samedi 7 avril 2012

De Goupil à Margot de Louis Pergaud

Pergaud © Folio 2006
Affublé d’un grelot par un chasseur cruel, le renard Goupil va connaître un sort pitoyable. Nyctalette la taupe va quant à elle subir la brutalité du viol commis par l’un des siens. Fuseline la petite fouine doit s’amputer elle-même la patte qui la retient prisonnière d’un piège avant de livrer un dramatique combat avec un busard. Et que dire de Margot la pie, tombée entre les mains d’un homme qui, après l’avoir mise en cage, lui rognera les ailes pour l’empêcher de s’échapper et la poussera vers une mort aussi ignoble que libératrice. Huit nouvelles en tout, terribles et belles. Autant de petits drames où l’on découvre les mœurs des animaux de la forêt.

On réduit trop souvent la bibliographie de Louis Pergaud à la seule Guerre des boutons. Mais le célèbre écrivain francomtois, mort dans le charnier de Verdun en 1915 à l’âge de 33 ans, avait accédé au succès dès en 1910 en remportant le prix Goncourt avec ce recueil de nouvelles où ses talents d’écrivain animalier furent reconnus à leur juste valeur.

Ces récits poignants ont tout des contes tragiques. Naturaliste convaincu, Pergaud est parvenu à retranscrire le comportement des animaux dans leur milieu naturel. Aucun anthropomorphisme chez les bêtes qu’il met en scène. Les attitudes sont décrites avec une précision à l’évidence riche des expériences vécues par l’auteur.

La langue de Louis Pergaud est classique et tout simplement superbe. Jugez plutôt : « Le soir était revenu. Un soir de dégel au ciel livide chargé de gros nuages : des paquets de neige saturés s’égouttaient des grands arbres comme le linge d’une immense lessive, où s’abimaient sur le sol avec le bruit gras de poches qui crèvent en tombant ; des filets d’eau susurraient de partout ; la terre semblait couvée par une grande aile mystérieuse faite de tiédeurs et de bruissements, et il planait sur tout ceci l’angoisse d’une genèse ou d’une agonie. »

Pergaud a su saisir l’âme des petits habitants de la forêt. De Goupil à Margot propose une évocation réaliste de la vie animale d’une grande dureté. La prose est magnifique mais les situations dramatiques décrites mettront à mal la sensibilité des amoureux des animaux. Je vous aurais prévenu !

De Goupil à Margot de Louis Pergaud, Folio, 2006. 180 pages. 5.95 euros.

jeudi 5 avril 2012

Le père Goriot : l'intégrale en BD

Lamy - Thiraut - Duhamel
© Delcourt 2012
Vous savez quoi ? C’est Marie qui m’a donné envie de retourner voir Balzac. Son enthousiasme pour cet auteur est tel qu’il m’a convaincu. Pour moi, Balzac, c’est typiquement un écrivain du Bac. D’ailleurs je n’ai pas rouvert un de ses romans depuis cette époque fort lointaine (1992 pour tout vous dire).

Courageux mais pas téméraire, j’ai préféré replonger dans La comédie humaine par le prisme de la BD. Téméraire, je le serai un peu plus tard dans l’année en m’attaquant à La Duchesse de Langeais pour une lecture commune. Pour l’instant donc, j’en reste au Père Goriot en bande dessinée.

Le père Goriot s’ouvre sur la description de la Maison Vauquer, une sordide pension du quartier latin regroupant une galerie de personnages hauts en couleur. Il y a là l’inquiétant Vautrin, ancien forçat échappé du bagne, le jeune et désargenté Eugène de Rastignac, la timide Mlle Taillefer et bien sûr le fameux Père Goriot, pitoyable vieillard se ruinant pour satisfaire les caprices de ses deux filles, Delphine et Anastasie. Rastignac est la pierre angulaire du récit, c’est autour de lui que les intrigues et les relations entre les personnages se nouent. C’est lui qui, peu à peu, va percer les différents mystères et mettre à nu la réelle personnalité de chacun. Et pour tout dire, le tableau n’est pas reluisant. De la triste pension aux salons aristocratiques, Rastignac évolue entre deux mondes finalement pas si éloignés que cela. Partout, c’est l’égoïsme, la cupidité et les manigances qui dominent. Finalement, Le père Goriot, au-delà de l’étude de mœurs, est un roman d’initiation et de formation. Confronté à l’apprentissage du réalisme, Rastignac voit dans la mort du Père Goriot et l’absence inexcusable de ses filles à son enterrement, l’achèvement de son éducation : « A nous deux maintenant ! » lance-t-il en contemplant Paris, prêt à défier cette société qu'il méprise et dont il a compris le fonctionnement. 

