mardi 24 avril 2012

Ma vie précaire d’Elise Fontenaille

Fontenaille © Calmann-lévy 2012
« Lorsque j’étais enfant, je voulais être pauvre et écrivain ». Comme quoi, les rêves d’enfance se réalisent parfois. Elise, double littéraire de l’auteur, ne peut plus payer son loyer. Elle décide donc se débarrasser de tout ce qui se trouve dans son logement avant de le quitter et elle commence par les livres. Ne souhaitant pas les vendre, elle les descend en bas de chez elle et les offre aux passants : « Donner mes livres, c’était comme offrir un mari qu’on ne regarde plus à une femme qui le désire… ». Après les livres, ce sera au tour de la vaisselle, des vêtements et des meubles. Au final, il ne restera plus rien. « A ma grande surprise, moi qui ne suis pas d’un naturel généreux, loin de là – plutôt d’un égoïsme total et décomplexé : après moi le déluge -, je me découvrais heureuse de donner, de tout donner. » En rendant les clés de son appartement, Élise sait qu’elle entame une période de précarité et de nomadisme. Des amis lui prêtent une maison à St Nazaire. Un atelier d’écriture l’emmène pour quelques temps en Guyane. Le retour à Paris est difficile, la marchande de sommeil qui lui loue une chambre de bonne insalubre est un odieux personnage. Après quelques détours en Corse et dans le Tarn elle trouve enfin un vrai studio dans ses modestes moyens en face de l’hôpital Saint-Louis. L’écrivain nomade se sédentarise et semble retrouver un certain équilibre…

J’aime bien Élise Fontenaille. Je vous en ai parlé ici et ici. Ma vie précaire tient presque du journal intime. Difficile de démêler le vrai du faux mais il semble bien que la plupart des événements relatés se sont vraiment déroulés. Les premiers chapitres sont excellents, de l’installation de sa « bibliothèque sauvage » en bas de chez elle à son voyage en Guyane, les anecdotes sont savoureuses et traitées sans pathos. Le problème, c’est que par la suite, l’empilement des saynètes et des portraits plutôt fades a sérieusement entamé mon intérêt pour le texte. Le pire, (pour moi) ce sont tous ces chapitres où elle s’attarde sur ses nombreuses conquêtes, le plus souvent des jeunes gens d’origines exotiques qui ne font que défiler dans sa vie (et dans son lit) les uns après les autres. Du récit léger et émouvant on passe à cette autofiction pure et dure que je ne supporte pas. Franchement, les nombreux succès de la narratrice sur les sites de rencontres m’ont laissés totalement de marbre.

Au final, ce roman autofictionnel m’est apparu bancal. Des débuts franchement réussis et une fin laborieuse, limite pénible. Heureusement qu’il n’y avait pas 50 pages de plus, je crois que j’aurais abandonné en route. Une relative déception donc, qui ne m’empêchera cependant pas de m’intéresser aux futures publications de cette auteure attachante.

Ma vie précaire, d’Élise Fontenaille. Calmann-lévy, 2012. 206 pages. 15,50 euros. 

samedi 21 avril 2012

Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une nymphomane alcoolique

Sharpe © Belfond 2012
Au secours, Wilt revient ! Pour ceux qui ne le connaissent pas, Henry Wilt est professeur à l’université britannique de Fenland. Il a en charge l’enseignement des techniques de la communication, une matière qui n’attire que des élèves de piètre qualité. Malgré son statut, le salaire du professeur ne suffit pas à faire bouillir la marmite. Il faut dire que sa femme, Eva, a souhaité inscrire leurs quadruplées dans une école privée dont les frais de scolarités sont exorbitants. En plus, les quatre gamines sont ingérables et rendent folles les responsables de l’établissement qui n’ont qu’une envie, les virer. Jamais avare de fausses bonnes idées, Eva pense avoir trouvé une solution aux problèmes financiers du ménage : pendant les vacances d’été, son mari va donner des cours particuliers à Edward Gadsley, un gosse de riches décervelé dont la mère pense qu’il peut intégrer la prestigieuse faculté de Cambridge grâce à une solide remise à niveau. Problème, Edward est un crétin fini, sa mère une nymphomane alcoolique et son beau-père un richissime aristocrate imbuvable. Wilt le sait, il va s’embarquer dans une sacrée galère. Mais il ne se doute pas du cauchemar qui l’attend dans le manoir des Gadsley…

