lundi 29 avril 2019

Open Bar - Fabcaro

D’entrée le ton est donné avec cet enfant se plaignant qu’il y a un bébé éléphant dans sa salade et la réponse que lui font ses parents : « Ah mais c’est rien ça, c’est parce qu’elle est bio, ça prouve qu’il n’y a aucun pesticide… Tu préfères un bébé éléphant dans ta salade ou un cancer des testicules ? ».

Tout Fabcaro dans cette première page. Humour noir, décalé, non-sens qui déclenche le fou rire, la recette fonctionne toujours. Les cibles sont multiples : médias, hommes politiques, écolos, bourgeois coincés, couples qui ne se regardent plus, patronat, syndicats, commerçants, services publics, personne n’y  échappe. Le quotidien est disséqué jusqu’à l’absurde, sans limite, pour refléter toute la bêtise de notre époque. Il suffit d’un quiproquo, d’un mot mal compris, d’une affirmation hors de propos et chaque situation, de prime abord banale, vire au grand n’importe quoi. Clairement, plus c’est gros et plus ça passe !

Aplat de gris déprimant, quasi absence de décor et visages inexpressifs, le parti pris graphique renforce le côté absurde. Le décalage entre la neutralité du dessin et le côté « délirant » du propos constitue un ressort humoristique redoutablement efficace. Malgré tout, et contrairement aux albums précédents, je me suis surpris à trouver certaines chutes faiblardes et certains gags un peu faciles.

Sans vouloir être trop sévère, disons plutôt que l’effet de surprise ne fonctionne plus. Pour ceux qui n’ont jamais lu l’auteur de Zaï zaï zaï zaï pas de souci, cet Open Bar constitue une entrée en matière qui donne le ton de l’ensemble de sa production. Par contre, si on est habitué à son univers, il se peut qu’une légère impression de déjà-vu se fasse sentir. Entendons-nous, ça reste excellent et Fabcaro est encore loin de tourner en rond mais disons qu’un léger renouvellement serait bienvenu.

Open Bar de Fabcaro. Delcourt, 2019. 54 pages. 13,50 euros.


Une lecture commune partagée avec Noukette.








mercredi 24 avril 2019

Catamount T3 : La justice des corbeaux - Benjamin Blasco-Martinez

Suite au plan machiavélique de Berton, un promoteur véreux voulant s’accaparer des terres pour y faire passer le chemin de fer, le jeune Catamount est accusé à tort du meurtre de ses parents adoptifs. Traqué par tous les chasseurs de prime du Nebraska, il semble s’être volatilisé dans la nature. Pad le trappeur et le colonel Stark retrouvent cependant sa trace en pleine forêt. Capturés par les indiens Crows, les deux hommes découvrent que Catamount a été recueilli par la tribu. Pour sauver les captifs d’une mort certaine, ce dernier « jure de rendre la justice aux crows ».

Benjamin Blasco-Martinez poursuit son adaptation des romans d’Albert Bonneau publiés dans les années 50. Il clôt avec ce troisième tome une trilogie puissante, portée par des dessins somptueux et une tension dramatique électrisante. Les grands espaces, la rudesse de l’hiver, les indiens, les fusillades, la vengeance, les affreux jojo et le héros au cœur pur, les ingrédients sentent à plein nez le déjà-vu mais leur association fonctionne à merveille.

Un western old school très cinématographique et redoutablement efficace qui revisite sans lourdeur toute la mythologie de l’Ouest sauvage. Certaines pages relèvent du tour de force graphique et offrent des tableaux d’une beauté saisissante. Il s’en dégage une atmosphère d’une dureté implacable qui m’a rappelé les meilleurs épisodes de la série Durango, qui reste pour moi la référence absolue en matière de western en BD. Sans conteste, pour les amateurs du genre, cette trilogie est d’ores et déjà à classer dans la catégorie des incontournables.

Catamount T3 : La justice des corbeaux de Benjamin Blasco-Martinez, d’après les romans d’Albert Bonneau. Petit à Petit, 2019. 62 pages. 14,90 euros.


