jeudi 15 novembre 2012

Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent

Caroff  © Gulf Stream 2012
Franchement, je n’y connais rien en matière de géologie. Et j’avoue que le sujet m’intéresse moyennement. Pourtant, si l’on s’y penche de plus près, on découvre à quel point les pierres portent en elles l’histoire de notre planète. Saviez-vous par exemple que les plus beaux monuments de Paris sont construits en calcaire (Notre Dame de Paris, entre autres), que certaines pierres sont de redoutables photographes grâce à la fossilisation, qu’un diamant ne peut être rayé que par lui-même, que le quartz, un des minéraux les plus abondants de la croûte terrestre, est un élément essentiel de l’horlogerie moderne (lorsqu’il est stimulé électriquement, il oscille à une fréquence fixe qui permet de calibrer l’écoulement du temps) ou encore que la dangerosité de l’amiante, pourtant utilisée de manière intensive au XXème siècle, est connue depuis les écrits de Pline l’Ancien. Je pourrais aussi vous parler des météorites, des saphirs et des rubis, du marbre, du charbon, de l’uranium ou des roches plissées. Bref, on referme ce documentaire en ayant vraiment l’impression d’avoir appris quelque chose.
     
Chaque pierre est décrite sur une double page comportant quatre paragraphes, toujours identiques : une fiche d’identité avec photo, une mise en perspective scientifique, une anecdote historique et une dernière rubrique intitulée « Le saviez-vous ? ». C’est certes répétitif, mais c’est surtout très efficace. Les textes sont courts, précis et facilement compréhensibles, les illustrations nombreuses et la mise en page aérée. En fin d’ouvrage, un glossaire donne la définition des termes les plus compliqués et un index permet de mener une recherche par mots-clés. Simple d’utilisation, intelligemment construit et fort instructif, cet ouvrage ravira à coup sûr tous les géologues en herbe. Au collège, il trouvera tout à fait sa place sur les rayonnages du CDI.

A noter que ce titre fait partie d’une collection où l’on retrouvera, entre autres, Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent, Les bêtes qui pincent, qui pissent, qui percent à la campagne, ou encore Les bêtes qui rôdent, qui rongent qui rampent à la ville. Tout un programme !
 
Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent de Martial Caroff (ill. Marion Montaigne et Matthieu Rotteleur). Gulf Stream, 2012. 85 pages. 15,50 euros. A partir de 9 ans


Caroff  © Gulf Stream 2012


mercredi 14 novembre 2012

Mine, une vie de chat

Pandolfo et Risbjerg
© Sarbacane 2012
Léon est un grand gaillard taciturne et un peu gauche. La solitude lui pèse, même si son meilleur ami Gaspard veille sur lui avec bienveillance. Le jour où Léon croise la route d’une chatte noire au regard envoûtant  sa vie bascule. Non seulement la chatte s’installe dans son petit appartement sous les toits et ne le lâche plus d’une semelle, mais surtout, un matin, à la place de l’animal, il trouve à ses cotés une superbe jeune femme nue. Décontenancé, persuadé qu’il est en train de rêver, Léon se demande par quel tour de passe- passe un tel miracle à pu se produire…

Mine, c’est le nom de la jeune fille mais c’est aussi le titre de ce joli roman graphique qui a de faux airs de conte fantastique. Le schéma narratif quinaire propre au genre y est d’ailleurs parfaitement respecté : situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution, situation finale, tout y est. Mais au-delà des aspects purement techniques, Mine est aussi et surtout une belle histoire d’amour riche de personnages hauts en couleur. Les auteurs ont su créer un univers original et personnel laissant une grande part à la rêverie et aux déambulations.

    
Graphiquement, j’aime beaucoup le trait libre et souple du danois Terkel Risbjerg. Du noir et blanc épuré à l’encrage épais, presque charbonneux, qui fait la part belle aux mouvements. Ce dessinateur a longtemps travaillé dans l’animation, notamment comme storyboarder, et cela se ressent dans son découpage ultra-dynamique et très pêchu. A noter que le personnage de Léon rappelle Broussaille, un héros lunaire et poétique créé à la fin des années 80 dans le magazine Spirou par Bom et Frank Pé. Un bémol toutefois dans ce concert d'éloges, la construction trop elliptique donne parfois l’impression que le récit manque de profondeur.

