dimanche 14 avril 2019

La contrée - Ben Metcalf

Un premier roman incroyable, je n’ai pas d’autre mot. Comme un fleuve de mots en cru qui déborde de tous côtés, sans limite, incontrôlable. C’est fou, impressionnant, agaçant parfois, inutilement boursouflé souvent mais traversé de telles fulgurances qu’au final j’en suis resté sur le c…

450 pages d’un monologue ininterrompu, d’une diatribe sans fin à l’encontre du choix de vie imposé par ses parents au narrateur. Leur but ? Quitter la ville pour s’installer dans un trou à la campagne, entre la fin des années 70 et le début des années 80. Fuir le péché, revenir vers la terre nourricière, voir dans la vie campagnarde l’antidote à la déchéance urbaine. Le retour à la nature n’est qu’un vaste enfer pour l’enfant qu’il était alors. Les moustiques, les mouches, les guêpes, les serpents, les rats, les tiques, les camarades de classe qui le martyrisent dans le bus scolaire, les intempéries, la promiscuité dans une maison-taudis, tout est prétexte à la souffrance. Les corvées à effectuer sous un soleil de plomb et sous les coups de ceinture du père, la bêtise des rares autochtones, la misère sexuelle qui poussent à tous les abus ou les ravages de l’alcool, la liste des griefs est infinie.

La narration est à peu près aussi énervée que le narrateur. Phrases interminables, parenthèses enchâssées dans d’autres parenthèses, syntaxe malmenée, digressions faisant perdre le fil du propos de départ, rien n’est épargné au lecteur (et au passage impossible de ne pas souligner le formidable travail de traduction de Séverine Weiss). Mais au final le tour de force m’a ébloui. En fait j’ai l’impression de m’être attaqué à une montagne. J’ai trouvé ça pénible par moment, fatigant à d’autres, je m’y suis égaré souvent, ennuyé parfois, mais arrivé au sommet et en regardant l’ensemble avec le recul et la hauteur nécessaire, je n’ai pu que siffler d’admiration. Difficile en effet de ne pas être ébloui par la force de cet implacable réquisitoire qui, malgré les nombreux chemins de traverses qu’il emprunte, revient toujours et encore au sujet initial pour dénoncer avec force éructation cette image d’Épinal frelatée d’une Amérique ayant soit-disant construit sa grandeur sur les terres sacrées d’une nature bénie des Dieux. 

Un roman qui perdra plus d’un lecteur en route et en découragera bien d’autres, je n’en doute pas une seconde. J’ai moi-même eu du mal à aller au bout mais au final je ne regrette pas l’effort qu'il m’a demandé (et franchement le mot « effort » n’est pas exagéré) parce que je suis convaincu d’avoir découvert un texte rare, d’une liberté formelle totale, et un auteur qui signe un premier roman d’une inventivité folle et d’une excentricité absolue. De la littérature américaine exigeante et inclassable comme je n’en avais pas lu depuis Malcolm Lowry, autant dire que la barre est placé très haut.

La contrée de Ben Metcalf (traduit de l’anglais par Séverine Weiss). Post-éditions, 2019. 460 pages. 24,00 euros.






22 commentaires:

  1. En effet, ce roman semble hors norme... et ton billet donne envie de tenter l'expérience.

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  2. je ne suis pas sûre d'aimer, mais tu donnes envie de tenter!

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  3. Intéressant en tout cas, alors pourquoi pas faire l’expérience de cette lecture ...

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  4. Ça fait à la fois un peur et très envie ... Ce que tu en dis me fait penser à David Peace, et j'adore David Peace (quoique adorer n'est peut-être pas vraiment le terme qui convient, avec un tel auteur).

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  5. Je viens de laisser un roman exigeant aussi (dans les 1000 pages) on verra ça au pavé de l'été. ^_^ Mais je comprends ce que tu ressens, tu sais que le texte est grand, mais faut s'y colleter

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  6. j'aurais bien lu un petit passage tellement tu m'intrigues… Il a le mérite d'être hors du commun, en tous cas.

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  7. Tu me donnes presque envie, mais je crois que je n'y verrai pas le brut de la pépite. Je suis encore trop classique.
    Syl.

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  8. Je crois que je vais rester en bas de la montagne et me contenter d'admirer les aventuriers qui parviennent au sommet.^^ On sent que ça vaut le détour, l'effort, mais vraiment, comme pour les randonnées un peu sportives, l'enthousiasme des randonneurs qui en reviennent ne me suffit pas pour me motiver à me bouger.^^ En plus j'ai encore le Malcolm Lowry dans ma PAL !

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  9. J'aurais bien aimé, aussi, un petit extrait pour me rendre compte de l'écriture... En tout cas, ton billet est très réussi parce que tu traduis très bien ce que tu as ressenti à la lecture de ce roman.

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  10. Why not ? Je me contenterais probablement, comme AGFE, d'être spectateur des exploits de mes petits camarades. Mais une chose est sûre, si je tente l'ascension, ça sera en VF !

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  11. Billet très réussi et comme les autres j'aurais volontiers lu un petit extrait, même un long.

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  12. Waouh ! Tu m'intrigues, là, quand même...

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  13. je l'ai vu passer mais j'ignorais tout du contenu et il va à l'inverse de toute la mode du retour à la terre par des gens qui ignorent tout .. de la terre ! bon je le note ! pour l'effort, j'ai deux lectures dont une récente qui ont aussi demandé beaucoup d'attention de ma part et c'est parfois éreintant, mais ça vaut le coup !

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  14. Noté illico après la lecture du billet de Clete (Nyctalopes). Et pis v'la que t'ajoutes une pierre... Ça fait pas trop Sisyphe, là?
    Me reste plus qu'à le trouver. Il ne semble pas y avoir de distributeur par ici. Mais comme Electra s'en vient...!

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  15. Je l'avais déjà noté quand tu en avais parlé sur Facebook. Tu penses bien que ton billet confirme mon envie de le lire !

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  16. Ca fait longtemps que je n'ai plus un roman exigeant! Ca fait parfois du bien d'être bousculé de la sorte!

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  17. Coucou
    pas envie de faire d'effort je me contente de voir les autres souffrir ;-)
    Maso pas trop
    je passe mon tour
    Bises et bonnes vacances ... enfin tout dépend de ta zone

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  18. Je sens que ce roman n'est pas pour moi. Tant pis.

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  19. Plongée dans un pavé qui me demande aussi un certain effort de lecture, j'aime l'idée de ce qu'apporte ce genre de lecture une fois le livre refermé. Et tu te doutes que je note ce titre.

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  20. contente d'entendre parler de ce roman ! (mais pas sûre d'avoir la concentration nécessaire pour un livre exigeant en ce moment)

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  21. Super article, tu donnes envie, mais je sais déjà que ce n'est pas du tout pour moi :)

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  22. Un jour peut-être... Le mot "ennui" m'a un peu refroidie malgré ton enthousiasme final je dois bien l'avouer. Je m'ennuie déjà pas mal en ce moment avec "La Princesse de Clèves" que j'ai le plus grand mal à terminer !

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