mardi 3 décembre 2019

Le goût du baiser - Camille Emmanuelle

Noukette et moi avons déjà combiné une pépite jeunesse au Premier mardi c’est permis de Stephie avec le documentaire Sexe sans complexe. Nous réitérons l’expérience aujourd’hui avec ce roman déconseillé aux moins de quinze ans contenant des « scènes explicites pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes ».

Des scènes explicites, il y en a en effet quelques-unes, mais leur présence ne doit rien à une volonté délibérée de faire du croustillant pour du croustillant. Car le projet de Camille Emmanuelle est bien plus ambitieux que cela. A travers le personnage d’Aurore, elle aborde quelques étapes incontournables de l’entrée dans la vie sexuelle d’une jeune fille. Sans enjoliver les choses mais sans dramatiser à l’excès non plus. L’équilibre n’était pas simple à trouver et le challenge a été relevé de main de maître. 

La qualité de l’écriture n’est pas le point fort de ce roman mais l’essentiel est ailleurs. Suite à un accident, Aurore a perdu le goût et l’odorat. Privée de ses deux sens, son quotidien devient particulièrement handicapant, tant à la maison qu’au lycée. L’absence de ressenti influe grandement sur ses relations aux autres mais aussi et surtout sur son rapport à son propre corps.

L’angle d’attaque est original et se révèle percutant. Aurore se pose de nombreuses questions. Sans expérience, sans repères mais également sans fausse naïveté, elle constate que les garçons peuvent être maladroits, autocentrés ou au contraire particulièrement attentifs à leur partenaire. Elle tâtonne, lestée du fardeau que constitue la perte de ses sens et chaque expérience, bonne ou mauvaise, la renforce malgré son évident manque de confiance en elle.

Il en faut du culot pour mettre en scène une héroïne de roman jeunesse qui se masturbe et ne s’en cache pas, pour la placer dans une situation humiliante sans tomber dans le glauque et pour faire dire à sa meilleure amie que « le cunni, c’est la vie » (en même temps, elle a tellement raison !). Les discussions entre lycéennes ne s’embarrassent pas de fioritures et sont d’un naturel vivifiant (on appelle une bite une bite et une chatte une chatte, point barre). Les culs serrés peuvent s’offusquer, les échanges sont simplement réalistes, crus mais jamais gratuitement vulgaires. Il en est de même pour les scènes « explicites ». Personnellement je valide le choix de descriptions bien plus directes que suggestives, même si là encore, cet aspect du roman pourra faire grincer quelques dents.

Au final, Camille Emmanuelle aborde des sujets fondamentaux dans une vie d’ado. Le regard sur soi et sur les autres, le désir ou son absence, le balbutiement de la sexualité, ces étapes « fondatrices » de la vie sexuelle à démystifier, mais aussi le rapport aux corps des jeunes filles, le leur et celui de leur partenaire, sans oublier la confiance que l’on accorde (ou pas) à ce même partenaire et à quel point cette confiance participe grandement au lâcher prise permettant d’accéder au plaisir.

Ambitieux me direz-vous. Certes mais le résultat est à la hauteur des ambitions, c’est suffisamment rare pour être souligné.

Le goût du baiser de Camille Emmanuelle. Editions Thierry Magnier, 2019. 220 pages. 14,90 euros. A partir de 15 ans.



La pépite partagée avec Noukette





Le premier mardi de Stephie









mercredi 27 novembre 2019

Le reste du monde T4 : Les enfers - Jean-Christophe Chauzy

Trois ans ont passé depuis le tremblement de terre qui a ravagé une bonne partie de l’Europe. Dans le sud de la France, Marie, enceinte, est séquestrée par un gourou frappadingue (doux euphémisme) tandis que ses deux fils ont trouvé refuge dans une communauté d’ados se serrant les coudes pour échapper au chaos ambiant. Leur père, quant à lui, erre comme une âme en peine dans des paysages désolés. Frappé par un étrange mal qui se répand comme une traînée de poudre chez les survivants, ses jours semblent comptés.