Quoi qu’il en soit, si ce coup d’essai n’est pas tout à fait un coup de maître, voila néanmoins deux jeunes auteurs plus que prometteurs. C’est d’ailleurs tout ce que j’aime dans le catalogue BD de Sarbacane. On innove, on prend des risques et on n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour proposer au lecteur des ouvrages toujours surprenants (rappelez-vous Le chien gardien d’étoiles ou encore Sous l’eau, l’obscurité).   

Mine, une vie de chat, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. Sarbacane, 2012. 174 pages. 22 euros.

PS : Rien à voir avec ce qui précède mais ceux ou celles qui souhaitent découvrir ma voix de velours (tu parles !!!!), peuvent m'entendre pour la troisième fois dans le cadre de  l'émission de radio La vie des livres. Je présente cette fois-ci L'enfance d'Alan, un des albums que j'ai le plus apprécié ces dernières semaines. Personnellement, je n'écoute jamais mes piètres prestations car j'ai horreur d'entendre ma voix mais si le cœur  vous en dit, je vous donne le lien : http://www.libfly.com/l-enfance-d-alan-emmanuel-guibert-livre-1686153.html
Et dites-vous bien que l'exercice n'étant pas facile, l'indulgence doit être de mise ;)


Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012

Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012









lundi 12 novembre 2012

C’est pour mieux te manger !

Rogier © Poisson Soluble 2012
L’auteur prévient dès la première phrase : « Il était encore une fois un Petit Chaperon rouge qui s’en allait porter une galette et un pot de saindoux chez sa mère-grand ». Sauf que cette fois-ci les choses se passent un peu différemment. Tout d’abord, on croise les trois petits cochons. Ensuite, la maison de mère-grand est sacrément effrayante (voir extrait ci-dessous). Enfin, le Petit Chaperon n’a rien d’une petite fille sans défense…

Un album qui ne paie pas de mine mais dont la mécanique parfaitement huilée finit par emporter l’adhésion. Françoise Rogier installe une ambiance oppressante grâce à une belle utilisation du noir, du rouge et du gris. Au fil des pages, la tension monte, jusqu’à la révélation finale où l’on découvre qu’il est parfois bon de jouer à se faire peur.

  
Un ouvrage que j’ai testé sur ma fille de 7 ans. Sa première lecture achevée, elle me le rend en me disant : « J'aime pas, c’est trop court ! » Une sentence aussi réductrice qu’injuste mais qui sortait du cœur.  Peut-être parce qu’elle se lance depuis peu dans les petits romans et qu’elle considère (à tort) que les albums ne sont plus de son âge. Le lendemain matin, elle reprend le livre. Je vois qu’elle s’attarde plus longtemps sur chaque page. L’ayant refermé, elle le tend à sa grande sœur et lui dit : « Tiens, lis ça, c’est trop marrant ! » Depuis, elle l’a relu pas mal de fois. L’évolution de son point de vue est intéressante à plus d’un titre et montre que c’est un album qui s’appréhende sur la durée. Nul doute aussi pour les plus jeunes qu’une lecture à voix haute de l’adulte peut apporter une dimension supplémentaire à l’aspect à la fois drôle et quelque peu inquiétant de l’histoire. Au final, plus qu’une énième variation autour du Petit Chaperon rouge, C’est pour mieux te manger possède un ton original et quelque peu décalé qui en fait une lecture hautement recommandable.
 
