mercredi 9 mai 2012

Daytripper : au jour le jour

Moon et Bà © Urban Comics 2012
A 32 ans, Bràs de Oliva Domingos a en charge la rubrique nécrologique d’un journal de Sao Paulo. A 21 ans, il a traversé le Salvador avec Jorge, son meilleur ami. Sept ans plus tard, il a vécu son premier véritable chagrin d’amour. Il lui faudra attendre le début de la quarantaine pour connaître les joies de la paternité. C’est à cette même époque qu’il est devenu un célèbre écrivain. Entre temps, il aura perdu Jorge et aura dû affronter une vie de famille chaotique. Enfin, à 76 ans, au crépuscule de sa vie, Bràs méditera sur les dernières lignes écrites à son attention par son propre père : « Quand tu accepteras qu’un jour tu mourras, tu profiteras vraiment de la vie. »

Une préface de Cyril Pedrosa et une postface de Craig Thompson. Déjà, ça sent bon. Petit conseil, il faut se lancer dans ce roman graphique ambitieux sans à priori. Se laisser prendre par la main et découvrir les mille et une vies de ce personnage qui pourrait tout à fait être vous ou moi.

Les frères jumeaux Fabio Moon et Gabriel Bà ont tricoté un canevas imparable. Attention, la narration est complexe, exigeante. La construction éclatée, les nombreux flashbacks, les périodes de la vie de Bràs présentées de façon non chronologique, tout cela demande beaucoup de concentration pour ne pas perdre le fil. Mais vos efforts seront récompensés au final tant cet album est de qualité.

L’amour, la mort, la famille, l’amitié, la carrière, tous ces sujets sont abordés au fil des pages à travers le destin de Bràs. Ça ressemble à une vie, quoi. Le ton est juste, touchant sans jamais tomber dans le pathos. Réfléchir à l’avenir, se retourner sur son passé et profiter du moment présent, voila le triptyque défendu par les auteurs.

Dans sa postface, Craig Thompson parle de puissance narrative. On referme en effet l’album en se disant que l’ensemble du récit, malgré sa construction complexe, est parfaitement maîtrisé. Le trait est simple et expressif. Un encrage épais qui rappelle les comics et un découpage audacieux alliant efficacité et lisibilité. Seul regret, la présence de la couleur qui pour moi n’apporte rien. J’aurais préféré des planches en noir et blanc mais c’est vraiment mon seul tout petit bémol.

Daytripper est un album qui se mérite. Pas question de le lire à la va vite. Il faut être en mesure de recevoir avec la plus grande attention cette lumineuse parabole sur le sens de la vie. Sans conteste pour moi la plus belle pépite dénichée depuis le début de l’année 2012.


Daytripper : au jour le jour de Fabio Moon et Gabriel Bà. Urban Comics, 2012. 256 pages. 22.50 euros.

L'avis de Lunch

Moon et Bà © Urban Comics 2012

 




Will Eisner 2011 du meilleur récit complet

vendredi 4 mai 2012

Les années n°8

Un numéro 8 consacré en grande partie à la culture et à la littérature Grecque contemporaine. Au sommaire, un portrait du poète Yannis Ritsos, un focus sur la tradition musicale du « Rébétiko » et sur celle du « Karaghiozis » (théâtre d’ombres) ainsi qu’une présentation du Colosse de Maroussi, un livre d’Henri Miller datant de 1941.

Dans le reste de la revue, retrouvez les rubriques habituelles avec une nouvelle de Nathalie Mercier, un portrait du poète haïtien Anthony Phelps, une critique élogieuse de l’ouvrage de Sylvain Tesson « Dans les forêts de Sibérie » (je vous invite à relire la note de lecture assassine concernant ce même ouvrage publié dans le premier numéro de la revue) et la chronique d’un professeur Hernandez très en forme. De mon coté, je vous parle d’Une Métamorphose iranienne, une BD de Mana Neyestani.

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.