Faire tenir le texte de Balzac en 95 planches, voila un pari délicat à relever. L’adaptation est-elle réussie ? Je ne pourrais pas me prononcer car je n’ai gardé aucun souvenir du roman. Ce que je peux constater c’est que le déroulement de l’intrigue reste limpide malgré la multiplicité des personnages et des événements. Bruno Duhamel restitue avec talent le Paris du 18ème siècle. Il se révèle aussi à l’aise pour représenter la triste pension que les maisons bourgeoises ou l’opéra. Son travail sur les costumes et le mobilier est par ailleurs remarquable.

Qui l’eut cru, j’ai dévoré cette intégrale d’un seul trait. Un vrai plaisir de lecture aussi inattendu qu'agréable. Marie, je crois que je suis prêt à passer à la suite, La duchesse de Langeais n'a qu'à bien se tenir !


Le père Goriot : l’intégrale de Lamy, Thirault et Duhamel, d’après Balzac. Delcourt, 2012. 96 pages. 16,95 euros.

Lamy - Thiraut - Duhamel © Delcourt 2012

Lamy - Thiraut - Duhamel © Delcourt 2012

mercredi 4 avril 2012

Les meilleurs ennemis : une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient

Filiu et David B. © Futuropolis 2011
Vous saviez que le début des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient remonte au 18ème siècle ? Moi pas. En même temps je ne suis pas du tout un spécialiste de la question. Pour tout dire, le sujet m’intéresse moyennement. Heureusement, j’ai gagné le Loto BD de Mo’ et c’est elle qui m’a fait parvenir cet ouvrage. Je dis heureusement car sans cela je ne me serais jamais lancé dans la lecture de cet album et j’aurais perdu l’occasion d’approfondir mes connaissances en géopolitique qui sont pour le moins médiocres.

Tout commence avec Gilgamesh. Les points communs entre son épopée il y a 2400 ans et l’invasion américaine en Irak en 2003 y sont soulignés de manière stupéfiante. Dans le second chapitre est abordée la guerre menée par la flotte américaine contre la piraterie « barbaresque » en méditerranée. Les premières captures de bateaux de commerces américains par les musulmans datent de 1785. A cette époque, 20% du budget de l’état est consacré à l’achat de la paix avec les barbaresques. Difficile de comprendre pourquoi la jeune nation américaine emploie autant d’énergie (et d’argent) pour régler un conflit relativement mineur se déroulant à des milliers de kilomètres de son sol. Une question d’orgueil, déjà !

Le troisième chapitre est sobrement intitulé « Pétrole ». Il revient sur l’alliance entre l’Arabie saoudite et l’Amérique de Roosevelt en 1939 qui sera le point de départ de l’exportation du pétrole saoudien vers le pays de l’Oncle Sam. Le dernier chapitre se focalise sur la question iranienne et se déroule entre l’immédiat après-guerre et le coup d’état contre Mossadegh en 1953. La politique moderne entre en scène et les officines américaines (notamment la CIA) y jouent un rôle fondamental.

C’est ce dernier chapitre qui m’a le plus intéressé. On découvre l’intelligence avec laquelle les américains ont mené leur barque pour apparaître comme des alliés du Moyen-Orient en opposition aux grandes puissances coloniales honnies (France et Grande-Bretagne). Évidemment, il ne faut donner à cette bonne volonté de façade aucune dimension philanthropique. Si les américains sont autant actifs dans la région, c’est, d’une part, pour le pétrole, et, d’autre part, pour développer une politique impérialiste qui va peu à peu les entraîner dans un engrenage dont ils ne sortiront pas indemnes.

Jean-Pierre Filiu, professeur à sciences po, est un spécialiste du monde arabo-musulman. Autant vous dire que son texte allie rigueur historique et clarté. C’est en rencontrant David B. au festival de Blois que l’idée lui est venue de mettre en images une histoire des relations entre l’Amérique et le Moyen-Orient.

Niveau dessin, il n’est pas évident de représenter autant d’événements et de situations d’un simple coup de crayon. David B. suggère, il illustre, sans jamais vraiment être dans la narration. Il y a quelques trouvailles graphiques intéressantes et de superbes scènes de bataille mais j’avoue que je me suis davantage focalisé sur le propos de Jean-Pierre Filiu et que j’ai parfois eu quelques difficultés à bien cerner la relation texte/image.

