samedi 22 décembre 2012

Un temps à s’ouvrir les veines

Marre de ce temps de m****. C’est Noël et il fait 15 degrés. C’est Noël et il pleut des seaux d’eau à longueur de journée. C’est Noël et on se croirait encore à la Toussaint.  Quand je regarde par la fenêtre je pense au titre d’un recueil de poèmes publié par André Laude en 1979 : Un temps à s’ouvrir les veines. Je vous rassure j’en suis pas là mais j’aime beaucoup ce titre. Il y a tant de mélancolie dans la poésie d’André Laude. J’en ai déjà longuement parlé au moment du printemps des poètes.

J’en remets juste une couche pour offrir une petite fenêtre à ce poète aujourd'hui disparu et tombé dans le plus total anonymat :

J’ai vu l’homme couché dans son manteau de nuit
J’ai vu la femme humiliée
et l’enfant assis sur un tas d’ordures
j’ai vu flamber l’orient
craquer les méridiens et tituber les aubes
j’ai vu l’amante déchirer douloureusement sa robe
j’ai vu le père se taire auprès des cendres du foyer
j’ai vu l’amour bafoué l’espoir insulté l’avenir mis aux fers
je n’ai jamais renoncé à la lumière
au feu sur la terre

J’aime bien aussi celui-là, encore plus désespéré :

La nuit il m’arrive de ramper jusqu’à ta chair détestable
de frotter mon sexe à la peau sèche de ton ventre
de murmurer des mots qui n’ont plus aucun sens
de te promettre des escales sauvages au pays des ivoires noirs
La nuit il m’arrive de croire à quelque paradis
j’étouffe sur mes lèvres le cri des origines
je mords tes seins mes dix doigts dénouent ta chevelure de fée
mon sang tremble à l’orée de tes narines
Mêlés comme des forçats aux vêtements de bure rêche
nous nous imaginons montant vers des soleils baoulés
nous nous imaginons vainqueurs de cette orgie de plaies
L’aurore nous rend à l’horreur du temps qu’il fait

A part le temps, il y a autre chose qui m’énerve beaucoup en ce moment, c’est toute cette musique de m**** que mes filles écoutent à longueur de journée. Je ne citerais pas de nom mais il y a entre autres un chanteur coréen qui me sort par les yeux. Il y a aussi le Justin Bieber suisse qui reprend le Hallelujah de Léonard Cohen. J’en peux plus ! Si au moins elles écoutaient la version de Jeff Buckley. J’ai bien essayé de les éduquer comme il faut musicalement parlant mais il n’y rien à faire. Dès que je mets un vieux Fleetwood Mac ou un AC/DC période Bon Scott, elles prennent un air dégoutté. J’ai bien essayé de durcir le ton avec RATM, Biohazard ou Metallica mais c’est encore pire (en même temps fallait s’en douter ). Question de génération évidemment. Pourtant quand j’étais gamin et que ma mère écoutait Claude François en boucle, j’aimais bien.

Voila un billet un peu fourre tout sans grand intérêt, je vous le concède. Mais bon, je suis chez moi je fais ce que je veux^^

Pour revenir à Jeff Buckley, je vous offre une version très énervée du Kick out the Jam des MC5 enregistrée à l’Olympia en 1995. Exactement la musique qu'il me faut en ce moment… 



vendredi 21 décembre 2012

Petit Inuit et les deux questions

 Cali et Quarello © Sarbacane 2012
« Petit Inuit voulait savoir deux choses. Il voulait savoir… s’il allait devenir un grand chasseur… Et aussi, ce qu’il y a de l’autre coté du grand lac glacé. » Pour trouver la réponse à ces questions, Petit Inuit interrogea successivement le lièvre, le renard, la chouette, le morse et la baleine. En vain. Le cétacé dit à l’enfant que seul le grand élan blanc vivant sur une île au milieu du lac connaissait tout sur tout le monde. Alors, n’écoutant que son courage, Petit Inuit monta sur le nez de la baleine et glissa vers l’île…

Une histoire qui commence comme un classique récit en randonnée (à chaque page une nouvelle rencontre et toujours les mêmes questions) mais qui se termine sur une note plus philosophique, notamment par rapport au destin et à l’avenir : « Les ombres de l’avenir ne laissent pas d’empreintes sur la neige […]. C’est toi qui imprimes le chemin. Tu peux aller où tu veux et devenir ce que tu veux » dit l’élan au jeune garçon.

