C’est la lettre d’un père à sa fille emprisonnée. Un père qui a quitté son pays d’origine alors qu’elle n’était qu’un bébé, le jour où tous les habitants de leur village ont été massacrés. Ensemble ils ont traversé des déserts et des océans avant d’échouer dans les rues et les parcs de villes sans nom. Ils ont erré, de centre de rétention en foyer de travailleurs, jusqu’à l’obtention du permis de séjour, ce Graal qui, enfin, aurait dû leur permettre de se réinventer une vie, même au cœur d’une cité délabrée. Mais le bébé, devenu une jeune fille hargneuse et révoltée, a commis l’irréparable…
Ce petit texte renforce ma conviction qu’il n’y a rien de tel que les écrits courts pour voir ce qu’un auteur a dans le ventre. Bon, en même temps je déteste les pavés, c’est pas un scoop alors je ne suis sans doute pas objectif mais quand même. Dans l’écriture minuscule l’écrivain se met à nu. Pas possible de se cacher ou de tricher, tout est dit en si peu de mots. C’est risqué, très casse-gueule même. Mais c’est un révélateur indiscutable. Et pour le coup ici, c’est parfait. Rien de trop, pas un poil de gras (petit clin d’œil en passant à
Anne qui aime cette expression), on est tout de suite sur l’os. Évidemment je suis fan. Et puis quelle langue ! Le récit du père vous emporte, les interventions de sa fille vous laissent groggy, c’est magnifiquement construit.
Pour cette nouvelle lecture commune,
Noukette m’a envoyé un petit message il y a quelques jours alors qu’elle venait de terminer le livre et que de mon coté je ne l’avais pas encore ouvert. En gros elle me disait «
Ai fini Zalberg, outch ! ». Je crois que c’est ça, « outch ! ». Parce que cette histoire on la prend de plein fouet. L’histoire d’un homme qui fuit son pays en guerre avec son enfant sous le bras. Son voyage n’a rien d’une épopée au long cours. Rien non plus de glorieux, pas la peine d'en faire un roman fleuve, c'est juste une question de survie. On sent la tendresse, l’amour, le lien indestructible qui unit ces deux exilés. Mais avec les années le fossé se creuse entre le père et sa fille et l’inéluctable se produit : «
J’ai accepté que le monde se glisse entre toi et moi et regarde, mon Adama, regarde où le monde t’a conduite ! Regarde où il t’a jetée ! ». Les mots disent la fragilité de l’homme, son incompréhension aussi. Naïvement, il a eu la faiblesse de croire que le plus dur était derrière eux : «
Je ne me pardonne pas d’avoir cru que toi et moi, parce que nous en avions eu notre content, de drame, nous en avions fini. » Mais son bébé est devenu une ado de 15 ans emportée par le tourbillon de la cité et pour ce père, le besoin de consolation est aujourd'hui impossible à rassasier (une expression que j'emprunte à l'écrivain suédois Stig Dagerman).
C’est beau, c’est fort, c’est intense. Une tragédie. Outch !
Allez, un dernier petit extrait, j'aurais pu en citer tellement d'autres : "
Je ne pourrai remonter le cours de notre vie jusqu'au lit de ton crime car il est le dernier domino à tomber et j'ignore ce qui, de mon silence, de nos épreuves, de ton désœuvrement ou de tout autre chose encore a été le premier vacillement. Et quelle différence cela aurait-il fait si je t'avais raconté d'où nous venions ?"
Feu pour feu de Carole Zalberg. Actes Sud, 2014.
72 pages. 11,50 euros.
Une lecture commune percutante que j'ai le plaisir de partager avec
Leiloona et
Noukette.
Les avis enthousiastes de
Brize,
Clara,
Jostein et
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