mercredi 21 novembre 2012

Le Klondike de Zach Worton

Worton  © Cambourakis 2012
Entre les années 1870 et le tout début du XXème siècle, le Yukon, un territoire sauvage du nord-ouest canadien, devint le théâtre d’une impitoyable ruée vers l’or. L’histoire du Yukon est liée à celle de ces milliers d’hommes (et de quelques femmes) persuadés qu’il n’y avait qu’à se pencher dans les cours d’eau traversant cette région frontalière de l’Alaska pour ramasser des pépites à la pelle. Seulement, les choses n’étaient évidemment pas si simples. L’extraction de l’or était harassante, les conditions climatiques abominables et surtout les véritables filons pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main. La très grande majorité des concessions restèrent totalement stériles. Rapidement, un climat de violence s’installa, même si la police montée canadienne tenta de limiter les échauffourées. Certains, rares, tirèrent néanmoins leur épingle du jeu. Pour les autres, les désillusions se succédèrent devant ces chimères créées par une fièvre incontrôlable.

Zach Worton a construit son récit autour de quelques figures marquantes de cet épisode mythique de l’histoire américaine. Il lui aura fallu cinq ans de travail pour retranscrire fidèlement les événements majeurs qui ont jalonné cette épopée. Rapidement, il se rend compte que la vérité historique n’est pas toujours divertissante. C’est ainsi qu’il précise en postface : « J’ai dû faire appel à mon imagination pour développer plusieurs éléments, afin de faire avancer l’histoire et d’y incorporer tout à la fois certains faits. Des personnages inventés de toutes pièces servent à transmettre au lecteur des informations que ne peuvent lui offrir les principaux protagonistes. » J’avoue que les premiers chapitres ne m’ont pas emballé. Une succession de portraits sans véritable lien apparent, une collection d’anecdotes pas franchement intéressantes qui m’ont fait craindre le pire. Et puis peu à peu, c’est une saga qui prend forme, pleine de rebondissements, de moments tragiques et d’intrigues politiques. On découvre des indiens, des bandits, des voleurs, des arnaqueurs, des meurtriers, des hommes au bout du rouleau, le froid, la faim, les espoirs déçus et au final, pour beaucoup, la mort.

Au fait, pourquoi pourquoi parle-t-on de ruée vers l'or du Klondike ? Tout simplement parce que c’est dans les affluents de cette rivière traversant le Yukon que furent trouvées les premières pépites.
 
Toute l’épopée de ces forçats de l’or est réalisée en noir blanc, dans un style graphique fortement inspiré de la ligne claire européenne, même si il rappelle aussi parfois les premiers volumes de Bone (les meilleurs, ceux sans couleurs, évidemment).
 
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce pavé de plus de 300 pages contenant, en plus de l’histoire, des cartes géographiques, un index biographique, une note sur les techniques d’extraction de l’or ainsi qu’une bibliographie très complète sur la période. Peut-être pas un album grand public mais si comme moi vous appréciez les récits de ce genre, vous pouvez foncer les yeux fermés..   

Le Klondike de Zach Worton. Cambourakis, 2012. 332 pages. 24 euros.  


Worton  © Cambourakis 2012

 
 

lundi 19 novembre 2012

Mon copain secret de Loïc Dauvillier et Alain Kokor

Dauvillier et Kokor
© ed. de la Gouttière 2012
Manon a un frère jumeau avec lequel elle ne s’entend pas vraiment bien. Enfant taciturne et rêveuse, elle trouve souvent refuge dans sa chambre auprès d’un éléphant qu’elle seule est capable de voir. Le pachyderme est un copain sur qui elle peut compter en toute occasion : pour se confier, pour jouer ou pour la protéger. Et tant pis si personne ne veut la croire… 

Mon copain secret est un récit d’enfance tout en sensibilité. Il y est question de fratrie, de solitude, de ces jardins secrets que l’on se fabrique et qui participent à la construction d’une identité. Une histoire universelle et touchante.

