dimanche 11 septembre 2011

Bienvenue à Oakland - Eric Miles Williamson

"Ce dont on a besoin, c’est d’une littérature imparfaite, d’une littérature qui ne tente pas de donner de l’ordre au chaos de l’existence, mais qui, au lieu de cela, essaie de représenter ce chaos en se servant du chaos, une littérature qui hurle à l’anarchie, apporte de l’anarchie, qui encourage, nourrit et relève la folie qu’est véritablement l’existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n’a pas d’assurance retraite, quand les jugements de divorce rétament le pauvre couillon qui n’avait pas de quoi se payer une bonne équipe d’avocats, une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble, comme ces transformateurs électriques sur lesquels on pisse dans la nuit noire d’Oakland".

Cette très longue phrase résume à elle seule tout l’esprit de Bienvenue à Oakland. T-Bird Murphy, le narrateur, a grandi dans l’un des pires quartiers de la ville. Un univers de crasse, de misère et de violence où se côtoient les noirs, les chicanos et les blancs les plus pauvres. Son monde est celui des ouvriers de chantiers, des conducteurs de camion benne ou encore des garagistes à la petite semaine. L’incarnation du prolétariat américain, proche de la folie et du désespoir, mais qui tient à rester férocement libre et vivant : « Y a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu’on baigne dans le désespoir absolu. L’espoir, c’est pour les connards. Il n’y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir ». Avec T-Bird, on découvre une incroyable galerie de personnages : Pop, Louie, Blaise, Jorgensen, Jones… des âmes meurtries, torturées, qui vivent dans des caravanes ou des maisons complètement déglinguées. Des hommes pour qui la solidarité n’est pas un vain mot et qui, quelque part, refusent de se résigner. Mi-clodo, mi-prolo, vivant de petits expédients, T-Bird vous emmène dans son monde. Et franchement, c’est pas joli-joli.

Eric Miles Williamson braque les projecteurs sur le quart monde occidental. Sans concession. Ce n’est pas un scoop, j’aime beaucoup ce ton, quand le narrateur vous attrape à la volée pour vous faire une clé de bras et vous oblige à vous pencher sur SA réalité. T-Bird interpelle le lecteur, l’invective, l’insulte. Il se pose en fou furieux indomptable et incontrôlable. La narration est très déstructurée. Les phrases peuvent faire plusieurs dizaines de lignes et T-Bird s’égare souvent, alors qu’il a commencé à raconter une histoire, vers d’autres horizons. Des digressions qui peuvent durer de nombreuses pages avant qu’il ne reprenne le fil de sa pensée. Une construction de prime abord déstabilisante pour le lecteur mais qui reste finalement facile à suivre. La structure du roman fait penser à une grande improvisation de jazz. D’ailleurs, la musique est très présente, T-Bird étant passionné par la trompette.

Malgré toutes ces évidentes qualités, a-t-on pour autant le roman enthousiasmant que l’éditeur et certains critiques veulent nous vendre ? Je n’en suis pas certain. Le magazine Transfuge parle d’un « Bukowski érudit ». Pour l’éditeur, on tient l’héritier de Céline et d’Henri Miller. Euh, il faudrait peut-être voir à ne pas trop s’emballer. Ce texte n’a pas la fluidité, l’humour et l’art des dialogues de Bukowski. Il n’a pas non plus le souffle de Céline. Bref, pas la peine de survendre le truc. J’ai beaucoup apprécié cette lecture mais il n’y a là rien de vraiment nouveau ni de révolutionnaire. Un très bon roman américain plein de bruit et de fureur, voila ce qu’est Bienvenue à Oakland. Et c’est déjà pas mal !


Bienvenue à Okland, d’Eric Miles Williamson. Fayard, 2011. 412 pages. 22 euros.