C’est pour mieux te manger ! de Françoise Rogier. L’atelier du poisson soluble, 2012. 26 pages. 15 euros. A partir de 4-5 ans


L'avis de Mo'
 

Rogier © Poisson Soluble 2012

samedi 10 novembre 2012

Les accusées de Charlotte Rogan (rentrée littéraire 2012)

Rogan © Fleuve Noir 2012
Août 1914. Alors que la guerre s’annonce en Europe, le transatlantique Impératrice Alexandra croise vers l’Amérique du nord avec à son bord de riches passagers fuyant le conflit à venir. Mais soudain, au milieu de nulle part, entre l’Angleterre et les États-Unis, c’est le naufrage. A peine quelques dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants peuvent prendre place à bord des chaloupes de sauvetage. Parmi eux, Grace Winter, 22 ans, qui vient de se marier et était en route pour Boston afin de rencontrer sa belle famille. Grace est la narratrice. Elle raconte vingt et un jours à la dérive en plein océan, dans une coquille de noix surchargée (39 personnes alors que la capacité maximale est limitée à 30) où les tensions se sont accentuées de jours en jours. La faim, la soif, le froid, l’humidité, les éléments déchaînés et les plus faibles qui ne survivront pas. Si Grace relate son histoire, c’est avant tout pour essayer de comprendre pourquoi, une fois revenues sur la terre ferme, elle et deux de ses camarades d’infortune furent accusées de meurtre avec préméditation à l’encontre de celui qui avait pris le commandement de la chaloupe.   

Une vraie bonne idée au départ de ce premier roman. Un huis-clos tragique, une tension palpable, des caractères que tout oppose et en filigrane une question métaphysique fondamentale : jusqu’où l’être humain est capable et a le droit d’aller pour sa survie ? Au cours du procès, le procureur interpelle les trois femmes : «  Et pourquoi avez-vous survécu ? Pourquoi n’avez-vous pas toutes les trois succombé aux éléments ? Pourquoi n’avez-vous pas dépéri, pourquoi n’êtes-vous pas tombées malades comme tant d’autres ? Quelqu’un de visiblement fort n’aurait-il pas choisi une voie plus noble et sauté à la mer pour sauver ses compagnons ? ». Et l’une d’elles de lui répondre : « Qui est véritablement noble ? Vous l’êtes, vous ? »

Tout cela est fort original et alléchant mais malheureusement, à la lecture, les déceptions se sont enchaînées. D’abord l’écriture est d’une platitude affligeante. Ensuite, les confidences de Grace n’ont rien de passionnantes. Les passages à bord de la chaloupe sont constamment entrecoupés par des considérations sur son mariage, sa sœur ou sa future belle-mère qui ont au final bien peu d’intérêt. Et même les scènes se déroulant à l’intérieur de l’embarcation ne m’ont pas convaincu. En fait, je crois que dès le départ je n’y ai pas cru. J’aurais voulu plus de réalisme, de bruit, d’odeurs forcément nauséabondes liées aux problèmes d’hygiène, bref, d’une description clinique de cette insupportable promiscuité. Tout semble aseptisé à l’extrême, comme si ce n’était qu’un jeu, une petite farce pour faire frissonner les lecteurs en mal de sensations fortes (et artificielles).      
  
Pour faire court, je me suis fait ch… alors qu’il y avait matière à trousser un récit passionnant. Dommage. 

 
Les accusées de Charlotte Rogan. Fleuve Noir, 2012. 260 pages. 18,90 euros. 

L'avis d'Ys






vendredi 9 novembre 2012

Heq : Le chant pour celui qui désire vivre de Jorn Riel et Benjamin Flao

Riel et Flao  © Sarbacane 2012
C’était il y a mille ans. A peine entrée dans l’âge adulte, Shanuq l’inuit fut enlevée par les indiens des forêts, ceux que l’on appelait les Hommes-Chiens. Mariée de force au chef Shapokkee, elle lui donna un enfant qu’elle prénomma Heq, comme son grand-père maternel. Fuyant les indiens avec son fils accroché sur le dos, Shanuq fut recueillie par des chasseurs venus de la côte. Elle trouva rapidement sa place dans la communauté. Par la suite, elle eut deux autres enfants, un garçon qu’elle prénomma Tyakutyik et une fille, Pukiq. Heq se révéla à l’adolescence un leader charismatique aux pouvoirs de chaman. C’est lui qui, après de nombreuses péripéties, mena les siens vers L’inlandsis, le pays de tous les inuits.
   