Mon avis sur les tomes 1 et 2




Les BD de la semaine sont chez Noukette








lundi 22 avril 2019

Le discours - Fabrice Caro (Fabcaro)

Je savais que ça collerait entre et Adrien moi. On avait tant de points communs. Bon, on ne m’a pas (encore) brisé le cœur et je ne suis pas fumeur mais pour le reste, on était fait pour s’entendre. Même regard à la fois distant et analytique sur les choses qui nous entourent, même capacité d’autodérision, même état d’esprit désabusé, même estime  de soi au ras des pâquerettes, même difficulté à se sentir à sa place « en société », même difficulté à exprimer ses sentiments... Tu sais quoi Adrien ? Ton rapport aux autres, ton rapport au monde, ton attitude, tout chez toi m’a rappelé bien des facettes de ma personnalité.

En plus ma mère est comme ta sœur, elle adore offrir des cadeaux aussi inutiles qu’improbables. Comme ce rond de serviette en bois avec mon prénom gravé alors que chez moi on n’utilise jamais de serviette de table. Elle le sait pourtant, puisqu’à chaque fois qu’elle vient manger à la maison elle apporte sa propre serviette! Elle m’a fait le même coup avec ce bol breton, toujours à mon prénom, alors que depuis toujours je bois mon café dans un mug. Un mug maman, pas un bol, tu le sais pourtant ! A part ça tes réflexions et anecdotes sur le mariage (la cérémonie du moins), j’aurais pu les écrire. La chenille vorace qui englouti les invités les uns après les autres, le discours du témoin d’une pertinence discutable et le marié qui se lance dans une chanson sirupeuse pour déclarer sa flamme, ça me déprime totalement.

Et puis je vais te dire Adrien, ce repas de famille que tu nous racontes, je l’ai déjà vécu cent fois. Toujours le même cérémonial immuable, toujours les mêmes anecdotes, souvent le même menu, chacun à sa place, jamais de vagues, jamais de sujet qui fâche, restons dignes mais chiants, y a rien de tel. Comme tu le dis si bien, il faut apprendre à être perdant. Tu as compris qu’on n’avait rien à gagner et que les rêves de grandeur mènent forcément dans une impasse. Lucide et résigné, tout ce que j’aime.

Après, entendons-nous, ce n’est pas le roman du siècle non plus. J’ai adoré le ton, le personnage bien sûr, mais le récit est assez convenu et l’écriture n’a rien de transcendant. Pour autant je me suis régalé à passer quelques heures auprès d’Adrien. Je l’ai tellement compris ce pauvre diable, tellement aimé aussi. Rien que pour ça, ça valait largement la peine ! Et un grand merci au passage à la douce Noukette qui a eu la gentillesse de me l’offrir pour mon anniversaire.

Le discours de Fabrice Caro. Gallimard, 2018. 200 pages. 16,00 euros.





dimanche 14 avril 2019

La contrée - Ben Metcalf

Un premier roman incroyable, je n’ai pas d’autre mot. Comme un fleuve de mots en cru qui déborde de tous côtés, sans limite, incontrôlable. C’est fou, impressionnant, agaçant parfois, inutilement boursouflé souvent mais traversé de telles fulgurances qu’au final j’en suis resté sur le c…

450 pages d’un monologue ininterrompu, d’une diatribe sans fin à l’encontre du choix de vie imposé par ses parents au narrateur. Leur but ? Quitter la ville pour s’installer dans un trou à la campagne, entre la fin des années 70 et le début des années 80. Fuir le péché, revenir vers la terre nourricière, voir dans la vie campagnarde l’antidote à la déchéance urbaine. Le retour à la nature n’est qu’un vaste enfer pour l’enfant qu’il était alors. Les moustiques, les mouches, les guêpes, les serpents, les rats, les tiques, les camarades de classe qui le martyrisent dans le bus scolaire, les intempéries, la promiscuité dans une maison-taudis, tout est prétexte à la souffrance. Les corvées à effectuer sous un soleil de plomb et sous les coups de ceinture du père, la bêtise des rares autochtones, la misère sexuelle qui poussent à tous les abus ou les ravages de l’alcool, la liste des griefs est infinie.

