dimanche 20 novembre 2011

Le club des incorrigibles optimistes

Guenassia - © Le livre de poche 2011
Michel Marini grandit dans le Paris des années 60. Entre 1959 et 1964, il passe du statut de collégien à celui de bachelier. Ce photographe amateur, passionné par le rock et la littérature, est un joueur de baby foot émérite. C’est en faisant une partie au Balto qu’il va rencontrer Igor, Léonid, Sacha, Pavel, Imré et les autres, des expatriés qui ont passé le rideau de fer pour échapper à la répression de leurs pays respectifs. Au contact de ces incorrigibles optimistes, l’adolescent va affronter nombre de bouleversements parfois difficile à accepter.

Le club des incorrigibles optimistes est un roman fleuve qui plonge le lecteur au cœur des premières années de la 5ème république. En toile de fond, il y a la guerre d’Algérie qui prendra à Michel son ami Pierre et son frère Franck. Mais dans cette période bouillonnante pour la société française naît également une véritable effervescence intellectuelle, culturelle et politique : Sartre, Kessel, la musique, le cinéma… Michel profite de toutes les opportunités pour élargir son champ de connaissances. Le décor est également important. Jean-Michel Guenassia décrit le Paris des petits bistrots et des chambres de bonnes. Ses personnages naviguent entre le lycée Henri IV, le jardin du Luxembourg, Denfert-Rochereau et la cinémathèque.

La construction du roman est extrêmement élaborée. Les trajectoires des nombreux protagonistes se croisent, s’écartent et se rejoignent pour au final donner un tout qui se tient parfaitement. Malgré les nombreuses ramifications, la fluidité reste de mise. Le cœur de l’intrigue repose en grande partie sur les existences des réfugiés politiques que Michel côtoie au Balto. Acteur, médecin ou pilote d’avion, ils ont abandonné femmes et enfants pour sauver leur peau. Difficile de savoir les raisons qui les ont poussés à fuir. Michel va petit à petit rassembler les pièces du puzzle de leurs vies et découvrir que certain d’entre eux sont liés par un terrible secret.

Un texte d’une grande densité qui reste néanmoins extrêmement lisible. L’écriture est simple et élégante, très agréable. Il n’est jamais évident de vouloir créer des romans dans le roman sans perdre le lecteur en route. C’est tout le mérite de Jean-Michel Guénassia d’avoir réussi ce tour de force. Un roman français ambitieux et plein de souffle. C’est devenu tellement rare qu’il serait dommage de ne pas en profiter.

Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia, Le livre de poche, 2011. 730 pages. 8,50 euros.


Un grand merci à Babelio et au Livre de poche pour cette belle découverte.


jeudi 17 novembre 2011

Abélard : le coffret

Hautière et Dilliès - © Dargaud 2011
Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Si vous aimez la BD et que vous ne connaissez pas Abélard, vous passez à coté de quelque chose de grandiose. Les deux volumes, sortis à quelques mois d’écart (juin et septembre), ont bouleversé plus d’un lecteur. A première vue pourtant, pas de quoi sauter au plafond : une série jeunesse animalière au trait séduisant mais qui ne semble pas se distinguer de nombre de ses consœurs. En feuilletant les ouvrages plus précisément, on découvre un découpage original avec de très grandes cases, des planches en quatre bandes et d’autres beaucoup plus déstructurées proposant notamment pas mal de gros plans. Déjà, le charme commence à opérer. Et puis on se lance dans la lecture et là, l’évidence vous saute aux yeux : oui, ce diptyque est un petit bijou.

Abélard, c’est l’histoire d’un poussin qui rêve de quitter son marais pour découvrir le monde. Pour conquérir sa belle, il veut lui décrocher la lune. Et parce que c’est en Amérique que l’on vient d’inventer une machine pouvant voler dans le ciel, Abélard décide de partir dans cette lointaine contrée. Là-bas, un jour, c’est certain, on pourra aller sur la lune… Mais le petit poussin est naïf, il ne connaît rien du monde extérieur. Certes, il fera une magnifique rencontre, mais son innocence lui coutera cher et la longue traversée vers sa terre promise laissera dans la bouche du lecteur un goût amer de poussière et de cendre.

Poétique, philosophique, magique, mélancolique... mettez-donc tous les suffixes en « ique » que vous voulez, pour moi, cette grande œuvre est juste magnifique. Il est quand même très rare d’être à ce point secoué par une BD. Certains ont reconnu avoir versé une larme en refermant Abélard, c’est dire.

Je ne n’ai pas spécialement envie d’en rajouter davantage. Pour conclure, je vais juste piquer à mon ami Roger Wallet le titre d’un de ses ouvrages. Finalement, l’histoire d’Abélard, ça ressemble à une vie.

Une dernière petite info. A l’occasion des fêtes de fin d’année, les éditions Dargaud ont eu la riche idée de réunir les deux tomes dans un superbe coffret accompagné d’un tiré à part numéroté et signé par les auteurs. Comme j’ai offert mes albums achetés séparément, je me suis fait un doux plaisir en acquérant ce coffret. Il était impensable pour moi de ne pas avoir ce diptyque dans ma bibliothèque ! Le coffret est splendide, orné de la bouille d’Abélard fixant la lune les yeux brillants. Et le tiré à part est une carte postale envoyée par le poussin à ses amis du marais. Un tirage limité à 900 exemplaires que je recommande chaudement à tous ceux voulant découvrir ou faire découvrir un petit chef d’œuvre.

Abélard : coffret, d’Hautière et Dillies, Éditions Dargaud, 2011. 2 volumes + 1 ex-libris. 29,95 euros.


Paroles de blogueurs :

Mo’ : "Je suis émerveillée par le subtil travail d’écriture réalisé par Régis Hautière. Il est parvenu à aborder des questions essentielles et douloureuses sans lourdeur ni pathos. Beaucoup de finesse dans cette narration qui donne au lecteur un sentiment de spontanéité très ressourçant. C’est magique !
[…]
Émouvant, poétique, ce récit fait mouche et touche le lecteur à la fois dans son âme et dans son cœur. Je relaye donc le message déjà délivré sur quelques blogs : lisez Abélard !!"

Choco : "Cet album se révèle être une histoire très fine, très touchante et au-delà d'un récit d'initiation pour le petit Abélard, une véritable ode à la tolérance et à la diversité. Pour moi, cet album est une vraie réussite et un gros coup de cœur !!"

Yvan : "Si la narration de Régis Hautière tout au long de ce conte initiatique et philosophique est un modèle du genre, le dessin de Renaud Dillies renforce encore la poésie de chaque page. Privilégiant souvent l’ambiance aux mots, les auteurs installent une atmosphère envoûtante, portée par la colorisation doucement chaleureuse et totalement adéquate de Christophe Bouchard."

Badelel :"c'est un album beau et poignant, le genre d'histoires qui vous écrasent le cœur. J'ai eu envie de mettre une rouste à ces mauvais personnages qui font du mal à notre héros, j'ai eu envie de prendre Abélard dans mes bras, j'ai eu envie de le secouer pour l'aider. Décidément on s'attache à ce petit bonhomme au cœur trop pur."

Lire pour le plaisir : "Entre poésie, philosophie et mélancolie, l’album se révèle surtout d’une insondable tristesse. La dureté du monde, sa violence, son injustice et sa stupidité sont soulignés avec une rare finesse à travers la destinée de cet adorable poussin.
[…]
Émouvante, intelligente et d’une grande profondeur, cette fable au goût amer est à l’évidence une des plus remarquables BD jeunesse publiées cette année."


