samedi 31 mars 2012

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille

Fontenaille ©
Le livre de poche 2012
Le Downtown Eastside est le pire quartier de Vancouver. « Un quartier à haut risque en plein centre ville, un trou noir entre Chinatown et le quartier des affaires, un maelström urbain. » Les filles y vendent leurs corps pour payer leurs doses de crack et d’héroïne. Les premières disparitions datent des années 80. Des filles qui semblent se volatiliser et dont on ne retrouve jamais aucune trace. Les bad dates, les clients violents, elles en ont toutes rencontrées. Certaines sont parfois battues à mort mais au moins on retrouve les cadavres. Les disparitions, c’est autres chose. Le problème c’est que la police ne s’intéresse pas à ces filles. La plupart sont des indiennes qui ont fugué de leur réserve, des anonymes dont personne n’a cure.

En 2002 pourtant, un concours de circonstances va permettre d’élucider l’affaire. Le pire serial killer d’Amérique du Nord est arrêté le jour où l’on retrouve six têtes de femmes dans son congélateur. 69 prostituées en tout sont tombées entre ses griffes. Lorsque l’affaire est révélée, l’onde de choc est monumentale. Pour l’opinion publique, la sentence est indiscutable et résonne comme un slogan : « honte au Canada ». L’inaction des élus et des forces de l’ordre est pointée du doigt. « Un quart des canadiens ont du sang indien dans les veines, les trois quarts restants ont du sang indien sur les mains. »

Le procès s’est tenu de mai à décembre 2007. Le coupable a été condamné à 25 ans de prison. « Depuis l’affaire, Vancouver se sent souillée, honteuse, meurtrie ». Même la tenue des jeux Olympiques d’hiver en 2010 n’a pas permis d'apaiser les tensions.

Elise Fontenaille a choisi de rester au niveau de la simple chronique. Il y aurait pourtant eu matière à concocter une enquête beaucoup plus dense et fouillée en disséquant notamment la personnalité du tueur et la réalité sociologique du Downtown Eastside. Elle a préféré retracer les événements de ce terrible fait divers par le petit bout de la lorgnette en se focalisant sur l’histoire de Sarah, l’une des victimes. Un choix discutable qui me convient parfaitement et qui lui permet de rendre à ces filles l’hommage et la dignité qu’elles méritent. Son récit est aussi un cri de rage poussé contre le traitement réservé aux femmes indiennes. Les premières pages sont superbes, comme scandées entres deux sanglots. On pourra toujours reprocher à l’auteur de survoler la réalité des faits mais son témoignage m’est apparu émouvant et terrible, douloureux et nécessaire. Le lecteur en sort fortement secoué, révolté et ému. C’est simple, ce petit texte m’a bouleversé.

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille, Le livre de poche, 2012. 140 pages. 6 euros.

vendredi 30 mars 2012

Gamba et les rats aventuriers

Atsuo © Picquier 2012
Gamba est un rat des villes qui mène une existence paisible dans une cave où il dispose de tout le confort nécessaire. Lorsque son copain Manpuku le persuade de l’accompagner au grand rassemblement des rats marins sur les docks, Gamba ne se doute pas que sa vie va basculer. En plein milieu de la fête, un rat en piteux état apparaît et supplie ses congénères de l’accompagner sur son île où les siens sont chassés et tués par le clan de Noroi, une impitoyable belette au pelage immaculé. Touché par la demande du rat insulaire, Gamba décide de lui venir en aide et embarque pour la première fois de sa vie sur un bateau…

De l’action, de l’aventure, le combat désespéré d'une communauté contre ses oppresseurs... Ce roman jeunesse japonais datant de 1982 possède de nombreux atouts. Le style est simple et parfaitement adapté aux jeunes lecteurs mais surtout les valeurs qu’il dispense restent universelles. Le groupe de rats mené par Gamba fait preuve d’un incroyable courage. L’amitié et l’altruisme sont aussi de la partie. De plus, la dure réalité n’est pas occultée : certains ne sortiront pas vivant de la lutte contre les belettes. Sans être moralisateur, l’auteur propose une réflexion intelligente sur la fraternité et la liberté.

Roman animalier trépidant et accrocheur, Gamba et les rats aventuriers est une jolie trouvaille des éditions Picquier que je recommande chaudement aux bons lecteurs dès 9 ans.