Un texte simple et intelligent qui pousse le petit lecteur à la réflexion. Chaque illustration pleine page de Maurizio Quarello est un magnifique petit tableau aux couleurs extrêmement travaillées. A noter par ailleurs que le format à l’italienne offre des scènes panoramiques du plus bel effet. Un album superbe dont la lecture à voix haute ne pourra que fasciner l’auditoire, quel qu’il soit, j'en mets ma main à couper.


Petit Inuit et les deux questions de Davide Cali et Maurizio Quarello. Sarbacane, 2012. 32 pages. 15,50 euros. A partir de 4-5 ans.


 Cali et Quarello © Sarbacane 2012

jeudi 20 décembre 2012

Bons baisers (ratés) de Paris

Cali et Rouquette © Gulf Stream 2012
Une demoiselle invite un jeune homme à la retrouver à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris. Et il imagine qu’elle va l’embrasser…  A l’aéroport ? Non, pas assez romantique…  Dans le RER ? Non, pas assez romantique non plus… Place de la Bastille, alors ? Mais elle a mieux à faire… Et pourquoi pas devant Notre-Dame… Ou bien derrière ? Trop banal, sans doute ! La Tour Eiffel ? Trop de vent, à coup sûr. Rien non plus en traversant le Jardin des Tuileries à la fin du jour, ni sous la pyramide du Louvre. Pas plus au Père Lachaise, ni dans le Quartier latin… Aucun des lieux mythiques traversés par cet amoureux dans l’attente d’une marque d’affection ne semble inspirer la dame… Mais bien évidemment ! Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? C’est certainement sur un bateau mouche qu’elle se serait laissé tenter par un baiser langoureux. Seulement voilà, il est trop tard… Elle est partie.

Tous les grands lieux parisiens ou presque sont ici visités. Chaque illustration se présente comme un jeu où les petits s’amuseront à chercher  notre amoureux et sa douce amie. Un livre à lire avant une promenade dans la capitale. Les enfants seront ravis de traverser les lieux où notre héros a vainement attendu que sa dulcinée l’embrasse. Et, si c’est raté à Paris, peut-être aura-t-il plus de chance à Venise, ou bien à New-York (deux titres à paraître dans la même collection).

Voici donc revisité le concept du guide touristique, façon carte du tendre des temps modernes… pour enfants. A noter sur les pages de garde finales un plan de la capitale permettant de localiser en un coup d’œil tous les endroits visités par nos tourtereaux.

Bons baisers ratés de Paris de Davide Cali et Anne Rouquette. Gulf Stream éditeur, 2012. 36 pages. 19,50 Euros. A partir de 5 ans. 

Cali et Rouquette © Gulf Stream 2012

mercredi 19 décembre 2012

Joe l’aventure intérieure - Grant Morrison et Sean Murphy

Morrison et Murphye
© Urban comics 2012
Joe a perdu son père à la guerre. Ado solitaire, atteint par un sévère diabète, il vit avec sa mère. Un soir en rentrant chez lui, il est foudroyé par une crise d’hypoglycémie. Le chemin le menant de sa chambre au frigo, où se trouve la canette de soda qui pourra le remettre sur pieds, va se transformer en parcours du combattant. En proie à des hallucinations, Joe devient dans son monde parallèle « l’enfant-qui-meurt » tandis que son rat domestique se transforme en samouraï protecteur prêt à affronter les armées des ténèbres.  