La carte postale d'Abélard à Mikhaïl son ami resté dans le marais

mercredi 16 novembre 2011

O dingos, ô chateaux ! de Manchette et Tardi

Manchette et Tardi - © Futuropolis 2011
Michel Hartog est un philanthrope. Suite à la mort de son frère et de sa belle sœur dans un accident d’avion, il a été désigné tuteur de son neveu devenu orphelin et a dû gérer la florissante entreprise familiale en attendant que le gamin soit en âge de prendre les rennes. Hartog a créé une fondation et cherche à faire le bien autour de lui. Il emploie des infirmes dans ses usines et ne s’entoure que de personnes en souffrance ou dans le besoin. Sa cuisinière est épileptique, son jardinier n’a qu’un bras, sa secrétaire est aveugle et son chauffeur est un ancien para qui a sauté sur une mine. Lorsque la nurse du petit Peter rend son tablier, Hartog va en chercher une nouvelle à l’hôpital psychiatrique. Pour Julie Ballanger, l’heureuse élue, la première rencontre avec Peter n’est pas de tout repos. L’enfant, capricieux et colérique, pique une crise et elle doit le gifler violemment pour le calmer. Le lendemain, alors qu’elle l’emmène au parc, tous deux sont enlevés de force, jetés sur la banquette arrière d’une voiture et séquestrés dans une cabane perdue au fond des bois.

Troisième adaptation d’un polar de Manchette par Tardi, Ô dingos, ô châteaux réunit des thèmes chers à l’écrivain : personnages rugueux sans états d’âme, humour noir, violence un peu gratuite… Le récit progresse par paliers, chacun devenant plus tendu et intense que le précédent. Il y a quelques scènes d’anthologie au cours de la course-poursuite sanglante entre la nounou protectrice et ses ravisseurs. Dans cette histoire, tous les protagonistes sont sacrément cintrés et aucun n’attire l’empathie. Le texte d’origine, respecté à la lettre, possède une sorte de réalisme glacial où affleure le désir de choquer.

Une fois de plus, Tardi prouve qu’il a parfaitement digéré le style du romancier. Comment ne pourrait-il pas se sentir à l’aise pour mettre en scène des personnages aussi barrés et une telle violence surjouée ? A l’évidence il s’est régalé des séquences chocs qui traversent le récit (la mémorable tuerie dans le supermarché est un must en la matière) et s’est appliqué comme jamais pour offrir à chaque personnage une trogne digne de son tempérament.

La truculence cynique de Manchette et le dessin au cordeau de Tardi sont pour la première fois réellement en symbiose dans ce road-trip déjanté. J’en viens presque à espérer que cette nouvelle adaptation sera la dernière tant il me semble difficile de faire mieux.


Ô dingos, ô chateaux ! de Manchette et Tardi, Futuropolis, 2011. 96 pages. 19 euros.

L'avis de Wens.

Mon avis sur La position du tireur couché.


Manchette et Tardi - © Futuropolis 2011




mardi 15 novembre 2011

Portrait chinois

J’ai été tagué par Mango et Oliv’ sur le principe du portrait chinois. Chacun proposant une liste différente, je me suis plié (avec plaisir) deux fois au jeu.





Celle de Mango :

Si j'étais ..., je serais...

Un écrivain : Albert Camus.

Un aliment : l’ananas.

Un supplice (gniark gniark) : une sonnerie de téléphone portable.

Un animal : le chat. Joueur, indépendant, gourmand, aimant la sieste, c’est tout moi (il me manque les griffes, la moustache, la souplesse féline et le ronronnement mais avec un peu de bonne volonté, le mimétisme pourrait être parfait).

Une couleur : le noir. C’est la couleur des mots dans les livres. Et j’ai toujours préféré les BD en noir et blanc à celles en couleur.

Une pièce (d’une maison, d’un château, d’un immeuble, au choix) : je ne sais pas si on peut considérer cela comme une pièce de maison mais je me rappelle avec nostalgie la cabane au fond du jardin de mon grand père. En fin de matinée, quand on avait fini de planter les patates, on s’y installait à l’ombre. Il coupait des tranches de saucisson et se servait un muscadet. J’avais droit à un jus de pommes bien mérité. Cette cabane de bric et de broc, je me souviens l’avoir repeinte en rouge vermillon. J’avais une douzaine d’années, ça a été mon premier travail rémunéré.

Une profession : dessinateur de BD. Un doux rêve impossible à réaliser étant donné mes compétences en matière de dessin.

Un objet : un stylo. Pas un stylo plume mais un beau stylo bien lourd en main, à l’encre noire et à l’écriture fine.

Une chanson : Waiting on an Angel de Ben Harper

Un défaut : le désordre. Je suis totalement bordélique, une vraie plaie pour mon entourage.


Celle d’Oliv’ :

Si j'étais ..., je serais...

Un quotidien : J'associe ce mot à un journal, alors pour moi ce serait Paris Turf. Je joue très peu mais j’adore les courses depuis que je suis tout gamin (héritage paternel).

Une bd lue minimum trois fois : le schtroumpfissime, chef d’œuvre de Peyo.

Une blague : alors là, je passe mon tour. Incapable de retenir une histoire drôle. Je pourrais aller en chercher une en quelques clics sur la toile mais je ne vois pas l’intérêt.

Une plage : la plage de Port Leucate, dans l’Aude. J’y ai passé mes vacances d’été pendant des années. Beaucoup de bons souvenirs.

Un restaurant : Le Don Shin, un restaurant chinois où mes filles adorent aller manger.

Un logiciel : word, tout simplement. L’idéal pour rédiger un billet.

Une envie : des vacances, là, tout de suite, avec beaucoup de chaleur et de soleil.

Un festival : On a marché sur la bulle, le festival BD d’Amiens. Un rendez-vous auquel je suis fidèle chaque année. Une ambiance et une équipe super sympa.

Un tatouage : je n’en n’ai pas et je ne me suis jamais posé la question. Pour sortir du lot, je pense qu’il faut éviter le dauphin, le papillon, l’aigle ou le dragon. Disons un mammouth, bien laineux et avec de longues cornes. Après il faut trouver le bon endroit pour le mettre, c’est un autre dilemme.

Un jour de ? le jour de mon mariage, sur une plage de l’île Maurice. Après 15 ans de vie commune et deux enfants, on a décidé de se marier mais on ne voulait pas de la grosse fête avec tout le bazar à organiser. On a donc fait le voyage en amoureux, rien que nous deux. Le témoin de ma femme était le directeur adjoint de l’hôtel et le mien une femme de ménage. L’officier d’état civil (féminin) était en sari et la cérémonie s’est déroulée devant l’océan indien. Le soir, on a dégusté un repas merveilleux sous une paillotte en regardant le soleil se coucher. Ça a été un peu galère au niveau paperasse avec l’ambassade pour valider le mariage en France mais tout s’est arrangé et au bout de 6 mois on a eu notre livret de famille en bonne et due forme. Franchement, c’est plus romantique et moins cheap que Las Vegas, non ? C’était le 30 avril 2009. Un jour de bonheur que je ne suis pas près d’oublier.


Je transmets ce tag à Véro, Phooka et Clara si le coeur leur en dit. Elles peuvent évidemment mixer les deux listes selon leur goût ou leur envie goût.

dimanche 13 novembre 2011

La Maison de Soie : le nouveau Sherlock Holmes

Horowitz - © Calmann-lévy 2011
Edmond Castairs sollicite Sherlock Holmes car il pense qu’un homme cherche à lui nuire. Le lendemain de sa visite, Carstairs est cambriolé. En suivant les traces du voleur, Watson et Holmes vont découvrir un cadavre dans une chambre d’hôtel misérable. Ils ne le savent pas encore, mais ce meurtre va plonger les deux amis dans l’affaire la plus sordide qu’ils aient eu à résoudre.