Gamba et les rats aventuriers de Sitô Atsuo (ill. Yabuuchi Masayuki). Picquier jeunesse, 2012. 322 pages. 19,50 euros. A partir de 9 ans.


Ce billet signe ma dernière participation aux 10 jours japonais de Choco

jeudi 29 mars 2012

Boy de Takeshi Kitano

Kitano © Wombat 2012
Avant de devenir un cinéaste reconnu mondialement (Lion d’or à la Mostra de Venise pour son film Hana-Bi en 1997), Takeshi Kitano a beaucoup écrit, notamment des nouvelles. Les trois histoires contenues dans le recueil Boy ont été publiés au Japon en 1987. Elles ont toutes pour héros des adolescents lambda aux parcours parfois chaotiques. Dans la première, deux frères devenus adultes se souviennent d’une fête des sports de leur école où l’un d’eux, réputé pour sa nullité en éducation physique, avait failli contre toute attente remporter une épreuve d’athlétisme. Dans la seconde, ce sont encore deux frères qui, suite à la mort de leur père et à un déménagement à Osaka, se font maltraiter par  leurs nouveaux camarades de classe. Seule échappatoire à ce douloureux quotidien, une passion commune pour l’astronomie qui les poussera, un soir glacial, à quitter leur foyer pour aller observer Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel après le soleil. La dernière nouvelle est un récit d’initiation assez classique où un collégien fugueur rencontre une jeune fille délurée qui lui procurera ses premiers émois.

Difficile d’être un garçon dans les récits de Kitano ! Entre violence, tendresse et sensibilité, le propos est empreint d’une nostalgie douce-amère. Le format de la nouvelle correspond parfaitement au style de l’auteur, tout en subtilité. C’est ce que j’aime dans ce genre si particulier : on brosse un portrait comme on peint une aquarelle et on laisse les héros en suspend, figures éphémères qui ne font que traverser l’écran...

Un beau recueil où l'innocence de l'enfance est souvent malmenée par la dure réalité.
Une découverte que je dois au billet de nath choco. Merci à elle pour la tentation. 

Boy de Takeshi Kitano, éditions Wombat, 2012. 122 pages. 15,00 euros.


mercredi 28 mars 2012

Les amis de Pancho Villa

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012
Rodolfo Fierro a sans doute été le plus fidèle compagnon d’arme du général Pancho Villa. Tout commence en 1910, alors que Fierro sort de prison et qu’il rencontre Tomas Urbina, un des lieutenants de Villa. Très vite, l’ex-prisonnier montre sa bravoure et se révèle un tueur sans état d’âme. Devenu le bras droit du général, il va accompagner ce dernier jusqu’à sa mort en 1923. Ensemble ils vont traverser les moments les plus terribles de la révolution mexicaine. Du soutien au constitutionnaliste Carranza à l’alliance avec Zapata, cette petite quinzaine d’années sera pour eux l’occasion de vivre une aventure humaine d’une rare violence.

En adaptant le roman de James Carlos Blake, Léonard Chemineau propose une plongée au cœur d’une des plus grandes révoltes du 20ème siècle. L’indépendance du Mexique restera à jamais pavée du sang de nombreuses victimes innocentes. Impossible d'oublier que pendant cette période le pays est en plein chaos. Pillages, viols, massacres… la guerre civile laisse chacun exprimer ses plus bas instincts. Fierro joue le rôle du narrateur. Son point de vue est intéressant car il n’est pas celui d’un idéologue. Son but n’est pas de délivrer une population opprimée, il veut simplement profiter au maximum de ce mode vie sans aucune contrainte : « La révolution nous a donné des armes, les meilleurs chevaux, des bottes, des vêtements et des chapeaux texans. A manger et à boire autant que nous voulions. Elle nous a fait voir du pays, elle nous a donné de l’or et des femmes, partout... Mais surtout elle nous a donné la liberté. » La fin de l’insurrection est pour lui une mauvaise nouvelle : « Si c’est vraiment fini, ça va être le retour de la loi, du papier, des directeurs, des tribunaux, des prisons, de toute cette merde. » Ce personnage sulfureux est sans doute représentatif de la majorité des hommes s’étant engagés dans le conflit : aucune conscience politique, juste la volonté de vivre les choses à cent à l’heure. Born to be wild, en quelque sorte…
   