Triste constat à l’ouverture de ce quatrième tome : les choses vont de mal en pis. Jean-Christophe Chauzy ne cesse d’amplifier le nihilisme qui caractérise la série depuis le départ avec une volonté farouche de prouver que, devant une situation extrême, l’homme retourne à la sauvagerie primaire et n’a plus la moindre considération pour son prochain. L’aspect tragique de la situation ne fait qu’augmenter à chaque page, aucun personnage n’étant en mesure d’agir par choix et de prendre le contrôle de son destin. C’est sombre, violent, désespéré, porté par une voix off aux accents apocalyptiques terrifiants. N’en déplaise aux collapsologues s’imaginant vivre paisiblement en reclus autosuffisants, un effondrement tel que celui présenté ici, s’il devait avoir lieu, engendrerait bien plus de torrents de larmes que de longs fleuves tranquilles.

Niveau dessin, les vestiges en ruine et les paysages lunaires des Pyrénées sont toujours aussi impressionnants. Les illustrations pleine page et les nombreux panoramiques offrent aux décors une profondeur et une densité qui renforcent la petitesse de l’homme face à la nature.

Clairement pas la série la plus fun et la plus réjouissante de la BD actuelle mais pour les amateurs de récits post-apocalyptiques, ce reste du monde est un incontournable. Seul gros bémol (et petit coup de gueule en passant), la conclusion est tellement ouverte que l’on a du mal à croire le bandeau de couverture annonçant « Le grand final de la saga événement ». Quand on sait que Jean-Chritophe Chauzy travaille déjà à un second cycle, il est facile de comprendre que l’éditeur joue clairement sur les mots pour attirer le lecteur en annonçant une fin qui n’en est pas une. Et pour le coup cet argument commercial laisse en bouche comme un arrière-goût de tromperie sur la marchandise…

Le reste du monde T4 : Les enfers de Jean-Christophe Chauzy. Casterman, 2019. 124 pages. 18,00 euros.

Mon avis sur les tomes 1, 2 et 3






















mardi 26 novembre 2019

Le couscous de Noël - Élisabeth Benoit-Morelli

« Mais pourquoi je n’ai pas une vie comme celle des copains ? Deux parents, un frère ou une sœur, un chien, des week-ends à la mer, des balades dans les collines et des visites en famille chez les grands-parents… Ce serait beaucoup plus simple. Ou pas. Les parents, ça divorce. Les petites sœurs, ça casse tout. Les chiens, ça meurt. »

Jules vit à Marseille. Il n’a jamais connu son père et a été élevé par sa mère. Le mardi soir, il va manger et dormir chez son grand-père, amateur de pêche et cordon-bleu. Le jeune garçon apprécie la présence de son papi mais aussi celle du meilleur ami de ce dernier, Mohamed. Il aime leurs complicités, leurs prises de bec et leurs conversations à bâtons rompus. Jusqu’au jour où, après les avoir entendus comploter en pleine nuit, Jules comprend qu’on lui cache un gros secret.

Le secret de famille, ce grand classique ! Il est ici décliné à la sauce marseillaise, métissé, surprenant et à la conclusion festive. Jules ne sait rien de ses origines paternelles. La question ne l’obsède pas, il ne ressent pas le moindre manque, sa mère et son grand-père lui suffisent. A partir de ce postulat de départ, Élisabeth Benoit-Morelli mêle la petite et la grande histoire. Une photo trouvée dans un album, des adultes qui préfèrent glisser sous le tapis un passé à oublier et des enfants menant l’enquête sans trop savoir comment s’y prendre, il n’en fallait pas plus pour tricoter une intrigue pleine d’empathie et d’ondes positives malgré un semblant de tension. C’est frais, sans chichi, bien mené et pas aussi simple que les apparences ne le laissent penser.

Un chouette premier roman jeunesse, chaleureux comme un couscous de Noël dégusté sur la canebière ! 