Au final, j’ai beaucoup apprécié cette traversée de quelques siècles focalisée sur l’évolution de la politique américaine au Moyen-Orient. Surtout, cette BD m’a rendu moins ignorant que je ne l’étais sur la question. Et rien que pour ça, je remercie chaleureusement Mo' pour la pertinence de son choix. 


Les meilleurs ennemis de Jean-Pierre Filiu et David B. Futuropolis, 2011. 116 pages. 20 euros.


Filiu et David B. © Futuropolis 2011





mardi 3 avril 2012

Le premier mardi, c'est permis (6) : Un goût d'interdit

Bradley © Harlequin 2012
Cette fois-ci c’est pas de ma faute, c’est celle de Noukette. C’est à cause d’elle que j’embarque une fois de plus pour le rendez-vous inavouable de Stefie. Elle n’avait qu’à pas parler de la collection Spicy le mois dernier. Son billet a titillé ma curiosité et une fois de plus j’ai cédé à la tentation.

Me voila donc avec entre les mains Un goût d’interdit (c’est le titre du livre, commencez pas à vous faire des films). Premier réflexe, j’ausculte la bête. La couverture est bof, on dirait un vieux Harlequin de ma grand-mère. La 4ème de couv est plus intéressante. J’apprends que je vais découvrir l’histoire de Bettina, une romancière passant ses vacances dans une superbe villa au bord de l’océan avec un groupe d’écrivains branchouilles. Parmi eux, il y a la sulfureuse Audrey et surtout le beau Jack, un séducteur auquel personne ne résiste... Le premier paragraphe ? « Des mains inconnues me caressent dans le noir. L’air sent le sexe, l’encens et la sueur. Des bouches sans visage dévorent de baisers mon ventre et mes seins nus, et je me cambre pour offrir mes mamelons affamés à ces lèvres chaudes et audacieuses. Oh oui... La tension monte entre mes jambes. Un souffle chaud effleure mes cuisses ouvertes, s’approche de ma chair frissonnante. Des doigts écartent mes replis les plus intimes et le plaisir se répand dans mes veines comme du feu liquide. Je tremble de la tête aux pieds, brûlante, haletante. »

Alors, ça le fait non ? Au moins, on est tout de suite dans le bain. Et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. J’ai assez persiflé sur la mollesse du pompier névrosé dont je vous narrais les aventures il y a deux mois. Là, pour le coup, on sait où on met les pieds. Une héroïne accro à son vibromasseur, qui se découvre une attirance pour les ébats saphiques et qui finit par passer ses journées à forniquer avec un beau mec dont elle va évidemment tombée amoureuse, c’est classique mais efficace. Surtout quand on a une scène de sexe toutes les 20-30 pages. Là au moins, on en a pour son argent. Bien sûr, il ne faut pas être regardant au niveau du style, on n’est pas chez Flaubert, c’est une évidence. Pareil pour la jolie Bettina, une jeune femme naïve comme c’est pas possible. On dirait une ado qui découvre les premiers émois de la sexualité. Et puis on ne peut pas dire que la demoiselle soit frigide. Elle aurait plutôt tendance à démarrer au quart de tour : « Le plaisir m’emporte comme un raz de marée. » ; « Le plaisir me transperce comme une lame. » ; « Le plaisir et la douleur me transpercent à force égale. » ; Un éclair me transperce et je me cabre, secouée par les spasmes du plaisir. » ; « Le plaisir est une vague qui monte et reflue comme l’océan. » ; « Le plaisir me traverse de part en part et soudain tout mon corps se contracte. » Qui a dit que le champ lexical était limité ? En même temps, je vous avais prévenus, on est pas chez Flaubert.

Trêve de persiflage. L’ensemble est sans saveur mais au moins l’auteur ne se prend pas plus au sérieux que nécessaire. Et le lecteur me direz-vous ? Et bien il sait ce qu’il a entre les mains (je parle encore et toujours du livre, je préfère préciser, on ne sait jamais...) et il n'y a pas tromperie sur la marchandise, c'est déjà pas mal. De toute façon, pas la peine de jouer la vierge effarouchée qui ne savait pas à quoi s’attendre. Quand on écume les blogs qui participent au 1er mardi c’est permis, c’est qu’on a déjà une petite idée derrière la tête...

Un goût d’interdit d’Eden Bradley. Harlequin, 2011. 294 pages. 8,10 euros.