La narration est à peu près aussi énervée que le narrateur. Phrases interminables, parenthèses enchâssées dans d’autres parenthèses, syntaxe malmenée, digressions faisant perdre le fil du propos de départ, rien n’est épargné au lecteur (et au passage impossible de ne pas souligner le formidable travail de traduction de Séverine Weiss). Mais au final le tour de force m’a ébloui. En fait j’ai l’impression de m’être attaqué à une montagne. J’ai trouvé ça pénible par moment, fatigant à d’autres, je m’y suis égaré souvent, ennuyé parfois, mais arrivé au sommet et en regardant l’ensemble avec le recul et la hauteur nécessaire, je n’ai pu que siffler d’admiration. Difficile en effet de ne pas être ébloui par la force de cet implacable réquisitoire qui, malgré les nombreux chemins de traverses qu’il emprunte, revient toujours et encore au sujet initial pour dénoncer avec force éructation cette image d’Épinal frelatée d’une Amérique ayant soit-disant construit sa grandeur sur les terres sacrées d’une nature bénie des Dieux. 

Un roman qui perdra plus d’un lecteur en route et en découragera bien d’autres, je n’en doute pas une seconde. J’ai moi-même eu du mal à aller au bout mais au final je ne regrette pas l’effort qu'il m’a demandé (et franchement le mot « effort » n’est pas exagéré) parce que je suis convaincu d’avoir découvert un texte rare, d’une liberté formelle totale, et un auteur qui signe un premier roman d’une inventivité folle et d’une excentricité absolue. De la littérature américaine exigeante et inclassable comme je n’en avais pas lu depuis Malcolm Lowry, autant dire que la barre est placé très haut.

La contrée de Ben Metcalf (traduit de l’anglais par Séverine Weiss). Post-éditions, 2019. 460 pages. 24,00 euros.






vendredi 12 avril 2019

Solanin : intégrale - Inio Asano

Pourquoi Solanin est pour moi un chef d’œuvre du manga ? J’en sais trop rien. C’est une sensation qui m’est restée depuis que j’ai lu ce diptyque il y a plus de dix ans. A l’époque je me suis dit que c’était sans doute l’histoire d’une génération, qu’il faudrait le lire à vingt ans. Pas de bol j’en avais déjà pas loin de trente-cinq quand je l’ai découvert. N’empêche, je me rappelle parfaitement de l’histoire de Meiko et Taneda.

Meiko quitte son job et se retrouve sans rien, Taneda joue de la guitare et chante dans un groupe. Sortis de la fac depuis peu, ils vivent  à Tokyo, dans un petit appart, peinent à boucler les fins de mois et ne sont plus tout à fait sur la même longueur d’onde. Meiko s’interroge beaucoup. Sur leur relation, leur avenir, sur son incapacité à s’engager pleinement dans une entreprise, sur sa situation de jeune chômeuse dans une mégalopole qui ne lui fera pas de cadeau. Et puis d’un seul coup, Taneda disparaît. Il revient mais quelques jours plus tard, c’est l’accident de scooter. Fatal. Meiko n’arrive pas à s’en remettre. C’est l’histoire de son deuil, de sa difficulté à refaire surface. Mais c’est tellement plus que ça.

C’est beau, c’est triste, c’est universel. Ça parle d’amour, d’amitié, de solitude. C’est une quête d’identité et une perte des illusions. On n’ouvre pas les vannes du pathos pour verser des torrents de larmes, c’est tellement plus fin, plus pudique, plus touchant. C’est le portrait sans caricature d’une jeunesse qui ne trouve pas sa place, qui vivote sans penser au lendemain mais qui ne s’apitoie pas sur son sort, qui ne sombre pas dans les excès pour oublier un quotidien dont elle n’espère rien. Il y avait malgré tout beaucoup de résignation à la toute fin. Meiko constate que « c’est comme ça », et puis c’est tout.

Pour une majorité de lecteurs cette conclusion était trop rapide, incomplète, pas à la hauteur. Une vraie frustration. Alors Inio Asano a rajouté un chapitre, publié en 2017. Ce chapitre inédit se trouve à la fin de cette intégrale et il éclaire l’histoire sous un nouveau jour. Meiko a plus de trente ans et elle… Non, je vais rien dire de plus, ce serait gâcher le plaisir de ceux qui vont découvrir la « vraie » fin de Solanin. Exit donc les deux tomes sortis en 2007 et 2008, il faut ABSOLUMENT lire cette intégrale et rien que cette intégrale pour profiter pleinement de ce chef d’œuvre du manga. J’espère que le message est clair !