vendredi 9 septembre 2011

Les nombrils tome 5 - 1ère partie : noir cauchemar

Rappelez-vous. A la fin du quatrième tome, Karine, après avoir traversé une période difficile, parvient à révéler la véritable nature de la perfide Mélanie et à rétablir son honneur. Dan, son ex-petit ami, réalise qu’il a fait une terrible erreur en l’abandonnant au profit de l’affreuse manipulatrice aux allures d’écolo. Mais c’est trop tard, car Karine a rencontré Alban. Cet étrange chanteur de rue l’a convaincue de se reprendre en main. Avec cette confiance en elle qui lui était jusqu’alors inconnue Karine décide qu’elle ne sera plus jamais la même. Pour Jenny et Vicky, c’est la douche froide : avec cette nouvelle Karine, elles voient disparaître leur tête de turc préférée.
Ce nouvel opus pose bon nombre de questions : Et si Karine devenait la reine du lycée ? Et si Jenny devenait intelligente ? Et si Alban n’était pas aussi blanc qu’il en a l’air ? Après deux ans d’attente, la suite des Nombrils sort enfin. Le constat s’impose, c’est toujours aussi bien. L’intérêt majeur réside dans le fait que, contrairement à la majorité des séries proposant des gags en une planche, les personnages évoluent constamment. L’histoire avance et ne donne pas du tout l’impression de tourner en rond. Le ton est toujours aussi moderne et juste. Niveau dessin, c’est un plaisir de retrouver le trait souple de Delaf. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les nombrils. Sauf que…

Si je n’ai que de bonnes choses à dire sur le contenu de la série, j’aimerais néanmoins pousser un petit coup de gueule par rapport à la façon dont elle est exploitée par l’éditeur. Avant la sortie définitive de l’album prévue le 4 novembre, Dupuis nous gratifie d’une pré-publication en trois min-albums de 128 pages avec jaquette. Ce découpage « en tranches » du tome 5 n’a strictement aucun intérêt en dehors du fait de vendre deux fois l’album. En bon fan collectionneur, je vais me précipiter sur ces mini-album annoncés en tirage limité (tu penses, un collector mérite forcément un tirage limité !), ce qui ne m’empêchera pas de racheter l’album grand format (tu penses, maniaque comme je suis, je veux voir mes albums alignés au cordeau sur les étagères de ma bibliothèque). Bref, le couillon que je suis va passer deux fois à la caisse pour lire exactement la même chose. Coût total de l’opération : 3 x 5,50 € + 1 x 10,45 € = 26,95 euros. Tout ça pour un seul et même album de 46 planches. Bon je sais, j’ai qu’à être moins couillon et n’acheter qu’une version, mais que voulez-vous, un collectionneur de BD se laisse toujours tenter par les tirages limités, les éditions spéciales, les versions noir et blanc et tous ces artifices purement mercantiles qui n’ont qu’un objectif : augmenter artificiellement les ventes d’un album sans forcément accroître le nombre réel de lecteurs.

C’est un fait, ce type de prépublication n’est pas une nouveauté. Pellerin l’a fait avec L’épervier et Tardi avec L’étrangleur et Putain de Guerre. Mais ici, avec Les nombrils, le passage du grand au mini format s’avère désastreux. Le redécoupage des planches permet certes de grossir les cases mais il y a aussi beaucoup de vide sur certaines pages. Le confort de lecture n’est clairement pas le même qu’avec un grand album cartonné où l’on découvre chaque gag sur une seule et même page. Bref, si un tel « saucissonnage » peut fonctionner pour un portage vers les smartphones, ça ne marche pas pour une publication au format livre de poche.

Il n’empêche, les Nombrils restent les nombrils, et en dehors de ce coup marketing aussi détestable que savamment orchestré, il faut reconnaître les indéniables qualités de cette série. Pour autant, ne vous précipitez pas sur cette prépublication indigne et attendez sagement la sortie officielle de l’album, ce sera beaucoup plus raisonnable (en gros faites ce que je dis mais surtout pas ce que je fais…).


Les Nombrils, intégrale T5 – première partie : Noir cauchemar de Delaf et Dubuc, Dupuis, 2011. 128 pages. 5,50 euros.

PS : la deuxième partie est prévue pour le 23 septembre et la dernière pour le 7 octobre.




Le challenge Palsèche de Mo'


mercredi 7 septembre 2011

En mer

Dans une ville portuaire, un géant roupille au fond d’une taverne. C’est un poète. Quand le patron lui demande de régler sa note, le poète propose de le payer avec une magnifique dédicace dans son tout premier recueil qui paraîtra un jour peut-être. Viré avec fracas, il échoue sur un ponton, les pieds au dessus de l’eau et le moral en berne. Le constat est rude : il n’y a rien à faire, l’inspiration ne veut pas venir. Embarqué de force sur le bateau du capitaine Conrad Porter, le poète devient matelot malgré lui. Une vie rude commence alors. Pensant qu’il n’est pas du tout taillé pour être un marin, il va pourtant devenir le héros du navire. Par la suite, ses voyages sur tous les océans du globe vont faire de lui un véritable loup de mer. Surtout, cette nouvelle existence va lui permettre, enfin, de devenir un écrivain publié.