Pour le cinquième épisode des aventures de son loser préféré, Tom Sharpe frappe fort. Son petit prof sans envergure, toujours affublé d’une femme tenant plus du dragon que de la tendre épouse et de quadruplées aussi odieuses que douées pour inventer les pires catastrophes, se fourre une fois de plus dans un inextricable guêpier. En anglais, Wilt signifie « dégonflé ». Un qualificatif parfait pour un antihéros dont le courage n’est certes pas la qualité première.

L’humour en littérature est un exercice des plus difficiles. Sharpe est passé maître en la matière, c’est indéniable. Franchement, je me suis régalé. Les aventures de Wilt sont à la fois rocambolesques et désopilantes. Les personnages semblent tous complètement cintrés, pervers, grossiers et abrutis. De l’humour, donc mais de l’humour très vache et une plume trempée dans l’acide qui dresse un impitoyable portrait d’aristos dégénérés. Un roman déjanté mais qui reste pétri de finesse, humour anglais oblige. So british !


Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une nymphomane alcoolique
, de Tom Sharpe. Belfond, 2012. 276 pages. 19 euros.

vendredi 20 avril 2012

Jamestown

Hittinger © The Hoochie Coochie 2007
Décembre 1606. Trois navires quittèrent Londres avec pour mission d’établir une colonie en Amérique du Nord. Trois cents hommes en tout, espérant que cette aventure leur permettrait de faire fortune rapidement. Parmi eux, le capitaine John Smith, un officier expérimenté ayant notamment prouvé sa bravoure en méditerranée. Après quelques escales aux Antilles, les navires remontèrent toujours plus vers le nord. C’est finalement le 24 mai 1607, sur les cotes de la Virginie que fut officiellement fondée la colonie de Jamestown, baptisée ainsi en l’honneur du roi James. Jusqu’à son retour forcé en Grande Bretagne à l’automne 1609, John Smith fut un des membres les plus importants de la communauté. Aujourd’hui encore, il reste considéré comme un héraut de la colonisation anglaise en Amérique du Nord.

Le projet de Chrisopher Hittinger était au départ assez simple. Son but ? Raconter l’aventure de Smith et de ses camarades en respectant au maximum la réalité historique, loin de toutes les versions romancées proposées habituellement. Certes, Smtih a rencontré Pocahnontas. Il se pourrait même qu’elle lui ait sauvé la vie. Mais point d’histoire d’amour entre eux, on n’est pas chez Disney !

L’histoire de Jamestown, c’est celle d’une installation éprouvante pour des hommes pas du tout préparés à affronter un tel environnement. Il y a d’abord eu la difficile cohabitation avec les indiens, ponctuée d’épisodes très violents. Puis survinrent les dissensions internes, la maladie, la faim, la rudesse du climat… Pour couronner le tout, un incendie ravagea la ville.

L’auteur insiste sur les luttes intestines qui ont gravement mis en danger la cohésion du groupe et sur l’attitude ambiguë des colons vis-à-vis des autochtones. Smith, notamment, n’hésitait pas à utiliser la force si nécessaire et il savait par ailleurs faire preuve de bonne volonté lorsque cela s’avérait utile, surtout quand il avait besoin de indiens pour se procurer de la nourriture. Vous avez-dit opportuniste ?

