Je profite de la période estivale bien plus tranquille professionnellement parlant pour me lancer dans une série de chroniques sur les grands classiques de la BD franco-belge. Mon ambition ? Présenter modestement quelques titres emblématiques de la bande dessinée européenne de l’après guerre. Au niveau de la présentation, et pour corser un peu les choses, j’ai décidé de rédiger mes billets en m’inspirant du modèle utilisé par PG Luneau sur son excellent blog. C’est évidemment un hommage plutôt qu’un plagiat et l’exercice me semble délicat à mener, ce qui le rend d’autant plus intéressant. Quoi qu’il en soit, j’espère me montrer à la hauteur, même si je sais que l’élève ne dépassera jamais le maître.
Pour entamer cette nouvelle rubrique, je me suis replongé dans Achille Talon, une série phare du journal Pilote au début des années 60.
Lorsqu’il apparaît pour la première fois dans les pages de l’hebdomadaire le 7 novembre 1963, Achille Talon fait office de bouche-trou. René Goscinny, le rédacteur en chef, a demandé à Greg d’imaginer un gag d’une planche qui serait publié épisodiquement lorsque la régie publicitaire manquerait de matière pour remplir les pages lui étant réservées. En réponse à cette demande, Greg, s’inspirant du Monsieur Poche d’Alain Saint Ogan (une célèbre BD des années 30), créé un personnage de bon bourgeois, un tantinet suffisant, qu’il présente comme «un cerveau-choc doué d’un savoir puisé dans une encyclopédie à laquelle il manquerait un certain nombre de pages ».
A la grande surprise de Goscinny, le courrier des lecteurs reçu le mois suivant ce premier gag ne parle que d’Achille Talon ! Devenu la coqueluche du journal, Achille se met à donner son avis sur tout, intervenant même au sein de certains articles. Sa popularité grandissante fait de l’ancien bouche-trou une figure incontournable de Pilote.
Un gros nez, un ventre rond, une canne à la main, un verbiage emphasé et une haute estime de sa propre personne, voila comment on reconnaît Achille. Pour enrichir l’univers de son héros, Greg a imaginé une galerie de personnages secondaires croustillants : Lefuneste, l’insupportable voisin ; Virgule de Guillemets, l’élue de son cœur ; Vincent Poursan, le commerçant qui vend tout et n’importe quoi à des prix imbattables ; Papa Talon, encore plus ventripotent que son fils et toujours représenté une bière à la main ; Maman Talon, passionnée par la cuisine et la moto ; Goscinny, le rédacteur en chef coléreux et souvent totalement hystérique...
Petite précision importante, malgré son traitement graphique très orienté jeunesse, cette série s’adresse avant tout aux adultes. D’ailleurs, une enquête menée quelques mois après son apparition dans l’hebdomadaire a démontré qu’une très grande majorité des lecteurs d’Achille Talon a plus de 18 ans.
En 1975, Pilote est devenu mensuel et pour mieux s’adapter à ce nouveau rythme de parution, Greg décide de décliner les aventures de son héros en longues histoires de 44 planches. Aujourd’hui, alors que son créateur a disparu en 1999, Achille Talon est toujours présent parmi les nouveautés des libraires puisque son 48ème album est paru en 2009 illustré par Roger Widenlocher sur des scénarios de Christian Godard, Brett et Herlé.
Achille Talon, c'est une série incontournable de l’âge d’or de la BD franco-belge avec un personnage que l’on reconnaît au premier coup d’œil et de l’humour tout en finesse reposant en grande partie sur des dialogues aussi pompeux que savoureux.
- Le coté verbeux des dialogues. Le style volontairement ampoulé d’Achille et de ses congénères réjouira les amoureux de la langue française.
- L’ambiance générale de la série, très marquée « petite bourgeoisie des années 60 » avec pavillon coquet, jardinet bien entretenu et décors urbains que l’on reconnaît du 1er coup d’œil.
- La richesse des personnages secondaires qui sont tous devenus des figures incontournables de la série.
- Le fait qu’Achille travaille pour le journal Polite, une déclinaison parodique du Pilote dans lequel il est publié. Les lecteurs ont toujours adoré les gags se déroulant à la rédaction du journal et leur permettant de découvrir « les dessous de cartes » de leur hebdo préféré. D’ailleurs, l’album de la série le plus vendu reste encore aujourd’hui « La vie secrète du journal Polite ».
- Achille Talon a les défauts de ses qualités, à savoir que le verbiage excessif peut devenir rédhibitoire pour nombre de lecteurs ne supportant pas ce ressort comique très particulier. Personnellement, je ne peux pas lire un recueil de gags de cette série d’un seul coup : trop indigeste ! Il me faut découper ma lecture en séquences de 5 ou 6 gags à la fois, pas plus.
- Le passage en histoires complètes m’a toujours moins convaincu, comme s’il dénaturait l’esprit premier de la série. Pourtant Greg est un vrai spécialiste des histoires longues puisqu’il a scénarisé de nombreux albums (Olivier Rameau, Bernard Prince, Bruno Brazil, Comanche…), mais je reste persuadé qu’Achille Talon est avant tout une série à gags
- La reprise de la série depuis la mort de Greg est (comme c’est souvent le cas) d’une grande médiocrité. Il est agaçant de voir les éditeurs (et parfois les ayant droits) vouloir continuer à tirer sur la ficelle alors que la magie a depuis longtemps disparu. D’autres exemples : Boule et Bill, Spirou, Lucky Luke, Cubitus, Alix… Seules exceptions peut-être, Blake et Mortimer et quelques albums des schtroumpfs, même si, pour cette série, il y a parfois eu de gros ratés.
- Cette série très datée n’a aucune chance de recruter de nouveaux lecteurs dans les générations actuelles. Les ados qui lisaient Pilote dans les années 60 sont peut-être restés nostalgiques de la série mais lorsque ces fans aujourd’hui sexagénaires auront disparu, Achille Talon n’aura malheureusement plus beaucoup de raisons d’être. Entendons-nous, il restera tout de même au panthéon de la BD franco-belge. Une œuvre patrimoniale, en quelque sorte.
Carte d’identité de la série : Auteur : Greg Date de création : 1963 Nombre d'albums : 48 Éditeur : Dargaud |