mercredi 2 octobre 2019

L’Orme du Caucase - Jirô Taniguchi (d’après l’œuvre de Ryûichirô Utsumi)

Un couple de retraités achète une maison. Dans le jardin, un orme du Caucase majestueux s’élance vers le ciel. Quelques jours après leur emménagement des voisins leur rendent visite pour se plaindre de la présence de l’arbre, de ses feuilles qui tombent et bouchent leurs gouttières. Le couple s’excuse et promet de l’abattre. Mais le jour où le bûcheron arrive pour le couper, le mari ne peut se résoudre à le laisser passer à l’acte. Ainsi s’ouvre ce superbe recueil de nouvelles adaptées par Taniguchi de l’œuvre de Ryûichirô Utsumi.

Dans les autres histoires, une petite fille confiée à ses grands-parents par sa mère semble terrorisée à l’idée de monter sur les manèges d’un parc d’attraction, un père n’ayant pas vu sa fille depuis plus de vingt ans découvre qu’elle est devenue une artiste reconnue et que ses œuvres sont exposées dans la ville où il se trouve pour un rendez-vous professionnel, un frère rend visite à son aîné parce qu’il s’inquiète de le savoir vivre seul dans un hôtel bon marché, une sœur s’apprête à revoir son cadet dont elle a été séparé au moment du divorce de ses parents, une vieille dame fait une jolie rencontre dans un parc et deux frères ayant dû abandonner leur chien suite à un déménagement vont traverser une forêt pour tenter de le retrouver.

Des hommes, des femmes, des enfants à un moment charnière. Ils ont une décision à prendre, une situation difficile à affronter, un passé douloureux à se remémorer. Tout se joue en retenu et en discrétion, dans les regards, les silences, les attitudes. On ne s’épanche pas, on ne se livre pas, on n’étale pas ses sentiments. L’émotion ne peut qu’être contenue et il se dégage de chaque histoire une beauté douce et déchirante qui vous touche en plein cœur avec une simplicité dénuée de tout effet de manche inutile. Taniguchi n’était jamais aussi à l’aise que dans ce genre d’intimité pudique, dans l’expression d’un réalisme du quotidien aussi banal qu’émouvant. Assurément l’un de ses meilleurs recueils.

L’Orme du Caucase de Jirô Taniguchi (d’après l’œuvre de Ryûichirô Utsumi). Traduit du japonais par Marie-Françoise Monthiers et Frédéric Boilet. Casterman, 2019. 220 pages. 18,95 euros. 

Les avis de Moka et Hélène





















mardi 1 octobre 2019

J’ai tué un homme - Charlotte Erlih

Arthur vient d’être hospitalisé en psychiatrie. Souffrant d’une bouffée délirante, il se prend pour Germaine Berton, une anarchiste coupable d’un meurtre politique en 1923. Comment en est-il arrivé là ? Pourquoi Germaine Berton ? Les questions restent en suspens tandis que ses proches essaient de comprendre. Collégien en 3ème dans un lycée huppé de Paris, enfant solitaire, renfermé, sans amis, passionné par l’histoire et la lecture, Arthur a-t-il succombé à une pression scolaire trop forte, à une situation familiale trop complexe où à un mal bien plus profond ?

Un roman choral glaçant où chacun tente de percer le mystère entourant la terrible crise d’Arthur. Tandis que le discours de ce dernier montre à quel point il s’identifie à l’anarchiste, ses parents, ses professeurs, les soignants et ses camarades de classe livrent leurs interrogations, leur rapport au malade et leur difficulté à trouver une explication « concrète ». La mère est bouleversante, le père largué, la prof d’histoire culpabilise, les élèves sont d’abord odieux puis davantage compréhensifs pendant que le personnel hospitalier au bout du rouleau fait face, comme d’habitude.