Plus je lis Loïc Dauvillier et plus je compare son travail à celui d’un écrivain. Il possède une petite musique bien à lui qui fait qu’on le reconnaît au premier coup d’œil. Si vous lisez Modiano, vous constatez qu’il y a un style Modiano, assez inimitable. Pareil pour Joyce Carol Oates ou Amélie Nothomb (ok, ce dernier exemple n’est pas le meilleur, j’en conviens). Ce que je veux dire c’est qu’ils possèdent une patte si personnelle qu’on ne peut les confondre avec d’autres. Et bien c’est pareil pour Dauvillier. Depuis Mamé, je crois que je n’ai raté aucun de ses albums. Et j’avoue que c’est ce qu’il écrit pour le jeune public qui me bluffe le plus : toujours fin, intelligent et d’une grande profondeur. Si vous ne me croyez pas, plongez-vous donc dans L'enfant cachée ou Petite souris, grosse bêtise, vous en ressortirez forcément convaincu. Le plus important, c'est qu'il ne prend pas les enfants pour des imbéciles et n’hésite pas à leur proposer une lecture qui demande de la réflexion. Mon copain secret n’échappe pas à la règle. D’un lecteur à l’autre, les interprétations de l’histoire peuvent fortement varier car si nombre d’informations contenues dans le texte sont compréhensibles de manière explicite, certaines relèvent clairement de l’implicite. Disons pour faire court que si vous souhaitez solliciter l’imaginaire de vos enfants, choisir une lecture qui les interpelle et les pousse à la réflexion, cet album est fait pour vous.

Deux mots également sur le travail toujours aussi remarquable d’Alain Kokor. Son trait tout en douceur, sans véritable encrage, reste constamment au service du récit. A noter que la simplicité du découpage permet de proposer ce titre à des enfants n’ayant que très peu d’expérience du média BD.

Une fois encore, les éditions de la Gouttière se démarquent judicieusement de la concurrence. Liant constamment le ludique et le pédagogique, le catalogue de cet éditeur picard devrait à l’évidence être reconnu d’utilité publique. 

Mon copain secret de Loïc Dauvillier et Alain Kokor. Éditions de la Gouttière, 2012. 32 pages. 9,70 euros. A partir de 7-8 ans.



Dauvillier et Kokor © ed. de la Gouttière 2012

dimanche 18 novembre 2012

Enola Holmes 1 : La double disparition

Springer © Nathan 2009
Le jour de ses quatorze ans, Enola Holmes constate la disparition de sa mère. Appelés à la rescousse, ses deux frères Sherlock et Mycroft débarquent dans la demeure familiale pour mener l’enquête. Mais très vite, Enola constate qu’ils sont surtout venus pour la remettre dans le droit chemin. Pour eux, cette gamine est « une enfant naïve. Qui a grandi laissée à elle-même. Sans éducation. Dépourvue de toute sophistication. Une rêveuse. » Leur but est donc de l’envoyer en pension pour en faire une Lady. Il faut dire que les deux aînés sont beaucoup plus âgés que leur cadette et que cette « enfant du scandale » que leur mère a eu à 50 ans a, selon eux, sérieusement besoin d’être reprise en main. Refusant de se plier à leur volonté, Enola prépare soigneusement son « évasion » et fomente un plan ingénieux censé lui permettre à la fois d’échapper à a pension et de partir à la recherche de sa mère…

Une fois de plus, j’ai cédé à la tentation. Marie, Manu, Syl, Nahe et tant d’autres ont vanté les mérites d’Enola et m’ont convaincu de me lancer dans cette série destinée aux jeunes lecteurs de 10-12 ans. A juste titre d’ailleurs car ce roman est fort agréable. Tout le monde s’accorde sur la simplicité de l’intrigue et les grosses ficelles utilisées pour que les événements s’enchaînent. Disons que le hasard fait souvent très bien les choses mais à la limite peu importe car l’intérêt est ailleurs, notamment dans le portrait de cette jeune fille pétillante au caractère bien trempée qui refuse la condition que l’on souhaite lui imposer. Éprise de liberté, fortement influencée par les idées avant-gardistes de sa mère, Enola se prend en main seule et avance avec conviction, quitte à subir quelques désagréments. Intéressante également la façon dont l’auteur campe Sherlock et Mycroft. Le premier, « droit comme un manche de râteau, plus svelte qu’un lévrier » est froid et ne montre aucun signe d’affection à l’égard de sa sœur. Le second, se comportant davantage comme un père que comme un frère, pense surtout à la réputation familiale et ne supporte pas qu’Enola soit (selon lui) si mal élevée. Tous deux apparaissent antipathiques en diable et on se doute qu’ils occuperont une place importante dans la suite de la série. Dernier point très positif, l’Angleterre victorienne de la fin du XIXe siècle est restituée avec beaucoup de précision. Les rues malfamées de Londres et l’ambiance bucolique de la campagne anglaise sont notamment criantes de vérité.

