mercredi 11 septembre 2019

Au coin d’une ride - Thibaut Lambert

Éric amène Georges à la maison de retraite. Souffrant d’Alzheimer, ce dernier est devenu trop difficile à gérer au quotidien. Éric et Georges sont en couple mais afin de ne pas choquer les résidents, le directeur de l'établissement demande à Éric de ne pas ébruiter leur situation. La différence d’âge entre les deux hommes aidant, tout le monde pense que c’est son père qu’il vient régulièrement visiter. Pour Georges, la froideur d’Éric est un crève-cœur. Ne sachant pas que son compagnon est distant parce qu’on lui a demandé de l’être, il se sent abandonné et sombre peu à peu dans la dépression.

Rien de bien réjouissant dans ce résumé, je vous l’accorde. Mais l’angle d’attaque de Thibaut Lambert et sa façon de mener le récit n’ont rien de plombant, bien au contraire. Sans fausse légèreté ni effet de manche tire-larmes, il dit la douleur de la séparation à travers à la fois la difficulté à trouver sa place pour celui qui découvre un nouvel environnement et la tristesse de celui qui reste seul dans l’appartement où le couple a vécu ses plus beaux moments. Quelques flashbacks bienvenus apportent des éclaircissements sur les raisons qui ont contraint au placement tandis que les visites à la maison de retraite alternent entre tension et moments de complicité.

Les thèmes abordés (Alzheimer, homophobie, placement en institut spécialisé) sont lourds et pourtant l’histoire ne sombre jamais dans une pesante tristesse. En 46 pages, difficile de traiter un tel sujet en profondeur, mais en restant à la surface des choses l’auteur affiche une pudeur pleine de justesse qui ne masque pas les émotions. Les ellipses sont très parlantes et la force d’évocation des silences et des non-dits vaut bien plus que de longues analyses. Surtout, malgré l’avenir sombre qui s’annonce, la lumière et l’espoir demeurent.

Publié pour la première fois en 2014, je profite de cette réédition pour découvrir avec plaisir un album aux thématiques atypiques, touchant, sans esbroufe et d’une grande sensibilité.

Au coin d’une ride de Thibaut Lambert. Des ronds dans l’O, 2019. 46 pages. 14,00 euros.




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mardi 10 septembre 2019

Le journal de Gurty T6 : Mes bébés dinosaures - Bertrand Santini

Gurty revient pour la sixième fois et je ne m’en lasse toujours pas. Il y aurait de quoi pourtant. Le décor est le même (la Provence), les personnages gardent leurs (rares) qualités et leurs (nombreux) défauts et l’humour pipi-caca reste la marque de fabrique de la série. Pourquoi ça marche alors me direz-vous ? Parce que Gurty, ses amis, ses ennemis, ses aventures improbables, ses réflexions souvent pleines de bon sens, ses coups de sang et ses fous rires nous ouvrent une parenthèse enchantée. On y plonge en sachant d’avance ce qui nous attend, on y va tranquille, en confiance, comme quand on retrouve une bande de copains fidèles avec lesquels on sait qu’on va passer un bon moment. On sait aussi que ça ne va pas voler bien haut, qu’on risque davantage de se marrer en comparant un museau de rat sortant de la braguette d’un épouvantail à un zizi qui parle que de disserter sur l’importance de l’anthropologie structurale telle que la définit Lévi-Strauss, mais c'est ça qui est bon justement !

Et c’est pour ça qu’un nouveau Gurty nous attire irrésistiblement. Pour l’absence de prise de tête, la rigolade franchouillarde et le scénario un brin tordu. Cette fois-ci la petite chienne découvre par hasard des œufs de dinosaures. Des œufs que son instinct maternel lui intime de couver. Des œufs qui vont attiser bien des convoitises et provoquer une sacrée pagaille.

Pour ce qui est du casting, personne ne manque à l’appel. Gurty évidemment, sa meilleure amie Fleur, qui lâche trois gouttes de pipi dès qu’elle ment, l’affreux chat Tête de Fesses, le sournois et insaisissable écureuil sans oublier le hérisson Ftéphanie et son défaut de prononciation qui ferait la fortune d’un orthophoniste. Seul petit nouveau, un rat envahissant et sans gêne qui n’a pas sa langue dans sa poche.

