.

Je sauve le monde dès que je m’ennuie de Guillaume Guéraud (ill. M. Romero). Rouergue, 2012. 84 pages. 7 euros. A partir de 8 ans.


Ce billet signe ma première participation au challenge
Cartable et tableau noir de George


mercredi 2 janvier 2013

La guerre du feu 1 : Dans la nuit des âges - Emmanuel Roudier d'après le roman de J-H Rosny Aîné


Roudier © Delcourt 2012
Les Oulhamr viennent de perdre le feu. Une catastrophe en ces temps reculés où ce don du ciel constituait le seul véritable protecteur face au vaste monde : « il rassurait la horde dans les forêts tremblantes, sur la steppe interminable, au fond des cavernes. C’était le père, le gardien, le sauveur. » Pour le retrouver, le chef de la tribu propose la main de sa fille, la belle Gammla, à celui qui parviendra à le récupérer. Naoh, le fils du Léopard, offre ses services : « qu’on me donne deux hommes aux jambes rapides, et Naoh ira prendre le feu chez les fils du mammouth ou chez les dévoreurs d’hommes qui chassent au bord du double-fleuve. » Accompagné de Gaw et de Nam, le fier guerrier se lance dans une quête où le danger le guettera à chaque pas...

Emmanuel Roudier propose ici une adaptation la plus fidèle possible du roman de J-H Rosny Aîné. Contrairement au film de Jean-Jacques Annaud, il restitue les dialogues du texte d’origine. Les personnages parlent d’eux-mêmes à la troisième personne dans un langage plutôt châtié, ce qui peu de prime abord surprendre, mais finalement on s’y fait assez vite. Ce premier volume relate le tout début de la quête et s’arrête au moment où Naoh et ses condisciples retrouvent la trace des hommes qui possèdent le feu. Un tome d’introduction qui permet de poser les bases de l’univers dans lequel les Oulhamr évoluent, un environnement d’une grande sauvagerie où les hominidés et les animaux étaient encore sur un pied d’égalité. Le lecteur découvre ainsi un bestiaire effrayant allant de l’auroch au mammouth en passant par les tigres, les lions et l’ours gris. Une lutte à mort quasi perpétuelle entre ces espèces restituée avec un réalisme à couper le souffle. Tout tient dans cette tension permanente, cette existence rythmée par la peur, la faim et le froid, comme si les êtres vivants, quels qu’ils soient, étaient embarqués dans une même galère où seuls les plus forts pourront s’en sortir. Face à un monde tellement hostile, on se demande comment l’homme a pu survivre.

Le dessin de Roudier est éblouissant. Jouant du cadrage pour étirer les cases dans de magnifiques panoramiques, il étale sur des doubles pages des combats titanesques tenant quasiment de la fresque. Et que dire de la couleur ? Moi qui suis d’habitude un fervent défenseur du noir et blanc, je dois bien reconnaître que le travail de Champelovier sur les couleurs donne une autre dimension aux décors lumineux ou crépusculaires qui jalonnent l’album. Graphiquement, c’est du très grand art.

Laissons le dernier mot à l’auteur, il résume mieux que quiconque l’essence même de cet album : « Ce premier tome est une ode à la nature sauvage, dangereuse et fascinante, peuplée de fauves et de colosses. » Une somptueuse adaptation, vraiment, même s’il faudra attendre le second volume pour que l’histoire se lance pour de bon.


La guerre du feu T1 : Dans la nuit des âges, de Roudier et Champelovier. Delcourt, 2012. 56 pages. 14,30 euros.

Un grand merci à Babelio et aux éditions Delcourt pour la découverte


Roudier © Delcourt 2012