Si vous voulez découvrir d'autres lectures inavouables, il faut faire un saut chez Stephie


lundi 2 avril 2012

Les années n°6


Au sommaire de ce sixième numéro, des portraits d’Alessandro Baricco et de René Vautier, une nouvelle de Stéphane Cugnier, la chronique du professeur Hernandez, deux chroniques livres consacrées aux Carnets de notes de Pierre Bergounioux et à Dans la peau d’un noir de John Howard Griffin, une réflexion sur la place de l’adjectif dans la littérature et la présentation de recueils de nouvelles de Marie-Hélène Laffon et de Dino Buzzatti. De mon coté, je vous parle de la BD Milady de Winter.

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.


Rendez-vous le 15 avril pour le n°7.

samedi 31 mars 2012

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille

Fontenaille ©
Le livre de poche 2012
Le Downtown Eastside est le pire quartier de Vancouver. « Un quartier à haut risque en plein centre ville, un trou noir entre Chinatown et le quartier des affaires, un maelström urbain. » Les filles y vendent leurs corps pour payer leurs doses de crack et d’héroïne. Les premières disparitions datent des années 80. Des filles qui semblent se volatiliser et dont on ne retrouve jamais aucune trace. Les bad dates, les clients violents, elles en ont toutes rencontrées. Certaines sont parfois battues à mort mais au moins on retrouve les cadavres. Les disparitions, c’est autres chose. Le problème c’est que la police ne s’intéresse pas à ces filles. La plupart sont des indiennes qui ont fugué de leur réserve, des anonymes dont personne n’a cure.

En 2002 pourtant, un concours de circonstances va permettre d’élucider l’affaire. Le pire serial killer d’Amérique du Nord est arrêté le jour où l’on retrouve six têtes de femmes dans son congélateur. 69 prostituées en tout sont tombées entre ses griffes. Lorsque l’affaire est révélée, l’onde de choc est monumentale. Pour l’opinion publique, la sentence est indiscutable et résonne comme un slogan : « honte au Canada ». L’inaction des élus et des forces de l’ordre est pointée du doigt. « Un quart des canadiens ont du sang indien dans les veines, les trois quarts restants ont du sang indien sur les mains. »

Le procès s’est tenu de mai à décembre 2007. Le coupable a été condamné à 25 ans de prison. « Depuis l’affaire, Vancouver se sent souillée, honteuse, meurtrie ». Même la tenue des jeux Olympiques d’hiver en 2010 n’a pas permis d'apaiser les tensions.

Elise Fontenaille a choisi de rester au niveau de la simple chronique. Il y aurait pourtant eu matière à concocter une enquête beaucoup plus dense et fouillée en disséquant notamment la personnalité du tueur et la réalité sociologique du Downtown Eastside. Elle a préféré retracer les événements de ce terrible fait divers par le petit bout de la lorgnette en se focalisant sur l’histoire de Sarah, l’une des victimes. Un choix discutable qui me convient parfaitement et qui lui permet de rendre à ces filles l’hommage et la dignité qu’elles méritent. Son récit est aussi un cri de rage poussé contre le traitement réservé aux femmes indiennes. Les premières pages sont superbes, comme scandées entres deux sanglots. On pourra toujours reprocher à l’auteur de survoler la réalité des faits mais son témoignage m’est apparu émouvant et terrible, douloureux et nécessaire. Le lecteur en sort fortement secoué, révolté et ému. C’est simple, ce petit texte m’a bouleversé.

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille, Le livre de poche, 2012. 140 pages. 6 euros.

vendredi 30 mars 2012

Gamba et les rats aventuriers

Atsuo © Picquier 2012
Gamba est un rat des villes qui mène une existence paisible dans une cave où il dispose de tout le confort nécessaire. Lorsque son copain Manpuku le persuade de l’accompagner au grand rassemblement des rats marins sur les docks, Gamba ne se doute pas que sa vie va basculer. En plein milieu de la fête, un rat en piteux état apparaît et supplie ses congénères de l’accompagner sur son île où les siens sont chassés et tués par le clan de Noroi, une impitoyable belette au pelage immaculé. Touché par la demande du rat insulaire, Gamba décide de lui venir en aide et embarque pour la première fois de sa vie sur un bateau…

De l’action, de l’aventure, le combat désespéré d'une communauté contre ses oppresseurs... Ce roman jeunesse japonais datant de 1982 possède de nombreux atouts. Le style est simple et parfaitement adapté aux jeunes lecteurs mais surtout les valeurs qu’il dispense restent universelles. Le groupe de rats mené par Gamba fait preuve d’un incroyable courage. L’amitié et l’altruisme sont aussi de la partie. De plus, la dure réalité n’est pas occultée : certains ne sortiront pas vivant de la lutte contre les belettes. Sans être moralisateur, l’auteur propose une réflexion intelligente sur la fraternité et la liberté.