Un gang de bandits irlandais opérant dans une ville américaine, un cambrioleur assassiné, un enfant torturé, une fumerie d’opium, une sombre prison, une organisation secrète regroupant quelques un des plus respectables membres de la société anglaise… Difficile de faire le lien entre autant d’éléments n’ayant de prime abord aucun rapport. Sauf si on s’appelle Sherlock Holmes…

Lorsque la Conan Doyle Estate (la fondation qui représente les intérêts des héritiers de Conan Doyle) l’a choisi pour imaginer une nouvelle aventure du fameux détective, Anthony Horowitz n’a hésité que quelques secondes. Le challenge était pourtant risqué. Sherlock Holmes fait partie des monuments de la littérature mondiale. Une icône qui possède des fans aussi nombreux qu’exigeants. Ignorant la pression, Horowitz s’est lancé à corps perdu dans le projet. Son idée de départ : un an après la mort de Holmes, Watson a pris la plume pour relater leur toute dernière enquête. Mais parce que l’affaire était trop explosive et compromettait trop de beau monde, le texte resta dans un coffre, son auteur stipulant qu’il ne devait pas être ouvert avant un siècle. Voila pourquoi les aventures de la Maison de soie ne sont publiées qu’aujourd’hui. Une pirouette intelligente qui permet de lancer le récit sur de bons rails.

S’il respecte à la lettre l’univers Holmésien (Holmes, Watson, la gouvernante Miss Hudson, la bande de gamins de Baker Street, l’inspecteur Lestrade…), Horowitz ne tombe pas pour autant dans le plagiat pur et simple. Certes, il reprend les tournures de phrases et la précision des descriptions de Conan Doyle. Certes, son Sherlock Holmes a la même incroyable capacité de déduction et d’analyse que l’original. Mais l’auteur de la série Alex Rider a su se fondre dans le moule tout en imposant sa patte. Le Londres victorien qu’il décrit est d’un réalisme bluffant. L’action du roman se déroule essentiellement dans les quartiers pauvres et les bouges malfamés, ce qui était rarement le cas dans les histoires de Conan Doyle. La maison de Soie lorgne donc par moment avec brio du coté de Dickens. Au niveau de l’intrigue, la mécanique mise en place fonctionne à merveille. Le lecteur se sent d’abord perdu, se demandant où tous ces événements à première vue disparates vont bien pouvoir le mener. Et puis, petit à petit, les pièces du puzzle s’imbriquent et tout s’éclaire. Imparable !

La maison de soie est un vrai « page-turner », un roman addictif que l’on ne lâche pas avant la dernière phrase. Je ne suis pas un spécialiste du célèbre détective mais il me semble que les fans ne devraient pas être déçus.

La Maison de Soie, d’Anthony Horowitz, Calmann-lévy, 2011. 300 pages. 16 euros.

vendredi 11 novembre 2011

Asdiwal : L'indien qui avait faim tout le temps, de Jean Patrick Manchette et Loustal

Manchette et Loustal - © Gallimard 2011
Asdiwal fait partie de la tribu des Tsimshians. Ces indiens qui vivent au Canada, à la frontière de l’Alaska, ressemblent aux esquimaux. Ce que préfèrent les Tsimshians, c’est chasser l’ours et les chèvres sauvages. Ils pêchent aussi des phoques et des morses dont ils aiment la chair grasse. Chez ces gros mangeurs, beaucoup d’adultes deviennent obèses et n’arrivent plus à voir leurs mocassins lorsqu’ils regardent leurs pieds.

Le père d’Asdiwal, qui est un peu magicien, lui a un jour donné des armes enchantées pour attraper les ours. C’est ainsi que le petit garçon est parti à la chasse. Mais l’ours qu’il a poursuivi s’est échappé en grimpant à une échelle  montant tout droit dans les nuages. Asdiwal a suivi l’ours et s’est retrouvé devant Étoile du soir qui n’était autre que la fille du Soleil. Ce dernier, n’a pas apprécié de voir sa descendance fricoter avec un godelureau. « Aussi, pour voir si c’était un bon petit garçon ou une vilaine carne, l’obligea-t-il à toute une série d’épreuves très difficiles… »

Asdiwal est à ma connaissance la seule incursion de Manchette du coté de la littérature de jeunesse. Cette histoire rédigée au cours de l'été 1966 à Paris était destinée à son fils, alors en vacances en Provence. Ce texte pour le moins décousu n’était donc au départ pas prévu pour être diffusé auprès du grand public. Les aventures d’Asdiwal s’enchaînent sans véritable cohérence. Seules semblent compter les nombreuses péripéties qui relancent l’intrigue. Au final, grâce à la truculence de l’auteur, on suit avec plaisir le long chemin qui fera du jeune indien un mari heureux (et obèse !). Le ton est familier et l’humour présent dans de nombreuses tournures de phrases. Un joyeux bazar qui révèle une belle inventivité et qui n’a d’autre but que de divertir le petit lecteur auquel il s’adresse.

Du coté des illustrations, même si j’ai souvent du mal avec le style très raide de Loustal, il me faut reconnaître que son travail est ici parfaitement adapté aux tribulations d’Asdiwal.
Un album à lire à voix haute. La richesse de la langue provoquera les éclats de rire et emportera à coup sûr l’adhésion de l’auditoire.


Asdiwal : L’indien qui avait tout le temps faim de Jean-Patrick Manchette et Loustal, Gallimard Jeunesse, 2011. 48 pages. 14,00 euros. A partir de 5 ans.

Manchette et Loustal - © Gallimard 2011

jeudi 10 novembre 2011

Les Sisters 6 : Un namour de Sister


Cazenove et William - © Bamboo 2011
Wendy est amoureuse de Maxence. Pour la petite Marine, les temps changent. Sa sœur a grandi, ses préoccupations ont évolué. Bien sûr, c’est un plaisir pour la cadette de tenir la chandelle ou d’espionner les deux tourtereaux même si ces derniers apprécient moins, forcément. Mais l’incompréhension s’amplifie entre les Sisters : pourquoi Wendy met des heures à choisir ses fringues et à se pomponner dans la salle de bains ? Pourquoi invite-t-elle des garçons à la maison ? Pourquoi est-elle si triste quand elle surprend Maxence main dans la main avec une autre fille ? Heureusement, les moments de complicité et les chamailleries sont toujours de mise, et si la grande sœur est souvent poussée à bout par la petite, elles gardent l’une pour l’autre une véritable affection.

Humour bon enfant et tendresse sont à nouveau à l’honneur dans ce sixième tome. C’est un plaisir de retrouver ce duo de chipies inspiré par les filles du dessinateur. Il y a évidemment beaucoup de vécu dans les situations décrites, même si le trait est souvent forcé. Le succès de la série est sans doute dû au fait qu’elle s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux parents (surtout si, comme moi, on a deux filles à la maison !).

Par rapport aux volumes précédents, les parents, le doudou de Marine et le journal intime sont moins présents. Pour éviter l’impression de déjà vu, les auteurs préfèrent insister sur le fait que leurs héroïnes grandissent : Wendy troque son lit une place contre un lit double et participe à sa première boum, Wendy connaît son premier chagrin d’amour… les préoccupations changent doucement mais l’évolution est tout de même papable.

Coté dessin, le trait élastique de William fait mouche. Mimique des visages, découpage très dynamique et couleurs pastel sont les marques de fabrique de la série.