Une superbe adaptation en album d’un ouvrage paru en poche en 2001 aux éditions 10/18. Il y a d’abord le texte de Jorn Riel. Le lecteur se voit proposer une plongée quasi ethnographique dans le quotidien des tribus ancestrales du Grand Nord. Sous la forme de la fiction, il découvre les mythes et la culture inuit. Le récit mélange aventure, émotion, violence et sauvagerie. Le froid, l’âpreté de la nature, la vie dans des conditions extrêmes, tous ces éléments sont rendus avec force détails et précisions. Une grande place est également occupée par la quête de spiritualité.  Il y a ensuite le dessin de Benjamin Flao. Chaque illustration pleine page est un petit tableau. Le travail sur la lumière et les couleurs est remarquable et participe grandement à installer l’ambiance envoutante qui traverse le texte. Pour couronner le tout, il y a l’objet-livre lui-même. Du très grand format (24 x 38 cm) au cartonnage épais et au papier brillant du plus bel effet.

Au final, il suffit de se pelotonner au coin du feu et de se laisser embarquer pour les étendues infinies et glacés du Grand Nord canadien. Un voyage inoubliable !   
 

Heq : Le chant pour celui qui désire vivre de Jorn Riel et Benjamin Flao. Sarbacane, 2012. 62 pages. 19,90 euros. A partir de 10 ans

Riel et Flao  © Sarbacane 2012


Riel et Flao  © Sarbacane 2012


mercredi 7 novembre 2012

Trois ans, trois enfants



Il y a trois ans jour pour jour je publiais mon premier billet. Je n’avais à l’époque aucune autre ambition que celle de partager quelques impressions de lecture avec les trois pleupleux qui échoueraient par hasard sur cette page d’accueil. C’était un coup d’essai qui, je n’en doutais pas me connaissant, ne durerait de toute façon que très peu de temps. Et puis j’ai eu quelques commentaires, j’ai fureté à droite à gauche sur d’autres blogs et j’ai fait des rencontres virtuelles qui ont piqué mon intérêt. Au final, la machine s’est lancée et je n’ai pas arrêté depuis.


Beaucoup de plaisir donc, c’est le moteur principal. Mais aussi une volonté de continuer à naviguer d’une berge à l’autre, des albums pour enfants à la littérature érotique, de la BD au manga en passant par les classiques et les auteurs contemporains. Trop peu de fantasy et de polars, c’est un fait, mais je me soigne. Jamais de Bit Lit ni de Chick Lit (faut pas pousser), encore moins de thrillers ou de roman horrifiques (petite nature, le gars). En tout cas beaucoup de découvertes délicieuses glanées ici ou là sur la blogo. C’est un plaisir de tomber sur un billet qui vous donne vraiment envie, de se lancer dans la lecture et d’aller ensuite remercier celui ou celle qui vous l’a recommandé.

Bref vous l’aurez compris, je m’amuse beaucoup depuis trois ans et je compte bien fêter encore quelques anniversaires.

A part ça, je serai sans doute moins présent en 2013 puisque si tout va bien et comme vous l’avez peut-être compris en lisant le titre de ce billet, la famille va s’agrandir en février. Presque huit ans après n°2, ça va faire tout drôle de voir débarquer un petit bout à la maison. S’il n’y pas erreur sur la marchandise, ce sera encore une fille. Moi qui pensais peut-être chroniquer quelques albums sur les chevaliers, les pirates ou les dinosaures, je vais rester quelques temps encore avec les princesses et les univers girly (ouh, les clichés !). En tout cas, trois filles plus ma femme, ma vie va devenir un enfer ! Ne vous étonnez donc pas si je vous donne moins de nouvelles en 2013. Entre toutes mes pépètes et le boulot, il y a risque de surmenage.

En attendant et pour fêter tout ça, rien de tel qu’un petit concours. Les règles sont simples puisqu’il n’y en a pas. Il vous suffit de laisser un commentaire, disons jusqu’au 15 novembre minuit, pour participer. Je fais le tirage au sort et les deux premiers noms qui sortent du chapeau choisissent le titre qu’ils veulent parmi ceux affichés dans l’index à droite. Ça vous va ? Bon je ne prendrais en compte que celles et ceux qui sont déjà passés par ici (les fidèles quoi). Petit précision utile, les belges et les suisses sont les bienvenus.