Chaque voix est d’une justesse saisissante, chaque point de vue possède sa propre sensibilité. Charlotte Erlih orchestre avec maestria les prises de parole successives, insufflant à chaque témoignage une singularité évitant les redondances. Seul point véritablement commun, tout le monde semble démuni. Démuni parce qu’au cœur du maelstrom s’emparant de chacun, il y a Arthur. Insaisissable Arthur qui s’est abandonné à une autre identité, une autre vie. Comme dans Coupée en deux et High Line, on sort de ce court roman groggy, bousculé par un sujet fort, un rythme implacable et une écriture qui ne prend pas de gant pour dire l’adolescence et ses tourments, le rapport aux autres et à un avenir difficile à imaginer. Douloureusement percutant.

J’ai tué un homme de Charlotte Erlih. Actes Sud junior, 2019. 124 pages. 13,90 euros. A partir de 14 ans.













mardi 17 septembre 2019

Sans un mot - Romuald Giulivo

Six heures. Six heures dans la vie de Dinah, 15 ans. Du moment où elle enlève le petit Mihran devant son école jusqu’au moment où…

Dinah ne supporte pas le sort des migrants. Elle ne supporte pas de voir des policiers aller chercher des enfants en situation irrégulière dans leur classe pour les renvoyer « chez eux ». Enlever Mihran est le seul moyen de le soustraire au triste sort qui l’attend. Parvenue à ses fins, la jeune fille s’enfuit, d’abord dans le métro. Main dans la main avec le petit garçon, elle erre ensuite dans un centre commercial avant de rentrer chez elle. Ses parents sont en voyage, son grand-père va l’attendre pour manger. Mais peu importe. Dans la tête de Dinah tout se bouscule. Se cacher, passer pour une grande sœur avec son petit frère. Et ne pas penser à la suite, ne pas penser à ce qui les attend, elle et lui, après.

Il est bizarre ce petit roman. Très bizarre. On se demande ce qu’il se passe, on se demande dans quelle direction on nous emmène. Rapidement on comprend que l’enlèvement mis en œuvre par Dinah n’est pas aussi clair qu’elle voudrait nous le faire croire. Son comportement est étrange, son discours parfois confus, le portrait qu’elle dresse de ses parents est plutôt inquiétant et la réaction de son ex-petit ami lorsqu’il apprend son geste confirme qu’il y a chez elle un truc qui ne tourne pas rond.

Malgré tout rien n’est affirmé clairement, on navigue à vue, en plein brouillard. Plus qu’une tension montant crescendo c’est une sorte de malaise qui se diffuse au fil des pages, on ne sait plus si Dinah œuvre pour sauver un migrant ou si elle est une gamine paumée en mal de petit frère. Au final la surprenante conclusion remet les pièces du puzzle en place et conclut le récit sur une note positive qui n’a rien d’artificiel. Troublant et dérangeant comme j’aime !

Sans un mot de Romuald Giulivo. L’école des loisirs, 2019. 75 pages. 12,00 euros. A partir de 12-13 ans.


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dimanche 15 septembre 2019

Cafés, etc. - Didier Blonde

Didier Blonde « entre dans un café comme dans un roman ». Comme les romans, les cafés ont tous des points communs mais chacun est différent, chacun possède son propre décor, sa propre atmosphère, son propre rythme. Dans un café, Didier Blonde observe. Les serveurs, les clients, les conversations, les gestes, les silences. Les groupes d’amis, les solitaires, les habitués, les couples amoureux, ceux qui se séparent ou n’ont plus rien à se dire. Des vies qui « se mêlent, se heurtent ou s’ignorent ».