Sans révolutionner la BD d’humour, Les Sisters restent une valeur sûre et de qualité. Surtout, les enfants adorent suivre les facéties de Marine et Wendy. Rien que pour cela, leurs aventures méritent de figurer dans nombre de bibliothèques familiales.

 
Les Sisters T6 : Un namour de Sisters de Cazenove et William, Éditions Bamboo, 2011. 48 pages. 10.40 euros.  


Cazenove et William - © Bamboo 2011






mercredi 9 novembre 2011

Je, François Villon 1 : Mais où sont passées les neiges d’antan ?

Jean Teulé a choisi de faire naître François de Montcorbier le 30 mai 1431, jour de la pendaison de son père condamné pour vol. Six ans plus tard, sa mère est accusée du même crime et finit enterrée vivante dans la fosse aux chiens, vouée à « souffrir mort et être enfouie toute vive devant le gibet de Montfaucon ». Recueilli et élevé par Guillaume de Villon (dont il prendra le nom vers 1456), chapelain de l’église Saint Benoît le Bétourné, près de la Sorbonne, François suit un enseignement qui doit faire de lui un clerc. Mais le futur grand poète est un piètre élève. Davantage intéressé par les plaisirs faciles et les activités licencieuses, il devient un trublion honni par les bonnes gens du quartier. A la fin de ce premier tome, alors que la police réprime dans le sang une émeute d’étudiants dont il est l’un des meneurs, François tombe dans les bras d’Isabelle de Bruyère, nièce de l’impitoyable évêque d’Orléans Thibault d’Aussigny. Une rencontre qui marquera à jamais la destinée des deux jeunes gens…

Portrait saisissant d’une figure incontournable des lettres françaises, Je, François Villon plonge le lecteur dans l’invraisemblable violence de la fin du Moyen âge. Pendaison, torture, mutilation, prostitution… l’horreur est à chaque coin de rue. Fasciné par tout ce qui est crapuleux, le poète est un individu infect. Totalement incontrôlable, c’est une sorte de rock star avant la lettre dont les excès ne feront que repousser les limites de l’ignominie (notamment lors de son passage dans la bande des coquillards). C’est là tout le paradoxe et la complexité du personnage, à tel point que l’on en vient à se demander comment un homme aussi immonde a pu également être un fabuleux poète ? A l’évidence, il ne fait pas le mal par plaisir. Il semble juste viscéralement attiré par le coté sombre et atroce de son époque.

Pour avoir lu le roman de Jean Teulé, je dois dire que l’adaptation de Luigi Critone est d’une belle fidélité. Quasiment sans aucun récitatif, il parvient à retranscrire en image la quintessence du texte. Il faut dire que l’écriture de Teulé est à la base très visuelle, ce qui facilite les choses. Alternant les scènes contemplatives et celles pleines de frénésie, Critone installe une ambiance où l’horreur et la beauté ne sont jamais très éloignées. Lavis, encrage ou couleur directe, les procédés utilisés illuminent avec finesse la poésie morbide du texte.

Une superbe adaptation qui aura demandé trois ans de travail au dessinateur. Espérons que le second volume restera du même tonneau et qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps avant d’avoir le plaisir de retrouver le sulfureux François Villon.


Je, François Villon T1 : Mais où sont passées les neiges d’antan ? de Luigi Critone, d’après Jean Teulé, Éditions Delcourt, 2011. 72 pages. 14.95 euros.





dimanche 6 novembre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 11) : Perv, une histoire d'amour de Jerry Stahl

Bobby Srark n’est pas un adolescent verni, c’est le moins que l’on puisse dire. Son père s’est jeté sous un tramway, sa mère fait régulièrement des stages à l’hôpital psychiatrique pour y subir des électrochocs et sa sœur s’est fait la malle au Canada avec un déserteur. Cerise sur le gâteau, il vient de se faire virer de sa prépa et doit retourner à Pittsburgh dans l’appartement familial. Un retour aux sources douloureux et un avenir des plus sombres qui s’annonce pour celui qui se qualifie de « garçon de seize ans acnéique et sexuellement détraqué ».

Alors que la guerre du Vietnam bat son plein, Bobby rêve de partir pour San Francisco, lieu de débauche et de perdition où toutes les utopies semblent pouvoir se réaliser. Grâce à Michelle, son amour d’enfance devenue Hare Krishna (avec sari, crâne rasé et catogan), Bobby fait le grand saut. La fuite vers Frisco de ce duo improbable va malheureusement virer au cauchemar…

Jerry Stahl frappe fort avec Perv, un roman picaresque et décapant. Son héros est un poissard complet qui accumule les échecs et les rencontres hautes en couleur. Tout le charme (si l’on peut dire !) du texte repose sur cette galerie de personnages hors normes croisant la route de Bobby. De Sharon la nymphomane à Mr Schmidlap le tatoueur manchot, de Howard et Henrietta, les retraités séniles à Varnish et Meat les hippies psychopathes, Bobby attire comme un aimant les freaks les plus barrés que l’on puisse imaginer.

La narration à la première personne renforce la sensation de désarroi du jeune homme. Totalement perdu, revenant sans cesse avec nombre de flashbacks sur les épisodes les plus affligeants de son enfance, Bobby tente de comprendre comment il en est arrivé là. Lucide, drôle malgré lui, c’est un héros assez typique de la littérature américaine contemporaine. Et si l’on sourit franchement au début de l’aventure, le tragique de la situation ne fait par la suite qu’empirer jusqu’au chapitre final où l’apparente légèreté laisse place à une véritable angoisse et à un sentiment de malaise pour le lecteur.

Avec Perv, Jerry Stahl révèle un sens aigu de la cruauté doublé d’une ironie mordante. Une plongée truculente et déjantée dans l’Amérique sous acide des années 70. Âme sensible s’abstenir.

Perv, une histoire d’amour, de Jerry Stahl, 13e Note Editions, 2011. 365 pages. 19,00 euros.


Extrait :

« La mort vaincra car : Regarde mon père. Il travaillait comme un malade, et il a fini écrasé par un tramway.
La mort vaincra car : Bordel, même Hemingway s’est enfourné le canon d’un fusil dans la bouche.
La mort vaincra car : Pourquoi ne pas se défoncer toute la journée puisque la vie n’est qu’une succession d’emmerdes meurtrières.
La mort vaincra car : Quand tu y penses, à quoi bon devenir avocat, médecin, ou n’importe quoi d’autre alors que, finalement, être vivant n’est rien qu’un prélude à la mort. »


vendredi 4 novembre 2011

100 héros disparus du journal Spirou

Je suis né en 1975 et mon histoire avec le journal Spirou a dû débuter en 1982 ou 1983. Elle a duré jusqu’en 1989. A quatorze ans, le collégien que j’étais a voulu passer à autre chose, rien de plus normal. Depuis 2004, je suis de nouveau abonné. Un désir irrépressible de retomber en enfance une fois par semaine. C’est toujours un plaisir d’ouvrir la boîte aux lettres et d’y trouver mon Spirou. Bien sûr, le journal à bien changé en presque 30 ans. Les monstres sacrés s’en sont allés. Plus de Roba, de Franquin, de Morris ou de Peyo. Les stars d’aujourd’hui sont Delaf et Dubuc (Les nombrils), Emile Bravo (Spirou et Jules) ou Gazzotti et Vehlman (Seuls). Et pourtant cette semaine, le magazine tire un trait sur la nouvelle génération et redonne la parole aux anciennes gloires avec un numéro spécial Come-Back.