Solanin : intégrale d’Inio Asano. Kana, 2019. 470 pages. 19,90 euros.










mercredi 10 avril 2019

Cassandra Darke - Posy Simmonds

« Je n’ai pas vécu comme une femme est censée le faire. J’ai obéi une fois aux conventions en me mariant. Terrible erreur, mais leçon utile (connais-toi toi-même) : je suis nulle pour vivre avec des gens. Je n’ai d’intérêt ni pour la vie domestique ni pour les enfants. Je suis solitaire, vieille fille dans l’âme, responsable devant personne, à charge de personne. »

Elle est comme ça, Cassandra Darke. Une harpie. Pingre. Aigrie. Acariâtre. Misanthrope. Et malhonnête en plus. Cette marchande d’art gérant la galerie de son défunt mari a vendu des faux en toute connaissance de cause. Depuis la révélation de ses méfaits et le procès qui a suivi, elle vit en recluse, fuyant davantage encore le monde et ses obligations. En acceptant d’héberger la fille de son ex dans son sous-sol aménagé en studio (et en échange de services aussi variés que pénibles, cela va de soi) Cassandra ne se doute pas qu’elle va vivre une cascade d’événements plus désagréables les uns que les autres, de la mort de son chien à un revolver trouvé dans le panier à linge en passant par des SMS menaçants reçus par un expéditeur lui promettant les pires tourments…

Posy Simmonds aurait pu s’arrêter à une simple réécriture du chant de Noël de Dickens avec une Scrooge obèse portant une chapka mais son propos est évidemment bien plus vaste et plus complexe. Car en baladant son anti-héroïne dans les rues de Londres elle montre les deux faces de la ville, du clinquant des quartiers chics au sordides des sombres ruelles où l’on oblige des filles venue d’Europe de l’Est à vendre leurs corps. Et entre l’hypocrisie d’une haute bourgeoisie toujours prompte à se donner bonne conscience et la violence de malfrats sans envergure à la bêtise crasse, il n’y a pas grand monde à sauver.

J’ai adoré ce roman graphique so british dont la narration, entre longs récitatifs très littéraires et dessins très travaillés peut de prime abord donner l’impression d’être trop bavarde. Finalement on se rend compte que l’équilibre entre les deux formes est idéal et que l’ensemble se révèle parfaitement digeste.

Un récit dense, fourmillant de détails, qui tient à la fois du polar, de la comédie de mœurs et de la satire grinçante. C’est mordant, irrévérencieux et sans concession tout en restant d’une grande élégance. So british, quoi !

Cassandra Darke de Posy Simmonds. Denoël Graphic, 2019. 95 pages. 21,00 euros.





Les BD de la semaine sont chez Moka










mardi 9 avril 2019

Rattrapage - Vincent Mondiot



« J’étais l’une des filles les plus populaires du lycée. Et lui, c’est un type aux cheveux gras avec des boutons sur la gueule, qui marche d’un pas traînant, les épaules voûtées. […] On est aux deux extrêmes de la chaîne alimentaire lycéenne. Je suis le genre de fille qu’il ne peut même pas rêver d’avoir un jour comme copine. Il est le genre de mec auquel je n’accepterais même pas de faire la bise. »


Elle attend les oraux du rattrapage du bac. Dans sa tête c’est un peu le foutoir. A cause de la cuite prise la veille mais aussi et surtout à cause de ce regard qu’elle vient de croiser et qui a fait remonter le souvenir de ce qui s’est passé plus tôt dans l’année. C’était au mois de décembre, un samedi matin, pendant le cours de philo. Un « incident » qu’elle ne peut pas oublier et dont elle se sait en partie responsable. Elle était la reine du lycée et lui une proie facile. Sans être à la manœuvre au départ, elle s’est jointe à la meute. Sans se poser de question, parce que ça coulait de source. Et qu’elle ne pouvait pas se douter que tout ça se terminerait dans une mare de sang.

Elle veut se persuader que c’est juste une connerie d’ado qui aurait dû rester sans conséquence. Elle se dit qu’elle n’a fait que suivre le mouvement, que c’était naturel. Qu’elle fait partie d’un système, d’une hiérarchie où chacun doit rester à sa place. Ils étaient les chasseurs, il était la victime désignée. La curée lancée, il n’avait qu’à s’avouer vaincu par plus fort. Les conséquences dramatiques pour lui, aucune raison d’y penser.