Roman animalier trépidant et accrocheur, Gamba et les rats aventuriers est une jolie trouvaille des éditions Picquier que je recommande chaudement aux bons lecteurs dès 9 ans.


Gamba et les rats aventuriers de Sitô Atsuo (ill. Yabuuchi Masayuki). Picquier jeunesse, 2012. 322 pages. 19,50 euros. A partir de 9 ans.


Ce billet signe ma dernière participation aux 10 jours japonais de Choco

jeudi 29 mars 2012

Boy de Takeshi Kitano

Kitano © Wombat 2012
Avant de devenir un cinéaste reconnu mondialement (Lion d’or à la Mostra de Venise pour son film Hana-Bi en 1997), Takeshi Kitano a beaucoup écrit, notamment des nouvelles. Les trois histoires contenues dans le recueil Boy ont été publiés au Japon en 1987. Elles ont toutes pour héros des adolescents lambda aux parcours parfois chaotiques. Dans la première, deux frères devenus adultes se souviennent d’une fête des sports de leur école où l’un d’eux, réputé pour sa nullité en éducation physique, avait failli contre toute attente remporter une épreuve d’athlétisme. Dans la seconde, ce sont encore deux frères qui, suite à la mort de leur père et à un déménagement à Osaka, se font maltraiter par  leurs nouveaux camarades de classe. Seule échappatoire à ce douloureux quotidien, une passion commune pour l’astronomie qui les poussera, un soir glacial, à quitter leur foyer pour aller observer Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel après le soleil. La dernière nouvelle est un récit d’initiation assez classique où un collégien fugueur rencontre une jeune fille délurée qui lui procurera ses premiers émois.

Difficile d’être un garçon dans les récits de Kitano ! Entre violence, tendresse et sensibilité, le propos est empreint d’une nostalgie douce-amère. Le format de la nouvelle correspond parfaitement au style de l’auteur, tout en subtilité. C’est ce que j’aime dans ce genre si particulier : on brosse un portrait comme on peint une aquarelle et on laisse les héros en suspend, figures éphémères qui ne font que traverser l’écran...

Un beau recueil où l'innocence de l'enfance est souvent malmenée par la dure réalité.
Une découverte que je dois au billet de nath choco. Merci à elle pour la tentation. 

Boy de Takeshi Kitano, éditions Wombat, 2012. 122 pages. 15,00 euros.


mercredi 28 mars 2012

Les amis de Pancho Villa

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012
Rodolfo Fierro a sans doute été le plus fidèle compagnon d’arme du général Pancho Villa. Tout commence en 1910, alors que Fierro sort de prison et qu’il rencontre Tomas Urbina, un des lieutenants de Villa. Très vite, l’ex-prisonnier montre sa bravoure et se révèle un tueur sans état d’âme. Devenu le bras droit du général, il va accompagner ce dernier jusqu’à sa mort en 1923. Ensemble ils vont traverser les moments les plus terribles de la révolution mexicaine. Du soutien au constitutionnaliste Carranza à l’alliance avec Zapata, cette petite quinzaine d’années sera pour eux l’occasion de vivre une aventure humaine d’une rare violence.

En adaptant le roman de James Carlos Blake, Léonard Chemineau propose une plongée au cœur d’une des plus grandes révoltes du 20ème siècle. L’indépendance du Mexique restera à jamais pavée du sang de nombreuses victimes innocentes. Impossible d'oublier que pendant cette période le pays est en plein chaos. Pillages, viols, massacres… la guerre civile laisse chacun exprimer ses plus bas instincts. Fierro joue le rôle du narrateur. Son point de vue est intéressant car il n’est pas celui d’un idéologue. Son but n’est pas de délivrer une population opprimée, il veut simplement profiter au maximum de ce mode vie sans aucune contrainte : « La révolution nous a donné des armes, les meilleurs chevaux, des bottes, des vêtements et des chapeaux texans. A manger et à boire autant que nous voulions. Elle nous a fait voir du pays, elle nous a donné de l’or et des femmes, partout... Mais surtout elle nous a donné la liberté. » La fin de l’insurrection est pour lui une mauvaise nouvelle : « Si c’est vraiment fini, ça va être le retour de la loi, du papier, des directeurs, des tribunaux, des prisons, de toute cette merde. » Ce personnage sulfureux est sans doute représentatif de la majorité des hommes s’étant engagés dans le conflit : aucune conscience politique, juste la volonté de vivre les choses à cent à l’heure. Born to be wild, en quelque sorte…
   