Le couscous de Noël d’Élisabeth Benoit-Morelli. Magnard jeunesse, 2019. 115 pages. 10,90 euros. A partir de 9 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette !








mardi 19 novembre 2019

Va te changer - Cathy Ytak, Thomas Scotto et Gilles Abier

« Ils voudraient oser et ils osent pas. Ils voudraient être eux-mêmes, mais se conforment au groupe, et ça les rend cons et méchants. »

Robin a décidé d’aller au lycée en portant la jupe qu’il s’est achetée pendant un séjour à Londres. Pas par provocation, ni parce qu’il voudrait être une fille, ni parce qu’il est homo, ni parce qu’il voulait se déguiser ou s’exhiber, simplement parce que cette jupe, il la trouve classe, stylée, et qu’elle lui va à merveille. Pour les autres élèves, c’est le choc. Même sa petite copine Jade tombe des nues. Mais elle au moins ne le juge pas. Car après la surprise et les réactions d’admiration devant une telle audace, le ton change. Moqueries, insultes, réflexions lourdingues, la tension ne cesse de monter au fil de la journée, jusqu’à l’inévitable conclusion…

Un petit texte qui montre à quel point il est impossible de vivre sa vie comme on l’entend dès que l’on envisage les choses un tant soit peu en dehors des normes. Robin n’a rien d’un excentrique, il ne cherche pas à se faire remarquer, il veut juste être libre de s’afficher au lycée comme bon lui semble, dans une tenue où il se sent bien. Son pas de côté vestimentaire ne laisse pas insensible et provoque chez certains une réaction épidermique ne reposant sur aucun argument solide. Cet aspect irrationnel du surgissement d’une forme de brutalité, tant verbale que physique, est exposé avec une implacable justesse. 

Cathy Ytak, Thomas Scotto et Gilles Abier dénoncent sans clichés et évidemment sans gros sabots la bêtise crasse des esprits trop étroits et le dévastateur effet de meute entraînant certains dans une incontrôlable spirale de violence. Nul besoin d’en rajouter, le message est d’autant plus fort qu’il évite toute caricature inutile. Un texte fort, engagé, idéal pour une lecture théâtralisée à partager avec un maximum d’élèves tant il souligne l’importance fondamentale du droit au respect et à la différence.

Va te changer de Cathy Ytak, Thomas Scotto et Gilles Abier. Editions du Pourquoi pas ?, 2019. 60 pages. 9,00 euros. A partir de 12 ans.





Lecture en duo avec Noukette













mercredi 13 novembre 2019

Royal City T3 : On flotte tous en bas - Jeff Lemire

A Royal City les choses ne s’arrangent pas pour la famille Pike. Pendant que le père sort tout juste du coma après sa crise cardiaque, la mère le trompe avec un ancien camarade de lycée. La fille, Tara, entame une procédure de divorce et voit son gros projet immobilier battre de l’aile tandis que Richie, son cadet, doit effacer une dette au plus vite s’il ne veut pas finir avec les genoux fracassés à la batte de baseball et que Patrick, l’aîné, n’arrive pas à écrire la moindre ligne alors que son éditeur lui met la pression pour récupérer le manuscrit de son troisième roman. Tous continuent de vivre avec à leurs côtés le fantôme de Tommy, le petit dernier décédé vingt ans plus tôt, en pleine adolescence. Un fantôme que chacun façonne selon sa propre vision et auquel chacun confie ses secrets les plus inavouables.

Conclusion d’un triptyque à la mélancolie déchirante, cet album creuse jusqu’à la racine les dysfonctionnements de cette famille frappée par un drame dont personne n’a pu se relever. Récit choral traversé par la voix de Tommy, Royal City est un modèle de drame psychologique ne tombant jamais dans la mièvrerie ou d’artificiels torrents de larmes. Tommy accompagne les siens, il les pousse dans leurs derniers retranchements, les place face à leurs responsabilités, leurs égarements, leurs compromis devenus trop lourds à porter. Ce faisant, il les amène à déchirer le voile de faux semblants barrant depuis trop longtemps leur chemin pour les ramener vers un indispensable lâcher prise et une salvatrice résilience.

