1938. Après l’obtention de son baccalauréat à Genève, Jean Buhler refuse de s’inscrire à l’université de Neufchâtel. A ses parents consternés il annonce sa volonté de parcourir l’Europe à pied, sac sur le dos et sans un sou. Des « projets de vacances » comme il les qualifie qui ne sont pas au goût de son père pour qui Jean doit étudier dans le but de travailler, faire honneur à son nom, « fonder une famille et gagner assez d’argent pour l’entretenir dans l’aisance. »
Mais le jeune homme n’en fait qu’à sa tête. Une nuit, il part, direction l’Italie. Rome, Naples, Bari. Une traversée en bateau et c’est la découverte de l’Albanie. Pendant quelques semaines il suit une caravane de tziganes et connait nombre de péripéties avant d’échouer à Budapest. Après une dernière étape à Vienne il rentre en Suisse. Mais très vite les envies d’ailleurs ressurgissent. A Paris il s’acoquine avec un voyou qui l’envoie en mission à Bruxelles. Fuyant son mentor et ses méthodes crapuleuses il trouve refuge en Allemagne, où il travaille pendant quelques temps à la construction de chemins de fer.
Au-delà du voyage et de ses nombreuses étapes, il y a les rencontres. Salvatrices, inquiétantes, douloureuses ou délicieuses. Et à travers le cheminement du vagabond on découvre une Europe en pleine effervescence à la veille de son effondrement. Dans les Balkans la tension est à son comble, à Paris la jeunesse voit s’étendre l’ombre de la guerre à venir et en Allemagne le discours nationaliste devient nauséabond.
Surtout, au-delà du voyage et des nombreuses étapes, il y a l’état d’esprit d’un jeune homme épris de liberté dont la crâne assurance sera vite mise à rude épreuve. L’écriture est belle, un poil datée, lyrique sans excès. Elle dit l’effort, l’abandon à la fatigue, la rage adolescente pétrie de certitudes naïves, ce besoin d’errer sans but, d’aller où ses pas le portent. Elle dit sans mièvrerie l’exaltation de celui qui a su dire non au projet de vie que l’on avait tracé à sa place, de celui qui décide de son destin en s’affranchissant de son statut social.
Un superbe récit de voyage et une totale découverte pour moi qui, dans mon ignorance crasse, réduisais les écrivains-voyageurs suisses au seul Nicolas Bouvier.
Sur les routes d'Europe : souvenirs d'un vagabond de Jean Buhler. La Baconnière, 2019. 196 pages. 16,00 euros.