Allez bonne chance à tous et à très bientôt.

Carmen Cru : l’intégrale

Lelong © Fluide Glacial 2011
Carmen Cru est une rebelle. Une vraie. Une pure et dure. Sans doute la dernière rebelle de la BD contemporaine. Pas pour rien que le 4ème volume de la série a pour titre Ni Dieu ni maître. Carmen Cru est indomptable, insubmersible, increvable. En fait, Carmen, c’est pour moi un amour de jeunesse. Je lisais ses frasques dans le Fluide glacial de mon père au milieu des années 80. Elle me fascinait autant qu’elle me terrorisait. Toute ratatinée dans son imper sans formes, ridée comme une vieille pomme, pédalant sur son vélo hors d’âge avec le fameux cageot accroché sur le porte-bagage, elle avait tout de la sorcière. Sous ses airs de pauvre femme en bout de course, elle cache le plus fichu caractère que l’on puisse imaginer. Quand elle fait la tournée des bars, elle oublie son porte monnaie et promet de revenir le lendemain. Les factures ? Elle ne les paie jamais parce qu’elle y comprend rien à toute cette paperasse et puis « c’est des voleurs, ils écrivent n’importe quoi, on veut m’escroquer. » Quand les voisins débarquent chez elle avec une pétition pour lui demander de quitter son taudis, elle fait semblant de ne rien comprendre et tous repartent la queue entre les jambes. Son âge avancé est son plus bel atout. Elle use et abuse de sa condition de vieille femme misérable pour profiter de tous les gens qui l’entourent. Sa méthode est simple et consiste à inverser les rôles en se plaignant haut et fort que l’on abuse de sa sénilité alors qu’en fait elle est en train mettre à la torture son interlocuteur. Résultat, les commerçants la craignent comme la peste, le médecin a perdu sa réputation à cause d’elle et le terrassier chargé de creuser une tranchée dans sa cour pour amener le gaz finit sa journée au bord de la dépression.

Carmen vit dans une maison entourée de murs qu’elle a fait construire pour s’isoler quand le quartier est devenu résidentiel. Ses voisins sont ses souffre-douleurs préférés, surtout Raoul, alcoolique notoire qui multiplie les crises de delirium et à qui elle demande constamment de porter son vélo dans les escaliers. Il y a aussi le Duc, un aristo qui a perdu sa fortune au jeu et qui s’émerveille devant le caractère entier de la vieille femme ou encore Poupi Mouvillon, un teigneux rêvant de voir son irascible voisine foutre le camp mais qui n’a pas assez de cran pour aller lui dire en face. Coté famille, Carmen a un neveu indigne qui ne pense qu’à récupérer son héritage et une mère à l’hospice qui lui écrit une fois par an.

Ces gens-là sont ceux que chantait Brel, l’humour (noir) en plus.

Jean-Marc Lelong a d’abord publié cinq volumes entre 1984 et 1987 avant de déserter sa planche à dessin pendant plus de dix ans. Il y revient au début des années 2000 pour réaliser deux nouveaux albums avant de disparaître le 24 février 2004, à 55 ans. Carmen Cru restera à jamais une série mythique de la BD humoristique pour adulte. Cette incontrôlable misanthrope m’aura en tout cas durablement marqué et c’est avec un bonheur non dissimulé que j’ai plongé la tête la première dans cette délicieuse intégrale.


Carmen Cru : l’intégrale de Jean-Marc Lelong. Fluide Glacial, 2011. 190 pages. 14 euros.