Léonard Chemineau signe ici sa première BD. Cet ingénieur spécialisé dans l’environnement et le développement durable a été repéré lors du concours Jeunes talents du festival d’Angoulême en 2009. Pour un débutant, il maîtrise déjà sacrément la narration. Beaucoup de cases en cinémascope, des scènes de bataille très dynamiques, une représentation de la violence réaliste qui ne tombe jamais dans le gratuitement gore, des couleurs chaudes qui emmènent le lecteur au cœur du désert mexicain… les qualités de son adaptation son nombreuses. Son trait élégant rappelle parfois celui de Mathieu Bonhomme (Le marquis d’Anaon, Le voyage d’Esteban). Il y a pire comme comparaison !  
Finalement, le problème majeur tient dans la densité du roman original. Comment résumer autant d’événements et d’années de lutte en si peu de pages ? L’histoire de l’indépendance mexicaine défile à vitesse grand V et il n’est pas toujours évident d’en saisir les subtilités. Pour autant, grâce à ses personnages haut en couleurs et à son intérêt historique, cet album restera pour moi une bonne pioche. Je ne peux malheureusement pas en dire autant toutes les semaines…         

Les amis de Pancho Villa  de Léonard Chemineau et James Carlos Blake. Rivages/Casterman, 2012. 124 pages. 18 euros.

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012



lundi 26 mars 2012

Mercredi, c’est raviolis !

Tachibana et Hasegawa
© L'école des loisirs 2008
Chez ces deux petites filles japonaises, le mercredi, c’est raviolis. Mais attention, pas des raviolis tout prêt que l’on réchauffe aux micro-ondes. A la maison, les raviolis (les gyôza), on les fait soi-même ! Pour préparer la pâte, il faut juste de la farine, du sel, de l’eau et de l’huile de coude. On doit pétrir la pâte quelques minutes et quand elle fait une boule souple et lisse, on la couvre avec un torchon mouillé et on la laisse reposer. Comme maman a déjà préparé la farce au poulet, il ne reste plus qu’à faire des petites boulettes de pâte que l’on aplati d’abord avec la paume de la main puis au rouleau pour en faire de fines crêpes. On dépose la garniture, on replie les bords de la crêpe et le tour est joué. Reste plus qu’à les bouillir ou les frire. Simple comme bonjour !


Chaque page de l’album reprend une étape de la préparation de la pâte. Le dessin est minimaliste. Juste les deux enfants à l’œuvre, sans décor. En même temps, ça permet de se focaliser sur l’essentiel. En fin d’ouvrage, on vous propose la recette complète des vrais Gyôza. Comme tout cela avait l’air d’être un jeu d’enfant, je me suis dit que j’allais essayer. Résultat ? Je vous laisse découvrir par vous-même les dégâts !


Voila mes raviolis. J'assume totalement l'esthétisme douteux de ces gyôza.

Pour tous les esprits moqueurs qui vont se gausser à la vue de ma photo, deux petites précisions. D’abord, j’ai très peu d’amour propre donc vos sarcasmes me laissent de marbre. Ensuite, essayez donc par vous-même et on en reparle après. Ma pâte était trop épaisse, même en l’étalant au maximum avec le rouleau, elle manquait d’élasticité. Après, j’ai mis trop farce, du coup, quand j’ai voulu refermer, ça a débordé de tous les cotés. Au final mes raviolis ne ressemblaient pas à grand-chose. Je les ai fait bouillir avant de les proposer à la dégustation. Mon jury exclusivement féminin, dans sa grande bonté, les a trouvés excellent. Personnellement, j’ai beaucoup aimé la farce. Si je recommence, une certitude, je mettrais un peu plus d’eau dans la pâte pour la rendre plus élastique. Je ne désespère pas de réussir à faire des crêpes aussi fine que du papier à cigarette.


Allez, pour conclure et parce que je suis une bonne pâte (vous avez remarqué le trait d’humour, des fois je me demande où je vais chercher tout ça !), je vous donne la recette. Si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à m’envoyer une petite photo, je serais ravi de voir à quoi ressemblent vos raviolis.

J'ai scrupuleusement respecté la recette. J'ai juste remplacé le blanc de poireau
par une échalotte car je n'avais pas de poireaux sous la main