Téléchargez le n°8

Rendez-vous le 15 mai pour le n°9.

mercredi 2 mai 2012

Durango : l'intégrale

Swolfs © Soleil 2012
Durango est un héros de papier de ma jeunesse (de mon adolescence plus précisément). Avec lui, j’ai chevauché les plaines du Wyoming et de l’Utah, j’ai erré dans le désert d’Arizona, j’ai franchi les portes de saloon cradingues empestant la fumée et la sueur, j’ai descendu un nombre incalculable de salopards et j’ai couché avec quelques femmes de petite vertu. Archétype du cow-boy solitaire, Durango est un « nettoyeur ». C’est le gars que l’on appelle en toute dernière extrémité quand il n’y a plus moyen de faire autrement. Parce que l’on sait qu’avec lui dans les parages, les cadavres vont s’amonceler. Attention, Durango n’est pas un tueur à gage. Il ne défouraille qu’en état de légitime défense. Avec son chapeau, sa longue veste, son colt allemand, sa barbe de trois jours et ses magnifiques yeux verts, Durango est une icône. Un cow-boy taciturne et froid comme une lame dont j’ai lu et relu les aventures des dizaines de fois.

En ce printemps 2012, les éditions Soleil ont la bonne idée de publier une intégrale consacrée au héros de Swolfs. L’occasion de (re)découvrir les quatre premiers volumes d’une saga devenue mythique pour beaucoup de lecteurs. Dans le tome 1, en plein hiver, Durango va venger la mort de son frère. Dans le second, il viendra en aide à un village incapable de se défendre face à une horde de bandits sans pitié. Dans le troisième, pris au piège d’une diabolique machination et accusé à tort de meurtre, il va défendre son innocence à sa manière, c'est-à-dire dans un bain de sang. Enfin, dans le quatrième, il va s’associer à un mexicain trafiquant d’armes pour échapper à des chasseurs de prime.

Fortement inspirée des westerns spaghettis à la Sergio Leone, Durango est une œuvre violente, sans concession. Un hommage au genre d’une redoutable efficacité avec une intrigue souvent minimaliste et linéaire dont le seul but est de mettre en scène de sanglantes fusillades très chorégraphiées. Bien sûr, on peut considérer que Swolfs n’a rien inventé. Le raccourci avec Blueberry notamment semble à première vue évident. Et pourtant. A l’époque de Blueberry, la censure faisait rage et la violence devait rester très modérée. Dans Durango, les barrières sont tombées. Le sang gicle, les cadavres sont montrés en gros plan et les filles faciles sont nues.

Il faut par ailleurs reconnaître que le charme de la série tient pour beaucoup dans le trait de Swolfs. Quels réalisme, quel souffle, quelle maîtrise du découpage ! La fluidité des scènes d’action est à montrer dans les écoles de dessin. Du grand art !

Bon vous aurez compris que je ne suis pas objectif parce que je suis fan. On a bien le droit de temps en temps de se laisser aller à vanter les mérites d’une série que l’on adore sans forcément trouver les arguments les plus convaincants de la terre. Je dis juste ça en passant, au cas où une personne découvrant ce billet franchisse le pas et soit déçue par sa lecture. C’est une éventualité dont je n’assumerais pas la responsabilité, je vous préviens !!


Durango, intégrale T1 de Yves Swolfs. Soleil, 2012. 194 pages. 29.95 euros.


