lundi 29 août 2011

Opium Poppy - Hubert Haddad

Quand ils l’ont attrapé à la descente du train, il s’est laissé faire. Quand on l’a interrogé, il a juste montré du doigt un point sur la carte. C’est ainsi qu’ils ont compris qu’il venait de la région de Kandahar. Ils l’ont baptisé Alam et l’ont envoyé au Centre d’accueil des mineurs isolés et réfugiés où il a suivi des cours d’alphabétisation. Finalement, si le béton et le froid parisien ont remplacé les pierres et la chaleur afghane, rien n’a vraiment changé pour le jeune garçon.

Au pays, tout le monde l’appelait l’Évanoui depuis qu’il était tombé dans les pommes le jour de sa circoncision. Une honte suprême pour son père, misérable paysan cultivant le pavot pour les barons de la drogue. Après une attaque du village par les talibans, la famille est partie en ville. Son frère s’est engagé avec les terroristes et après la mort du père, sa mère l’a mis à porte, ne pouvant nourrir cette bouche de trop. Finalement, l’Évanoui a été embrigadé par les rebelles et a retrouvé son frère. Devenu enfant soldat, il a vécu au cœur des montagnes et a participé a nombre d’opérations plus sanglantes les unes que les autres. Peu à peu, toute forme de sentiment a disparu chez lui : plus d’émotion, plus de douleur, plus de peur. Au cours d’une attaque, ses « compagnons d’armes » l’ont laissé pour mort. Sauvé par une doctoresse américaine, il s’est échappé de l’hôpital et est parti pour Kaboul. Enfant des rues, des petites magouilles lui ont permis d’accumuler le pécule nécessaire pour payer un passeur. C’est alors que son grand voyage a commencé : Iran, Turquie, Bulgarie, Italie pour enfin atterrir en France, sur ce quai de gare où ils l’ont interpellé. Bien sûr qu’il n’est pas resté au centre d’accueil. Son destin tragique méritait une fin plus flamboyante...

Hubert Haddad dresse le terrible portrait d’une enfance détruite. Cruauté, solitude, violence, désespoir... l’Évanoui semble cristalliser tous les maux de la terre. Pour sordide qu’elle soit, cette histoire ne relève pas du reportage. L’auteur ne donne pas non plus dans la dénonciation brutale de la misère, il ne cherche pas à faire du Dickens. Car ce qui caractérise un texte d’Hubert Haddad, c’est la beauté de son écriture. A la fois âpre, réaliste et poétique, c’est la grâce de cette écriture qui fait de ce roman un grand livre : « Il aurait aimé étreindre l’ocre tendre du ciel par-dessus les toits, s’allonger nu et laisser le vent l’emporter comme un nuage jusqu’au secret de l’azur, mourir peut-être. » ou bien encore : « On part découragé, en lâche ou en héros, dans l’illusion d’une autre vie, mais il n’y a pas d’issue. L’exil est une prison. »

Sans doute certains esprits chagrins trouveront que la barque de l’Évanoui est trop chargée pour être crédible, qu’un tel misérabilisme ne cherche qu’à faire pleurer dans les chaumières. Ce n’est pas du tout mon cas. Ce roman est un cri qui dénonce l’horreur de notre époque avec une rare force d’évocation et donne la parole à ceux qui n’ont jamais l’occasion de la prendre.

Un texte désespéré et magnifique.

Opium Poppy, d’Hubert Haddad, Éditions Zulma, 2011. 170 pages. 16,50 euros.



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