220 pages racontant le trajet effectué par un gamin insulino-dépendant entre sa chambre et son frigidaire, il fallait oser. Le cerveau en manque de sucre de Joe créé un univers d’héroïc-fantasy  violent et crépusculaire. Régulièrement, le lecteur revient dans la maison près de l’enfant malade avant d’être à nouveau projeté en plein délire. Cette alternance dans la narration n’est pas du tout perturbante, elle renforce le coté halluciné et désespéré de la quête de Joe.

Le trait de Sean Murphy est incroyable de vivacité et de précision. Certaines scènes de combat sont absolument bluffantes. Le découpage est un modèle du genre, à montrer dans les écoles. Seules les couleurs sont fades et sans grand intérêt, malheureusement comme souvent dans les comics (ok, j’avoue, je préférerais toujours le noir et blanc à la couleur, que voulez-vous, on ne se refait pas).  
  
Un one shot qui a vraiment tout pour plaire et pourtant je suis passé complètement à coté. L’univers parallèle est riche mais ne repose sur aucune fondation solide (rien de plus normal me direz-vous puisqu’il est issu d’une sorte de cauchemar incontrôlable). Du coup, je suis resté très éloigné des différentes péripéties, comme si je regardais tout cela de loin sans m’y intéresser le moins du monde. J’enrage parce qu’à lire les avis ici ou là, tous plus positifs les uns que les autres, je voudrais me persuader que cet album est un petit bijou d’intelligence à la construction imparable. Rien à faire, je n’y parviens pas. Je n’aime pas cette sensation d’avoir raté quelque chose, d’avoir manqué la finesse de l’analyse psychanalytique qui fait de ce récit une parabole sur les difficultés de l’adolescence, ce moment clé où l’on préfère parfois se réfugier dans des mondes imaginaires plutôt que d’affronter la dure réalité. Bref, je ressors insatisfait de cette lecture, en colère contre l’indifférence qui ne m’a pas lâché de la première à la dernière page. Un vrai gros raté.

Joe : L’aventure intérieure de Grant Morrison et Sean Murphy. Urban Comics, 2012. 224 pages. 19 euros.  

Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Mo’. Je suis certain qu’elle a su apprécier cet album à sa juste valeur.



Morrison et Murphye  © Urban comics 2012




mardi 18 décembre 2012

La maison aux trésors : les petits secrets d'une maison d'autrefois - Jemima Pipe et Maria Taylor

Pipe et Taylor  © Tourbillon 2012
Un livre idéal pour ma pépette n°2 (7 ans). Pensez donc, une demeure d’autrefois avec 150 volets à soulever. Pièce par pièce, on explore la maison des Sullivan, une riche famille anglaise vivant à la fin du 19ème siècle. Un univers girly à souhait dans un décor digne d’une maison de poupée rétro, impossible qu’elle n’apprécie pas. Pas manqué, elle s’est jetée dessus et a consciencieusement ouvert tous les volets un par un. A la fin je lui demande : « Alors, c’est quoi l’histoire ? ». Et elle de me répondre : « J’en sais rien j’ai pas lu. » Pas grave, je me dis que l’on y reviendra tranquillement ensemble plus tard.