Voila un comics qui ressemble fort à un OVNI graphique. Chaque page de ce tout petit format (17 x 13 cm) ne contient en effet qu’une seule case ! Ce surprenant choix narratif ne nuit en aucun cas à la fluidité du récit, bien au contraire. Au final, l’utilisation d’un tel dispositif minimaliste conjugué à une quasi-absence de texte se révèle des plus convaincantes. Autre point important, l’auteur gère à merveille les nombreuses ellipses permettant à l’histoire d’avancer pendant de longues séquences entièrement muettes.

Le dessin en noir et blanc est très travaillé, surtout pour les scènes se déroulant en mer, et la grosseur de chaque case permet au lecteur de s’attarder sur les nombreux détails. Pour ce qui est des personnages, on pense au travail de Jeff Smith sur sa série Bone.


Évitant l’écueil de l’exercice de style et de la démonstration purement technique, Drew Weing a su endosser les habits du conteur avec cette histoire simple et touchante d’un poète qui, pour renouer avec sa muse, devra affronter un parcours initiatique aussi éprouvant que salvateur. Ce roman graphique atypique qui a demandé cinq années de labeur à son auteur avant d’être publié aux États-Unis mérite à l’évidence que l’on si attarde avec la plus grande attention.

L'avis de Mo'

En mer de Drew Weing, éditions ça et là, 2011. 144 pages. 13 euros.









Le challenge Palsèche de Mo' 


lundi 5 septembre 2011

L'homme aux cercles bleus

Le commissaire Adamsberg utilise de drôles de méthodes. Donnant constamment l’impression de rêvasser, il passe son temps à griffonner des croquis dans un carnet. Et puis un jour il rapplique en disant simplement à ses collègues : il faut arrêter untel, c’est lui le coupable. Après avoir élucidé cinq meurtres en quatre ans en Province, il est monté en grade : d’abord inspecteur, aujourd’hui commissaire. Nommé à Paris, sa première affaire est pour le moins étrange. Depuis des mois surgissent sur les trottoirs de la capitale des cercles bleus entourant un objet quelconque : pince à linge, bougie, bigoudi… Chaque cercle est accompagné d’une phrase étrange : « Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors ? ». Pour Adamsberg, ces agissements ne sont pas une simple lubie. L’homme aux cercles va passer à la vitesse supérieure, il en est persuadé. Lorsqu’un matin on retrouve une femme égorgée au milieu d’un cercle, Adamsberg se dit que, malheureusement, son pressentiment était le bon…

J’ai cette sale habitude de vouloir découvrir un auteur en essayant toujours de lire ses textes de manière chronologique. C’est une bonne chose pour voir l’évolution d’un écrivain mais c’est aussi un pari risqué car souvent les premiers travaux publiés sont loin d’être les meilleurs. Et là, pour le coup, attaquer Fred Vargas avec L’homme aux cercles bleus est un très mauvais choix. Certes, c’est le roman qui présente les personnages mythiques de l’auteur : Adamsberg, Danglard, Camille, Mathilde… Certes, on ressent déjà l’ambiance très particulière qui va traverser toutes les aventures du célèbre commissaire. Mais quel ennui ! Quel manque de rythme ! J’ai rarement eu autant de mal à finir un livre de poche de 200 pages. Il y a tellement de longueurs inutiles qu’on pourrait réduire le texte d’un bon tiers sans que cela nuise au dynamisme de l’intrigue, bien au contraire. Et que dire des dialogues ? Les discussions d’Adamsberg avec Reyer ou Mathilde sont assommantes. Celles de Danglard avec ses enfants frôlent le ridicule.

C’est un fait, les personnages d’Adamsberg et de Danglard sont bien trouvés, même, si en mettant en scène un flic si cérébral, le manque d’action peut constituer un écueil insurmontable pour nombre d’amateurs de polars. Au final, cette première prise de contact avec l’univers de Fred Vargas s’est révélée pour moi catastrophique. Il n’empêche que je ne m’avoue pas vaincu pour autant. Je tenterais donc à nouveau ma chance avec une autre enquête du célèbre commissaire, en espérant que le plaisir de la lecture soit cette fois au rendez-vous.