Bref, voila un premier tome qui ne brille certes pas par son intrigue mais qui dégage suffisamment de charme pour que je me laisse convaincre de poursuive au plus vite la découverte des aventures d’Enola.

Enola Holmes T1 : La double disparition, de Nancy Springer. Nathan, 2009. 264 pages. 7 euros.

L'avis de Marie ; L'avis de Manu ; L'avis de Syl ; L'avis de Nahe

samedi 17 novembre 2012

Trois ans, trois enfants, trois gagnants : résultats du concours

Un ÉNORME merci pour tous vos témoignages de sympathie suite à mon billet anniversaire, ça fait vraiment chaud au cœur. Vu le nombre de participants, j’ai décidé de récompenser non pas deux mais trois d’entre vous. Après tout, c’est bientôt Noël, l’heure est aux cadeaux.
J’ai glissé 26 noms dans le chapeau avant de le secouer très fort.   



Et le premier nom à sortir fut celui de :

Le second sur la liste fut celui de :



Et enfin le dernier tiré au sort :




Un grand bravo aux gagnantes. Comme convenu, vous choisissez dans l'index des titres l'ouvrage que vous souhaitez recevoir et je vous le fais parvenir au plus tôt. En cas de rupture chez l'éditeur ou de difficulté à récupérer un exemplaire, je vous préviendrais afin que vous fassiez un second choix. Pour me signifier votre choix et me donner votre adresse, il suffit de passer par le formulaire de contact.

Encore merci à tous d'avoir participé. Si j'avais pu, j'aurais récompensé tout le monde mais vous étiez trop nombreux ! Mais bon, ce n'est peut-être que partie remise, il se pourrait bien que d'autres concours voient le jour ici même dans les semaines qui viennent...

vendredi 16 novembre 2012

Gisèle Alain de Sui Kasai

Kasai © Ki-oon 2012
Gisèle Alain incarne une certaine forme de liberté et de joie de vivre. Elle est pleine de peps, de bonne volonté et d’optimisme. Sa naïveté la rend parfois touchante et fragile, son caractère entier peut lui jouer des tours. Mais plus que tout, Gisèle Alain m’a fait bailler d’ennui. 

Dans un décor de carton pâte censé reconstituer un Paris Victorien du début du 20ème siècle (Paris à cause du nom de l’héroïne et Victorien parce que certains bâtiments et vêtements semblent très anglais), cette gamine enchaîne des historiettes sans intérêt. Un pauvre chat à sauver des griffes d’un savant fou (mais en fait, pas de panique, le savant est un gentil monsieur !), un garçon sauvage à apprivoiser (tout est bien qui finit bien, forcément) ou encore une stripteaseuse à consoler (à la limite là, ça pourrait m’intéresser, mais finalement non), ne cherchez plus, Gisèle s’occupe de tout. Ça dégouline de bons sentiments et la mièvrerie se retrouve à chaque coin de page. Bref, j’ai trouvé ça niais, tout simplement. En fait, chaque chapitre étant une petite nouvelle indépendante de ce qui suit et ce qui précède, cela donne à l’ensemble une trop grande impression de légèreté. Tellement léger qu’à la fin il n’en reste rien. Aussi vite lu qu’oublié, quoi. 

Seul point positif, le dessin est très sympa, précis et détaillé. Malheureusement, un beau dessin ne fait pas une bonne histoire, ce serait trop facile. Mon Dieu que ce manga est cul-cul la praline ! Il est très rare que je referme un livre en me disant que j’ai perdu mon temps mais malheureusement, c’est ici le cas..             

Gisèle Alain T1 de Sui Kasai. Ki-oon, 2012. 206 pages. 7,65 euros. 