Léonard Chemineau signe ici sa première BD. Cet ingénieur spécialisé dans l’environnement et le développement durable a été repéré lors du concours Jeunes talents du festival d’Angoulême en 2009. Pour un débutant, il maîtrise déjà sacrément la narration. Beaucoup de cases en cinémascope, des scènes de bataille très dynamiques, une représentation de la violence réaliste qui ne tombe jamais dans le gratuitement gore, des couleurs chaudes qui emmènent le lecteur au cœur du désert mexicain… les qualités de son adaptation son nombreuses. Son trait élégant rappelle parfois celui de Mathieu Bonhomme (Le marquis d’Anaon, Le voyage d’Esteban). Il y a pire comme comparaison !  
Finalement, le problème majeur tient dans la densité du roman original. Comment résumer autant d’événements et d’années de lutte en si peu de pages ? L’histoire de l’indépendance mexicaine défile à vitesse grand V et il n’est pas toujours évident d’en saisir les subtilités. Pour autant, grâce à ses personnages haut en couleurs et à son intérêt historique, cet album restera pour moi une bonne pioche. Je ne peux malheureusement pas en dire autant toutes les semaines…         

Les amis de Pancho Villa  de Léonard Chemineau et James Carlos Blake. Rivages/Casterman, 2012. 124 pages. 18 euros.

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012



lundi 26 mars 2012

Mercredi, c’est raviolis !

Tachibana et Hasegawa
© L'école des loisirs 2008
Chez ces deux petites filles japonaises, le mercredi, c’est raviolis. Mais attention, pas des raviolis tout prêt que l’on réchauffe aux micro-ondes. A la maison, les raviolis (les gyôza), on les fait soi-même ! Pour préparer la pâte, il faut juste de la farine, du sel, de l’eau et de l’huile de coude. On doit pétrir la pâte quelques minutes et quand elle fait une boule souple et lisse, on la couvre avec un torchon mouillé et on la laisse reposer. Comme maman a déjà préparé la farce au poulet, il ne reste plus qu’à faire des petites boulettes de pâte que l’on aplati d’abord avec la paume de la main puis au rouleau pour en faire de fines crêpes. On dépose la garniture, on replie les bords de la crêpe et le tour est joué. Reste plus qu’à les bouillir ou les frire. Simple comme bonjour !


Chaque page de l’album reprend une étape de la préparation de la pâte. Le dessin est minimaliste. Juste les deux enfants à l’œuvre, sans décor. En même temps, ça permet de se focaliser sur l’essentiel. En fin d’ouvrage, on vous propose la recette complète des vrais Gyôza. Comme tout cela avait l’air d’être un jeu d’enfant, je me suis dit que j’allais essayer. Résultat ? Je vous laisse découvrir par vous-même les dégâts !


Voila mes raviolis. J'assume totalement l'esthétisme douteux de ces gyôza.

Pour tous les esprits moqueurs qui vont se gausser à la vue de ma photo, deux petites précisions. D’abord, j’ai très peu d’amour propre donc vos sarcasmes me laissent de marbre. Ensuite, essayez donc par vous-même et on en reparle après. Ma pâte était trop épaisse, même en l’étalant au maximum avec le rouleau, elle manquait d’élasticité. Après, j’ai mis trop farce, du coup, quand j’ai voulu refermer, ça a débordé de tous les cotés. Au final mes raviolis ne ressemblaient pas à grand-chose. Je les ai fait bouillir avant de les proposer à la dégustation. Mon jury exclusivement féminin, dans sa grande bonté, les a trouvés excellent. Personnellement, j’ai beaucoup aimé la farce. Si je recommence, une certitude, je mettrais un peu plus d’eau dans la pâte pour la rendre plus élastique. Je ne désespère pas de réussir à faire des crêpes aussi fine que du papier à cigarette.


Allez, pour conclure et parce que je suis une bonne pâte (vous avez remarqué le trait d’humour, des fois je me demande où je vais chercher tout ça !), je vous donne la recette. Si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à m’envoyer une petite photo, je serais ravi de voir à quoi ressemblent vos raviolis.

J'ai scrupuleusement respecté la recette. J'ai juste remplacé le blanc de poireau
par une échalotte car je n'avais pas de poireaux sous la main


dimanche 25 mars 2012

Seins et oeufs

Kawakami © Actes Sud 2012
Natsu accueille pour quelques jours sa sœur Makiko et sa nièce Midoriko dans son petit appartement de Tokyo. Makiko a rendez-vous dans une clinique pour programmer l’opération d’augmentation mammaire dont elle rêve depuis des mois. En pleine crise d’adolescence, Midoriko s’est quant elle réfugiée dans le silence. Elle ne parle plus et communique exclusivement par écrit. Pour les trois femmes, ce court regroupement familial va être l’occasion de mettre à nu la difficile condition de chacune.