L’homme aux cercles bleus, de Fred Vargas, Éditions J’ai lu, 2008. 220 pages. 5,60 euros.

vendredi 2 septembre 2011

Clèves - Marie Darrieussecq

Solange aura passé toute son enfance à Clèves, petit bled paumé au pied des Pyrénées. Une enfance heureuse ? Pas vraiment. De la fin de l’école primaire à la fin du collège, elle a traversé l’ennui d’une existence où le père est absent et la mère trop occupée pour réellement s’intéresser à elle. Dans cette France des années 80, la jeunesse provinciale s’éveille à la sexualité en découvrant le porno sur Canal +. Pour Solange et ses copines, il faut faire semblant de s’y connaître pour ne pas paraître coincée. Le vocabulaire n’est pas toujours maîtrisé et les on-dit sont monnaie courante. Son éducation sexuelle, Solange la fera sur le tas. Pas farouche, confondant l’amour et faire l’amour, dévorée par ce désir qu’elle a parfois du mal à apprivoiser, l’adolescente navigue à vu. Les questions s’accumulent, deviennent trop nombreuses. Seule certitude à laquelle se raccrocher ? Garder chevillée au corps ce rêve de midinette où elle se voit partir loin, très loin, au bras d’un surfeur aux lèvres craquelées par le sel et le soleil.

Drôle de roman. Il m’a semblé très bancal, mal fichu, artificiellement dérangeant tout en gardant de superbes passages à la fois tristes et cruels. Et puis j’ai eu la douloureuse impression d’être passé à coté, comme si ce texte ne s’adressait pas à moi. Sans doute mon manque de sensibilité légendaire. Il faut dire aussi que Solange n’attire aucune empathie. Une adolescente entièrement focalisée sur la question du désir, c’est très limitatif. Tous les événements de la vie courante qui surviennent ne semblent pas la toucher. Son père qui disparaît du jour au lendemain sans donner de nouvelles ? Aucune réaction. La tentative de suicide d’une camarade ? Rien à cirer. Sa mère qui part en maison de repos ? A peine si ça la travaille. Elle prend tout cela de façon très détachée, ne donnant pas l’impression d’être concernée. Les seules choses qu’elle cherche à comprendre sont celles liées au sexe. Son dico sous le bras, elle part à la pêche aux définitions : orgasme, vagin, copulation, verge…

Niveau écriture, je ne suis pas fan de ce style très sec, syncopé. Sans compter que les dialogues sonnent faux avec cette utilisation quasi systématique de formules triviales pour faire jeune. D’ailleurs, je préfère prévenir les amoureux du langage châtié : le récit de cette éducation sentimentale dans les méandres de la France profonde est cru, très cru. Marie Darrieussecq jette le mot « bite » une centaine de fois à la face du lecteur. Sans doute veut-elle se poser en auteur libérée et provocatrice. A la longue, cette répétition devient ennuyeuse, pénible et ridicule.

Tout ça pour dire que je me suis rarement senti aussi perdu en renfermant un roman. Ou alors, tout simplement, je n’ai rien compris. Une critique professionnelle à comparé Clèves à du Houellebecq au féminin. Je ne peux pas me prononcer, je n’ai jamais lu Houellebecq. Décidément, je suis vraiment trop con.


Clèves, de Marie Darrieussecq, édition P.O.L, 2011. 345 pages. 19 euros.



jeudi 1 septembre 2011

Le Roaarrr Challenge est en route !

Alors que le challenge Palsèche se termine à la fin du mois, Mo’ se lance dans un nouveau challenge BD, basé cette fois-ci sur la découverte d’albums ayant été récompensés à Angoulême ou dans d’autres grands rassemblements (Will Eisner Awards, Japan expo…). Plutôt que de reprendre ici les modalités exactes de participation, je préfère vous orienter vers le billet d’ouverture du challenge qui est très clair et fort bien rédigé (comme d’habitude avec Mo’).

Ce Roaarrr challenge représente une magnifique occasion de découvrir quelques uns des plus grands chefs d’œuvre du 9ème art. Et puis avec Mo’, vous avez l’assurance que le suivi du challenge sera effectué avec la plus grande rigueur. N’hésitez donc pas une seconde si vous souhaitez rejoindre les participants déjà enregistrés.