Swolfs © Soleil 2012



vendredi 27 avril 2012

Seuls 7 : Les terres basses

Vehlmann et Gazzotti
© Dupuis 2012
Tadam ! Je vous avais déjà fait le coup il y a quelques temps avec Ernest et Rebecca. En tant qu’abonné au magazine Spirou, je reçois mon exemplaire une semaine à l’avance. Et dans le numéro daté du 2 mai, c’est le grand retour de Seuls !
A la fin du sixième volume, une partie de la ville s’est enfoncée. Les enfants sont maintenant prisonniers de la zone rouge et doivent à tout prix trouver un moyen d’escalader la falaise de gravats qui les entoure….
Onze planches seulement dans cette première livraison, la prépublication de l’ensemble de l’album devant s’étaler sur six semaines. Bon je ne vais pas spolier plus que ça mais disons que ça démarre sur les chapeaux de roue : la tension entre Saul et Dodji est encore très palpable, une créature étrange apparaît et la série prend quelques airs de Walking dead…
  
Toujours aussi bien foutue, quoi. Vivement donc le 1er juin et la sortie officielle de l’album. D’ici là je vais guetter avec impatience mon Spirou chaque semaine dans la boîte aux lettres.

Seuls T7 : Les terres basses  de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti. Dupuis, 2012. 46 pages. 10.60 euros. 

Vehlmann et Gazzotti © Dupuis 2012

jeudi 26 avril 2012

Clandestin de Philip Caputo

Caputo © Le Cherche Midi 2012
Gill Castle a perdu sa femme dans les attentats du 11 septembre. Incapable de surmonter sa peine, ce financier New Yorkais aux revenus très confortables décide de tout plaquer pour partir s’installer sur le ranch de son cousin Blaine, au fin fond de l’Arizona. A quelques kilomètres à peine de la frontière mexicaine, Castle tente de se reconstruire dans la solitude et l’isolement. Mais le jour où il sauve d’une mort certaine un mexicain ayant franchi la frontière clandestinement, il ne se doute pas que cette rencontre va changer sa vie…

Des années que je n’avais pas lu un tel pavé ! Je suis plutôt un adepte des écritures minuscules, des recueils de nouvelles et des courts romans. J’aime les auteurs capables de dire beaucoup en peu de mots, ceux qui vous installent une ambiance avec un minimum de moyens. Là pour le coup, c’est tout le contraire. Clandestin est un roman ambitieux, ample, très construit, où plusieurs histoires s’entremêlent allègrement. Le propos de Caputo pousse à la réflexion. Dans cette Amérique violente où la frontière mexicaine ressemble de plus en plus à une ligne de front, il est temps de s’interroger. Sur la condition des migrants, sur la position défendue par les propriétaires terriens américains, sur les motivations purement financières des passeurs et des narcotrafiquants, sur le rôle ambigu joué par la police… Beaucoup de questions qui n’appellent au final aucune prise de position franchement tranchée. « Certains de ces immigrants ont des histoires qui font passer Les raisins de la colère pour une comédie », déclare l’un des personnages. Castle porte également un regard plein d’humanité sur le clandestin qu’il vient de sauver : « Miguel était une victime-née […] Il y avait en lui quelque chose de doux, de triste, de malheureux, qui éveillait des sentiments de tendresse […] en même temps que ça invitait, presque inexorablement, la cruauté aveugle du monde à s’abattre sur lui. » Mais quand ces mêmes clandestins saccagent vos terres, votre perception évolue rapidement : « Je comprends les mexicains. […] Ils n’ont qu’à ramper sous une clôture ou escalader un mur pour gagner dix dollars de l’heure en passant le balai chez Wal-Mart (contre dix dollars par jour chez eux). Y a pas photo. Je ferais pareil. Mais on m’a découpé mes clôtures. Et il y a deux ans Mc Intyre a attrapé un clandestin qui essayait de piquer ma camionnette. Je suis désolée pour ces gens, mais en même temps il me font vraiment chier, et je crois que je ne devrais pas avoir de scrupules. » C’est cette ambivalence des sentiments qui fait à mes yeux tout le sel du récit. Non, ce n’est pas tout blanc ou tout noir, ce n’est pas si simple.

Le point de vue tout en finesse pousse le lecteur à la réflexion mais au final Clandestin reste avant tout un roman plein de souffle, une saga familiale aux nombreux rebondissements qui se lit d’une traite. A recommander sans réserve !         

Clandestin de Philip Caputo, Le Cherche Midi, 2012. 732 pages. 22,00 euros.