Dans ce petit opus d’une centaine de pages il a consigné des textes courts, des micro-nouvelles que l’on sent captées dans l’urgence, sur un coin de table. Il y parle aussi bien du confort des banquettes en moleskine que de la promiscuité du verre bu au comptoir, des journaux que l’on se partage aux toilettes qui en disent tant sur l’identité des lieux. Il se souvient aussi. Des cabines téléphoniques au fond de la salle, des objets qu’il a un jour oubliés dans un café, des écrivains qui les ont tant décrits ou qui y ont tant écrit (Simenon, Modiano, Breton, Verlaine, Sartre et Beauvoir, Nathalie Sarraute…). Beaucoup de références au cinéma, beaucoup d’anecdotes « historiques » également, le tout sans lyrisme malvenu, avec retenu et dans une forme de nostalgie pudique, sans tomber dans le discours du vieux con qui ne cesse de se lamenter au son du « c’était mieux avant ».

Une sorte d’exercice de style thématique qui m’a beaucoup plu. Il faut dire que j’ai une relation particulière aux cafés. Je les ai fréquentés dans ma plus tendre enfance, mon grand-père m’y trainait chaque dimanche quand il allait faire son tiercé. Je me rappelle des ballons de rouge posés sur le formica des tables, de la fumée dans toute la salle, des rires gras, des éclats de voix, des mains serrés et des claques dans le dos. Plus tard au lycée ce furent les flippers et le baby-foot, la mobylette garée sur le trottoir et les filles qui ne rechignaient jamais à nous accompagner pour boire une bière ou un monaco. Je n’oublie pas non plus que c’est dans un café que j’ai rencontré ma femme il y a 25 ans et que l’on ne s’est plus quittés depuis. Je les fréquente bien moins aujourd’hui mais ils restent attachés à des moments joyeux de mon existence.

Et puis, pour revenir au livre, depuis ma découverte de « Leïlah Mahi, 1932 » j’aime l’écriture de Didier Blonde, son style « modianesque » et l’atmosphère si particulière qu’il parvient à créer avec une élégance et une sobriété remarquables. J’ai donc été ravi de le retrouver ici, s’attardant sur un sujet me tenant particulièrement à cœur.

Cafés, etc. de Didier Blonde. Mercure de France, 2019. 126 pages. 13,00 euros.





mercredi 11 septembre 2019

Au coin d’une ride - Thibaut Lambert

Éric amène Georges à la maison de retraite. Souffrant d’Alzheimer, ce dernier est devenu trop difficile à gérer au quotidien. Éric et Georges sont en couple mais afin de ne pas choquer les résidents, le directeur de l'établissement demande à Éric de ne pas ébruiter leur situation. La différence d’âge entre les deux hommes aidant, tout le monde pense que c’est son père qu’il vient régulièrement visiter. Pour Georges, la froideur d’Éric est un crève-cœur. Ne sachant pas que son compagnon est distant parce qu’on lui a demandé de l’être, il se sent abandonné et sombre peu à peu dans la dépression.

Rien de bien réjouissant dans ce résumé, je vous l’accorde. Mais l’angle d’attaque de Thibaut Lambert et sa façon de mener le récit n’ont rien de plombant, bien au contraire. Sans fausse légèreté ni effet de manche tire-larmes, il dit la douleur de la séparation à travers à la fois la difficulté à trouver sa place pour celui qui découvre un nouvel environnement et la tristesse de celui qui reste seul dans l’appartement où le couple a vécu ses plus beaux moments. Quelques flashbacks bienvenus apportent des éclaircissements sur les raisons qui ont contraint au placement tandis que les visites à la maison de retraite alternent entre tension et moments de complicité.

Les thèmes abordés (Alzheimer, homophobie, placement en institut spécialisé) sont lourds et pourtant l’histoire ne sombre jamais dans une pesante tristesse. En 46 pages, difficile de traiter un tel sujet en profondeur, mais en restant à la surface des choses l’auteur affiche une pudeur pleine de justesse qui ne masque pas les émotions. Les ellipses sont très parlantes et la force d’évocation des silences et des non-dits vaut bien plus que de longues analyses. Surtout, malgré l’avenir sombre qui s’annonce, la lumière et l’espoir demeurent.

Publié pour la première fois en 2014, je profite de cette réédition pour découvrir avec plaisir un album aux thématiques atypiques, touchant, sans esbroufe et d’une grande sensibilité.