Jeff Lemire excelle dans ce registre intimiste tout en retenu, décrivant à merveille la banalité et l’horizon bouché d’une petite ville industrielle sans relief. Après Essex County, Jack Joseph, Sweet Tooth et Winter Road, ce génial touche à tout confirme sa place parmi les grands noms de la BD américaine actuelle.

Royal City T3 : On flotte tous en bas de Jeff Lemire. Urban Comics, 2019. 120 pages. 14,50 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie













mardi 12 novembre 2019

Je les entends nous suivre - Florence Cadier

Il y a eu la fuite éperdue, les poursuivants à leurs trousses. Il y a eu les insultes, les « salopes », les « pédales ». Puis il y a eu le moment où ils les ont rattrapés et leur sont tombés dessus. Ensuite est venue la douleur, le goût du sang, la perte de connaissance. Et ce déferlement de haine qui a marqué bien plus que la chair, ce déferlement de haine dont, psychologiquement, il ne parvient pas à se relever.

Un an plus tôt les choses étaient bien différentes. Léo pensait séduire Léonore en organisant une fête chez lui pour ses 15 ans. Mais ce soir-là, après avoir embrassé la jeune fille, il est tombé sous le charme de Robin. Le début d’une belle histoire et le début des ennuis. Car Léo a d’emblée eu du mal à afficher cet amour en public, mal à l’aise dès que son petit ami se montrait trop démonstratif, préférant taire cette relation à son entourage de peur des réactions, pensant que pour vivre heureux il valait mieux vivre caché.

Surprenant de voir à quel point ce roman parvient à aborder autant de thèmes sans donner l’impression de les survoler. Au-delà de l’homophobie, de la difficulté à assumer, à affronter le regard des autres et à se confier, le cœur du récit repose sur les questionnements existentiels de Léo, son impossibilité à déterminer clairement une orientation sexuelle, son traumatisme après l’agression, son difficile chemin vers une résilience dont on ne connaîtra pas l’issue, sans oublier la certitude que son aventure avec Robin l’aura à jamais transformé : « Aujourd’hui, je comprends. Aujourd’hui, je suis un autre – un garçon amoureux. »

La fin est du coup assez inattendue mais se révèle d’une grande finesse, hyper réaliste et intelligemment menée. Rencontre, coup de foudre, questionnement, euphorie, douleur, séparation, Florence Cadier ne raconte pas spécifiquement une histoire d’amour homosexuelle, elle raconte la relation amoureuse dans sa dimension universelle et à quel point ce sentiment ressenti pour la première fois bouleverse avec une intensité que l’on ne pouvait soupçonner avant d’en faire l’expérience.  Troublant et particulièrement percutant.

Je les entends nous suivre de Florence Cadier. Le Muscadier, 2019. 90 pages. 9,50 euros. A partir de 13 ans.


















mardi 29 octobre 2019

Les ombres de Nasla - Cécile Roumiguière et Simone Rea

Ce soir, Nasla ne trouve pas le sommeil. Elle fixe un point jaune qui ressemble à un œil au-dessus de l’armoire de sa chambre. Nasla se demande qui la regarde. Peut-être la tortue en peluche perchée tout là-haut ? Peut-être l’éléphant Timboubou, dont la trompe semble bouger ? Lui aussi fait partie des jouets entassés sur l’armoire. Et si ce n’était pas l’éléphant mais plutôt un fantôme qui bougeait, et si l’œil jaune grossissait jusqu’à l’avaler ? Et qui entend-elle respirer dans sa chambre ?

Nasla voudrait chanter, Nasla voudrait parler, Nasla voudrait sortir de son lit, jouer pour s’occuper et ne plus être effrayée. Mais la nuit, on doit dormir, et pour dormir, Nasla a heureusement un indispensable allié sous son oreiller.

Ah, ce difficile moment où l'on n'est plus un bébé mais que l'on n'est pas encore tout à fait un grand ! C'est avec une tendresse touchante que Cécile Roumiguière aborde ce passage si particulier de la petite enfance à l'enfance tout court. Il se dégage de chaque phrase une douceur et une poésie qui jouent davantage sur la complexité des émotions que sur la simple peur enfantine. Les illustrations sont magnifiques, épurées et intenses, portées le plus souvent par des fonds noirs profonds qui subliment les autres couleurs et offrent un écrin parfait au texte.