La vraie originalité de l’album réside dans le style très particulier de l’auteur, fortement influencé par l’œuvre d’Edward Gorey, un illustrateur américain proche des surréalistes. L’éditeur qualifie à juste titre ce style « d’allégorique ». Plutôt que de proposer un trait ultra-réaliste, Hittinger donne à chaque personnage une forme très particulière (voir extrait ci-dessous). Rajouter à cela une absence totale de dialogues (les événements sont uniquement relatés dans des récitatifs), un découpage se limitant à des doubles illustrations pleine page ainsi qu’une utilisation du noir et blanc plutôt anxiogène et vous vous retrouvez avec une sorte d’OVNI inclassable d’un point de vue graphique.

Je ne suis d’ordinaire pas fan de la BD underground, je préfère de loin le classicisme aux expérimentations parfois incontrôlables. Je me suis donc surpris à éprouver un réel plaisir à la lecture de cet album. Sans doute parce que le sujet m’a beaucoup intéressé mais aussi parce que, malgré les apparences, il se dégage du dessin une surprenante cohérence.

Un grand merci à Libfly et à The Hoochie Coochie pour la découverte.


Jamestown, de Chritopher Hittinger, Éditions The Hoochie CoochieAlbin, 2007. 232 pages. 20 euros.



Hittinger © The Hoochie Coochie 2007


Hittinger © The Hoochie Coochie 2007

jeudi 19 avril 2012

Les schtroumpfs 30 : Les schtroumpfs de l’ordre

Peyo et Culliford © Le Lombard 2012
Ceux qui passent régulièrement par ici connaissent ma passion pour les schtroumpfs. J’en ai déjà parlé ici, , , , et . Comme chaque année dès que le printemps arrive, je file chez mon libraire acheter le nouvel album. Pour le 30ème volume, Thierry Culliford, le fils de Peyo, a choisi de faire rentrer les forces de l’ordre dans le village des schtroumpfs.

Lassé de devoir régler les petites querelles quotidiennes qui empoisonnent la vie de la communauté, le grand schtroumpf décide de rédiger un livre des lois. Tous les habitants sont invités à participer à la création de ce « code schtroumpf de bonne conduite ». Chacun voyant midi à sa porte, les petits hommes bleus transforment le code en une longue liste d’interdictions : pour le schtroumpf jardinier, il faudrait interdire la traversée de son champ. Pour le pêcheur, il faudrait interdire de « schtroumpfer n’importe quoi dans la rivière » alors que pour le paresseux, il faudrait interdire de faire du bruit pendant sa sieste. Au final, le code schtroumpf s’apparente à une longue liste d’interdits. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et l’application du code s’avère bien plus délicate que sa rédaction. D’où la décision de créer des « schtroumpfs de l’ordre » chargés de faire appliquer les lois...

Comme d’habitude depuis maintenant quelques albums, Culliford s’amuse à brocarder les travers de notre société en les appliquant à l’univers des schtroumpfs. Après les superstitions, le tourisme de masse et le machisme, place au « tout sécuritaire ». Rien de bien original au fond même si le traitement humoristique de la question rend la lecture plutôt légère. Sans évidemment exprimer une quelconque position politique, le scénariste égratigne à la fois la police et les schtroumpfs lambda, décrits comme râleurs, égoïstes et procéduriers. Une simple transposition des travers humains qui se révèle au final assez fade.

Pour valider mon impression mitigée, j’ai donné l’album à un juge aussi impartial qu’impitoyable, ma fille de 9 ans. Elle a eu une attitude que je trouve assez saine quand je lui propose une lecture, à savoir qu’elle est toujours partante pour se lancer sans à priori mais qu’elle parvient très rapidement à se forger un avis. En fait, il n’y a que deux solutions : ou bien le livre lui plaît et elle le dévore, ou bien elle n’accroche pas et elle l’abandonne comme une vieille chaussette pour passer au suivant. C’est assez radical et je ne doute pas qu’en grandissant elle saura faire preuve de plus de mesure mais pour l’instant son attitude face à la lecture me convient. Bref tout ça pour vous dire que ces « schtroumpfs de l’ordre » n’ont pas fait long feu. A peine 20 pages avant qu’elle ne revienne vers moi en prononçant la sentence définitive : « Tiens, je te le rends, j’aime pas. » Je ne fais pas partie (loin de là !) de ceux qui pensent que la vérité sort de la bouche des enfants mais pour le coup je ne suis pas loin d’être d’accord avec elle : le 30ème album des schtroumpfs est un petit cru qui tombe dans une coupable facilité et n’apporte strictement rien de nouveau à la série.