L'avis de Kathel

L'avis de Clara

L'avis de Keisha

mercredi 25 avril 2012

L’homme qui marche

Taniguchi © Casterman 2012
L’homme qui marche, c’est l’histoire d’un homme… qui marche. Il marche en promenant son chien, il marche en rentrant du bureau, il marche sous la pluie, il marche quand il fait nuit, il marche dans la ville après une tempête, bref, il marche tout le temps. Quoi d’autre me direz-vous ? Et bien rien, strictement rien. Il marche, un point c’est tout.
  
Pourquoi j’adore ce manga ? Parce qu’il ne s’y passe rien justement. C’est le registre de Taniguchi que je préfère, celui de l’intime et du contemplatif, de la solitude et de l’oisiveté. Marcher sans but, se perdre dans une flânerie où le chemin compte plus que la destination, c’est une attitude qui me parle. Je suis moi-même un gros marcheur. Pas de voiture, pas de transport en commun. Je marche pour aller ou pour revenir du boulot quel que soit le temps. J’adore marcher dans le froid glacial ou sous le soleil radieux de l’été. Même marcher sous la pluie ne me déplait pas. Alors oui, ce personnage de marcheur solitaire me plait. J’aime sa simplicité, le coté méditatif de sa marche, son sens de l’observation, le fait qu’il prenne son temps, qu’il ne se balade pas avec des écouteurs sur les oreilles ou les yeux rivés à l’écran de son smartphone. 

Le trait du mangaka est pour beaucoup dans le charme qui se dégage de ce titre. Les décors sont magnifiques de précision, les perspectives, nombreuses, sont d’une grande minutie. L’attention portée aux expressions du visage est également à signaler. Tout est dit dans ce port de tête légèrement incliné vers le haut, ce regard pétillant du marcheur attentif à l’environnement qui l’entoure.

Grâce à cette réédition somptueuse célébrant les 10 ans de la collection Écritures de Casterman, ce volume entre enfin sur les rayonnages de ma bibliothèque. L’objet en lui-même est magnifique : un tirage limité à 3000 exemplaires avec couverture imprimée sur papier métallique, tranche-fil, signet et bord des pages dorées (je vous avais parlé de cette opération anniversaire ici). Petit bémol tout de même pour les collectionneurs obsédés par l’état parfait des BD qu’ils achètent (ce n’est pas mon cas mais ils sont plus nombreux qu’on ne le croit) : la couverture métallique est tellement fragile qu’elle marque au moindre petit coup. Chez mon libraire, aucun exemplaire n’était exempt de défaut (trace de frottement ou léger enfoncement). Bon courage, donc si vous vous lancer dans la quête d’un volume à l’état absolument impeccable ! Si vous êtes moins pointilleux et que cet inclassable manga vous tente, laissez vous embarquer, vous ne devriez pas le regretter.        
  

L’homme qui marche, de Jirô Taniguchi. Édition spéciale, Caterman 2012. 155 pages. 18.50 euros.  


Taniguchi © Casterman 2012






mardi 24 avril 2012

Ma vie précaire d’Elise Fontenaille

Fontenaille © Calmann-lévy 2012
« Lorsque j’étais enfant, je voulais être pauvre et écrivain ». Comme quoi, les rêves d’enfance se réalisent parfois. Elise, double littéraire de l’auteur, ne peut plus payer son loyer. Elle décide donc se débarrasser de tout ce qui se trouve dans son logement avant de le quitter et elle commence par les livres. Ne souhaitant pas les vendre, elle les descend en bas de chez elle et les offre aux passants : « Donner mes livres, c’était comme offrir un mari qu’on ne regarde plus à une femme qui le désire… ». Après les livres, ce sera au tour de la vaisselle, des vêtements et des meubles. Au final, il ne restera plus rien. « A ma grande surprise, moi qui ne suis pas d’un naturel généreux, loin de là – plutôt d’un égoïsme total et décomplexé : après moi le déluge -, je me découvrais heureuse de donner, de tout donner. » En rendant les clés de son appartement, Élise sait qu’elle entame une période de précarité et de nomadisme. Des amis lui prêtent une maison à St Nazaire. Un atelier d’écriture l’emmène pour quelques temps en Guyane. Le retour à Paris est difficile, la marchande de sommeil qui lui loue une chambre de bonne insalubre est un odieux personnage. Après quelques détours en Corse et dans le Tarn elle trouve enfin un vrai studio dans ses modestes moyens en face de l’hôpital Saint-Louis. L’écrivain nomade se sédentarise et semble retrouver un certain équilibre…