En fait, la grosse surprise, c’est qu’une heure après, j’ai retrouvé ma pépette n°1 (10 ans) plongée dans l’ouvrage. A priori, pas de son âge, surtout si sa sœur à aimé. Mais bon, la petite n’étant plus dans la pièce, elle en a profité pour y jeter un œil ni vu ni connu. Très méthodique, elle a fait les choses dans l’ordre, commençant par le mini-sommaire qui donne les consignes expliquant comment exploiter les nombreuses possibilités offertes. Par exemple, dans chaque pièce il faut retrouver deux objets qui n’auraient pas pu exister à l’époque. Il y a aussi un trésor perdu bien caché et de mystérieux bruits dont il faut deviner la source. Le paramètre ludique est donc important, au moins autant que les nombreuses informations historiques distillées au fil des pages. Pourquoi ne se lavait-on qu’une fois par semaine ? Pourquoi la cuisine est pleine de suie ? C’est quoi ces mansardes où vit le petit personnel ? Etc. Elle a littéralement dévoré l’ensemble avec un plaisir évident, heureuse de découvrir un univers et une époque qu’elle ne connaissait pas vraiment. Le déclic, quoi. C’est décidé, je lui propose d’ici peu un roman jeunesse victorien et dans six mois elle attaque Les Hauts de Hurlevent (on peut rêver non ?).

En tout cas, cette maison au trésor ferait un beau cadeau au pied du sapin. Les illustrations un poil vintage collent parfaitement à l’ambiance et c’est un vrai plaisir de découvrir la minutie avec laquelle chaque pièce est décrite. Typiquement le genre d’ouvrage qui ne demande qu’à être manipulé des dizaines et des dizaines de fois. Posez-le sur une table dans un coin du salon et vous pouvez être certain que chaque enfant qui passera devant va s’arrêter pour le feuilleter. Une bien belle découverte que je dois à Pauline et aux éditions Tourbillon. En plus, il y avait un autre livre dans l’enveloppe qui a lui aussi été très apprécié. Je vous en parle bientôt…

La maison aux trésors de Jemina Pipe (ill. Maria Taylor). Tourbillon, 2012. 24 pages. 18,95 euros. A partir de 7 ans.


Pipe et Taylor  © Tourbillon 2012



lundi 17 décembre 2012

Tagué par Philisine Cave

C’est la saison des tags on dirait. Après celui de Soukee, me voila à nouveau tagué par Philisine Cave. Beaucoup de questions mais qui appellent des réponses rapides. Du coup, je me suis laissé tenter. Allez zou…


1) Es-tu un acheteur compulsif de livres ? Oui, un vrai de vrai. BD, roman, littérature jeunesse, album pour les petits, c’est infernal. Heureusement qu’il y a la médiathèque et depuis peu je sollicite directement les éditeurs. Quand un titre me plait je leur demande s’il est possible de me le faire parvenir en service de presse. Ça ne fonctionne pas à tous les coups loin de là, mais j’ai quand même pu récupérer par ce biais une cinquantaine de livres cette année.

2) À quelle fréquence achètes-tu tes livres ? Pas une semaine sans que j’achète un livre.

3) As-tu une librairie favorite ? J’avais une librairie favorite mais elle a fermé il y a un mois. J’habite dans une ville préfecture de 60 000 habitants qui n’a plus de librairie. C’est un cauchemar pour moi (et surtout pour les 18 salariés restés sur le carreau). Je vais devoir me résoudre à commander en ligne, ce qui me déplait fortement. Heureusement que je vais régulièrement sur Amiens où je retrouve ma librairie BD favorite, Bulles en stock.

4) Fais-tu tes achats livresques seul ou accompagné ? En général je suis seul, sauf quand mes filles sont avec moi, ce qui alourdit sérieusement l’addition.  

5) Librairie ou achats sur le net ? Malheureusement, les achats sur le net vont devenir mon quotidien.

6) Vers quels types de livres te tournes-tu en premier ? Romans, nouvelles et BD sont mes priorités. Les romans jeunesse et les albums pour les plus petits font aussi partie des publications qui m’intéressent aussi beaucoup. Jamais de beaux livres, d’ouvrages pratiques, d’essais, de biographies ou de poésie. Pas du tout mon truc. Ah oui, il m’arrive aussi de me tourner vers quelques lectures inavouables, mais c’est une autre histoire…  

7) Préfères-tu les livres d’occasion, neufs, ou les deux ? Les deux : j’achète beaucoup d‘occasion en brocante. Pour les nouveautés, c’est toujours en neuf car j’aime les avoir dès qu’elles paraissent.

