Après le gentil, gros, placide et mollasson personnage de
Pereira dans son album précédent, Pierre-Henry Gomont met cette fois-ci en scène un grand sec nerveux et antipathique père de famille. Gabriel, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas grand-chose pour lui. Menteur, colérique, flambeur, alcoolique, méprisant, imbu de lui-même, faisant passer son intérêt personnel avant tout autre considération, ce rustre n’hésite pas à faire exploser sa famille pour mener à bien ses projets.
Cinq ans après avoir disparu des radars sans donner la moindre nouvelle à sa femme et à ses trois enfants, le bonhomme réapparaît soudain pour obtenir la garde des deux aînés. Son but ? Les emmener avec lui en Afrique équatoriale pour leur faire découvrir la maison coloniale, la scierie et le pan de forêt perdus par ses ancêtres pendant la crise de 29 qu’il vient de racheter au prix fort. Trop occupé à mener ses affaires, Gabriel laisse ses enfants livrés à eux-mêmes. Les ados ne s’en plaignent pas vraiment, profitant d’une liberté inattendue pour enchaîner les virés entre copains et les transgressions plus ou moins avouables.
Gomont propose une jolie réflexion sur l’adolescence, ses questionnements et ses turpitudes tout en dressant le portrait d’un père aussi incompétent qu’imprévisible. Difficile de trouver la moindre circonstance atténuante à un pervers narcissique tel que Gabriel dont l’emprise sur les siens ne fait que distendre les liens. Mais à aucun moment le narrateur n’exprime le moindre jugement. C’est là toute la force du récit que de laisser le lecteur se faire son propre point de vue sur cet homme finalement très fragile dont le comportement déplorable peut trouver une éventuelle explication dans sa soif délirante de reconnaissance et de préservation d’un patrimoine familial forcément voué à disparaître malgré ses nombreuses gesticulations.
Le dessin tout en souplesse rappelle le trait de Christophe Blain (
Isaac le pirate), les couleurs sont somptueuses et la jungle africaine magnifiquement restituée. Le découpage est quant à lui limpide, d’une grande maîtrise, il donne une surprenante impression de facilité. Cerise sur le gâteau, j’ai trouvé le texte extrêmement bien écrit. C’est la quatrième fois que je lis un album de Pierre-Henry Gomont et il ne fait aucun doute que ce
Malaterre restera à mes yeux comme celui de la maturité.
Un petit bijou qui a remporté le prix RTL de la BD 2018 et que l’adorable
Moka a eu la gentillesse de m’offrir à Angoulême en janvier dernier. Merci à toi pour ce choix parfait !
Malaterre de Pierre-Henry Gomont. Dargaud, 2018.
190 pages. 24,00 euros.