J’aime bien Élise Fontenaille. Je vous en ai parlé ici et ici. Ma vie précaire tient presque du journal intime. Difficile de démêler le vrai du faux mais il semble bien que la plupart des événements relatés se sont vraiment déroulés. Les premiers chapitres sont excellents, de l’installation de sa « bibliothèque sauvage » en bas de chez elle à son voyage en Guyane, les anecdotes sont savoureuses et traitées sans pathos. Le problème, c’est que par la suite, l’empilement des saynètes et des portraits plutôt fades a sérieusement entamé mon intérêt pour le texte. Le pire, (pour moi) ce sont tous ces chapitres où elle s’attarde sur ses nombreuses conquêtes, le plus souvent des jeunes gens d’origines exotiques qui ne font que défiler dans sa vie (et dans son lit) les uns après les autres. Du récit léger et émouvant on passe à cette autofiction pure et dure que je ne supporte pas. Franchement, les nombreux succès de la narratrice sur les sites de rencontres m’ont laissés totalement de marbre.

Au final, ce roman autofictionnel m’est apparu bancal. Des débuts franchement réussis et une fin laborieuse, limite pénible. Heureusement qu’il n’y avait pas 50 pages de plus, je crois que j’aurais abandonné en route. Une relative déception donc, qui ne m’empêchera cependant pas de m’intéresser aux futures publications de cette auteure attachante.

Ma vie précaire, d’Élise Fontenaille. Calmann-lévy, 2012. 206 pages. 15,50 euros. 

samedi 21 avril 2012

Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une nymphomane alcoolique

Sharpe © Belfond 2012
Au secours, Wilt revient ! Pour ceux qui ne le connaissent pas, Henry Wilt est professeur à l’université britannique de Fenland. Il a en charge l’enseignement des techniques de la communication, une matière qui n’attire que des élèves de piètre qualité. Malgré son statut, le salaire du professeur ne suffit pas à faire bouillir la marmite. Il faut dire que sa femme, Eva, a souhaité inscrire leurs quadruplées dans une école privée dont les frais de scolarités sont exorbitants. En plus, les quatre gamines sont ingérables et rendent folles les responsables de l’établissement qui n’ont qu’une envie, les virer. Jamais avare de fausses bonnes idées, Eva pense avoir trouvé une solution aux problèmes financiers du ménage : pendant les vacances d’été, son mari va donner des cours particuliers à Edward Gadsley, un gosse de riches décervelé dont la mère pense qu’il peut intégrer la prestigieuse faculté de Cambridge grâce à une solide remise à niveau. Problème, Edward est un crétin fini, sa mère une nymphomane alcoolique et son beau-père un richissime aristocrate imbuvable. Wilt le sait, il va s’embarquer dans une sacrée galère. Mais il ne se doute pas du cauchemar qui l’attend dans le manoir des Gadsley…

Pour le cinquième épisode des aventures de son loser préféré, Tom Sharpe frappe fort. Son petit prof sans envergure, toujours affublé d’une femme tenant plus du dragon que de la tendre épouse et de quadruplées aussi odieuses que douées pour inventer les pires catastrophes, se fourre une fois de plus dans un inextricable guêpier. En anglais, Wilt signifie « dégonflé ». Un qualificatif parfait pour un antihéros dont le courage n’est certes pas la qualité première.