8) Qu’aimes-tu dans le shopping livresque ? La déambulation dans un endroit où je me sens bien, parfaitement à l’aise, serein.

9) Te fixes-tu une limite d’achats par mois ? Non, c’est très variable d’un mois à l’autre. Septembre/octobre sont des mois en général très chargé à cause de la rentrée littéraire mais sinon tout dépend de mes envies.

10) À combien s’élève ta wish-list ? Je n’ai pas vraiment de wish-list. Je n’aime pas reporter un achat en me disant « ce sera pour plus tard ». Si un livre me fait envie, il me le faut tout de suite (un vrai gosse !).

11) Cite trois livres que tu veux TOUT DE SUITE ! Je suis dans des envies BD en ce moment. Je veux donc tout de suite La jeunesse de Picsou, Le singe de Hartlepool et l’intégrale Pim Pam Poum qui vient de sortir chez Michel Lafon. Je dis tout suite mais ça peut attendre le 25 décembre^^

12) Précommandes-tu tes livres ? Jamais, ça ne me viendrait pas à l’idée.

13) Pourquoi un tel pseudo/nom de blog ? Ben déjà le pseudo n’en est pas un puisque je m’appelle vraiment Jérôme. Après, le titre du blog est tiré d’un livre de Michel Ragon, un auteur que j’apprécie particulièrement. Il me semblait correspondre le mieux au lecteur que je suis, capable de passer du manga au roman, de la BD aux nouvelles ou encore du livre érotique à l’album pour enfants. J’aime naviguer d’une berge à l’autre avec les livres, ne jamais me laisser enfermer dans un genre.

14) Parle-nous de ton prof préféré. Sans hésitation je citerai Jacqueline Levi-Valensi, doyenne de la fac de lettres d’Amiens jusqu’en 1997. Elle était une des plus grandes spécialistes de Camus et avoir étudié avec elle L’étranger en maîtrise de Lettres modernes restera un souvenir incroyable.

15) Quel est ton endroit préféré au monde ? J’aime beaucoup la Camargue. Difficile de dire pourquoi, je me sens toujours merveilleusement bien lorsque je mets les pieds dans cette région.

16) Parle-nous de ton premier concert ! Aucun souvenir de mon premier concert. Celui qui m’a le plus marqué est celui de Guns n’roses à Vincennes en 1992. Pas par sa qualité mais pour l’ambiance de folie qu’il y avait ce jour là dans le public.
  
17) Un endroit que tu aimerais visiter ? J’aimerais beaucoup visiter New York. Je suis déjà allé aux États-Unis, mais c’était au Texas. La côte Est m’attire davantage.

18) Parle-nous de quelque chose qui te rend complètement fou en ce moment ! Rien de spécial. Bébé arrive bientôt, il y a plein de choses à gérer, beaucoup de paperasse, des tas de trucs à acheter, une place en crèche à trouver… mais on vit ça de manière plutôt zen, ça m’étonne beaucoup. Plus dure sera la chute…

19) Si tu pouvais posséder instantanément quelque chose, rien qu’en claquant des doigts, ce serait quoi ? Une pièce gigantesque tapissée de bibliothèques dans laquelle je pourrais jusqu’à la fin de mes jours ranger tous mes livres, ceux que je possède déjà et ceux à venir.