Kasai © Ki-oon 2012

jeudi 15 novembre 2012

Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent

Caroff  © Gulf Stream 2012
Franchement, je n’y connais rien en matière de géologie. Et j’avoue que le sujet m’intéresse moyennement. Pourtant, si l’on s’y penche de plus près, on découvre à quel point les pierres portent en elles l’histoire de notre planète. Saviez-vous par exemple que les plus beaux monuments de Paris sont construits en calcaire (Notre Dame de Paris, entre autres), que certaines pierres sont de redoutables photographes grâce à la fossilisation, qu’un diamant ne peut être rayé que par lui-même, que le quartz, un des minéraux les plus abondants de la croûte terrestre, est un élément essentiel de l’horlogerie moderne (lorsqu’il est stimulé électriquement, il oscille à une fréquence fixe qui permet de calibrer l’écoulement du temps) ou encore que la dangerosité de l’amiante, pourtant utilisée de manière intensive au XXème siècle, est connue depuis les écrits de Pline l’Ancien. Je pourrais aussi vous parler des météorites, des saphirs et des rubis, du marbre, du charbon, de l’uranium ou des roches plissées. Bref, on referme ce documentaire en ayant vraiment l’impression d’avoir appris quelque chose.
     
Chaque pierre est décrite sur une double page comportant quatre paragraphes, toujours identiques : une fiche d’identité avec photo, une mise en perspective scientifique, une anecdote historique et une dernière rubrique intitulée « Le saviez-vous ? ». C’est certes répétitif, mais c’est surtout très efficace. Les textes sont courts, précis et facilement compréhensibles, les illustrations nombreuses et la mise en page aérée. En fin d’ouvrage, un glossaire donne la définition des termes les plus compliqués et un index permet de mener une recherche par mots-clés. Simple d’utilisation, intelligemment construit et fort instructif, cet ouvrage ravira à coup sûr tous les géologues en herbe. Au collège, il trouvera tout à fait sa place sur les rayonnages du CDI.

A noter que ce titre fait partie d’une collection où l’on retrouvera, entre autres, Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent, Les bêtes qui pincent, qui pissent, qui percent à la campagne, ou encore Les bêtes qui rôdent, qui rongent qui rampent à la ville. Tout un programme !
 
Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent de Martial Caroff (ill. Marion Montaigne et Matthieu Rotteleur). Gulf Stream, 2012. 85 pages. 15,50 euros. A partir de 9 ans


Caroff  © Gulf Stream 2012


mercredi 14 novembre 2012

Mine, une vie de chat

Pandolfo et Risbjerg
© Sarbacane 2012
Léon est un grand gaillard taciturne et un peu gauche. La solitude lui pèse, même si son meilleur ami Gaspard veille sur lui avec bienveillance. Le jour où Léon croise la route d’une chatte noire au regard envoûtant  sa vie bascule. Non seulement la chatte s’installe dans son petit appartement sous les toits et ne le lâche plus d’une semelle, mais surtout, un matin, à la place de l’animal, il trouve à ses cotés une superbe jeune femme nue. Décontenancé, persuadé qu’il est en train de rêver, Léon se demande par quel tour de passe- passe un tel miracle à pu se produire…

Mine, c’est le nom de la jeune fille mais c’est aussi le titre de ce joli roman graphique qui a de faux airs de conte fantastique. Le schéma narratif quinaire propre au genre y est d’ailleurs parfaitement respecté : situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution, situation finale, tout y est. Mais au-delà des aspects purement techniques, Mine est aussi et surtout une belle histoire d’amour riche de personnages hauts en couleur. Les auteurs ont su créer un univers original et personnel laissant une grande part à la rêverie et aux déambulations.

    
Graphiquement, j’aime beaucoup le trait libre et souple du danois Terkel Risbjerg. Du noir et blanc épuré à l’encrage épais, presque charbonneux, qui fait la part belle aux mouvements. Ce dessinateur a longtemps travaillé dans l’animation, notamment comme storyboarder, et cela se ressent dans son découpage ultra-dynamique et très pêchu. A noter que le personnage de Léon rappelle Broussaille, un héros lunaire et poétique créé à la fin des années 80 dans le magazine Spirou par Bom et Frank Pé. Un bémol toutefois dans ce concert d'éloges, la construction trop elliptique donne parfois l’impression que le récit manque de profondeur.

Quoi qu’il en soit, si ce coup d’essai n’est pas tout à fait un coup de maître, voila néanmoins deux jeunes auteurs plus que prometteurs. C’est d’ailleurs tout ce que j’aime dans le catalogue BD de Sarbacane. On innove, on prend des risques et on n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour proposer au lecteur des ouvrages toujours surprenants (rappelez-vous Le chien gardien d’étoiles ou encore Sous l’eau, l’obscurité).   

Mine, une vie de chat, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. Sarbacane, 2012. 174 pages. 22 euros.