Le récit alterne entre le point de vue de Natsu et les écrits de Midoriko. Pour cette dernière, la puberté est un cauchemar. La jeune fille ne supporte pas la lubie de sa mère et n’accepte pas les changements de son propre corps : « Moi, mon corps a faim, il a des cycles hormonaux, il fonctionne sans que je lui demande rien et ça me donne l’impression d’être enfermée dedans. Pour la simple raison qu’on est née, en fin de compte, il faut vivre, manger tout le temps et gagner sa vie, rien que ça c’est l’horreur ». Makiko est une mère célibataire dont le boulot d’hôtesse lui permet à peine de joindre les deux bouts. Pour elle aussi, il est difficile d’imaginer l’avenir alors qu’elle vient de passer la quarantaine.

La relation mère/fille terriblement conflictuelle est sans doute la partie la plus intéressante de ce court roman. Le personnage de Midoriko, ado en plein questionnement existentiel, est assez touchant. L’auteur brosse le portrait de trois générations de femmes japonaises (Natsu a dix ans de moins que sa sœur) ayant pour malheureux points communs la solitude et la perte de repères. Je ne sais pas si Natsu, Midoriko et Makiko symbolisent la majorité des japonaises actuelles mais si c’est le cas, tout cela est bien triste.

Pour tout dire je n’ai pas été emballé par ce texte. Pas touché par le sujet mais surtout assez atterré par la piètre qualité de l’écriture. Quelle platitude ! Les dialogues sont sans intérêt et sonnent assez faux. Après, c’est peut-être un problème de traduction mais quand je lis trois fois le même adverbe en deux lignes, je me dis qu’il y a un problème. La quatrième de couverture vantait pourtant un livre percutant (euh…), provocant (je vois pas en quoi il est provocant) et drôle (alors là, si vous trouvez un passage drôle, faites-moi signe parce que de mon coté je n’ai rien vu). Vous avez dit publicité mensongère ? Bon ok, je suis peut-être de mauvaise foi. Peut-être que c’est tout simplement trop que Girly pour moi. Une déception, quoi !


Seins et œufs de Mieko Kawakami, Actes Sud, 2012. 108 pages. 13.50 euros.



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vendredi 23 mars 2012

Soldats de sable

Higa © Le Lézard Noir 2011
J’avoue avoir un peu tiqué en découvrant dans ma boîte aux lettres ce manga envoyé par Choco dans le cadre du loto BD de Mo’. Un récit de guerre, pas mon truc ça ! Sur la seconde guerre mondiale et la bataille d’Okinawa en plus, encore moins mon truc. Surtout, je pensais que le point de vue serait ultra patriotique avec des kamikazes élevés au rang de martyrs à tous les coins de page. Je m’apprêtais donc à me lancer dans une lecture des plus indigestes lorsque j’ai parcouru la postface. Et là, pour le coup, j’ai été sacrément rassuré. L’auteur y précise en effet que son but était de mettre en valeur les témoignages de villageois ayant vécu et subi les horreurs de la bataille. Une sorte de devoir de mémoire, notamment envers ses parents, natifs de l’île.

Ce manga est en fait un recueil de nouvelles. La plus poignante est sans conteste celle que Susumu Higa consacre à la mémoire de sa mère, une femme remarquable qui, pendant le conflit, n’a vécu que pour protéger ses enfants. Mais le mangaka parle aussi du traumatisme ressenti par les autochtones, en grande partie à cause du jusqu’auboutisme de l’armée japonaise qui s’est souvent mêlée aux civils, en a enrôlé de force un très grand nombre et n’a pas hésité à assassiner ceux qui tentaient de lui résister. Au final, les sujets abordés sont tous très différents. Seul point commun évident, la présence de ces petites gens dont l’histoire avec un grand H ne parle que trop rarement. Le propos est limpide, la situation infernale vécue par tous les protagonistes japonais de la bataille d’Okinawa est clairement exposée et l’antimilitarisme qui affleure dans chaque nouvelle est amené avec suffisamment de finesse pour ne pas sombrer dans la prise de position simpliste.