Glaçante cette plongée dans la tête d’une harceleuse affrontant son déni et ayant toutes les peines du monde à reconnaître sa faute. Vincent Mondiot ne joue pas le registre facile du remords et de la prise de conscience, il laisse son personnage dans un entre deux où le mal-être le dispute à une franchise sans langue de bois. C’est la complexité du raisonnement de la jeune fille et sa difficulté à admettre une évidence inacceptable qui donne son originalité et sa puissance au texte.

« C’est trop facile, là, à la fin de l’année, de la jouer tourmentée par la culpabilité en ressassant de vieilles images et des envies de pleurer. De quel droit je me complais là-dedans ? […] J’essaie de me persuader que j’ai compris des choses, appris de mes erreurs, mais je suis toujours une reine du lycée, toujours plus intéressée par moi-même que par les autres. Tout ce que je veux savoir c’est s’il me hait, pas comment il va. »

Un monologue aussi percutant que dérangeant qui traite la question du harcèlement sous un angle ne pouvant que faire réagir et pousser à la réflexion.

Rattrapage de Vincent Mondiot. Actes Sud junior, 2019. 80 pages. 9,80 euros. A partir de 14 ans.





Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.












vendredi 5 avril 2019

Court vêtue - Marie Gauthier

Félix débarque chez le cantonnier du village pour entamer son apprentissage. Un village écrasé de chaleur et une maison qui sera la sienne pour quelques mois. En plus de son patron, il va vivre sous le même toit que la fille de ce dernier, Gilberte. A seize ans la gamine travaille chez l’épicier. Félix découvre qu’elle s’éclipse souvent avec des hommes, toujours différents. Pour le garçon Gilberte devient un objet de fascination. Il se doute de ce qu’elle fait avec ces hommes et s’il n’en espère pas autant, il aimerait au moins qu’elle partage quelques moments avec lui. Fébrile, en quête du moindre signe, Félix vit dans l’attente d’un éventuel rapprochement à venir.

Un premier roman bien écrit, rien à redire là-dessus, mais pour le reste et en ce qui me concerne du moins, ce sera un grand bof. Le sujet est vu et revu cent fois, j’avais deviné la fin au bout de 30 pages et j’ai cherché en vain la montée de tension sexuelle qui aurait accéléré ma pression sanguine. Félix est un ado naïf et mou comme une chique et Gilberte, malgré les apparences, froide comme un glaçon. L’un comme l’autre n’ont suscité chez moi ni empathie ni intérêt, ce qui est quand même fort dommage.

Un texte sans prétention mais sans envergure. Bien écrit donc, mais prévisible. Qui se voudrait chargé d'un érotisme à la fois suggestif et sulfureux mais qui se révèle au final aussi excitant qu'un discours de François Fillon sur la dette publique. Un mauvais signe qui ne trompe pas, j’ai mis un temps fou à avaler ses 100 petites pages. D’ailleurs, s’il y en avait eu 50 de plus je ne serais pas allé au bout je pense.

On va dire que c’est un rendez-vous manqué entre ce livre et moi, ce n’est pas bien grave, ça arrive. Je lui souhaite évidemment bon vent et je me réjouis pour cette jeune auteure de le voir dans la liste des sélectionnés pour le Goncourt du premier roman. Personnellement je ne l’y aurais pas mis mais il va de soi que l’on ne me demande pas mon avis sur ce genre de question et il va de soi que c’est une bonne nouvelle pour tout le monde.

Court vêtue de Marie Gauthier. Gallimard, 2019. 105 pages. 12,50 euros.

mercredi 3 avril 2019

Mes héros ont toujours été des junkies - Ed Brubaker et Sean Phillips

Keith Richards, David Bowie, Lou Reed, Elliott Smith, Billie Holiday, Jean-Paul Sartre, Gram Parsons, Judy Garland, Marilyn Monroe, Janis Joplin, Van Gogh, Nick Cave ou Burroughs. Les héros d’Ellie sont tous des junkies. Pour elle, ces camés sont romantiques, ils brûlent la chandelle par les deux bouts et la drogue fait d’eux des êtres à part, touchés par la grâce. Dans le centre de désintox où son oncle l’a traînée de force en lui promettant que ce serait « sa seule chance », elle fait figure de rebelle. Pas question pour elle de décrocher, être « clean » rend la vie trop triste.