Un superbe album, soulignant à la fois la difficulté de grandir et la puissance de l’imaginaire. 


Les ombres de Nasla de Cécile Roumiguière et Simone Rea. Seuil jeunesse, 2019. 32 pages. 13,50 euros. Dès 5 ans.










vendredi 25 octobre 2019

Un sandwich à Ginza - Yôko Hiramatsu

« Le goût, c’est subjectif, mais quand vous vous efforcez de ne faire qu’un avec ce qui vous entoure, il vous relie au pouls de la ville, au cœur de la cité. »

Yôko Hiramatsu est reporter culinaire. Dans ce recueil de chroniques, elle parcourt le Japon et se régale de ses richesses gastronomiques. Cuisine de saison, cuisine bouddhique, cuisine populaire, cuisine chinoise, dégustation de bières accompagnées de raviolis croustillants au printemps ou d’anguilles en été, les chapitres thématiques abordent tous un sujet bien précis. Gargote ou restaurant de prestige, établissements centenaires ou à la mode, la curiosité et la recherche de la qualité sont les moteurs de ses choix et de ses envies. 

Sociologue de formation, Yôko Hiramatsu  ne donne pas dans l’analyse pointue des plats. Son regard se porte davantage sur l’histoire des lieux, des personnages qui les font vivre et de l’ambiance qui y règne. Point de critique gastronomique donc mais plutôt un ressenti, l’expression du plaisir simple de manger, seule ou accompagnée. Elle insiste sur l’importance de prendre son temps et de faire de chaque repas un moment de joie : « la précipitation vous fait passer à côté de ces petits bonheurs. […] Il faut se laisser porter et savourer. »

J’ai adoré découvrir la diversité de la cuisine japonaise au fil de ses chroniques. Sa démarche est avant tout épicurienne, son enthousiasme ne tombe jamais dans l’exagération, rien ne semble jamais surjoué. Manger est une fête, connaître les bons produits et les lieux où la qualité prime sur toute autre considération évite forcément les désillusions. Après, tout ne m’a pas mis l’eau à la bouche. Le chapitre sur les sandwichs est particulièrement appétissant, tout comme celui consacré aux pot-au-feu typiquement japonais mais la soupe de baleine, les cocons de vers à soie frits et le ragoût d’ours, très peu pour moi.

Proposer à Jirô Taniguchi de faire quelques illustrations semblait couler de source tant, entre son Gourmet solitaire et la sociologue hédoniste, les connexions quasi philosophiques sont nombreuses. Les dessins du regretté mangaka sont distillés avec parcimonie mais ils complètent le texte à merveille.

Un voyage culinaire dépaysant, qui permet de découvrir à la fois la richesse d’une cuisine dont le patrimoine ne cesse d’être entretenu par des chefs passionnés et le rapport assez particulier (et fascinant) des japonais à la nourriture. 

Un sandwich à Ginza de Yôko Hiramatsu (illustré par Jirô Taniguchi). Editions Picquier, 2019. 250 pages. 20,00 euros.





mercredi 23 octobre 2019

West legends T1 : Wyatt Earp's last hunt - Olivier Peru et Giovanni Lorusso

Une bonne idée cette nouvelle collection consacrée aux légendes de l’Ouest. Et c’est sans conteste un bon choix de la démarrer avec le mythique Wyatt Earp. Une figure incontournable, connue essentiellement pour le règlement de compte du ranch d’OK Corral et la vendetta qu’il mena suite à ce règlement de compte. Chasseur de primes et de bisons, mineur et joueur de poker, son nom reste associé aux plus grandes heures du Far West.
Cet album présente Wyatt Earp au crépuscule de sa carrière. Arrivant à San Francisco à l’hiver 1890, le cow-boy se rend chez son vieil ami Lucky Cullen, qui l’a invité afin de lui confier une grosse affaire. Reçu par la femme de Cullen, cette dernière lui apprend que son mari vient d’être sauvagement assassiné dans d’étranges circonstances. Déterminé à démasquer le meurtrier, Earp se lance dans une enquête dont il ne mesure pas la réelle dangerosité.