Au sommaire, le Spirou de Tome et Janry, Docteur Poche, Le gang Mazda, Les Bogros, Pauvre Lampil, Tom Carbone, Les Crannibales, Broussaille, Puddingham Palace, Le Boss et Germain et Nous. Mais attention, il ne s’agit pas de republier de vieilles histoires, toutes les pages présentées ont été créées spécialement pour l’occasion. Franchement, que du bonheur. Mon préféré ? Le gag de Pauvre Lampil, d’une lucidité jubilatoire.

Cerise sur le gateau, les abonnés ont droit à un petit supplément qui recense 100 héros disparus du journal. Uniquement des séries interrompues ou qui ne sont plus exploitées en albums. Le guide contient un descriptif de chaque série, avec le nom des dessinateurs et scénaristes et les dates de leurs premières et dernières apparitions dans Spirou.

Ce petit fascicule ne sera pas en vente en kiosque et c’est bien dommage. J’ai pu y redécouvrir quelques perles dont j’avais oublié l’existence. Par ordre alphabétique, cela donne :

- 421 : un agent secret clone de James Bond (1980-1992)
- Le Flagada : un oiseau jaune qui vit sur une île et qui vole grâce à une petite hélice (1961-1988)
- Ginger : un détective privé toujours accompagné de la charmante Véraline (1976-1985)
- Mic Mac Adam : lui aussi détective privé mais plutôt spécialisé dans le surnaturel (1978-1987)
- Les Motards : en quelque sorte les ancêtres du Joe Bar Team (1984-1993)
- Toupet : un adorable bébé qui multiplient les bêtises et casse à coup de marteau tout ce qui lui passe sous la main (1987-2004)
- Les voraces : des vautours philosophes vivant dans la savane et passant leur temps à attendre la mort de leurs futurs repas (1986-1996)

Voila donc un excellent numéro spécial come-back qui sera en kiosque le mercredi 9 novembre et que j’ai eu la chance de découvrir aujourd’hui dans ma boîte aux lettres. Longue vie à Spirou, et s’il n’est pas toujours bon de vivre avec le passé, ça fait quand même sacrément du bien de s’y replonger de temps en temps !

Le retour de Pauvre Lampil dans les pages de Spirou !

jeudi 3 novembre 2011

Dors et fais pas chier

Le marchand de sable est passé pour tous tes amis.
La grenouille dans la mare a cessé de sauter.
Quoi ? Non, tu ne peux pas aller faire pipi.
Tu peux, en revanche, t’endormir sans me faire chier.

Dors et fais pas chier, c’est la complainte du parent désespéré dont l’enfant ne veut pas dormir. A chaque double page un quatrain se terminant par la même supplique : « endors-toi ». Et si au début le père conclut sa demande par « je t’en prie » ou « couche-toi, mon chéri », très vite, le ton change. De « c’est quoi ce bordel » à « fous-moi la paix », la grossièreté va crescendo après un délicieux moment de renoncement : « Un bibi de lait ? OK, je m’en fous, j’en ai marre. De toute façon tu dors pas. Tu fais chier. » Évidemment, à la fin, c’est l’enfant qui gagne et les parents qui ne pourront pas, ce soir encore, « faire péter le DVD ».

Drôle d’album qui n’a pas fini de faire parler de lui. C’est sans doute l’une de ses seules qualités. Il est très facile d’être irrévérencieux, ce qui l’est beaucoup moins c’est de l’être avec un minimum de talent. J’avoue que certains passages m’ont fait rire tandis que d’autres m’ont paru affligeants (comme par exemple : « Ton doudou tu peux te le mettre où je pense. Fais pas chier ferme les yeux »). Et puis il faut bien reconnaître que ce « fais pas chier » affiché sur toutes les pages comme un slogan devient vite lassant.

Et les illustrations me direz-vous. Et bien elles ne relèvent pas le niveau. C’est franchement moche et les couleurs souvent très agressives et forts mal assorties font ressembler l’ensemble au délire psychédélique d’un junkie sous acide.

Un ouvrage à ne pas lire aux enfants et typique d’une certaine nouvelle génération de parents qui considèrent que l’on a plus à être esclaves de ses gosses. C’est une sorte de tabou qui saute enfin avec la mise en scène de cette rage parentale éclatant au grand jour. Le coté outrancier est évidemment à prendre au second degré, mais l’ensemble n’est pas suffisamment drôle pour être convaincant. Sur le même thème, Bénabar à fait beaucoup mieux avec son titre « La berceuse ». Cet avis fort mitigé n’engage évidemment que moi et je ne doute pas que d’autres lecteurs trouveront ce livre formidable, mais quand je lis sur la 4ème de couverture une citation de l’écrivain Jonathan Lethem qui le qualifie de « pur génie », je me dis qu’il ne faut pas non plus pousser le bouchon trop loin.

Bon, et puis faites-pas chier, lisez-le, c’est encore le meilleur moyen de se faire sa propre opinion !


Dors et fais pas chier, d’Adam Mansbach (illustrations Ricardo Cortés), édition Grasset, 2011. 32 pages. 10,00 euros. A ne pas lire aux enfants !

mercredi 2 novembre 2011

Aâma 1 : L’odeur de la poussière chaude

Verloc Nim reprend conscience au sommet d’un volcan. Il ne sait pas où il est ni qui il est. Rejoint par un robot gorille prénommé Churchill, il apprend qu’il se trouve sur la planète Ona(ji). C’est en lisant son journal intime que Verloc parvient peu à peu à remonter le fil des événements. Abandonné par sa femme et ne pouvant revoir sa fille, drogué, marginal, mal dans sa peau et dans son époque, il s’est laissé convaincre par son frère de l’accompagner dans une drôle de mission sur une planète inconnue…

Après l’excellent Lupus, Frederik Peeters revient à la SF avec ce voyage initiatique mêlant action, complot et mystère. Pourquoi la SF ? Parce que ce genre permet d’aborder nombre de sujets très contemporains sans en avoir l’air. Dans Aâma, Peeters décrit à la fois une société marchande très inégalitaire et la prédominance de l’ultratechnologie synonyme de bonheur pour tous. Son héros semble s’être trompé d’époque. Amoureux des livres papiers depuis longtemps disparus, sa technophobie le pousse à refuser les implants et autres « saloperies » qui, s’ils permettent de rester en bonne santé, ôtent toute liberté à celui qui les porte. Utilisant de nombreux flashbacks, le récit donne l'impression au lecteur de recoller lentement les différents morceaux du puzzle, même si nombre de questions ne trouvent aucune réponse dans ce premier tome.

Graphiquement, Peeters avoue avoir été fortement influencé par Moebius. Avec son trait reconnaissable au premier coup d’œil, il se révèle aussi à l’aise dans les étendues désertiques d’Ona(ji) que dans les ruelles sordides d’une ville futuriste. Pour cette dernière, il s’est inspiré du Caire et des mégalopoles indiennes, ces cités où la grande pauvreté côtoie de luxurieux gratte-ciel.

Aâma s’annonce comme une saga au long cours ambotieuse et aux multiples portes d’entrée. Ce premier volume d’introduction met l’eau à bouche. Espérons juste que la suite ne se fera pas attendre trop longtemps.


Aâma T1 : L’odeur de la poussière chaude de Frederik Peeters, Gallimard, 2011. 86 pages. 17 euros.







mardi 1 novembre 2011

Le premier mardi, c'est permis (2) : Les loisirs d'Anna

Pour ma seconde participation au challenge Le premier mardi, c’est permis de Stephie, j’ai choisi ce manga, acheté d’occasion chez mon libraire préféré. Je ne sais pas qui m’a attiré, l’esthétique de la couverture peut-être. Ce titre pour public averti (interdit aux moins de 16 ans sur la jaquette) est à classer dans la catégorie ecchi, ce qui signifie « indécent », « lubrique » ou encore « pervers ». Au Japon, le terme est aussi utilisé avec une connotation sexuelle pouvant avoir le sens de « sexuellement inapproprié », « érotique » ou « pornographique ». En gros, c’est pas pour les enfants !