Du classique donc. Simple, efficace. Poilant. Du Gurty quoi.

Le journal de Gurty T6 : Mes bébés dinosaures de Bertrand Santini. 160 pages. 10,90 euros. A partir de 8 ans.




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vendredi 6 septembre 2019

Le coffre - Jacky Schwartzmann et Lucian-Dragos Bogdan

Le cadavre d’une femme est retrouvé dans un coffre de toit, à Lyon. La femme est roumaine, récemment retraitée, et n’a aucun antécédent judiciaire. Le gendarme Gendron est à quelques mois de la retraite et il se serait bien passé de cette dernière affaire avant la quille. Pendant qu’il mène l’enquête en France, une équipe roumaine menée par le stagiaire Marian Douca se charge des investigations dans le pays natal de la victime. Entre crime crapuleux, trafic d’organes, réseau mafieux et magouille familiale, les pistes à suivre ne manquent pas. L’enquête s’oriente donc dans plusieurs directions qui, les unes après les autres, ne semblent mener nulle part. Et entre la gendarmerie française et la police roumaine, la collaboration ne coule pas de source…

Un plaisir simple ce roman à quatre mains franco-roumain. Chacun son personnage, chacun son chapitre, chacun son pays et une cohérence entre les différents éléments de l’enquête qui fait reposer l’ensemble sur de solides fondations sans jamais donner l’impression d’avoir improvisé une construction bancale. On reconnaît bien sûr au premier coup d’œil la gouaille d’un Jacky Schwartzmann qui s’amuse à donner aux coéquipiers de Gendron les noms et prénoms d’auteurs de polar (Ledun, Tixier, Pouy, Oppel, etc). Lucian-Dragos Bogdan n’a pas non plus sa langue dans sa poche. A travers les investigations menées par son jeune flic on découvre une Roumanie moderne aux diversités régionales très marquées.

Un duo qui fonctionne sans fausse note pour signer un polar qui ne révolutionnera pas le genre mais fera passer au lecteur curieux de le découvrir un moment agréable et sans prise de tête.

Le coffre de Jacky Schwartzmann et Lucian-Dragos Bogdan. La Fosse aux ours, 2019. 154 pages. 15,00 euros.







mercredi 4 septembre 2019

Les indes fourbes - Alain Ayroles et Juanjo Guarnido

Afficher au casting d’un album le dessinateur de Blacksad et le scénariste de De capes et de crocs engendre forcément chez tout amateur de BD qui se respecte la promesse d’un incroyable moment de lecture. Avec Les indes fourbes, les deux compères ont voulu écrire une suite au roman picaresque  El Buscon de Francisco de Quevedo. Un roman datant de 1626 mettant en scène le fantasque Don Pablos de Segovie,  « vagabond exemplaire et miroir des filous ». Après de nombreuses mésaventures sur ses terres natales, Pablos s’embarquait à la toute fin du roman dans un galion en route pour le Nouveau Monde. C’est à partir de ce moment qu’Ayroles et Guarnido ont choisi de prendre son destin en main.

Évidemment rien ne va se passer comme prévu pour le pauvre bougre en quête d’Eldorado. Je ne vais pas relater les péripéties de son voyage, ce serait gâcher les nombreuses surprises et les nombreux rebondissements propres à toute histoire picaresque digne de ce nom. L’intérêt du récit tient dans la personnalité du filou, un gueux suivant à la lettre le commandement que son père lui enseigna alors qu’il n’était qu’un enfant : « Tu ne travailleras point ». Pour survivre, Pablos enchaîna donc les vilenies. Opportuniste, traître, voleur, menteur, proxénète à ses heures, le garçon ne fut jamais avare de mauvais coups.

Le portrait de cette âme damnée prête à tous les excès pour s’extraire de sa condition et vivre dans l’opulence offre à Alain Ayroles un infini champ de possibles. Respectant à la lettre le ton précieux et baroque d’un roman du 17ème siècle, il s’en donne à cœur joie dans les nombreux récitatifs à la première personne où Pablos se raconte. Le texte est magnifié par les sublimes dessins de Juanjo Guarnido où s’expriment  son art du découpage et son sens du mouvement.