Lelong © Fluide Glacial 2011




mardi 6 novembre 2012

Le premier mardi c'est permis (11) : Mémoires de fanny Hill, femme de plaisir

Cleland © Bernard Pascuito 2008
Un bouquin trouvé en brocante. Le problème avec les livres érotiques achetés d’occasion, c’est qu’on risque à tout moment de tomber sur des pages collées. Pas que ça me dégoûte (pensez donc, j’en ai vu d’autres...) mais si je dois utiliser le coupe papier, il y a un risque de déchirure et je n’aime pas abîmer les livres. En tout cas le problème ne s’est pas posé avec celui-là parce qu’il était dans un état impeccable. Jamais lu à mon avis. Pourtant c’est un classique : « le plus grand roman érotique anglais de l’âge d’or du libertinage » dixit l’éditeur. Son auteur, John Cleland, l’a écrit en 1749 alors qu’il était emprisonné pour dettes. L’ouvrage demeurera son seul succès et le rendra riche, lui évitant de retourner au cachot. Le récit est tellement « audacieux » pour le puritanisme anglais que la perfide Albion n’autorisera sa publication officielle qu’en 1963. En France, c’est Apollinaire, au début des années 20, qui offrit la première édition érudite de Fanny Hill, lui donnant par la même ses lettres de noblesse littéraire. Dans la version d’Apollinaire, les passages les plus « compromettants » étaient relégués en notes de bas de page. Cette édition de Bernard Pascuitto peut donc être considérée comme la première publication intégrale et non expurgée de ce que nombre de lecteurs considèrent comme un chef d’œuvre.

Pour créer le personnage de Fanny Hill, Cleland s’est inspiré de Fanny Murray, une prostituée de 17 ans qui était l’idole des aristocrates londoniens. Sous la plume du romancier, Fanny raconte ses expériences à travers deux longues lettres où elle décrit sa vie misérable à la campagne, son arrivée sans le sou dans la capitale, son initiation dans une fameuse maison close puis sa spécialisation dans les orgies les plus débauchées. On suit donc au fil des pages la transformation d’une oie blanche en prostitué de luxe. Mais le récit s’attarde également sur les considérations liées au savoir-vivre. Fanny insiste longuement sur la bonne attitude à adopter face à une clientèle haut de gamme et exigeante. L’intérêt réside aussi dans l’évolution de la jeune fille. D’abord pure et innocente, elle acquiert vite l’expérience suffisante pour comprendre comment profiter au mieux de sa situation. Fanny devient une forte femme, intelligente, clairvoyante. Loin d’être une incontrôlable nymphomane (comme les prostitués de Pierre Louÿs par exemple), Fanny ne dédaigne pas le plaisir, mais elle place aussi la vertu au-dessus du vice, ne perdant jamais de vue le fait que ses nombreuses expériences lui ont surtout permis de trouver sa place dans le monde et n’ont pas fait d’elle une débauchée.

Il n’y a rien de glauque dans le récit de Cleland. Les clients sont classe, jamais violents. Même l’adepte du fouet se révèle au final un garçon plutôt gentil. Bien sûr, on est souvent proche d’une certaine forme de caricature, mais je préfère retenir le bonne humeur et la joie de vivre qui traverse le récit. Dans ses deux lettres, Fanny s’attarde, non sans humour, sur les descriptions physiques de ses michetons. Pour ce qui est du passage à l’acte, les choses sont davantage suggérées qu’exprimées dans les moindres détails. Un style très imagé qui m’a beaucoup plu, surtout si l’on y ajoute l’emploi quasi constant d’un passé simple délicieusement désuet : « Comment pûtes-vous m’abandonner ? ».

Bref, je ne suis pas mécontent d’avoir découvert ce grand classique. Voila un roman libertin finalement assez peu émoustillant qui m’a pourtant fait passer un excellent moment de lecture.


Mémoires de fanny Hill, femme de plaisir, de John Cleland. Bernard Pascuito éditeur, 2008. 220 pages. 20 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Marie.

Allez zou, rendez- vous chez Stephie pour découvrir
les autre lectures inavouables du mois


dimanche 4 novembre 2012

Chi, une vie de chat 9 de Kanata Konami

Konami © Glénat 2012
A la fin du tome précédent, Chi, soignée pour une conjonctivite, rentrait à la maison affublée d’une collerette. Dans ce nouveau volume, la jeune chatte, débarrassée de cet instrument de torture qui l’empêchait de se déplacer à sa guise n’a qu’une envie, retourner jouer dehors avec Minou. Mais ses propriétaires décident de ne plus la laisser sortir pour éviter qu’il lui arrive d’autres malheurs. Devant sa détermination, son maître cède et décide de lui acheter une laisse. Mais lors de la première promenade, Chi parvient à se faire la malle. Une escapade au grand air et en totale liberté qui ne sera pas de tout repos...