Le challenge étant rétroactif, je poste aujourd’hui les liens vers les albums primés que j’ai déjà chroniqués. D’ici peu, je compte bien allonger cette liste avec de nombreux nouveaux titres.

En tout cas, merci à toi Mo’. Je commençais à voir approcher la fin du challenge Palsèche avec tristesse, l’annonce de ce nouveau challenge me redonne le sourire !


Autobio de Cyril Pedrosa

(Fauve) Prix Tournesol 2009







Légendes de la garde de David Petersen

(Will Eisner Award) Meilleur album (matériel réédition) 2008


 
 


  Seuls, de Vehlmann et Gazzotti

(BD Boum) Prix Conseil Général 2006


 
 
 
 



  Souvenirs de Mamette (Les)


(BD Boum) Prix Ligue de l'enseignement pour le jeune public 2010






Übel Blatt de Etorōji Shiono



(Prix Japan Expo) Prix Jury/Catégorie Manga - Prix Seinen 2008


 
   




Walking Dead de Robert Kirkman et Charles Adlard



(Will Eisner Award) Meilleure histoire continue 2010









Ludo T1 : Tranches de quartier

(BD Boum) Prix Ligue de l'enseignement pour le jeune public 1998


mercredi 31 août 2011

Une nuit de pleine lune

Ça ressemblait pourtant à un bon plan : « Tous les samedis soirs, pépé emmène mémé en ville et laisse la maison vide ». Leur coffre est plein de pognon, il n’y a qu’à le forcer et à se servir. C’est Karim qui a monté le coup. S’il a pris Cynthia et Quentin, c’est parce que ce sont eux qui lui ont donné le tuyau. Pat, le petit génie de l’informatique, il est là pour ouvrir le coffre. Quant à Luka, c’est le gros bras qui pourra aider au cas où la situation viendrait à dégénérer. Si les cinq apprentis cambrioleurs n’ont aucune difficulté à neutraliser l’alarme, ils tombent sur un os avec le coffre. C’est une combinaison mécanique, pas électronique. Pat est incapable de l’ouvrir. Reste plus qu’une solution : attendre le retour des proprios et leur faire cracher le morceau. Mais tout ne va pas se passer comme prévu, loin de là…

Avec Une nuit de pleine lune, Hermann (au dessin) et son fils Yves H (au scénario) offrent à leurs lecteurs un angoissant huis-clos. Tout y est : la vieille maison isolée, le soir tombant, des relations pas très nettes entre les protagonistes, une nervosité de plus en plus palpable… On sent bien qu’un drame va survenir, mais on se demande quelle trouvaille va nous être proposée. Personnellement, j’ai vite écarté l’hypothèse de la maison hantée (trop classique). Je pensais plutôt au fils psychopathe que pépé et mémé cachent dans leur cave depuis sa naissance et qui surgit d’un seul coup pour rétamer cette bande de cambrioleurs à la petite semaine. Vous imaginez bien que je ne vais pas vous dire comment tout cela se termine. Seule précision, j’ai eu tout faux (quoi que…).

Au bout du compte, ce thriller se révèle d’une redoutable efficacité. Certes, les dialogues plein de "jeunisme" sonnent parfois très faux mais le dessin et le découpage participent grandement à la mise en place de l’ambiance suffocante qui traverse l’album. En vieux routier de la BD, Hermann maîtrise son sujet. Un formidable travail sur la lumière avec beaucoup d’ombre, de clair-obscur, du grand art quoi. Et puis le placement de la caméra est toujours impeccable, soulignant les moments de tension et rendant le récit parfaitement lisible, une gageure pas évidente à relever avec autant de personnages éparpillés dans la maison.

Un one-shot vraiment excellent si l’on aime le genre. Attention, tout cela reste du pur divertissement, rien de plus. Mais après un détour très décevant du coté de la piraterie avec le Diable des sept mers, le célèbre duo père/fils redresse la barre avec beaucoup de brio.

PS : l’album ne sortira en librairie que le 14 septembre. J’ai pu le lire en avant première grâce à l’excellent mensuel de prépublications L’immanquable.


Une nuit de pleine lune, de Hermann et Yves H, Glénat, 2011. 56 pages. 13. 50 euros.