Un album classieux, extrêmement littéraire, délicieusement ambitieux et sublimement réalisé.

Les indes fourbes d’Alain Ayroles et Juanjo Guarnido. Delcourt, 2019. 160 pages. 34,90 euros.




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mardi 3 septembre 2019

Vorace - Guillaume Guéraud

Elle est là, la bête. Personne ne la voit mais elle rôde dans Paris. Ce sont les rats qui ont disparu en premier. Puis des chats, des chiens, des animaleries que l’on a retrouvées avec des cages vides, sans une seule porte ouverte, sans la moindre trace d’effraction. Quand la bête s’est attaquée à des nourrissons, le retentissement a été bien plus grand. Après les enfants, les adultes. D’abord un par un puis par groupes entiers. Un phénomène incompréhensible, incontrôlable, inarrêtable, invisible. Sauf pour Léo. Cet ado sans parents ayant fui son foyer de Perpignan fait la manche avec son chien sur une place parisienne. Et à plusieurs reprises, quand la bête a frappé, il était présent. Mieux encore, il l’a vue. Mais la police a du mal à prendre son témoignage au sérieux. Qui irait croire un mineur SDF défoncé par le shit qui vit dans un squat avec sa petite amie roumaine ?

Un drôle de roman, à la Guéraud. Les gens disparaissent, se volatilisent sous les yeux de nombreux témoins. Un gamin est le seul à voir ce qu’il se passe. Ce gamin est un pauvre gosse à la rue. Un pauvre gosse avec un chien, un pauvre amoureux fou. Voilà, débrouillez-vous avec ça. Les pièces du puzzle ont l’air impossible à assembler mais on s’en fiche. Guéraud a pris la main dès le départ, il va nous mener par le bout du nez, à son rythme. Et il sait y faire pour laisser monter la pression. La tension est palpable et, pour qui l’a déjà lu, aucun doute, le pire va arriver car le bonhomme n’est pas du genre à ménager ses personnages. On parcourt donc le roman la trouille au ventre, comme les parisiens terrorisés par la bête.

Après, j’avoue, la fin a fait retomber le soufflé. Disons que je n’ai pas tout compris, même si j’ai bien compris que c’était le but. Zéro explication, du moins rien de clair comme de l’eau de roche. Elle est nébuleuse en diable cette conclusion, ouverte à bien des interprétations. Evidemment c’est voulu mais c’est aussi un peu facile je trouve. Derrière la bête il y a une dénonciation des maux de notre société. Certes. Mais lesquels ? A chacun de choisir, de se faire sa propre idée. Pourquoi pas. N’empêche que je suis resté sur ma faim. Mais avant de rester sur ma faim je me suis comme d’habitude régalé de la prose nerveuse, engagée et sans langue de bois d’un auteur jeunesse qui ne s’embarrasse pas d’artifices inutiles pour s’adresser à ses lecteurs. Au final l’impression reste largement positive malgré un épilogue pas forcément convaincant.

Vorace de Guillaume Guéraud. Le Rouergue, 2019. 158 pages. 12,50 euros. A partir de 13 ans.





Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette







mercredi 28 août 2019

Callas, je suis Maria Callas - Vanna Vinci

Sophia Cecilia Anna Maria Callas. Née à New-York en 1923, décédée à Paris le 16 septembre 1977. Entre ces deux dates une vie bien remplie, faite de hauts et de bas, de moments de gloire et d’une descente aux enfers fatale. Maria Callas est grecque. Le nom de famille originel (Kalogeropoulus) a été simplifié par le père pour faciliter l’implantation de sa pharmacie en Amérique. Après un passage à Athènes pendant la guerre où elle prend ses premiers cours de chant, c’est en Italie que sa carrière balbutiante est lancée. Elle y rencontre un riche industriel qui a trente ans de plus qu’elle. Giovani Meneghini va devenir son mari et son manager. C’est avec lui qu’elle va peu à peu grimper les marches de la renommée pour devenir la plus grande chanteuse lyrique de tous les temps.