Mais bon, je ne suis pas rancunier et je serais fidèle au rendez-vous l’année prochaine pour découvrir la nouvelle aventure des petits hommes bleus.

Les schtroumpfs T30 : Les schtroumpfs de l’ordre de Culliford, Jost et De Coninck. Le Lombard, 2012. 48 pages. 10,60 euros.


Peyo et Culliford © Le Lombard 2012


mercredi 18 avril 2012

O’Boys 3 : Midnight Crossroad

Cuzor et Colman © Dargaud 2012
Huck et Charley étaient partis pour la Californie. Le gamin blanc s’était fait passer pour mort afin d’éviter un placement en famille d’accueil et le journalier noir, accusé à tort de meurtre, cherchait à échapper au terrible shériff Bisley. Mais en chemin leurs routes se sont séparées. Charley a vendu son âme au diable pour devenir Lucius no Fingers, un joueur de blues incroyablement talentueux, et il a quitté Huck pour se lancer dans une carrière musicale des plus aléatoires. Incapable d’imaginer la vie sans son ami, le jeune garçon, accompagné de la jolie Suzy, retrouve sa trace à Memphis mais il découvre que Bisley et ses sbires sont eux aussi à la recherche de Charley et veulent le récupérer plutôt mort que vif…

Enfin ! Après trois ans d’attente, Steve Cuzor clôt la première partie de cette série ô combien prometteuse. S’il a perdu en route son co-scénariste Philippe Thirault, remplacé par Stépan Colman, il ne s’est pas pour autant écarté de son objectif de départ, à savoir transposer l’histoire d’Huckleberry Finn dans l’Amérique des années 30. Ce troisième volume laisse de coté l’univers ferroviaire des hobos et recentre l’intrigue dans un décor purement urbain. Au menu, l’envoutante Memphis : « point de liaison entre le Sud sauvage et le Nord paternaliste, c’était d’ici que partaient tous les trains musicaux, blues, jazz, swing, western-counrtry… Memphis allait également inventer le barbecue, les supermarchés, les chaines hôtelières, les transports express et la nostalgie infinie… » Pour Huck, la visite de la ville va se circonscrire aux quartiers noirs et aux junk joints, ses bouges infâmes où les musiciens de passage jouaient chaque soir pour quelques dollars et où l’alcool coulait à flot. Cette Amérique de la grande dépression est ici parfaitement retranscrite par le trait dense et précis de Cuzor. Il me rappelle encore et toujours par moments le Blueberry de Giraud, ce qui est quand même LA référence ultime. En dehors du dessin, l’autre qualité majeure de l’album (selon moi) réside dans le clin d'oeil fait à l'histoire du légendaire bluesman Robert Johnson. Charley vend son âme au diable et cherche le Crossroad, ce carrefour mythique où l’on doit faire des choix qui vont sceller notre destin. Selon la légende, Robert Johnson aurait rencontré le malin alors qu’il s’était assoupi au bord d’un Crossroad. Une entité surgit de nulle part lui apparut et, en échange de son âme, elle accorda sa guitare. Suite à cette rencontre, Johnson, musicien sans talent, devint l’un des plus grands bluesmen de tous les temps. Mais quand on passe un tel pacte, il faut s’attendre à payer l’addition un jour ou l’autre. Charley, comme Robert Johnson (empoisonné par un mari jaloux, il mourut dans d’atroces souffrances), l’apprendra bien assez tôt…

L‘ambiance et les références à la musique, voila tout ce que je retiendrais de cet album. Pour le reste, la platitude de l’intrigue est flagrante et les personnages (notamment Huck) n’attirent aucune empathie particulière, contrairement aux volumes précédents. J’ai survolé les événements sans jamais me sentir vraiment concerné. Une impression assez désagréable, heureusement en partie compensée par la qualité du dessin.