PS : Rien à voir avec ce qui précède mais ceux ou celles qui souhaitent découvrir ma voix de velours (tu parles !!!!), peuvent m'entendre pour la troisième fois dans le cadre de  l'émission de radio La vie des livres. Je présente cette fois-ci L'enfance d'Alan, un des albums que j'ai le plus apprécié ces dernières semaines. Personnellement, je n'écoute jamais mes piètres prestations car j'ai horreur d'entendre ma voix mais si le cœur  vous en dit, je vous donne le lien : http://www.libfly.com/l-enfance-d-alan-emmanuel-guibert-livre-1686153.html
Et dites-vous bien que l'exercice n'étant pas facile, l'indulgence doit être de mise ;)


Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012

Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012









lundi 12 novembre 2012

C’est pour mieux te manger !

Rogier © Poisson Soluble 2012
L’auteur prévient dès la première phrase : « Il était encore une fois un Petit Chaperon rouge qui s’en allait porter une galette et un pot de saindoux chez sa mère-grand ». Sauf que cette fois-ci les choses se passent un peu différemment. Tout d’abord, on croise les trois petits cochons. Ensuite, la maison de mère-grand est sacrément effrayante (voir extrait ci-dessous). Enfin, le Petit Chaperon n’a rien d’une petite fille sans défense…

Un album qui ne paie pas de mine mais dont la mécanique parfaitement huilée finit par emporter l’adhésion. Françoise Rogier installe une ambiance oppressante grâce à une belle utilisation du noir, du rouge et du gris. Au fil des pages, la tension monte, jusqu’à la révélation finale où l’on découvre qu’il est parfois bon de jouer à se faire peur.

  
Un ouvrage que j’ai testé sur ma fille de 7 ans. Sa première lecture achevée, elle me le rend en me disant : « J'aime pas, c’est trop court ! » Une sentence aussi réductrice qu’injuste mais qui sortait du cœur.  Peut-être parce qu’elle se lance depuis peu dans les petits romans et qu’elle considère (à tort) que les albums ne sont plus de son âge. Le lendemain matin, elle reprend le livre. Je vois qu’elle s’attarde plus longtemps sur chaque page. L’ayant refermé, elle le tend à sa grande sœur et lui dit : « Tiens, lis ça, c’est trop marrant ! » Depuis, elle l’a relu pas mal de fois. L’évolution de son point de vue est intéressante à plus d’un titre et montre que c’est un album qui s’appréhende sur la durée. Nul doute aussi pour les plus jeunes qu’une lecture à voix haute de l’adulte peut apporter une dimension supplémentaire à l’aspect à la fois drôle et quelque peu inquiétant de l’histoire. Au final, plus qu’une énième variation autour du Petit Chaperon rouge, C’est pour mieux te manger possède un ton original et quelque peu décalé qui en fait une lecture hautement recommandable.
 
C’est pour mieux te manger ! de Françoise Rogier. L’atelier du poisson soluble, 2012. 26 pages. 15 euros. A partir de 4-5 ans


L'avis de Mo'
 

Rogier © Poisson Soluble 2012

samedi 10 novembre 2012

Les accusées de Charlotte Rogan (rentrée littéraire 2012)

Rogan © Fleuve Noir 2012
Août 1914. Alors que la guerre s’annonce en Europe, le transatlantique Impératrice Alexandra croise vers l’Amérique du nord avec à son bord de riches passagers fuyant le conflit à venir. Mais soudain, au milieu de nulle part, entre l’Angleterre et les États-Unis, c’est le naufrage. A peine quelques dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants peuvent prendre place à bord des chaloupes de sauvetage. Parmi eux, Grace Winter, 22 ans, qui vient de se marier et était en route pour Boston afin de rencontrer sa belle famille. Grace est la narratrice. Elle raconte vingt et un jours à la dérive en plein océan, dans une coquille de noix surchargée (39 personnes alors que la capacité maximale est limitée à 30) où les tensions se sont accentuées de jours en jours. La faim, la soif, le froid, l’humidité, les éléments déchaînés et les plus faibles qui ne survivront pas. Si Grace relate son histoire, c’est avant tout pour essayer de comprendre pourquoi, une fois revenues sur la terre ferme, elle et deux de ses camarades d’infortune furent accusées de meurtre avec préméditation à l’encontre de celui qui avait pris le commandement de la chaloupe.   