Une biographie qui retrace avec précision les épisodes les plus marquants de la vie de la Callas, ses débuts difficiles, ses succès, ses échecs, ses amours compliqués (avec le milliardaire Onasis notamment, qui l’abandonnera pour Jackie Kennedy), son tempérament de feu, son statut d’icône, de diva parfois incontrôlable, sa solitude malgré la lumière des projecteurs braqués sur elle en permanence.

L’album est dense mais sa construction est d’une grande lisibilité. Les références à la tragédie antique sont nombreuses et parfaitement raccords avec le destin de cette femme hors du commun. Le trait épais de Vanna Vinci donne vie et mouvement à la Callas, soulignant son évolution physique et vestimentaire au fil des ans. Les planches sont sans cases, le découpage privilégiant les gros plans sur les visages pour un maximum d’expressivité.

Une somme remarquable, extrêmement documentée, qui ne tourne jamais au panégyrique. Les nombreux témoignages extérieurs disséminés au fil des pages offrent un vaste point de vue sur la complexité d’une personnalité qui a fasciné toute une époque. Au final le portrait se veut aussi complet que sincère, la légende se révèle dans toute sa grâce et sa fragilité, jusqu’à sa terrible fin. Un roman graphique aussi touchant qu’instructif.

Callas, je suis Maria Callas de Vanna Vinci (traduit de l’italien par Simona Maccaroni. Marabulles, 2019. 176 pages. 17,95 euros. 




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mardi 27 août 2019

Nos mains en l’air - Coline Pierré

Chez Victor, 21 ans, on est voleur de père en fils. Cambriolage, braquage, la tradition familiale impose à chaque enfant de suivre les traces de ses ainés sans avoir son mot à dire. Sauf que Victor ne veut pas de cette vie de hors-la-loi. Sensible, préférant venir en aide à son prochain plutôt que le dévaliser, Victor est mal dans sa peau. Yazel de son côté est sourde et orpheline. Depuis la mort accidentelle de ses parents la jeune fille de 12 ans est logée chez sa richissime tante qui ne lui accorde pas la moindre attention. Quand les chemins de Victor et Yazel se croisent dans des circonstances très particulières, ils ne se doutent pas que leurs destins vont se lier, pour le meilleur et pour le pire. Embarqués dans un périple devant les mener en Bulgarie, le voleur au grand cœur et sa nouvelle meilleure amie vont devoir franchir bien des obstacles pour arriver à bon port.

Un chouette roman jeunesse, qui prend le temps de déployer son intrigue et de développer en douceur la relation entre Victor et Yazel. Rien n’est surjoué, rien n’est précipité, les aléas du voyage sont crédibles et s’enchaînent sans à-coups. Le road-trip est parfait pour laisser s’exprimer ces deux personnages cabossés qui ne peuvent trouver salut et liberté que dans la fuite. Fuir une « carrière » toute tracée pour l’un et un foyer où elle n’a pas sa place pour l’autre. La différence d’âge entre Victor et Yazel évite le glissement vers l’histoire d’amour convenue et développe une complicité plus proche de la fratrie.

Jolie réflexion sur le handicap doublée d’un questionnement sur la difficulté à s’extraire de sa condition quand une figure paternelle inflexible veut imposer son point de vue, « Nos mains en l’air » joue la partition d’une bienveillance réciproque n’éludant pas les difficultés et ne tombant pas dans la facilité consistant à régler les problèmes d’un coup de baguette magique final. Coline Pierré aime les amitiés improbables, elle aime m’être en scène des duos qu’à première vue tout oppose. Après les inoubliables Flora et Max (romans à quatre mains réalisés avec Martin Page), elle récidive ici avec Victor et Yazel. Et une fois encore c’est une totale réussite !

Nos mains en l’air de Coline Pierré. Rouergue, 2019. 350 pages. 14,80 euros. A partir de 13 ans.