Les deux ou trois tomes précédents m’avaient un peu lassé du chaton et de son environnement mais ce nouvel opus relance quelque peu la machine. Kanata Konami joue sur le contraste entre la difficile condition du chat des rues (Minou) et la vie confortable du chat d’appartement (Chi) qui n’a qu’à miauler pour qu’on lui donne à manger et qui possède un coussin moelleux pour faire la sieste. Chaque petit chapitre semble indépendant mais participe en fait à la progression de l’histoire, ce qui donne une vraie cohérence à l’ensemble.

Chi est une série qui plait vraiment à toute la famille (je parle de la mienne). C’est le seul manga à faire l’unanimité puisqu’il est lu par mes filles, ma femme et moi. Il faut dire que le dessin kawaï, les couleurs douces, les chapitres très courts et la publication dans le sens de lecture occidental sont des arguments de poids pour les jeunes lecteurs qui découvrent le manga. Les plus grands, surtout s’ils possèdent un chat, reconnaîtront dans les mimiques de Chi leur propre animal. L’auteur parvient avec une remarquable économie d’effets à traduire les attitudes et les sensations infimes qu’expriment nos félins préférés. C’est sans doute dans cette retranscription réaliste, dans ces observations précises et humoristiques qui rappellent au lecteur un univers familier que tient le succès grandissant la série. Une vraie belle réussite !


Chi, une vie de chat T9, de Kanata Konami. Glénat, 2012. 146 pages. 10,75 euros.

samedi 3 novembre 2012

A travers les champs bleus de Claire Keegan (rentrée littéraire 2012)

Keegan © Wespieser 2012
Difficile de résister au charme de Claire Keegan. Son roman Les trois lumières m’avait ébloui l’an passé. C’est donc avec une certaine impatience que j’attendais de la retrouver à l’occasion de cette rentrée littéraire avec un recueil de nouvelles intitulé A travers les champs bleus. Ses thèmes de prédilections sont toujours aussi présents. Il est donc question d’Irlande (sauf dans un texte se déroulant au Texas), de désir, de solitude, de monde rural et d’océan. Il y est aussi beaucoup question de renoncement, comme dans la nouvelle donnant son titre au recueil où un prêtre célébrant un mariage renonce à avouer son amour à la mariée. Renoncement encore dans La nuit des sorbiers, où un homme fruste voit partir femme et enfant sans chercher à les suivre. Renoncement également pour cette mère de famille mal mariée qui ne pourra se résoudre à quitter le foyer. Renoncement, une fois de plus, pour le frère d’une étudiante s’apprêtant à partir pour les Etats-Unis. Il dit lui aussi vouloir tourner le dos à la ferme et vivre autre chose mais au fond de lui, il sait qu’il n’en fera rien.

Dans ces nouvelles, les hommes sont des lâches, des salauds mal-dégrossis qui préfèreront toujours leurs terres à leur famille. Certains s’abîment dans le travail, d’autres s’abrutissent d’alcool. Beaucoup se perdent dans le désir de femmes qu’ils ne méritent pas. Ces dernières s’en tirent mieux. Elles ont du cran, sont déterminées et gardent un coté indomptable. Elles continuent de croire que tout reste possible malgré les écueils qui se dressent devant elles.

Je suis toujours aussi émerveillé par la prose de Claire Keegan. Elle sait retranscrire à merveille la pluie, le vent et les tourbières, la violence des liens archaïques qui unissent les êtres. Sa prose est simple, limpide, précise. Pas un poil de gras, pas un mot de trop.

Je sais bien que la nouvelle n’est pas un genre très prisé par chez nous. Mais si vous n’aviez qu’un seul recueil à lire cette année, je vous conseille de vous laisser tenter par cette étourdissante balade à travers les champs bleus.

A travers les champs bleus de Claire Keegan. Sabine Wespieser éditeur, 2012. 256 pages. 22 euors.

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