Quand je rentre à la maison avec un manga pareil acheté d’ocazz, j’ai toujours peur de tomber sur des pages collées, du genre impossible à séparer sans les déchirer. Je ne vais pas jusqu’à le lire avec des gants mais je fais gaffe quand même.

Les Loisirs d’Anna raconte les aventures d’Anna (wouha, le scoop !), une jeune secrétaire d’apparence toute timide qui, le week-end venu, se transforme en femme fatale assoiffée de sexe. Hyper original, quoi ! Sa spécialité : offrir des moments de détente torrides à de jeunes salary men surmenés ou à des étudiants ayant sérieusement besoin d’être déniaisés. Sans contrepartie financière ou autre, juste pour aider son prochain. Duo, trio, partouze, la petite n’a pas froid aux yeux, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le dessin est typique de ce genre de publication : filles pulpeuses, scènes d’action déclinées sous tous les angles, ébats au cours desquels on voit couler des litres de sueurs et de fluide séminal (un joli terme scientifique pour ne pas dire sperme), tout y est.

Ce que j’aime dans cette série qui compte en tout deux volumes, c’est que le propos reste bon enfant (si on peut dire !). Il n’y a aucune violence, rien de vraiment pervers. C’est juste l’histoire d’une fille qui aime le sexe et veut en faire profiter un maximum de monde. A chaque chapitre une nouvelle conquête. Anna ne s’attache jamais, elle ne vit que des coups d’un soir. Ce coté très simple est plein de fraîcheur et rend l’ensemble vraiment agréable à parcourir.

Bon allez, trêve d’hypocrisie et d’analyse à deux balles. Ce titre est juste un bon vieux manga porno comme il en existe des tonnes. Émoustillant et sacrément bien troussé, il ravira les amateurs du genre. Dont je ne fais pas partie, évidemment. N’oubliez pas que j’ai choisi de présenter ce recueil uniquement pour pouvoir participer au challenge de Stephie (question de respectabilité).


Les Loisirs d’Anna T1, de Saigado. Taifu Comics, 2009. 220 pages. 8,95 euros.





dimanche 30 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 10) : Les autos tamponneuses de Stéphane Hoffmann

Pierre Bailly, un grand patron qui n’a cessé de privilégier son entreprise au détriment de sa vie de famille, décide du jour au lendemain de prendre sa retraite pour s’installer avec sa femme dans leur maison du Golfe du Morbihan. Pour son épouse, l’intrusion dans sa vie quotidienne d’un mari jusqu’alors très peu présent est impensable. Selon elle, les hommes qui ne travaillent pas se relâchent. « Jamais ils ne devraient rentrer à la maison, jamais. Ils doivent mourir à la tâche, au combat, la main sur le métier. C’est leur devoir, leur gloire. Les hommes, on les aime absents. Celui qui rentre saccage tout. La place d’un homme, c’est dehors. » De son coté, Pierre se demande ce qu’il va faire de ces jours tranquilles qui s’annoncent. Il prend du bon temps en visitant un copain restaurateur ou tente sans grande conviction de courtiser une amie de sa femme. Il essaie aussi de trouver sa place dans la bourgeoisie locale mais il se révèle bien trop individualiste et misanthrope pour supporter « ces cons ». Finalement, il se rend compte qu’il n’est pas si facile, la retraite venue, de se réinventer une vie…

Stéphane Hoffmann possède un joli sens de la formule et une écriture aussi acerbe qu’aiguisée. Ses descriptions vachardes font sourire (« il était gai comme le formol, joyeux comme une ampoule basse consommation. ») mais sous le vernis du cynisme et de la désinvolture, son style apparaît aussi prétentieusement boursouflé que le caractère des personnages qu’il met en scène. Il ne cesse d’enfiler les aphorismes comme des perles mais, à mon sens, ce n’est pas en accumulant les bons mots et les traits d’esprit que l’on donne du corps à un roman. Quelques exemples en vrac : sur le mariage : « Le code civil laisse entrer la foule dans le lit des gens qui s’aiment, fait de chaque famille une troupe au service de la société et donne à la vie conjugale, si secrète, une impudique publicité. » ; sur le bonheur : « Le bonheur, ce n’est pas de ne pas avoir de problèmes ; le bonheur est de pouvoir résoudre les problèmes qu’on a ! » ; sur les enfants : « Un enfant, c’est un idéal qu’on n’invente pas, mais qu’on reçoit. Malgré soi. Et il faut être à la hauteur de cet idéal que l’on n’a pas voulu et qui décevra. » A la longue ces sentences balancés à l’emporte pièce deviennent plus qu’indigestes.

Du coté des dialogues, même constat d’échec. Les tirades de tous ces insupportables bourgeois sonnent tellement faux que l’on a parfois l’impression de lire le texte d’une mauvaise pièce de théâtre. Et que dire de la fin ! Une ultime pirouette où les masques tombent ridiculement et où l’épouse à la froideur inhumaine se révèle finalement être une mère et une grand-mère aimante. Quitte à jouer sur la corde du cynisme, il aurait été préférable de pousser à son paroxysme la décrépitude de cette imbuvable « bonne société » provinciale.

Une lecture pénible. Avec 100 pages de plus, je crois que je ne serais pas allé au bout. Second titre des éditions Albin Michel que je lis en cette rentrée littéraire (après La petite) et seconde très grosse déception. Rassurez-moi, il doit bien y avoir un roman de qualité publié par cet éditeur cet automne (le premier qui me cite Amélie Nothomb prend la porte immédiatement !).

Les autos tamponneuses de Stéphane Hoffmann, Éditions Albin Michel, 2011. 232 pages. 17 euros.


vendredi 28 octobre 2011

Elmer

En cette fin d’année 2003, Jake Gallo a les nerfs à vif. Il vient encore de rater un entretien d’embauche, son père a fait une attaque, son frère, star du cinéma, ne prend plus le temps de lui parler et sa sœur May va épouser un humain, ce qui, pour lui, est totalement impensable. Et oui, un humain ! Il faut dire que chez les Gallo, on est poulet de père en fils. Depuis l’événement qui s’est déroulé le 3 février 1979, toutes les poules et tous les coqs de la planète sont doués de raison et capables de parler. Après bien des combats, les gallinacés sont aujourd’hui considérés comme appartenant au genre humain. Dans les faits, les différences de traitement continuent d’exister mais l’intégration des poulets dans la société est devenue la norme.

Jake va opérer un retour aux sources en se rendant dans la maison familiale pour assister aux derniers instants de son père. Après l’enterrement, sa mère lui donne le journal intime du défunt et Jake y découvre un témoignage bouleversant sur les premiers mois qui ont suivi la transformation des poulets...

Elmer est un OVNI complet. Déjà, il me semble que c’est la seule et unique bande dessinée Philippine jamais publiée en France. Et que dire de l’intrigue imaginée par l’auteur ? Dans une interview de janvier 2011, il explique d’où lui est venue l’idée : « Un jour, assis devant ma maison, je me suis demandé : Et si les poulets parlaient ? Que feraient-ils ? Que diraient-ils ? Seraient-ils en colère ? ». Les choses auraient pu en rester là où tourner à la série Z de science fiction (L’attaque des poulets mutants !) mais Gerry Alanguillan a réussi le tour de force de créer une œuvre tout en finesse. En faisant de la famille de Jake l’épine dorsale de son intrigue, il recentré le récit sur des thèmes intimistes tels que la perte d’un proche et les liens familiaux. Entremêlant sans cesse la petite et la grande histoire, il déroule une partition sans faute où les événements s’enchaînent naturellement malgré les nombreux flashbacks.

