Il y avait les douze travaux d’Hercule, il y aura désormais les douze balles dans la peau de Samuel Hawley. Hannah Tinti s’est d’ailleurs inspirée de l’histoire du fils de Zeux pour imaginer celle de Samuel, père célibataire trimbalant sa fille Loo et une cargaison d’armes à travers les Etats-Unis pour fuir un passé qui, s’il finissait par le rattraper un jour, pourrait faire de sacrés dégâts. Un drôle de personnage ce Samuel, avec ses douze cicatrices formant la cartographie intime d’une vie mouvementée, d’une jeunesse sur le fil du rasoir et de drames ayant laissé, tant dans son corps que dans son esprit, des traces indélébiles.
En s’installant au bord de l’océan à Olympus (Massachussetts) après des mois de cavale, Hawley revient sur les terres de sa défunte épouse Lily. Une épouse qui s’est noyée dans un lac quand Loo n’était encore qu’un bébé. C’est à Olympus qu’Hawley avait alors laissé l’enfant aux soins de sa grand-mère maternelle pendant plusieurs années avant de revenir la chercher brusquement et sans demander son avis à la mamy. Les retrouvailles sont donc plutôt fraîches entre Samuel et son ex-belle-mère. Au fil des mois, Loo apprécie une stabilité de vie qu’elle n’avait encore jamais connue. Le lycée, la plage, un petit boulot de serveuse et un petit copain, l’adolescente se sent bien à Olympus. Pour autant, elle n’est pas dupe et sait que son père cache de lourds secrets. De lourds secrets qui vont bientôt refaire surface et mettre à mal l’équilibre précaire qu’elle semblait enfin avoir trouvé.
N’y allons pas par quatre chemins, ce roman est formidable ! Un bijou de narration échevelée, une alternance de scènes d’action et de moments plus intimistes et une relation père fille bluffante de réalisme. Il aura fallu neuf ans à Hannah Tinti pour mettre en forme le parcours de Samuel, pour imaginer cette histoire où se succèdent à chaque chapitre le présent et le passé. On remonte ainsi dans le temps pour voir Samuel encaisser sa première balle, sa seconde, sa troisième et toutes les autres, une par une, dans des conditions toujours plus rocambolesques.
Une sorte de western moderne tonitruant et ficelé de main de maître qui laisse une grande place à l’émotion et parle sans faux semblants de culpabilité, de chagrin et d’amour filial. Il y a très longtemps que je n’avais pas croisé un écrivain possédant un tel talent de conteur. Les personnages sont incarnés, leurs blessures, leur fragilité, leurs faiblesses et leurs erreurs m’ont transporté et laissé sur le carreau, au point que j’ai eu un mal fou à les quitter. Un grand roman, plein de souffle, de violence et de tendresse contenue qui ne pourra qu’emballer les amateurs d’excellente littérature américaine.
Les douze balles dans la peau de Samuel Hawley d’Hannah Tinti (traduit de l’anglais par Mona de Pracontal). Gallimard, 2017. 450 pages. 23,00 euros.