Je dois la découverte de Dennis Lehane à Syl. Des
mois qu’elle me recommande de découvrir cet auteur qu’elle adore et qui, selon
elle, a tout pour me plaire. Comme je suis toujours à l’écoute des bons
conseils, j’ai foncé. Bon, plutôt que ses polars, j’ai préféré me lancer dans
le roman historique qu’il a consacré à sa ville natale, Boston (ça vous
étonne ?). Un pavé de 850 pages, le genre de bouquin que je ne peux lire
qu’en vacances. Verdict ? Une fresque monumentale et passionnante !
A Boston, Danny Coughlin, fils d’un ponte de la
police locale, est un simple flic qui aspire à grimper les échelons au plus
vite. Dans l’Ohio, Luther Laurence est un ouvrier noir qui vient de perdre son
boulot. Avec sa compagne enceinte depuis peu, il part pour Tulsa. En cette fin
de première guerre mondiale, l’Amérique souffre économiquement et les classes
populaires ont du mal à joindre les deux bouts. Les grandes luttes syndicales
se développent et anarchistes et bolchéviques venus d’Europe commencent à faire
parler d’eux. Pour obtenir sa promotion, Danny doit infiltrer ceux que les
forces de l’ordre appellent les « séditieux ». De son coté, Luther
s’acoquine de trop près avec quelques truands locaux et doit quitter au plus
vite l’Oklahoma. Deux destins à priori impossibles à réunir et pourtant leurs
routes vont se croiser au cours de l’année 1919, pour le meilleur et pour le
pire.
Rien de plus classique que d’insérer la petite
histoire dans la grande mais quand c’est fait avec une telle maestria, on se
régale. La description des événements de cette année 1919 à Boston, qui
culminera avec la grève de la police et les émeutes qui s’en suivront, est
palpitante. Très documenté sans jamais tomber dans le didactisme, le roman vous
emporte dès les premières pages. Lehanne décortique le processus politique et
social qui a poussé les policiers à entamer la première grève des forces de
l’ordre en Amérique. On découvre la chasse aux sorcières menée contre les
« rouges », les manigances pour briser toute aspiration syndicale, l’espoir
d’une vie meilleure pour ses hommes et leur famille qui se fracasse face à
l’intransigeance des élus. Et puis avec Luther, on plonge au cœur des premiers
mouvements de défense de la cause noire et on reste abasourdi devant le
traitement réservé aux gens de couleur dans une ville de l’Est pourtant réputée
pour être une des plus tolérantes du pays.
La construction est imparable et les chapitres
consacrés aux émeutes urbaines sont d’un réalisme à couper le souffle.
Personnages nombreux et incarnés, art consommé du dialogue, alternance entre
tension dramatique, scènes plus légères et explosion de violence, le canevas
est tissé au millimètre.
Ceux qui passent souvent par ici savent que je
préfère de loin les écritures minuscules, les nouvelles et les textes courts
aux pavés indigestes. Pour tout vous dire je n’avais pas dévoré un roman
historique aussi dense et ambitieux depuis l’excellentissime « Mémoire des
vaincus » de Michel Ragon il y a près de vingt ans. Mais pour le coup, je ne regrette pas cette
première rencontre avec le sieur Lehanne. Nul doute que nous serons amenés à
nous revoir, ne serait-ce qu’avec son dernier ouvrage, « Ils vivent la
nuit » qui est la suite d’ « Un pays à l’aube » et que je
viens de réserver à la médiathèque.
Un pays à l’aube de Dennis Lehane. Rivages, 2010. 857 pages. 10,65 euros.
Ce
billet signe ma 1ère participation au challenge Pavé de l'été de Brize.
Autant vous prévenir, ce sera ma seule et unique. Un pavé par an, c'est mon grand maximum ! |