Le challenge Palsèche de Mo'



La BD du mercredi c'est chez Mango

lundi 29 août 2011

Opium Poppy - Hubert Haddad

Quand ils l’ont attrapé à la descente du train, il s’est laissé faire. Quand on l’a interrogé, il a juste montré du doigt un point sur la carte. C’est ainsi qu’ils ont compris qu’il venait de la région de Kandahar. Ils l’ont baptisé Alam et l’ont envoyé au Centre d’accueil des mineurs isolés et réfugiés où il a suivi des cours d’alphabétisation. Finalement, si le béton et le froid parisien ont remplacé les pierres et la chaleur afghane, rien n’a vraiment changé pour le jeune garçon.

Au pays, tout le monde l’appelait l’Évanoui depuis qu’il était tombé dans les pommes le jour de sa circoncision. Une honte suprême pour son père, misérable paysan cultivant le pavot pour les barons de la drogue. Après une attaque du village par les talibans, la famille est partie en ville. Son frère s’est engagé avec les terroristes et après la mort du père, sa mère l’a mis à porte, ne pouvant nourrir cette bouche de trop. Finalement, l’Évanoui a été embrigadé par les rebelles et a retrouvé son frère. Devenu enfant soldat, il a vécu au cœur des montagnes et a participé a nombre d’opérations plus sanglantes les unes que les autres. Peu à peu, toute forme de sentiment a disparu chez lui : plus d’émotion, plus de douleur, plus de peur. Au cours d’une attaque, ses « compagnons d’armes » l’ont laissé pour mort. Sauvé par une doctoresse américaine, il s’est échappé de l’hôpital et est parti pour Kaboul. Enfant des rues, des petites magouilles lui ont permis d’accumuler le pécule nécessaire pour payer un passeur. C’est alors que son grand voyage a commencé : Iran, Turquie, Bulgarie, Italie pour enfin atterrir en France, sur ce quai de gare où ils l’ont interpellé. Bien sûr qu’il n’est pas resté au centre d’accueil. Son destin tragique méritait une fin plus flamboyante...

Hubert Haddad dresse le terrible portrait d’une enfance détruite. Cruauté, solitude, violence, désespoir... l’Évanoui semble cristalliser tous les maux de la terre. Pour sordide qu’elle soit, cette histoire ne relève pas du reportage. L’auteur ne donne pas non plus dans la dénonciation brutale de la misère, il ne cherche pas à faire du Dickens. Car ce qui caractérise un texte d’Hubert Haddad, c’est la beauté de son écriture. A la fois âpre, réaliste et poétique, c’est la grâce de cette écriture qui fait de ce roman un grand livre : « Il aurait aimé étreindre l’ocre tendre du ciel par-dessus les toits, s’allonger nu et laisser le vent l’emporter comme un nuage jusqu’au secret de l’azur, mourir peut-être. » ou bien encore : « On part découragé, en lâche ou en héros, dans l’illusion d’une autre vie, mais il n’y a pas d’issue. L’exil est une prison. »

Sans doute certains esprits chagrins trouveront que la barque de l’Évanoui est trop chargée pour être crédible, qu’un tel misérabilisme ne cherche qu’à faire pleurer dans les chaumières. Ce n’est pas du tout mon cas. Ce roman est un cri qui dénonce l’horreur de notre époque avec une rare force d’évocation et donne la parole à ceux qui n’ont jamais l’occasion de la prendre.

Un texte désespéré et magnifique.

Opium Poppy, d’Hubert Haddad, Éditions Zulma, 2011. 170 pages. 16,50 euros.



Le challenge du 1% Rentrée littéraire

vendredi 26 août 2011

Valérian et Laureline

L’histoire de Valérian et Laureline commence le 9 novembre 1967 dans le numéro 420 de la revue Pilote. Celle qui lie les deux auteurs, Jean-Claude Mézière et Pierre Christin, remonte aux années 1943-1944 au milieu des alertes aériennes qui frappent leur ville de Saint-Mandé, dans le Val de Marne. Vingt ans plus tard, les deux amis se retrouvent aux États-Unis, à Salt Lake City. Christin y a décroché un poste de professeur de littérature française à l’université et Mézière, sans le sou après un long périple à travers le pays, est sur le point de voir son visa expiré. C’est en 1965, dans la ville des mormons, qu’ils débutent leur carrière dans la BD avec Le rhum du Punch, une histoire se déroulant pendant la guerre d’indépendance américaine. Ce n’est que deux ans plus tard que sera publié le début de Valérian et Laureline, une série aujourd’hui devenue un grand classique de la SF à la française.