20) Qui tagues-tu ? Personne en particulier. Mais si quelqu’un est tenté, qu’il n’hésite pas.





samedi 15 décembre 2012

Le chanteur de gospel d’Harry Crews

Crews © Folio 2009
A Enigma, au fin fond de la Géorgie, on attend avec une impatience non dissimulée le retour de l’enfant prodigue. Né dans la bourgade, le chanteur de Gospel est devenu une star adulée dans tout le pays. A chacune de ses apparitions sur scène, le public est transporté par sa voix d’ange. Une idole qui retourne chez elle le temps d’un revival en plein champ, sous un chapiteau géant. Une idole qui va chanter pour Mary Bell, la plus jolie fille du coin,  violée et poignardée plus de soixante fois avec un pic à glace. Une idole qui, si elle savait ce qui l’attend, aurait pris ses jambes à son cou…
      
Premier ouvrage d’Harry Crews publié en 1968, Le chanteur de Gospel est un roman aux incontestables accents faulknériens. Reconnu comme l’un des chefs de file du Southern gothic (un mouvement littéraire combinant une atmosphère gothique avec des éléments culturels propres au sud profond), Crews, né en 1935 (et décédé le 28 mars 2012), a été élevé à la dure et s'est engagé à dix-sept ans dans les Marines. Il fera de la prison, sera tabassé par un Indien unijambiste et ne cessera de croiser des destins hors du commun, notamment en partageant pendant un long moment la vie d’une de ces foires aux monstres qui ont longtemps sillonné les États-Unis jusqu’au milieu du 20e siècle. Abandonnant femme et enfant pour se retirer dans une cabane au bord d’un lac, c’est dans ce décor d’ascète, stimulé par la drogue et l’alcool, qu’il débutera sa carrière d’écrivain. Un écrivain totalement atypique, souvent féroce avec les gens normaux et tendre avec les « freaks » qui peuplent chacun de ses textes.

Ce que j’en ai pensé ? Un vrai régal. Tout ce que j’aime, cette ambiance totalement barrée, ces personnages mal dégrossis, ces dialogues saupoudrés d’argot local et cette tension qui monte crescendo jusqu’au final cataclysmique. Une Amérique de bleds paumés peuplés de rednecks, hantée par la misère, la déchéance et des croyances populaires aussi saugrenues qu’indéracinables. Une Amérique perpétuellement en quête de rédemption, prompte à sombrer en quelques instants dans la plus abominable des sauvageries. Il y a peut-être quelques longueurs et un certain déséquilibre entre une mise en route assez laborieuse et une fin que l’on dévore avec le plus grand plaisir, mais ce n’est après tout qu’un premier roman.
     
J’ai du mal à comprendre pourquoi ce texte se retrouve en Folio policier. Il n’a strictement rien d’un polar. Le chanteur de Gospel est un roman inclassable qui a à l’évidence influencé nombre d’auteurs contemporains tels que Joe R. Lansdale ou William Gay. Quoi qu’il en soit, Harry Crews fait une entrée fracassante dans ma bibliothèque. J’ai déjà prévu de continuer ma découverte de cet auteur avec La foire aux serpents. Tout un programme !


Le chanteur de gospel d’Harry Crews. Folio, 2009. 306 pages. 6,50 euros. 




vendredi 14 décembre 2012

Mes cheveux fous de Neil Gaiman et Dave Mc Kean

Gaiman et Mc Kean
© Le Diable Vauvert 2012
Bonnie découvre un monsieur à l’incroyable chevelure. Ce dernier lui explique : « Vous savez, ces cheveux sont tout ce que j’ai, depuis mes deux ans ils ont poussé. » A tel point qu’aujourd’hui on y trouve des oiseaux, des tigres, des explorateurs en mission, des montgolfières, des manèges ou encore des pirates. Et quand Bonnie sort un peigne de sa poche pour tenter de domestiquer ces cheveux fous, un grondement retentit…

Neil Gaiman et Dave Mc Kean, quel duo ! Depuis près de 25 ans, ces deux-là ont commis ensemble quelques ouvrages remarquables comme Le jour où j’ai échangé mon père contre deux poissons rouges ou encore Signal-bruit. Gaiman est aussi l’auteur du cultissime Sandman tandis que Mc Kean a réalisé un des Batman les plus torturés (L’asile d’Arkham) et a illustré un roman graphique jeunesse époustouflant (Le sauvage sur un texte de David Almond). Bref, on a affaire ici à du lourd, aucun doute là-dessus. Avec Mes cheveux fous ils nous embarquent dans un voyage onirique haut en couleur. Le texte oscille entre la comptine et une forme de poésie plus libre tandis que l’univers graphique est proprement enivrant. Chaque double page est un petit tableau. Collage, dessin, peinture, Mc Kean compose une œuvre digne d’un plasticien. Son travail sur les textures et le mouvement est juste bluffant. Ajoutez-y des couleurs incroyables et vous vous retrouvez face à un petit bijou d’illustration.  