Jake Gallo est un personnage touchant sous ses airs d’écorché vif. Un individu en colère, en conflit perpétuel, persuadé que tous les humains sont des racistes anti-poulet. En plongeant dans les souvenirs de son père, il découvre que les choses ont progressé en à peine quelques années et que les combats menés pour l’égalité entre humains et poulets ont été aussi douloureux que salutaires.

Concernant les relations père/fils, l’auteur avoue qu’il s’est inspiré de son histoire personnelle : « Pendant des années, j’ai vécu dans la crainte de perdre mes parents, d’un âge avancé. Dans ce bouquin, on trouve beaucoup de mes souvenirs. [...] Mon père et moi n’étions pas si proches. Après sa mort, je me revois fouiller dans des vieilles boîtes pour trouver son journal... ». Un point de départ totalement irrationnel, un développement centré sur la cellule familiale et la mise en perspective de son propre vécu : avec ces ingrédients pas forcément évidents à accommoder Gerry Alanguilan a concocté une recette délicieuse.

Si je devais concéder un très léger défaut, je dirais que le dessin n’est pas le point fort du recueil. Un noir et blanc par moment assez maladroit mais qui reste suffisamment efficace pour ne pas desservir le propos. L’influence des auteurs de comics indépendants saute aux yeux. Personnellement, le trait d’Alanguilan m’a rappelé celui de Terry Moore, l’auteur de la série Strangers in Paradise.

Une superbe découverte (une de plus !) des éditions ça et là. Publié il y a tout juste un an, Elmer a déjà reçu la reconnaissance du public et de la critique, remportant notamment le prix Asie-ACBD 2011. A découvrir d’urgence pour les amateurs de BD atypique et de grande qualité.

Un grand merci à Mo’ qui, une fois de plus, m’a offert un album que je ne suis pas près d’oublier.


Elmer, de Gerry Alanguilan, éditions ça et là, 2010. 140 pages. 14 euros.






Le Roaarr challenge
(Prix Asie-ACBD 2001)



mercredi 26 octobre 2011

Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle

Atar Gull est le fils du roi de la tribu des Petits Namaquas. Enlevé par ses ennemis jurés les Grands Namaquas, il est vendu à un négrier et embarque pour la Jamaïque. En cours de route, le bateau est arraisonné par des pirates et la « cargaison » change de main. Après un voyage épouvantable, seuls 17 des 100 esclaves arrachés à leur terre natale arrivent en vie à bon port. Atar Gull est vendu à Tom Will, un planteur paternaliste qui traite ses esclaves plus « humainement » que nombre de ses confères. Devenant rapidement le serviteur attitré de Will, il l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle. Mais sous l’empathie affichée à l’égard de son maître, l’esclave n’aura de cesse de mettre en œuvre une implacable vengeance…

Atar Gull est l’adaptation d’un roman d’Eugène Sue publié en 1831. Une œuvre d’une violence et d’une modernité incroyable. L’auteur des mystères de Paris offre avec ce roman l’un des ouvrages les plus choquants de son époque. Loin de faire d’Atar Gull le bon sauvage épris de liberté qui, une fois affranchi, accède au paradis après avoir subit les pires tourments, il préfère le transformer en psychopathe prêt à tout pour se venger. Son esclave n’est pas Spartacus, il ne souhaite pas fédérer ses pairs et entrer en rébellion. Tout ce que veut Atar Gull, c’est faire payer à son maître son comportement inhumain. De victime, il va se transformer en bourreau, tuant la fille de Tom Will, empoisonnant ses bêtes et ses esclaves, allant même jusqu’à provoquer la mort de son propre fils pour parvenir à ses fins. Sournois, individualiste, impitoyable, d’une rare intelligence, Atar Gull est un personnage terrifiant. Au bout du compte, il n’y pas grand monde à sauver dans cette histoire. Des chefs de tribu aux négriers, du pirate au maître esclavagiste en passant par les esclaves eux-mêmes, tous les protagonistes sont d’infâmes salauds. Sans doute Sue a-t-il voulu dénoncer avec ce roman le paternalisme, une forme de racisme habillée avec les beaux habits de l’humanisme. Et force est de reconnaître qu’il a frappé fort !

Avec un tel sujet, difficile de proposer un dessin hyper réaliste qui rendrait l’horreur des situations insupportable. A l’inverse, le choix du franco-belge « gros nez » à l’ancienne aurait été proprement ridicule. Avec le dessin synthétique de Brüno, c’est un parfait compromis qui est trouvé. Le découpage, très cinématographique, alterne à merveille les séquences violentes et les pauses quasi contemplatives, en mer ou sur la plantation. Les couleurs crépusculaires, flamboyantes, jouant sans cesse sur le contraste entre ombre et lumière, magnifient l’ensemble. Du grand art !

Atar Gull est un album d'une grande puissance. Violent, sans concession, d’une insondable noirceur (sans jeu de mot !), il coupe le souffle comme un crochet à l’estomac. En matière de BD traitant de l’esclavage, ma référence absolue restait Les passagers du vent. Il me faut aujourd’hui reconnaître qu’Atar Gull fait au moins jeu égal avec le chef d’œuvre de Bourgeon.

Un dernier mot pour féliciter l’éditeur d’avoir publié cette histoire en un seul volume. L’album est en effet découpé en deux chapitres de 44 pages qu’il aurait été facile de publier en deux tomes à quelques mois d’écart pour avoir davantage de rentabilité. En choisissant le One Shot plutôt que le diptyque, Dargaud respecte le travail des auteurs et offre au lecteur une histoire complète qu’il peut dévorer d’une traite sans avoir à attendre impatiemment la suite et sans passer deux fois à la caisse. C’est suffisamment rare pour être souligné.


Atar Gull ou le destin d’un esclave modèle de Fabien Nury et Brüno, Dargaud, 2011. 88 pages. 16.95 euros.





dimanche 23 octobre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 9) : Galveston de Nic Pizzolatto

La Nouvelle Orléans, 1988. Roy Cady vient de passer une sale journée. Le matin, il a appris qu’il avait un cancer des poumons. Le soir, son patron mafieux qui l’utilise comme gros bras et recouvreur de dettes, a cherché à le liquider. Il s’en est tiré par miracle mais il a dû embarquer avec lui Rocky, seule survivante de la fusillade à laquelle il vient d’échapper. Avec elle, il part pour Galveston, une île située dans le Golfe du Mexique. Ce duo improbable, devenu en cours de route un trio, s’installe dans un motel miteux en espérant que personne ne viendra les chercher dans ce bout de terre du fin fond du Texas.

Vingt ans plus tard, Roy a survécu à une terrible épreuve. Lorsqu’il apprend qu’un grand costaud veut le rencontrer, il se demande si les démons du passé ne vont pas ressurgir…

Galveston est une tragédie moderne. Dès le départ, on se doute que les héros vont filer un mauvais coton. L’ouragan Ike qui s’annonce à la fin du roman (il a frappé l’île le 13 septembre 2008) est pour moi la métaphore du destin tragique de Roy. Durant ses années de fuite, il n’aura fait que repousser une échéance inéluctable. Au-delà de son cas personnel, l’auteur pose une réflexion sur l’existence, ce fil ténu qui finira un jour par casser, quoi que l’on fasse.