Très marqués par leur période américaine, les deux compères ont constaté à quel point ce pays en mouvement perpétuel était un champ de tous les possibles : des civils Rights au féminisme, de l’underground aux beatniks en passant par la naissance du rockn’roll, ils sont fascinés par la contre-culture US. Christin a aussi découvert la science fiction, un genre quasi inexistant en France à l’époque mais déjà bien implanté au pays de l’oncle Sam. Des auteurs comme Van Vogt, Asimov, Anderson ou Jack Vance auront une forte influence sur son travail de scénariste. Pour Christin, la SF se divise en deux grands courants : celui des pessimistes pour lesquels les dangers du nucléaire et la peur du grand cataclysme vont entraîner la destruction totale de notre civilisation et celui des utopistes qui considèrent qu’il faut croire au futur malgré les événements tragiques et que l’homme, de toute façon, survivra toujours. Avec Valérian, il veut se positionner entre ces deux courants.

En faisant du héros de sa série un voyageur temporel, Christin ne fait pas preuve d’une grande originalité. Une quinzaine de siècles séparent Valérian le visiteur venu de l’espace et Laureline, jeune paysanne du Moyen-âge. Après leur rencontre, ils deviennent une sorte de « patrouille du temps ». Au fil de leurs aventures, ils abordent des planètes mystérieuses où règnent guerre, rapport de force ou oppression et finissent toujours par faire y triompher la justice. En tout, Christin et Mézière ont créé plus de 80 planètes et une centaine de races extraterrestres.

La richesse de l’univers de Valérian et Laureline est telle qu’elle a eu une influence majeure sur le cinéma. En 1977, lorsque sort La guerre des étoiles, Mézière a l’impression de découvrir une adaptation de sa BD sur grand écran. Jamais pourtant le studio LucasArts ne reconnaîtra un quelconque lien de parenté. Mézière, magnanime et philosophe, sait que tout créateur se nourrit d’influences. Après tout, le fait que les designers de Star Wars aient « pillé » son œuvre constitue le plus beau des hommages. Et puis justice lui sera rendue en 1997 avec la sortie du Cinquième élément de Luc Besson auquel il a profondément collaboré (les taxis volants du film, c’est lui !).

La filiation Star Wars / Valérian est plus qu'évidente !
(extrait du 1er volume de l'intégrale parue chez Dargaud en 2007)



Avec Valérian et Laureline, Christin et Mézière font figure de pionniers de la SF en bande dessinée. Leur série n’a cessé d’évoquer les grands changements du monde contemporain à travers le prisme d’un imaginaire foisonnant. Ecologie, féminisme, totalitarisme, anti-militarisme, ils ont pu partager leurs convictions avec leurs lecteurs sans jamais tomber dans le prosélytisme. Avec plus de 2 500 000 exemplaires vendus cette série est forcément devenue un classique. D’ailleurs, depuis 1967, les prénoms des deux héros, totalement inventés par les auteurs, ont été donnés plus de 4000 fois ! C’est dire si toute une génération a été marquée par les aventures de ces deux agents spatio-temporels.

Plus grandes forces de cette série :


  • La richesse infinie de l’univers présenté. Grâce à la téléportation, les deux héros visitent l’infinité du cosmos et rencontrent un foisonnement inépuisable de formes vivantes. En présentant la faune, la flore, la civilisation et les problèmes spécifiques de chaque étoile, les auteurs donnent une incroyable épaisseur à chacun de leur récit.
  •  Le fait que chaque album propose une histoire radicalement différente de la précédente : impossible de s’ennuyer et d’avoir une impression de déjà-vu tellement les thématiques, les environnements et les personnages secondaires changent d’un album à l’autre.
  • Laureline bien sûr ! Depuis Barbarella, on n’avait pas vu un personnage féminin aussi magnétique en bande dessinée. Traitée comme l’égale du héros masculin, cette femme mutine, gironde, alliant la grâce et l’esprit, est un modèle de non-conformité. Et puis ses tenues parfois très affriolantes auront affolé les sens de plus d’un lecteur. C’est aussi sans doute le seul personnage de la BD franco belge pouvant se vanter d’être apparue quasiment nue dans un numéro de Playboy en 1987.