Même si l’ouvrage est catalogué jeunesse, pas sûr que les enfants soient les plus à même d’apprécier cet album qui puise sa source dans les contes victoriens et chez Lewis Carroll. Peu importe. C’est beau, c’est poétique et ça fait rêver. Le reste…
 
  
Mes cheveux fous de Neil Gaiman et Dave Mc Kean. Au Diable Vauvert, 2012. 46 pages. 18 euros. A partir de 5-6 ans

Un grand merci à Babelio et Au Diable Vauvert pour la découverte


Gaiman et Mc Kean © Le Diable Vauvert 2012

mercredi 12 décembre 2012

Tagué par Soukee

Un tag des livres proposé par Soukee auquel je réponds avec plaisir même si je ne suis en général pas très à l'aise dans cet exercice. Allez, je me lance...

Un livre qui t’a marqué ?

C’est le livre qui a tout déclenché pour moi. Ce n’est sans doute pas un chef d’œuvre, loin de là, mais ce recueil de nouvelles m’a ouvert à la lecture. Sur le tard, puisque j’avais 18 ans et à l’époque je tenais davantage du branleur que du lecteur. Il a suffi que ce livre et cet auteur entre dans ma vie pour tout transformer. Alors oui, on peut dire qu’il m’a marqué, et pas qu’un peu.

Mais je pourrais en citer quelques autres : Septentrion de Calaferte, Last exit to Brooklyn de Selby, La conjuration des imbéciles de JK Toole ou encore mon premier John Fante.

Qui ne t'a pas plu ?

Comme ça, sans trop réfléchir, le premier qui me vient à l’esprit c’est A la pointe de l’épée. Un vrai navet, rarement lu un truc aussi mauvais.

Qui est dans ta PAL ?


Euh, comment dire, le choix est vaste tant ma Pal est conséquente. Allez, si je ne devais en choisir qu’un, ce serait ce recueil de nouvelles. Je suis dans un gros trip « littérature irlandaise » en ce moment (la faute à Claire Keegan) et j’ai très envie de lire cette auteure. Donc voila un livre de ma Pal qui ne devrait pas y rester longtemps.

Qui est dans ta wish-list ?


C’est un pavé (j’aime pas les pavés), c’est de la fantasy jeunesse (j’aime pas la fantasy jeunesse) et pourtant je sais que je vais l’acheter bientôt. D’une part parce que j’ai croisé l’auteure à Montreuil et que je l’ai trouvée très sympa et d’autre part parce que la personne qui m’accompagnait ce jour-là (pas la peine de la citer elle se reconnaitra) m’a fortement encouragé à le lire. Et comme j’ai plutôt envie de lui faire confiance...

Auquel tu tiens ?


Cette intégrale des romans de Darien me tient particulièrement à cœur parce que je l’ai achetée dans une toute petite librairie aujourd’hui disparue, tenue par un très vieux monsieur lui aussi aujourd’hui disparu et qui m’a fait découvrir des écrivains merveilleux. Darien est l’auteur de Biribi mais aussi du Voleur (un roman adapté au cinéma par Louis Malle). C’est grâce à lui que j’ai ouvert la porte de la littérature libertaire et antimilitariste qui m’a passionné pendant des années.

Que tu voudrais vendre ou troquer ?