Il n’empêche, cette fin de cycle est pour moi une déception. C’était bien la peine d’attendre si longtemps !

Mon avis sur le tome 2.


O’Boys T3 : Midnight Crossroad, de Steve Cuzor et Stéphan Colman. Dargaud, 2012. 56 pages. 14 euros.


Cuzor et Colman © Dargaud 2012


Allez, pour ne pas finir sur une fausse note, je vous propose d’écouter Rambling on my mind version Robert Johnson, un enregistrement datant de 1936. Clapton a repris ce titre sur son album Blues Breakers.





 
 
 
 



 

lundi 16 avril 2012

Les années n°7


Au sommaire de ce septième numéro, un focus sur le dernier ouvrage d'Isabelle Marsay consacré à Jean-Jacques Rousseau, des portraits de Pascale Arguedas, d'Alban Liechti et du dramaturge Jean-Pierre Canet, une nouvelle de Mario Lucas, la chronique du professeur Hernandez et la présentation de recueils de nouvelles de Pierre Autin-Grenier. De mon coté, je vous parle de la Kililana Song de Benjamin Flao.

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.


Rendez-vous le 30 avril pour le n°8.

samedi 14 avril 2012

Un ange meilleur

Adrian © Albin Michel 2012
1979. Dans le quartier, quelqu’un s’en prend aux animaux : écureuils, chats, chiens. On les retrouve lardés de coups de couteau. Calvin, 8 ans, connaît l’identité du coupable. Il l’accompagne dans ses pérégrinations nocturnes à la recherche de ses proies. L’assassin, c’est Molly, une gamine à peine plus âgée que lui dont les parents sont morts dans un accident de voiture. Molly va crescendo. Après les petits animaux, elle s’attaque aux plus gros : vache, cheval, etc. Calvin le sait, elle va finir par s’attaquer à un être humain, c’est inéluctable…

La première nouvelle de ce recueil donne le ton. Le lecteur est sonné, envoûté par la prose au cordeau. Dans les huit autres textes, on croisera une femme dans le coma dont l’esprit vagabonde dans les couloirs de l’hôpital, un « toubib bousillé », cocaïnomane notoire, qui se rend au chevet de son père mourant, un garçon dont le frère est cinglé ou encore une ado, née grande prématurée, qui passe sa vie à l’hosto et tombe amoureuse d’un interne incompétent. On tourne la dernière page de l’ultime nouvelle qui met en scène la naissance du futur Antéchrist et on se dit : quel culot ! L’univers de Chris Adrian est sombre, torturé, unique. Oncologue spécialisé en pédiatrie, il a dû vivre des moments sacrément difficiles au cours de sa carrière pour imaginer des situations aussi tordues. Ce n’est sans doute pas pour rien que la plupart de ses personnages sont des enfants en souffrance, des écorchés vifs.

Cet auteur parle de la vie, la mort, la maladie, la fratrie, le deuil. Il semble aussi avoir été profondément marqué par les événements du 11 septembre 2001 (trois nouvelles y font directement référence). Ce qui est incroyable c’est que la construction de chaque texte, pourtant assez complexe, est parfaitement maîtrisée.

Encensé par le New York Times et le Boston Globe, classé par le prestigieux New Yorker parmi les 20 meilleurs jeunes écrivains américains, Chris Adrian propose avec Un Ange meilleur un recueil dérangeant et intense qui ne laissera aucun lecteur indifférent. Je ne pense pas que tout le monde adhère à cet univers si particulier mais il est évident que l’on ne tombe pas tous les jours sur un auteur débutant qui possède autant de talent. Je vous aurais prévenu.

Un ange meilleur, de Chris Adrian, Albin Michel, 2012. 284 pages. 22 euros.