Au coin d’une ride de Thibaut Lambert. Des ronds dans l’O, 2019. 46 pages. 14,00 euros.




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mardi 10 septembre 2019

Le journal de Gurty T6 : Mes bébés dinosaures - Bertrand Santini

Gurty revient pour la sixième fois et je ne m’en lasse toujours pas. Il y aurait de quoi pourtant. Le décor est le même (la Provence), les personnages gardent leurs (rares) qualités et leurs (nombreux) défauts et l’humour pipi-caca reste la marque de fabrique de la série. Pourquoi ça marche alors me direz-vous ? Parce que Gurty, ses amis, ses ennemis, ses aventures improbables, ses réflexions souvent pleines de bon sens, ses coups de sang et ses fous rires nous ouvrent une parenthèse enchantée. On y plonge en sachant d’avance ce qui nous attend, on y va tranquille, en confiance, comme quand on retrouve une bande de copains fidèles avec lesquels on sait qu’on va passer un bon moment. On sait aussi que ça ne va pas voler bien haut, qu’on risque davantage de se marrer en comparant un museau de rat sortant de la braguette d’un épouvantail à un zizi qui parle que de disserter sur l’importance de l’anthropologie structurale telle que la définit Lévi-Strauss, mais c'est ça qui est bon justement !

Et c’est pour ça qu’un nouveau Gurty nous attire irrésistiblement. Pour l’absence de prise de tête, la rigolade franchouillarde et le scénario un brin tordu. Cette fois-ci la petite chienne découvre par hasard des œufs de dinosaures. Des œufs que son instinct maternel lui intime de couver. Des œufs qui vont attiser bien des convoitises et provoquer une sacrée pagaille.

Pour ce qui est du casting, personne ne manque à l’appel. Gurty évidemment, sa meilleure amie Fleur, qui lâche trois gouttes de pipi dès qu’elle ment, l’affreux chat Tête de Fesses, le sournois et insaisissable écureuil sans oublier le hérisson Ftéphanie et son défaut de prononciation qui ferait la fortune d’un orthophoniste. Seul petit nouveau, un rat envahissant et sans gêne qui n’a pas sa langue dans sa poche.

Du classique donc. Simple, efficace. Poilant. Du Gurty quoi.

Le journal de Gurty T6 : Mes bébés dinosaures de Bertrand Santini. 160 pages. 10,90 euros. A partir de 8 ans.




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vendredi 6 septembre 2019

Le coffre - Jacky Schwartzmann et Lucian-Dragos Bogdan

Le cadavre d’une femme est retrouvé dans un coffre de toit, à Lyon. La femme est roumaine, récemment retraitée, et n’a aucun antécédent judiciaire. Le gendarme Gendron est à quelques mois de la retraite et il se serait bien passé de cette dernière affaire avant la quille. Pendant qu’il mène l’enquête en France, une équipe roumaine menée par le stagiaire Marian Douca se charge des investigations dans le pays natal de la victime. Entre crime crapuleux, trafic d’organes, réseau mafieux et magouille familiale, les pistes à suivre ne manquent pas. L’enquête s’oriente donc dans plusieurs directions qui, les unes après les autres, ne semblent mener nulle part. Et entre la gendarmerie française et la police roumaine, la collaboration ne coule pas de source…

Un plaisir simple ce roman à quatre mains franco-roumain. Chacun son personnage, chacun son chapitre, chacun son pays et une cohérence entre les différents éléments de l’enquête qui fait reposer l’ensemble sur de solides fondations sans jamais donner l’impression d’avoir improvisé une construction bancale. On reconnaît bien sûr au premier coup d’œil la gouaille d’un Jacky Schwartzmann qui s’amuse à donner aux coéquipiers de Gendron les noms et prénoms d’auteurs de polar (Ledun, Tixier, Pouy, Oppel, etc). Lucian-Dragos Bogdan n’a pas non plus sa langue dans sa poche. A travers les investigations menées par son jeune flic on découvre une Roumanie moderne aux diversités régionales très marquées.