Ce qui m’a le plus agacé :

  • Le fait que la série soit terminée. Bien sûr, on ne peut que féliciter les auteurs d’y avoir mis un terme avant de faire l’album de trop (il y en a tellement d’autres qui devraient en faire autant !), mais quand même, difficile d’imaginer que l’on ne découvrira plus jamais une nouvelle planète avec Valérian et Laureline.
  • Les couleurs psychédéliques trop agressives des premiers albums. La coloriste Évelyne Tranlé, sœur de Mézière, est une pointure en la matière qui a notamment œuvrée sur des séries telles que Blueberry ou Philémon mais pour Valérian, je trouve la colorisation franchement indigeste. 
  • Le virage pris par la série avec le 11ème album, Les spectres d’Inverlochs. A partir de ce titre, les auteurs tentent de justifier les paradoxes spatio-temporels qui frappent leurs héros et se prennent un peu les pieds dans le tapis. Rien de bien grave mais l’on a parfois l’impression de naviguer à vue. Heureusement, le tout dernier album (le 21ème) apporte une réponse définitive aux questionnements métaphysiques qui ont embrumé l’esprit de plus d’un lecteur.




Carte d’identité de la série :

Auteurs : Jean-Claude Mézière et Pierre Christin
Date de création : 1967
Nombre d'albums : 21 (série terminée)
Éditeur : Dargaud

mercredi 24 août 2011

Magasin sexuel 1

Aux Bombinettes, charmant village hors du temps, la vie s’écoule paisiblement. En cette journée ensoleillée du mois de mai, le maire se prépare à accueillir la foire annuelle. Après son petit tour quotidien par le troquet, il découvre parmi les camelots une camionnette portant sur ces flancs l’inscription « Sexe-Shop ». Craignant un trouble à l’ordre public, il demande à la vendeuse de ne pas exposer d’objets susceptibles de heurter la sensibilité de la population. Rassuré par l’inoffensif canard en plastique gracieusement offert par la jeune fille, il retourne vaquer à ses occupations. Mais quelques uns des 234 habitants de la bourgade ne l’entendent pas de cette oreille et lui demandent de mettre fin à cette insupportable incitation à la débauche…

Raconter l’arrivée sur une place de village d’un sex-shop ambulant est une idée très sympa. Surtout si l’on ancre l’action dans un bled où la vie semble s’être arrêtée il y a 50 ans. Forcément, le choc des générations risque de faire des dégâts. Amandine la jeune vendeuse est une femme moderne, bien dans son temps. Le maire, élu aux idées étriquées, synthétise en quelque sorte la bêtise de ses administrés. Raymond Orloff (c’est son nom) est misogyne, mégalo, raciste, maladroit, stupide… Pourtant, sous ses airs de gros con qui s’ignore, il garde un coté attachant, notamment à travers la sincère affection qu’il porte à Amandine. Reste à voir comment la situation va évoluer entre ces deux personnages que tout oppose…

Pour ce qui est du dessin, Turf change totalement d’univers en passant de sa série steampunk La Nef des fous à la France profonde. Perfectionniste, attentif au moindre détail, il a recréé une ambiance rurale qui, visuellement, tient la route. Les personnages sont aussi bien trouvés. Le maire est un clone de celui de Champignac dans Spirou avec son costume, son écharpe en bandoulière, sa moustache et son chapeau melon. Amandine, son fichu dans les cheveux, sa robe ultra courte et ses baskets est une fille moderne et urbaine. Turf l’avoue, son souci du détail ralentit grandement sa cadence de production. Sur cet album, il n’a tombé que trois planche par mois contre quatre habituellement. Heureusement que ce Magasin sexuel est prévu pour être un diptyque, les lecteurs n’auront pas à attendre 17 ans avant d’en découvrir la fin comme ce fut le cas avec la Nef des fous.

Un album sympathique qui, sous ses faux airs de vaudeville, dresse un portrait caricatural mais drôle des villages de nos campagnes. Rien d’exceptionnel mais un bien agréable moment de lecture, frais et divertissant. Une dernière mise en garde pour les petits pervers : ne vous précipitez pas sur cette BD en pensant qu’avec un titre pareil, ça va être croustillant au possible. Il n’y a strictement rien d’érotique dans ce Magasin sexuel. Cette fable sur la bêtise humaine sans aucune vulgarité pourrait donc en décevoir plus d’un !

Magasin sexuel T1 de Turf, Éditions Delcourt, 2011. 64 pages. 14.95 euros.




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