La structure narrative est intelligente, alternant le récit des événements de 1988 et le retour au présent, ce qui permet de comprendre l’état d’esprit d’un homme en bout de course. Autre aspect intéressant, les éléments « sociologiques » disséminés au fil du texte. Mike Pizzolatto met en scène une Amérique paupérisée, une population qui survit dans des conditions précaires, entre magouilles et petits boulots. A Galveston, au bout du Texas, les bars sont cradingues, les plateformes pétrolières ne sont jamais loin et les perspectives d’avenir se font rare. Cette peinture de l’Amérique profonde est parfaitement rendue.

L’écriture est fluide, les descriptions excellentes et les dialogues bien menés. Reste que l’on peut reprocher à l’ensemble un certain manque d’originalité : des héros en fuite « On the Road » cherchant à échapper à des tueurs, c’est du déjà-vu. Il n’empêche, ce premier roman possède une construction et une force d’évocation suffisamment puissantes pour emporter l’adhésion des lecteurs amateurs de bonne littérature made in USA.


Galveston, de Nic Pizzolatto, Éditions Belfond, 2011. 320 pages. 19,00 euros.


Extrait :

« Tu nais, et quarante ans plus tard tu sors d’un bar en boitillant, étonné par toutes tes douleurs. Personne ne te connaît. Tu roules sur des routes sans lumière et tu t’inventes une destination parce que ce qui compte, c’est le mouvement. Et tu te diriges ainsi vers la dernière chose qu’il te reste à perdre, sans aucune idée de ce que tu vas en faire. »


Un grand merci à Babelio et aux éditions Belfond pour cette belle découverte.





vendredi 21 octobre 2011

Les Fabuleux Freak Brothers : Compilation T1 (1967-1974)

Ils sont trois frères. Affreux, sales, mais pas vraiment méchants. Le premier, ventripotent et débonnaire, se nomme Fat Freddy. Le second, un cow-boy psychédélique toujours coiffé de son stetson, s’appelle Franklin. Quand au troisième, c’est Phinéas, le penseur de la bande, tendance intello gauchiste. Ce trio de hippies est en quelque sorte le pendant américain de nos célèbres Pieds Nickelés, en plus trash. L’oisiveté est leur activité préférée. Leur raison d’être ? La drogue. Toujours en quête d’herbe à fumer, toujours prompts à planquer la réserve familiale en cas de descente des stups, ils n’ont qu’une devise : « La dope fait mieux passer les périodes sans argent que l’argent ne fait passer les périodes sans dope. » Adeptes des drogues planantes et hallucinogènes, ils refusent de toucher à l’héroïne ou au crack.

Symbole de la contre-culture des années 60, les Freak Brothers sont nés sous la plume de Gilbert Shelton. A l’époque, Dylan chantait « Everybody must get stoned », et les trois frangins ne pouvaient qu’acquiescer. Combi Voslwagen, cheveux longs, refus de la conscription et de la guerre du vietnam, défense de l’amour libre… tous les clichés propres à la génération Woodstock se retrouvent dans ce comics en noir et blanc où chaque histoire, imprimée sur du papier recyclé et diffusée à une toute petite échelle, tient généralement en une ou deux planches. Des personnages déjantés, de l’humour pas toujours très fin mais souvent franchement drôles, les Freaks Brothers avaient tout pour devenir des stars dans les milieux étudiants et Shelton est aujourd’hui considéré avec Robert Crumb comme l’un des pères de la BD underground américaine. La série a pris fin en 1992, après 27 ans de bons et loyaux services rendus à la cause hippie.

Un gag des Freak Brother se reconnaît au premier coup d’œil. Dessin pas toujours très maîtrisé, découpage à l’arrache avec parfois 17 ou 18 cases par pages, lettrage que ne renierait pas ma fille de six ans, tout cela fleure bon l’amateurisme des fanzines. Du pur underground, loin de toute considération esthétique et commerciale. Un énorme FUCK jeté à la face de l’Amérique puritaine. Forcément, ça ne plaira pas à tout le monde. Quelques réactions épidermiques sont même à prévoir si vos offrez un album des Freak Brothers à vos proches. Personnellement, cette série fait partie des petits plaisirs solitaires et inavouables que je m’autorise de temps en temps quand le besoin de décompresser se fait sentir.


Les Fabuleux Freak Brothers : Compilation T1 (1967-1974) de Gilbert Shelton, Éditions Tête Rock Underground, 2011. 176 pages. 28 euros.

mercredi 19 octobre 2011

Doomboy

D est un ado aux faux airs de Kurt Cobain. Il ne vit pas à Seattle mais dans une région ensoleillée qui pourrait très bien être le Mexique natal de l’auteur. Passionné par la musique métal, D se fait chambrer par ses potes qui trouvent qu’il joue de la guitare électrique comme un pied. Sa meilleure copine Anny vient de mourir et l’ambiance à la maison avec sa mère n’est pas des plus joyeuses. Le garçon traîne son spleen baudelairien dans les dunes près de chez lui. C’est là que chaque vendredi, avec sa guitare, un ampli et une antenne de fortune branchés sur une batterie, il endosse le costume de Doomboy et vient rendre un dernier hommage à Anny. Ses prestations improvisées sur la plage son diffusées sur une fréquence de radio n’émettant plus depuis des années. Pour ceux qui l’entendent, Doomboy devient une icone, une star insaisissable dont le son semblant sorti de nulle part est proprement envoutant. Légende urbaine ou réalité, Doomboy fascine et inspire. Sa disparition soudaine des ondes entretiendra le mythe de cet incroyable musicien fantôme…

C’est parce que Sara a parlé avec brio de Tony Sandoval sur son blog que j’ai eu envie de partir à sa découverte avec cet album naviguant sans cesse entre réalité et fantastique.

Mettre en scène un adolescent tourmenté en le confrontant au décès d’un proche est apparemment une constante chez Sandoval. L’auteur a expliqué son point vue dans une interview donnée au magazine DBD : « La mort est un élément irréversible qui change tellement de choses dans ta vie, qui te force à t’interroger, à te remettre en question. Quand tu es jeune en plus, tu connais tes premières expériences et tu les ressens de manière plus émotionnelle. Et cette fougue de l’adolescence m’intéresse pour mes histoires. En vieillissant, les choses paraissent moins magiques ». Il faut dire qu’au Mexique, la mort est aussi redoutée que fêtée. De plus, dans les villages, on continue à croire aux fantômes et aux sorciers. Tous ces éléments « culturels » se retrouvent dans Doomboy. Sans oublier la violence, une constante malheureusement typique dans un pays où les questions de sécurité sont au cœur du quotidien.

Le dessin aux lignes courbes apparaît au premier abord assez simpliste. Les personnages ont d’énormes têtes posées sur des corps tout maigrichons. C’est quand les éléments oniriques et fantastiques entrent en scène que le trait devient plus léché. Le travail sur les couleurs et la lumière est superbe et restitue à merveille les rapides variations de la météo en bord de mer. A ce titre, la couverture est on ne peut plus parlante. Entre ombre et lumière, Doomboy cherche l’apaisement et veut croire en sa bonne étoile.

Un album vraiment étrange à l’ambiance très particulière. Je me suis laissé envouter par la petite musique de l’auteur et j’ai passé un bon moment avec Doomboy, mais je ne suis pas certain que tout le monde soit séduit par cet univers assez sombre et mélancolique.


Doomboy de Tony Sandoval, Éditions Paquet, 2011. 128 pages. 16 euros.