Un duo qui fonctionne sans fausse note pour signer un polar qui ne révolutionnera pas le genre mais fera passer au lecteur curieux de le découvrir un moment agréable et sans prise de tête.

Le coffre de Jacky Schwartzmann et Lucian-Dragos Bogdan. La Fosse aux ours, 2019. 154 pages. 15,00 euros.







mercredi 4 septembre 2019

Les indes fourbes - Alain Ayroles et Juanjo Guarnido

Afficher au casting d’un album le dessinateur de Blacksad et le scénariste de De capes et de crocs engendre forcément chez tout amateur de BD qui se respecte la promesse d’un incroyable moment de lecture. Avec Les indes fourbes, les deux compères ont voulu écrire une suite au roman picaresque  El Buscon de Francisco de Quevedo. Un roman datant de 1626 mettant en scène le fantasque Don Pablos de Segovie,  « vagabond exemplaire et miroir des filous ». Après de nombreuses mésaventures sur ses terres natales, Pablos s’embarquait à la toute fin du roman dans un galion en route pour le Nouveau Monde. C’est à partir de ce moment qu’Ayroles et Guarnido ont choisi de prendre son destin en main.

Évidemment rien ne va se passer comme prévu pour le pauvre bougre en quête d’Eldorado. Je ne vais pas relater les péripéties de son voyage, ce serait gâcher les nombreuses surprises et les nombreux rebondissements propres à toute histoire picaresque digne de ce nom. L’intérêt du récit tient dans la personnalité du filou, un gueux suivant à la lettre le commandement que son père lui enseigna alors qu’il n’était qu’un enfant : « Tu ne travailleras point ». Pour survivre, Pablos enchaîna donc les vilenies. Opportuniste, traître, voleur, menteur, proxénète à ses heures, le garçon ne fut jamais avare de mauvais coups.

Le portrait de cette âme damnée prête à tous les excès pour s’extraire de sa condition et vivre dans l’opulence offre à Alain Ayroles un infini champ de possibles. Respectant à la lettre le ton précieux et baroque d’un roman du 17ème siècle, il s’en donne à cœur joie dans les nombreux récitatifs à la première personne où Pablos se raconte. Le texte est magnifié par les sublimes dessins de Juanjo Guarnido où s’expriment  son art du découpage et son sens du mouvement.

Un album classieux, extrêmement littéraire, délicieusement ambitieux et sublimement réalisé.

Les indes fourbes d’Alain Ayroles et Juanjo Guarnido. Delcourt, 2019. 160 pages. 34,90 euros.




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mardi 3 septembre 2019

Vorace - Guillaume Guéraud

Elle est là, la bête. Personne ne la voit mais elle rôde dans Paris. Ce sont les rats qui ont disparu en premier. Puis des chats, des chiens, des animaleries que l’on a retrouvées avec des cages vides, sans une seule porte ouverte, sans la moindre trace d’effraction. Quand la bête s’est attaquée à des nourrissons, le retentissement a été bien plus grand. Après les enfants, les adultes. D’abord un par un puis par groupes entiers. Un phénomène incompréhensible, incontrôlable, inarrêtable, invisible. Sauf pour Léo. Cet ado sans parents ayant fui son foyer de Perpignan fait la manche avec son chien sur une place parisienne. Et à plusieurs reprises, quand la bête a frappé, il était présent. Mieux encore, il l’a vue. Mais la police a du mal à prendre son témoignage au sérieux. Qui irait croire un mineur SDF défoncé par le shit qui vit dans un squat avec sa petite amie roumaine ?