Dans son  groupe de parole, elle fascine autant qu’elle agace. Pour Skip, c’est une plante vénéneuse irrésistiblement attirante. Le garçon sait pourtant qu’il doit se tenir à carreau s’il ne veut pas rechuter. Mais la mauvaise influence d’Ellie et son aura magnétique sont plus fortes que sa bonne volonté. S’échapper du centre n’est pas l'idée du siècle. Pourtant, il ne pourra s’empêcher de la suivre dans sa fuite en avant. Et une fois le pas franchi, plus de retour en arrière possible, il faut foncer, quitte à se brûler les ailes. Définitivement.

Le scénario se présente comme une longue nouvelle se déroulant dans l’univers de la série « Criminal ». Le récit n’est pas aussi simple que les apparences peuvent le laisser supposer. Au-delà de l’idéalisation des junkies et de l’histoire d’amour tragique, Ed Brubaker et Sean Phillips tricotent un polar noir, serré, amer. Ellie est bien plus complexe que sa posture et son discours le suggèrent, ses zones d’ombres cachent des dessins aussi sombres qu’inavouables.

Un polar comme je les aime aux personnages torturés, porté par la figure toxique d’une héroïne au charme fatal. Brubaker et Phillips m’avaient récemment conquis avec l’excellent « Fondu au noir », ils confirment ici la qualité de leur collaboration et je compte bien les retrouver très bientôt , notamment avec la série « Killed or be killed » (tout un programme !).

Mes héros ont toujours été des junkies d’Ed Brubaker et Sean Phillips. Delcourt, 2019. 80 pages. 12,00 euros.











mardi 2 avril 2019

L’arrêt du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine - Agnès Debacker

Simon a perdu Simone. Le garçonnet de 10 ans a du mal à accepter le décès de sa voisine, avec laquelle il partageait une grande complicité. Il a gardé d’elle son plus précieux trésor, la théière qui recueillait leurs souhaits. Dans cette « théière à vœux » Simone, Simon et quelques autres ont glissé des petits papiers au contenu secret pas forcément très avouable. Depuis que Simon a récupéré l’objet, il n’ose l’ouvrir. Mais le jour où il franchit le pas, il découvre un pan de la vie de son amie dont elle ne lui avait jamais parlé. Tous les vœux de Simone tournent autour du même sujet : Farid. Qui était Farid ? Pourquoi une telle obsession à son égard ? Pourquoi n’y-a-t-il aucune trace de lui dans l’appartement de la vieille dame alors qu’il semble être le centre de son univers ? Simon voudrait savoir. Mais il a beau se démener comme un beau diable, Farid reste un insaisissable fantôme.

Un bel objet-livre, parfait écrin aux superbes illustrations et à la finition soignée renfermant un fort joli texte. Simon vit le deuil à sa façon, en cherchant à percer un mystère qui le dépasse. Sa tristesse n’est pas que douleur, il émane de sa quête une douceur et une réflexion pertinente sur les secrets que chaque destin cache précieusement. L’enfant va aussi comprendre que les histoires d’amour finissent rarement bien, que le bonheur ne tient qu’à un fil et que ce fil peut se rompre au moindre soubresaut.

Ni guimauve ni potion trop amère, Agnès Debacker a su trouver un délicat équilibre aigre-doux. Un dosage subtil, sans vision gratuitement idyllique et sans pessimisme déprimant, portant un regard lucide sur la vie et ses aléas, sur ces occasions que l’on saisit et celles qui restent à jamais des actes manqués. Le titre résume parfaitement le propos, Simon découvre ce que peut être l’amour et à quel point cet amour peut briser un cœur, au sens propre comme au figuré. Un roman jeunesse aussi intelligent que touchant.

L’arrêt du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine d’Agnès Debacker (ill. Anaïs Brunet). MeMo, 2019. 108 pages. 11,00 euros. A partir de 9 ans.





Une pépite jeunesse partagée avec Noukette.