Un billet qui signe le retour des Pépites jeunesse partagées avec ma chère Noukette !





samedi 24 août 2019

Querelle - Kevin Lambert

Il y a évidemment dans le titre du second roman de Kevin Lambert un hommage au marin de Genet. L’action ne se situe pourtant pas à Brest mais au Québec, sur les bords du lac Saint Jean. A Roberval, la scierie est en grève. Une grève dure, totale, partie pour durer. Et parmi les grévistes il y a Querelle, icône gay au corps parfait et à la vigueur inébranlable. Querelle est un intérimaire arrivé il y a peu mais il est solidaire de ses nouveaux collègues. Une solidarité ouvrière sans faille que le patronat cherche pourtant à lézarder. Voilà pour le point de départ de ce roman bien plus sexuel que social malgré les apparences (et malgré son sous-titre « Fiction syndicale »).

Un roman sans filtre où Kevin Lambert ose tout. La veine sociale n’est qu’un prétexte. Les patrons se comportent certes comme des enfoirés prêts à tous les coups fourrés pour briser la grève mais les travailleurs ne sont pas aussi unis qu’ils en ont l’air. Sous les postures de façade se cachent des vérités pas forcément très avouables. Chacun est guidé par des intérêts individuels, chacun possède un point de vue différent de ses camarades et chacun n’hésite pas à cracher dans le dos de l’autre dès qu’il se retourne.

Les galeries de portraits s’enchaînent et aucune personnalité ne sort du lot, la médiocrité semblant être la norme. Avec deux exceptions toutefois, l’indomptable Jézabel, femme forte et indépendante, et bien sûr le magnétique Querelle qui ne cesse d’attirer à lui tous les jeunes hommes de la région en manque de sensations fortes. Car Querelle est un amant hors-pair, un partenaire inoubliable. Sa réputation sulfureuse se répand comme une trainée de poudre et sa capacité à faire grimper aux rideaux les petits culs serrés du lac Saint Jean lui vaut l’animosité de la frange la plus virile de la population, incapable de supporter plus longtemps les performances de ce corrupteur des bonnes mœurs locales.

J’ai adoré ce roman tellement provocateur, totalement transgressif. Kevin Lambert ne s’interdit rien, même d’intervenir dans son texte pour exprimer ses (vraies-fausses) convictions : « Je – Kevin Lambert, auteur de cette bien modeste fantaisie – prends ici même, en page 149, position sans ambigüité pour le patronat et contre la bassesse des grévistes, que je me suis efforcé de décrire le plus fidèlement dans les pages précédentes et dans celles qui suivent ». Au-delà de cette petite facétie, il mène de main de maître un récit traversé par une violence et une sexualité incandescentes. Ça cogne fort, ça baise fort et on ne se cache pas derrière son petit doigt pour le le crier sur tous les toits. Le résultat est forcément troublant, cru, dérangeant. Perso c’est tout ce que j’aime mais je conçois parfaitement que ce ne soit pas le cas de tout le monde alors autant vous prévenir : âmes sensibles et culs serrés s’abstenir.

Querelle de Kevin Lambert. Le Nouvel Attila, 2019. 240 pages. 19,00 euros.









mercredi 21 août 2019

Cadavre exquis - Agustina Bazterrica

Une pandémie a décimé les animaux. Pour que l’on puisse continuer à manger de la viande, les scientifiques ont créé une nouvelle race humaine spécialement dédiée à la consommation. Marcos travaille pour un abattoir. Il fait le tour des fournisseurs et des clients, il gère les approvisionnements et les embauches. Depuis la mort de son enfant, Marcos est séparé de sa femme. Seul dans sa maison trop grande, il traîne son vague à l’âme sans but. Mais le jour où une connaissance lui offre une femelle d’élevage, son destin bascule. Specimen destinée à terme à finir dans son assiette, la jeune femme l’embarrasse dans un premier temps, avant de remplir peu à peu le vide de son quotidien. Leur relation évolue jusqu’à un point de bascule interdit par la loi. Marcos a beau savoir qu’il risque sa propre vie en la protégeant, il ne peut se résoudre à agir autrement.

Evidemment, celles et ceux qui ont lu Défaite des maîtres possesseurs vont tout de suite voir que ce roman possède de gros points communs avec celui de Vincent Message. Très, très gros même. M’étonnerait que l’Argentine Agustina Bazterrica ait lu l’écrivain français mais quand même, les similitudes entre les deux histoires sont particulièrement évidentes. D’ailleurs je n’avais pas franchement aimé le roman de Message et j’ai eu exactement le même ressenti avec celui-ci.