Un western urbain loin des images d’Épinal du genre. Dans une ville moderne en plein développement, le vieux cow-boy ne se sent pas à sa place. Peu à l’aise dans un décor aussi densément peuplé, il ne cesse de regretter les journées à cheval dans les vastes étendues de l’ouest sauvage et les nuits à la belle étoile. Mais pour venger son ami, il doit se frotter à une bourgeoisie locale cachant bien son jeu qui, sous couvert de respecter son passé légendaire, le considère comme un plouc.

L’enquête en elle-même est plutôt classique, avec ce qu’il faut d’action, de suspens et de rebondissements pour tenir le lecteur en haleine. Le dessin réaliste est lui aussi classique et la vie nocturne de San Francisco avec ses ruelles sombres et ses bars louches est parfaitement rendue. Rien de révolutionnaire au final mais du travail bien fait, avec des dialogues peut-être un poil bavards par moment mais une intrigue menée à bon port avec une belle maîtrise. Encore un excellent western en BD, décidément le genre ne cesse de se renouveler et c’est tant mieux.

Le prochain tome de la collection sera consacré au non moins légendaire Billy the Kid. Il va de soi que je serai au rendez-vous au moment de sa sortie prévue en mars prochain.

West legends T1 : Wyatt Earp's last hunt d’Olivier Peru et Giovanni Lorusso. Soleil, 2019. 64 pages. 15,50.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie !











mardi 22 octobre 2019

Mon père des montagnes - Madeline Roth

Une semaine !  Une semaine à passer dans un chalet paumé en pleine montagne, sans eau, sans électricité et bien sûr sans réseau. Cerise sur le gâteau, Lucas va se retrouver avec son père comme seule compagnie, un père taiseux avec lequel les échanges sont réduits au strict minimum. Un programme tout sauf réjouissant concocté par sa mère, sans doute pour tenter de les rapprocher. Mais comment nouer des liens quand on ne sait pas exprimer ses sentiments ? Comment fendre l’armure de son ours de père alors qu'il passe ses journées seul dans son coin ? Et surtout, surtout, comment tenir une semaine entière dans ces conditions ?

Qu’il est beau ce petit roman, mais qu’il est beau ! Il ne s’y passe pas grand-chose, le temps s’écoule lentement, le père et le fils semblent vivre dans deux mondes parallèles. Chacun est incapable de faire le premier pas. Lucas ne comprend pas son paternel. Son mode de vie, la monotonie d’un quotidien plan-plan, le travail pourri à l’usine. « Je ne savais pas ce que ça allait être, ma vie. Mais je voulais pas de la sienne. Ça me rendait tellement en colère, je crois, que mon père ne soit pas un héros ». Et puis il y a son indifférence qui saute aux yeux. Jamais il ne s’intéresse à ce que fait son fils, jamais il ne le questionne sur les cours, les amis, les loisirs. Lucas a l’impression qu’au fil du temps un mur s’est dressé entre eux, un mur incontournable et impossible à abattre.

Le face à face est davantage dans l’évitement que dans l’affrontement, sans violence ni tension. C’est l’incompréhension et la tristesse qui dominent, l’impression de ne pas savoir s’y prendre. La force de Madeline Roth est de dévoiler par petites touches les premières fissures dans le mur, de laisser entrer un filet de lumière sous la porte du chalet d’alpage, de réduire la distance. Au coin du feu les langues se délient un peu, le silence perd en épaisseur, les rapports se réchauffent en douceur.

C’est beau parce que c’est fragile et tout en retenue. Entre père et fils, le fil se renoue avec finesse et simplicité. Pas de grand discours ni de démonstration affective, tout se joue avec une sensibilité qui touche en plein cœur. Une incontestable pépite !

Mon père des montagnes de Madeline Roth. Rouergue, 2019. 75 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.




Une pépite comme d'habitude partagée avec Noukette