Si je devais émettre une réserve, elle concernerait le dessin, assurément pas le point fort de cet ouvrage. Le trait de Susumu Higa manque de souplesse, les visages sont figés et laissent difficilement transparaître les émotions mais le découpage rend l’ensemble très lisible, c’est bien là l’essentiel.

Un superbe recueil proposé par les éditions Lelézard Noir. Et une bien belle découverte que je dois à Choco. Nul doute que sans elle je n’aurais jamais posé les yeux sur ce manga, ce qui aurait quand même été fort regrettable !


Soldats de sable de Susumu Higa, Le Lézard Noir, 2011. 252 pages. 21.00 euros.  


Higa © Le Lézard Noir 2011 



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mercredi 21 mars 2012

Thermae Romae 1 et 2

Yamazaki © Casterman 2012
A Rome, en l’an 128 de notre ère, sous le règne de l’empereur Hadrien, Lucius Modestus est un architecte sans grand talent. Spécialisé dans la conception et la construction de thermes, ses projets sont systématiquement refusés car son employeur considère que ses idées sont d’un autre âge. Déprimé, il se rend avec un ami dans un bain public et se retrouve aspiré par un trou au fond du bassin. Transporté dans l’espace et le temps, Lucius se réveille de nos jours au milieu d’un sentô (bain public japonais). De retour dans son époque, il va s’employer à reproduire les innovations découvertes dans le japon du XXIe siècle, ce qui fera de lui une célébrité et le mènera à côtoyer l’empereur en personne.

Au cours de chaque chapitre, Lucius voyage dans le temps et découvre un nouveau procédé technique qu’il met en application dès son retour à Rome. Présentées comme cela, les choses pourraient rapidement paraître très répétitives. C’était d’ailleurs ma grande crainte au début du premier volume. Mais finalement l’écueil est surmonté avec brio car l’auteur propose une vraie progression de l’intrigue. Au fil des chapitres, on voit évoluer l’état d’esprit de l’empereur ou encore la jalousie soulevée chez ses confrères par l’insolente réussite de Lucius. Surtout, ce dernier n’est pas présenté comme un simple technicien sans âme. Il doit faire face à un douloureux divorce et on le voit même tenter de régler ses problèmes d'érection ! Mélanger la petite et la grande histoire n’est pas d’une folle originalité mais la recette reste efficace. Grâce aux va-et-vient de Lucius entre son époque et la nôtre, l’auteur confronte les pratiques thermales de deux civilisations vouant aux bains publics un amour irraisonné. Entre chaque chapitre, des commentaires et des photographies enrichissent le propos et éclairent davantage encore la problématique venant d’être traitée. Pour les pointilleux, il faut bien reconnaître que la Rome antique de Mari Yamasaki est plus fantasmée qu’historiquement irréprochable, mais de mon point de vue, peu importe. De toute façon, quand on imagine qu’un architecte de l’an 128 peut voyager dans le temps, on peut se permettre quelques largesses quand à la véracité historique !

Graphiquement, le trait est réaliste et assez précis, notamment dans la reproduction des bâtiments, des vêtements et des objets de la vie courante.

Voila donc un manga plein de fraîcheur (normal, me direz-vous !), à la fois léger et instructif, qui m’a beaucoup séduit. La série, terminée au Japon, compte en tout six tomes. Le troisième sortira chez nous en juin et je serai avec plaisir au rendez-vous.


Thermae Romae T1 et T2 de Mari Yamazaki, Casterman, 2012. 190 pages. 7,50 euros.


Yamazaki © Casterman 2012
 
 
 




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mardi 20 mars 2012

Jintarô, le caïd de Shinjuku

Akiyama © Le Lézard Noir 2011
« Tu crois que je suis qui ? C’est quoi mon nom ? Dis-le ! ». Son nom, c’est Jintarô, le caïd de Shinjuku. Si vous ne savez pas qui il est, vous ne ratez pas grand-chose. Surtout, si vous ne connaissez pas son nom, c’est plutôt bon signe, ça signifie que vous n’avez pas encore eu affaire à lui. Jintarô est préteur sur gages. Un gros bourrin moche comme un pou et fringué comme un yakuza, aussi violent que vulgaire. Un obsédé sexuel qui, quand un client ne peut pas payer, demande à sa femme de régler les dettes en nature. Son quotidien est rythmé comme du papier à musique : « Je fais des bénéfices au péril de ma vie le jour et la nuit je m’adonne aux plaisirs de l’alcool et de la chair ». Tout un programme !