Un drôle de roman, à la Guéraud. Les gens disparaissent, se volatilisent sous les yeux de nombreux témoins. Un gamin est le seul à voir ce qu’il se passe. Ce gamin est un pauvre gosse à la rue. Un pauvre gosse avec un chien, un pauvre amoureux fou. Voilà, débrouillez-vous avec ça. Les pièces du puzzle ont l’air impossible à assembler mais on s’en fiche. Guéraud a pris la main dès le départ, il va nous mener par le bout du nez, à son rythme. Et il sait y faire pour laisser monter la pression. La tension est palpable et, pour qui l’a déjà lu, aucun doute, le pire va arriver car le bonhomme n’est pas du genre à ménager ses personnages. On parcourt donc le roman la trouille au ventre, comme les parisiens terrorisés par la bête.

Après, j’avoue, la fin a fait retomber le soufflé. Disons que je n’ai pas tout compris, même si j’ai bien compris que c’était le but. Zéro explication, du moins rien de clair comme de l’eau de roche. Elle est nébuleuse en diable cette conclusion, ouverte à bien des interprétations. Evidemment c’est voulu mais c’est aussi un peu facile je trouve. Derrière la bête il y a une dénonciation des maux de notre société. Certes. Mais lesquels ? A chacun de choisir, de se faire sa propre idée. Pourquoi pas. N’empêche que je suis resté sur ma faim. Mais avant de rester sur ma faim je me suis comme d’habitude régalé de la prose nerveuse, engagée et sans langue de bois d’un auteur jeunesse qui ne s’embarrasse pas d’artifices inutiles pour s’adresser à ses lecteurs. Au final l’impression reste largement positive malgré un épilogue pas forcément convaincant.

Vorace de Guillaume Guéraud. Le Rouergue, 2019. 158 pages. 12,50 euros. A partir de 13 ans.





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mercredi 28 août 2019

Callas, je suis Maria Callas - Vanna Vinci

Sophia Cecilia Anna Maria Callas. Née à New-York en 1923, décédée à Paris le 16 septembre 1977. Entre ces deux dates une vie bien remplie, faite de hauts et de bas, de moments de gloire et d’une descente aux enfers fatale. Maria Callas est grecque. Le nom de famille originel (Kalogeropoulus) a été simplifié par le père pour faciliter l’implantation de sa pharmacie en Amérique. Après un passage à Athènes pendant la guerre où elle prend ses premiers cours de chant, c’est en Italie que sa carrière balbutiante est lancée. Elle y rencontre un riche industriel qui a trente ans de plus qu’elle. Giovani Meneghini va devenir son mari et son manager. C’est avec lui qu’elle va peu à peu grimper les marches de la renommée pour devenir la plus grande chanteuse lyrique de tous les temps.

Une biographie qui retrace avec précision les épisodes les plus marquants de la vie de la Callas, ses débuts difficiles, ses succès, ses échecs, ses amours compliqués (avec le milliardaire Onasis notamment, qui l’abandonnera pour Jackie Kennedy), son tempérament de feu, son statut d’icône, de diva parfois incontrôlable, sa solitude malgré la lumière des projecteurs braqués sur elle en permanence.

L’album est dense mais sa construction est d’une grande lisibilité. Les références à la tragédie antique sont nombreuses et parfaitement raccords avec le destin de cette femme hors du commun. Le trait épais de Vanna Vinci donne vie et mouvement à la Callas, soulignant son évolution physique et vestimentaire au fil des ans. Les planches sont sans cases, le découpage privilégiant les gros plans sur les visages pour un maximum d’expressivité.

Une somme remarquable, extrêmement documentée, qui ne tourne jamais au panégyrique. Les nombreux témoignages extérieurs disséminés au fil des pages offrent un vaste point de vue sur la complexité d’une personnalité qui a fasciné toute une époque. Au final le portrait se veut aussi complet que sincère, la légende se révèle dans toute sa grâce et sa fragilité, jusqu’à sa terrible fin. Un roman graphique aussi touchant qu’instructif.

Callas, je suis Maria Callas de Vanna Vinci (traduit de l’italien par Simona Maccaroni. Marabulles, 2019. 176 pages. 17,95 euros. 




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