L’humour en littérature est un exercice des plus difficiles. Sharpe est passé maître en la matière, c’est indéniable. Franchement, je me suis régalé. Les aventures de Wilt sont à la fois rocambolesques et désopilantes. Les personnages semblent tous complètement cintrés, pervers, grossiers et abrutis. De l’humour, donc mais de l’humour très vache et une plume trempée dans l’acide qui dresse un impitoyable portrait d’aristos dégénérés. Un roman déjanté mais qui reste pétri de finesse, humour anglais oblige. So british !


Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une nymphomane alcoolique
, de Tom Sharpe. Belfond, 2012. 276 pages. 19 euros.

vendredi 20 avril 2012

Jamestown

Hittinger © The Hoochie Coochie 2007
Décembre 1606. Trois navires quittèrent Londres avec pour mission d’établir une colonie en Amérique du Nord. Trois cents hommes en tout, espérant que cette aventure leur permettrait de faire fortune rapidement. Parmi eux, le capitaine John Smith, un officier expérimenté ayant notamment prouvé sa bravoure en méditerranée. Après quelques escales aux Antilles, les navires remontèrent toujours plus vers le nord. C’est finalement le 24 mai 1607, sur les cotes de la Virginie que fut officiellement fondée la colonie de Jamestown, baptisée ainsi en l’honneur du roi James. Jusqu’à son retour forcé en Grande Bretagne à l’automne 1609, John Smith fut un des membres les plus importants de la communauté. Aujourd’hui encore, il reste considéré comme un héraut de la colonisation anglaise en Amérique du Nord.

Le projet de Chrisopher Hittinger était au départ assez simple. Son but ? Raconter l’aventure de Smith et de ses camarades en respectant au maximum la réalité historique, loin de toutes les versions romancées proposées habituellement. Certes, Smtih a rencontré Pocahnontas. Il se pourrait même qu’elle lui ait sauvé la vie. Mais point d’histoire d’amour entre eux, on n’est pas chez Disney !

L’histoire de Jamestown, c’est celle d’une installation éprouvante pour des hommes pas du tout préparés à affronter un tel environnement. Il y a d’abord eu la difficile cohabitation avec les indiens, ponctuée d’épisodes très violents. Puis survinrent les dissensions internes, la maladie, la faim, la rudesse du climat… Pour couronner le tout, un incendie ravagea la ville.

L’auteur insiste sur les luttes intestines qui ont gravement mis en danger la cohésion du groupe et sur l’attitude ambiguë des colons vis-à-vis des autochtones. Smith, notamment, n’hésitait pas à utiliser la force si nécessaire et il savait par ailleurs faire preuve de bonne volonté lorsque cela s’avérait utile, surtout quand il avait besoin de indiens pour se procurer de la nourriture. Vous avez-dit opportuniste ?

La vraie originalité de l’album réside dans le style très particulier de l’auteur, fortement influencé par l’œuvre d’Edward Gorey, un illustrateur américain proche des surréalistes. L’éditeur qualifie à juste titre ce style « d’allégorique ». Plutôt que de proposer un trait ultra-réaliste, Hittinger donne à chaque personnage une forme très particulière (voir extrait ci-dessous). Rajouter à cela une absence totale de dialogues (les événements sont uniquement relatés dans des récitatifs), un découpage se limitant à des doubles illustrations pleine page ainsi qu’une utilisation du noir et blanc plutôt anxiogène et vous vous retrouvez avec une sorte d’OVNI inclassable d’un point de vue graphique.

Je ne suis d’ordinaire pas fan de la BD underground, je préfère de loin le classicisme aux expérimentations parfois incontrôlables. Je me suis donc surpris à éprouver un réel plaisir à la lecture de cet album. Sans doute parce que le sujet m’a beaucoup intéressé mais aussi parce que, malgré les apparences, il se dégage du dessin une surprenante cohérence.