Dans une interview à la fin du recueil, l’auteur précise qu’il a voulu créer un personnage qui soit vraiment un sale type. Pour le coup c’est réussi. Son comportement et son faciès sont à vomir. Sans parler de son langage. Un petit exemple pour vous mettre dans le ton ? « La chatte des gonzesses c’est comme l’ouverture d’un porte-monnaie. Dès que tu montres de l’argent, elle s’ouvre grand. » La classe, non ?

Ce one-shot compte en tout et pour tout six chapitres. Comme Jintarô meurt à la fin, on se doute qu’il n’y aura jamais de suite. En même temps, difficile d’imaginer des millions d’aventures tant le personnage est stéréotypé. Et puis il vaut mieux déguster ce manga à petite dose pour éviter la nausée.

Le dessin de George Akiyama est ultra vintage. A tel point que j’ai longtemps cru que c’était un manga des années 70 avant de découvrir que la première publication des aventures de Jintarô datait de 1995. La gueule du prêteur sur gages, c’est quand même quelque chose ! Et puis les nombreuses scènes de sexe, sans être totalement explicites sont proches d’une forme de psychédélisme très étonnant.

De la série B trash et sans concession, assumée à 200% par l’auteur qui reconnaît que quand il créé son histoire, il ne réfléchit pas du tout, préférant dessiner comme il sent. Au final, je ne garderais pas un souvenir impérissable de ce titre même si je reconnais qu’il pourra séduire les amateurs de seinen atypiques. Une belle initiative en tout cas des éditions du Lézard noir que de faire découvrir en France un manga si particulier même si, chez cet éditeur, je préfère largement le sulfureux Vagabond de Tokyo.


Jintarô, le caïd de Shinjuku de George Akiyama. Le Lézard Noir, 2011. 184 pages. 18 euros.


Akiyama © Le Lézard Noir 2011




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samedi 17 mars 2012

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock

Pollock © Albin Michel 2012
Dans l’Amérique des années 50-60, il ne fait pas bon vivre au fin fond de l’Ohio ou de la Virginie Occidentale. On y rencontre en effet de drôles de loustics. Il y a d’abord Willard Russell, vétéran de la guerre du pacifique travaillant dans un abattoir. Lorsque sa femme contracte un cancer incurable, il se met à sacrifier des animaux dans le jardin devant son fils Arvin. Mais il y a aussi Henry Dulap, avocat véreux et sa femme nymphomane, le prédicateur Roy Laferty et son cousin invalide Theodore, le shérif alcoolique Lee Bodecker ou encore le pasteur Teagardin dont l’un des passe temps favoris consiste à engrosser les jeunes filles de sa congrégation. Surtout, il y a Carl et Sandy. Ces deux là profitent de leurs vacances pour piéger les auto-stoppeurs ayant le malheur de monter dans leur voiture. Les trajectoires de ses personnages vénéneux ne vont cesser de se mélanger dans un maelstrom ravageur.
  
Encore un premier roman américain d’une grande puissance. Une belle leçon pour nos auteurs français qui se contentent le plus souvent de barboter dans l’autofiction sans saveur. Donald Ray Pollock ne s’interdit aucun excès. Rarement un texte aura aussi bien porté son titre. Le diable est en effet  présent dans ou autour de chacun de ces êtres en perdition. Il y a bien ici où là quelques âmes pures, mais aucune ne résistera aux damnés et aux prédateurs qui jetteront sur elles leur dévolu.

La prose est affutée comme un rasoir et l’auteur déploie un incroyable talent pour lier les histoires et les destins. Le lecteur se laisse mener par le bout du nez et voit les pièces du puzzle s’assembler avec limpidité. Imparable ! Un texte violent, sans concession, aussi glaçant que fascinant. Après Le sillage de l’oubli et avant Clandestin, ce nouveau détour du coté des romans américains me conforte dans l’idée qu'en 2012 cette littérature restera encore, et de loin, ma préférée. Un dernier mot tout de même sur la jaquette de couverture qui est juste abominable et ne rend pas du tout hommage, c'est peu de le dire, au talent de l'auteur.

Le Diable, tout le temps, de Donald Ray Pollock, Albin Michel, 2012. 370 pages. 22 euros.

PS : on me souffle à l'oreille que cette couverture est un clin d'oeil à Jackson Pollock, le peintre américain fer de lance de l’Action painting. Ok, je veux bien, mais alors c'est du sous-sous Pollock !

L'avis d'Athalie

L'avis de Nathalie