L’histoire n’est qu’un prétexte. Agustina Bazterrica a écrit un texte à charge dont le but est clairement de dénoncer l’exploitation et la maltraitance animale. Et pour se faire, elle emploie les grands moyens. Que ce soit dans la visite de l’abattoir ou dans la description d’une nouvelle forme de chasse à courre, elle ne lésine pas sur les détails. Je dirais même qu’elle décortique absolument tous les gestes et sévices effectués par les bourreaux sur leurs victimes. C’est à la limite du supportable, je ne me souviens pas avoir lu des passages aussi gerbants depuis… jamais en fait !

L’histoire ne sert donc qu’à dénoncer. Les personnages sont d’une froideur glaciale, sans charme et sans relief, ils sont juste là pour provoquer l’écœurement, pour choquer, pour montrer à quel point le traitement réservé aux specimens destinés à la consommation est plus que révoltante. En ce qui me concerne le fait d’insister lourdement sur les horreurs a été contre-productif. Ce côté « documentaire dégueu » enrobé sous des faux-airs de fable et de parabole m’a à la fois donné la nausée et une désagréable impression de complaisance face à la cruauté. Ce n’était évidemment pas le but mais c’est vraiment la sensation que j’ai eue.

Une lecture sans aucun plaisir donc. L’écœurement a pris le dessus sur tout le reste malheureusement, les situations révoltantes et les descriptions hyper précises n’étant jamais contrebalancées par une épaisseur romanesque qui aurait pourtant été bienvenue. Dommage. Mais au moins le message est clair !

Cadavre exquis d’Agustina Bazterrica. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud. Flammarion, 2019. 300 pages. 19,00 euros.   






dimanche 18 août 2019

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon - Jean-Paul Dubois

Du fond de sa prison canadienne, Paul Hansen raconte sa vie. L’enfance française à Toulouse, le père danois pasteur et la mère française amoureuse du cinéma d’auteurs. Les parents se séparent, le pasteur part prêcher dans une ville minière du Québec. Son fils le rejoint après le bac et devient quelques années plus tard l’homme à tout faire d’un immeuble cossu de Montréal. Un job qui lui va comme un gant, l’amour qui lui tombe dessus sans crier gar et un chien qu’il adore plus que tout, Paul est heureux. Mais tout va s’écrouler et Paul va commettre le geste de trop qui lui vaudra de se retrouver derrière les barreaux.

Le récit alterne les souvenirs du passé et le présent de la prison avec son co-détenu Horton, Hells Angels meurtrier au verbe fleuri. Un passé comme autant d’étapes ayant balisé le chemin de Paul jusqu’à cette cellule sordide où les jours s’écoulent tristement.

Jean-Paul Dubois déploie son histoire avec l’incomparable talent de conteur qui le caractérise. Il y a dans son écriture une élégance, une forme de nonchalance très travaillée au charme indéfinissable. C’est tantôt espiègle, tantôt grave, parfois teinté d’une douce ironie ou d’une tendre mélancolie, toujours plein d’esprit. Une fois encore il se plait à mettre en scène un homme seul, un homme simple et sans histoire. Un homme qui s’appelle forcément Paul (tous ses héros s’appellent Paul), qui a forcément une relation particulière avec son père, qui possède forcément un chien et qui est forcément plein d’interrogations sur le sens de sa vie et des événements qui l’ont mené là où il en est. Et comme toujours il dresse sans misérabilisme le portrait d’un type attachant que l’on accompagne pour un bout de chemin et que l’on quitte à regret.

Jean-Paul Dubois signe un roman dans la veine de La succession, privilégiant la gravité à l’humour noir typique de ses premières œuvres. Mais contrairement à La succession le ton est ici moins résigné, plus positif, sans pour autant tomber dans un optimisme béat. Un roman plein d’humanité, de pudeur et de nostalgie. Du Dubois pur jus quoi.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois. L’Olivier, 2019. 250 pages. 19,00 euros.