Un grand merci à Libfly et à The Hoochie Coochie pour la découverte.


Jamestown, de Chritopher Hittinger, Éditions The Hoochie CoochieAlbin, 2007. 232 pages. 20 euros.



Hittinger © The Hoochie Coochie 2007


Hittinger © The Hoochie Coochie 2007

jeudi 19 avril 2012

Les schtroumpfs 30 : Les schtroumpfs de l’ordre

Peyo et Culliford © Le Lombard 2012
Ceux qui passent régulièrement par ici connaissent ma passion pour les schtroumpfs. J’en ai déjà parlé ici, , , , et . Comme chaque année dès que le printemps arrive, je file chez mon libraire acheter le nouvel album. Pour le 30ème volume, Thierry Culliford, le fils de Peyo, a choisi de faire rentrer les forces de l’ordre dans le village des schtroumpfs.

Lassé de devoir régler les petites querelles quotidiennes qui empoisonnent la vie de la communauté, le grand schtroumpf décide de rédiger un livre des lois. Tous les habitants sont invités à participer à la création de ce « code schtroumpf de bonne conduite ». Chacun voyant midi à sa porte, les petits hommes bleus transforment le code en une longue liste d’interdictions : pour le schtroumpf jardinier, il faudrait interdire la traversée de son champ. Pour le pêcheur, il faudrait interdire de « schtroumpfer n’importe quoi dans la rivière » alors que pour le paresseux, il faudrait interdire de faire du bruit pendant sa sieste. Au final, le code schtroumpf s’apparente à une longue liste d’interdits. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et l’application du code s’avère bien plus délicate que sa rédaction. D’où la décision de créer des « schtroumpfs de l’ordre » chargés de faire appliquer les lois...

Comme d’habitude depuis maintenant quelques albums, Culliford s’amuse à brocarder les travers de notre société en les appliquant à l’univers des schtroumpfs. Après les superstitions, le tourisme de masse et le machisme, place au « tout sécuritaire ». Rien de bien original au fond même si le traitement humoristique de la question rend la lecture plutôt légère. Sans évidemment exprimer une quelconque position politique, le scénariste égratigne à la fois la police et les schtroumpfs lambda, décrits comme râleurs, égoïstes et procéduriers. Une simple transposition des travers humains qui se révèle au final assez fade.

Pour valider mon impression mitigée, j’ai donné l’album à un juge aussi impartial qu’impitoyable, ma fille de 9 ans. Elle a eu une attitude que je trouve assez saine quand je lui propose une lecture, à savoir qu’elle est toujours partante pour se lancer sans à priori mais qu’elle parvient très rapidement à se forger un avis. En fait, il n’y a que deux solutions : ou bien le livre lui plaît et elle le dévore, ou bien elle n’accroche pas et elle l’abandonne comme une vieille chaussette pour passer au suivant. C’est assez radical et je ne doute pas qu’en grandissant elle saura faire preuve de plus de mesure mais pour l’instant son attitude face à la lecture me convient. Bref tout ça pour vous dire que ces « schtroumpfs de l’ordre » n’ont pas fait long feu. A peine 20 pages avant qu’elle ne revienne vers moi en prononçant la sentence définitive : « Tiens, je te le rends, j’aime pas. » Je ne fais pas partie (loin de là !) de ceux qui pensent que la vérité sort de la bouche des enfants mais pour le coup je ne suis pas loin d’être d’accord avec elle : le 30ème album des schtroumpfs est un petit cru qui tombe dans une coupable facilité et n’apporte strictement rien de nouveau à la série.

Mais bon, je ne suis pas rancunier et je serais fidèle au rendez-vous l’année prochaine pour découvrir la nouvelle aventure des petits hommes bleus.

Les schtroumpfs T30 : Les schtroumpfs de l’ordre de Culliford, Jost et De Coninck. Le Lombard, 2012. 48 pages. 10,60 euros.


Peyo et Culliford © Le Lombard 2012