L'avis de Clara.

vendredi 13 avril 2012

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

Dagerman © Actes sud 1989
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux ». Ainsi commence cet inclassable opuscule d’à peine 20 pages. Stig Dagerman, écrivain suédois anarchiste, a rédigé ce texte en 1952. Le propos est d’une insondable noirceur. Où trouver la consolation ? Dans les bras d’une femme ? Dans la compagnie d’un ami ? Dans l’écriture ? Une certitude (pour lui), l’existence est « un duel entre les fausses consolations qui ne font qu’accroître mon impuissance et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies, qui me mènent vers une libération temporaire. […] il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. » Pourtant, Dagerman reste persuadé que la liberté n’est qu’un leurre. « Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. […] Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société. »

Autre constatation lucide : « Rien de ce qui est humain ne dure. » Le propos vise ici à souligner la relativité du temps et le fait que rien, au cours de notre fulgurant passage sur cette terre ne pourra jamais nous apporter une réelle consolation. La conclusion devient alors inéluctable : « Il me semble comprendre que le suicide est la seule preuve de liberté humaine. »

Stig Dagerman s’est donné la mort le 4 novembre 1954. Il avait 31 ans.

Ça va, je vous ai bien plombé le weekend à venir ? Sérieusement, ce texte d’un incroyable pessimisme m’a beaucoup touché. C’est en quelque sorte le testament philosophique d’un homme profondément dépressif (il parle d’ailleurs de la dépression dans plusieurs paragraphes) arrivé à une conclusion inéluctable. L’écriture est magnifique, les arguments avancés sont solidement charpentés et le titre est tout simplement superbe.

Les Têtes raides ont mis l’ensemble du texte en musique. Vous pouvez l’écouter ci-dessous même si, franchement, cette « lecture musicale » ne rend pas hommage à la qualité de la prose de Dagerman.


Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, Actes Sud, 1989. 24 pages. 4,10 euros.

L'avis d'Emmyne





Ce billet signe ma première participation au challenge "Littératures nordiques" de Miyuki.





jeudi 12 avril 2012

Ariol, Ariol, Ariol !

Guibert et Boutavant © Bayard
Ariol, c’est le copain que tous les enfants rêvent d’avoir. Farceur, joueur, parfois chahuteur, fidèle en amitié, jamais méchant, il a tout pour plaire. Et ce n’est pas ses parents qui diront le contraire. Eux aussi adorent ce petit âne malicieux. Dans chaque volume sont regroupées des historiettes d’une dizaine de pages abordant tous les sujets : Ariol à l’école, Ariol à la maison, Ariol dans la rue, Ariol en vacances, Ariol avec ses grands-parents… Les petits bouts peuvent sans problème se projeter dans les situations imaginées par les auteurs car tout est raconté à hauteur d’enfant.

J’adore Ariol, un point c’est tout. Vous voulez vraiment savoir pourquoi ?
- Parce que la série s’adresse aux enfants avec humour et intelligence.
- Parce qu’Ariol et ses copains sont des gamins attachants.
- Parce que les adultes occupent une place importante dans la majeure partie des histoires. Ils ne sont pas là pour boucher les trous, ils sont vraiment dans une situation de communication crédible avec les enfants.
- Parce que des chapitres de 10 pages, c’est idéal pour ceux qui débutent en lecture.
- Parce que le recours très fréquent au gaufrier (quatre cases identiques par page, voir exemple ci-dessous) permet aux lecteurs peu habitués à la BD de bien saisir la façon dont s’appréhende la narration particulière de ce média.
- Parce que les albums sont jolis avec des rabats sur chaque couverture et un format carré qui tient bien dans les petites mimines.
- Parce qu’Ariol restera la première BD que ma fille de 6 ans aura lu toute seule. En plus, elle a adoré et elle a lu tous les albums en un temps record. Avouez que c’est l’argument ultime, non ?