Parce que ce petit traité du savoir-éjaculer m’a valu bien des commentaires savoureux. Parce que je ne me sens pas concerné par le sujet (je l’ai assez dit et répété !), parce qu’il pourrait être fort utile à quelqu’un dans le besoin et surtout parce que je viens d’apprendre que le tome 2 (consacré à l’érection) est sorti il y a peu et que je dois donc lui faire une place sur mes étagères.

Que tu n'as pas réussi à terminer ?
Commencé puis laissé de coté quelques semaines (un grand classique chez moi), puis repris et de nouveau abndonné définitivement. Jamais réussi à rentrer dans ce roman. Si quelqu'un est intéressé, qu'il n'hésite pas à se manifester, je lui offrirais avec plaisir.

Dont tu n'as pas encore parlé ? 

Je viens de le terminer. C'est un premier roman de 1968 par un auteur chef de file du Southern Gothic, un mouvement littéraire américian que je ne connaissais pas du tout. C'est bien barré même s'il y a quelque longueurs. Une belle découverte.

Que tu vas lire en lecture commune ?


Une lecture commune prévue pour mercredi prochain avec Mo’, mon acolyte préféré en la matière. Toujours un plaisir de partager une lecture avec elle^^



Je ne tague personne en particulier mais si quelqu’un est tenté, qu’il n’hésite pas ;)




Les souvenirs de Mamette 3 : La bonne étoile

Nob © Glénat 2012
L’année 1935 touche à sa fin. A la veille des vacances, Jacques et Jeannot, les deux amoureux de Marinette, règlent leurs comptes à coup de bourre pif devant l’école. Excédée par ce spectacle désolant, la petite fille décide de rentrer seule à la maison. En chemin elle croise la camionnette de son père, qu’elle n’avait pas vu depuis des mois. Persuadée qu’il est venu la chercher pour la ramener enfin chez elle, Marinette est heureuse. Elle ne se doute pas que ce papa syndicaliste, au moment où le front populaire vit ses premiers instants, n’est pas là que pour elle et qu’il a bien des choses à cacher….

Quel bonheur de retrouver la jeunesse de Mamette ! Ce troisième tome est un peu moins léger que les précédents. Le retour du père permet à l’enfant de vivre de merveilleux moments mais le lendemain de Noël lui laissera en bouche un goût amer. Nob maîtrise son univers et ses personnages à la perfection. Menant en parallèle deux intrigues qui finissent par se rejoindre, il continue à distiller au compte goutte des informations essentielles pour la compréhension de l’histoire, notamment concernant la relation houleuse entre le père et le grand-père maternel. Dans les dernières pages, on comprend aussi en une case que la tata Suzon est enceinte, un événement tout sauf anodin… Une fois de plus on referme l’album en se disant « vivement la suite ! »


Coté dessin c’est toujours aussi magnifique grâce aux couleurs pastels, au découpage dynamique et à ces sublimes illustrations pleine page qui constituent autant de respirations bienvenues dans une narration parfois un peu dense.

Voila donc une histoire qui ne tourne pas du tout en rond et avance à son rythme en abordant des thèmes douloureux sans jamais oublier de les saupoudrer d’un soupçon de légèreté. Une atmosphère délicieusement rétro et une tendresse infinie se dégagent de cette chronique d’une enfance rurale vraiment tous publics. Un petit trésor à déposer au pied du sapin, même s’il n’était pas sur la liste. M’étonnerait qu’on vous reproche un tel cadeau !

Les souvenirs de Mamette T3 : La bonne étoile de Nob. Glénat, 2012. 88 pages. 13,25 euros.  
  
PS : petit coup gueule en passant contre l’augmentation stratosphérique du prix de vente. Le tome 2 affichait 10,45 € pour autant de pages et un format strictement identique. Pour ce 3ème volume l’addition passe à 13,25 €. Presque 30% de plus, il me semblait pas que la TVA avait autant augmenté. Si quelqu’un à une explication rationnelle, je suis preneur.