Une vraie bonne idée au départ de ce premier roman. Un huis-clos tragique, une tension palpable, des caractères que tout oppose et en filigrane une question métaphysique fondamentale : jusqu’où l’être humain est capable et a le droit d’aller pour sa survie ? Au cours du procès, le procureur interpelle les trois femmes : «  Et pourquoi avez-vous survécu ? Pourquoi n’avez-vous pas toutes les trois succombé aux éléments ? Pourquoi n’avez-vous pas dépéri, pourquoi n’êtes-vous pas tombées malades comme tant d’autres ? Quelqu’un de visiblement fort n’aurait-il pas choisi une voie plus noble et sauté à la mer pour sauver ses compagnons ? ». Et l’une d’elles de lui répondre : « Qui est véritablement noble ? Vous l’êtes, vous ? »

Tout cela est fort original et alléchant mais malheureusement, à la lecture, les déceptions se sont enchaînées. D’abord l’écriture est d’une platitude affligeante. Ensuite, les confidences de Grace n’ont rien de passionnantes. Les passages à bord de la chaloupe sont constamment entrecoupés par des considérations sur son mariage, sa sœur ou sa future belle-mère qui ont au final bien peu d’intérêt. Et même les scènes se déroulant à l’intérieur de l’embarcation ne m’ont pas convaincu. En fait, je crois que dès le départ je n’y ai pas cru. J’aurais voulu plus de réalisme, de bruit, d’odeurs forcément nauséabondes liées aux problèmes d’hygiène, bref, d’une description clinique de cette insupportable promiscuité. Tout semble aseptisé à l’extrême, comme si ce n’était qu’un jeu, une petite farce pour faire frissonner les lecteurs en mal de sensations fortes (et artificielles).      
  
Pour faire court, je me suis fait ch… alors qu’il y avait matière à trousser un récit passionnant. Dommage. 

 
Les accusées de Charlotte Rogan. Fleuve Noir, 2012. 260 pages. 18,90 euros. 

L'avis d'Ys






vendredi 9 novembre 2012

Heq : Le chant pour celui qui désire vivre de Jorn Riel et Benjamin Flao

Riel et Flao  © Sarbacane 2012
C’était il y a mille ans. A peine entrée dans l’âge adulte, Shanuq l’inuit fut enlevée par les indiens des forêts, ceux que l’on appelait les Hommes-Chiens. Mariée de force au chef Shapokkee, elle lui donna un enfant qu’elle prénomma Heq, comme son grand-père maternel. Fuyant les indiens avec son fils accroché sur le dos, Shanuq fut recueillie par des chasseurs venus de la côte. Elle trouva rapidement sa place dans la communauté. Par la suite, elle eut deux autres enfants, un garçon qu’elle prénomma Tyakutyik et une fille, Pukiq. Heq se révéla à l’adolescence un leader charismatique aux pouvoirs de chaman. C’est lui qui, après de nombreuses péripéties, mena les siens vers L’inlandsis, le pays de tous les inuits.
   
Une superbe adaptation en album d’un ouvrage paru en poche en 2001 aux éditions 10/18. Il y a d’abord le texte de Jorn Riel. Le lecteur se voit proposer une plongée quasi ethnographique dans le quotidien des tribus ancestrales du Grand Nord. Sous la forme de la fiction, il découvre les mythes et la culture inuit. Le récit mélange aventure, émotion, violence et sauvagerie. Le froid, l’âpreté de la nature, la vie dans des conditions extrêmes, tous ces éléments sont rendus avec force détails et précisions. Une grande place est également occupée par la quête de spiritualité.  Il y a ensuite le dessin de Benjamin Flao. Chaque illustration pleine page est un petit tableau. Le travail sur la lumière et les couleurs est remarquable et participe grandement à installer l’ambiance envoutante qui traverse le texte. Pour couronner le tout, il y a l’objet-livre lui-même. Du très grand format (24 x 38 cm) au cartonnage épais et au papier brillant du plus bel effet.

Au final, il suffit de se pelotonner au coin du feu et de se laisser embarquer pour les étendues infinies et glacés du Grand Nord canadien. Un voyage inoubliable !   
 

Heq : Le chant pour celui qui désire vivre de Jorn Riel et Benjamin Flao. Sarbacane, 2012. 62 pages. 19,90 euros. A partir de 10 ans

Riel et Flao  © Sarbacane 2012


Riel et Flao  © Sarbacane 2012