Pas la peine d’aller plus loin, je ne cherche pas forcément à vous convaincre (quoique…). Disons que si vous avez des enfants qui lisent depuis peu et qui souhaitent découvrir la BD, je ne connais rien de mieux qu’Ariol pour leur mettre le pied à l’étrier. Testé et approuvé, comme dirait l’autre…

Ariol d’Emmanuel Guibert et Marc Boutavant. Bayard. 124 pages par volume. 11,50 euros. Dès 7 ans.


Guibert et Boutavant © Bayard

mercredi 11 avril 2012

L’Odyssée de Zozimos 2

Ford © çà et là 2012
L’odyssée de Zozimos, c’est pas de la petite bière. Jugez plutôt : manipulé par son oncle, le garçon décide de se venger de la sorcière qui a assassiné son père et lui a volé la couronne du royaume de Sticatha. Au moment où commence ce second tome, Zozimos et ses compagnons atteignent enfin Sticatha après avoir survécu à une forêt enchantée et à un désert sans fin. Pour retrouver son trône, le jeune héros et ses amis les Zozinautes doivent se lancer dans une nouvelle quête : aller jusqu’au bout du monde et rapporter la légendaire plume d’or. Mais leur chemin sera pavé d’embûches et les épreuves à surmonter ne cesseront de devenir plus dangereuses les unes que les autres. Coté cœur, Zozimos va découvrir que sa promise, la belle et farouche Alexa, n’est autre que sa propre sœur. Apprenant la vérité, Alexa se crève les yeux pour ne plus jamais avoir à regarder en face son bienaimé. Une vraie tragédie, je vous dis !  

Voila enfin la suite (et peut-être la fin) des aventures de Zozimos dont le premier volume faisait partie de la sélection jeunesse du festival d’Angoulême 2012. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le problème de Zozimos, c’est qu’il tient plus du loser que du héros. Une sorte d’ado qui se cherche et doit affronter chaque nouvelle épreuve avec un évident manque de confiance en lui. Tout l’intérêt de l’album tient dans ce numéro d’équilibriste permanent entre la présence d’épreuves dignes de l’odyssée d’Ulysse, de figures mythologiques classiques (Athéna, zéphyr, Hélios, Nix, les Dryades, les sirènes…) et le traitement très moderne de l’intrigue.

A part ça, vous êtes sûrs qu’il faut aborder la question du dessin ? Si je me la pétais, je pourrais (sans préciser ma source, évidemment) vous citer un extrait du magazine Casemate parlant du travail de Mathieu Sapin sur la série Akissi : « Si l’on considère le dessin avant tout comme un outil de narration censé porter une histoire hors de toute considération esthétique, alors le trait de Sapin est parfaitement adapté à la vivacité et la fraîcheur du personnage-titre. » Remplacez juste Sapin par Ford et le tour est joué. Plus simplement, de mon coté, je comparerais le trait de Ford à ces pubs de la MAIF mettant en scène des bonhommes fil de fer (je sais, c’est moyen comme référence mais que voulez-vous on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…). Une certitude tout de même, malgré la simplicité du dessin et l’absence de couleur, la fluidité et la lisibilité sont de mises. A noter également la qualité des dialogues qui ne sont par pour rien dans l’aspect moderne de cette agréable comédie d’aventure.
        
Au final, les clins d’œil à Homère disséminés par Christopher Ford tout au long de l’album feront le délice des enfants qui connaissent la mythologie sur le bout des doigts. Pour les autres, pas de panique, l’Odyssée de Zozimos peut aussi se déguster sans compétences particulières dans le domaine. L’auteur a su mixer les genres. Entre récit légendaire et roman d’apprentissage, il ratisse large, mais toujours avec finesse et intelligence, c’est bien là l’essentiel.       

Un grand merci à Libfly et aux éditions ça et là pour la découverte !

L’Odyssée de Zozimos T2  de Christopher Ford. Editions ça et là, 2012. 228 pages. 14 euros. Dès 10 ans.

Ford © çà et là 2012