Autant vous le dire d’emblée, je kiffe Esther. Grave.
Elle a 10 ans et est en CM1 dans une école privée (parce que son père pense qu’il y a trop de violence dans les écoles publiques). Son père, elle l’aime d’amour (et ça, ça me plait énormément !). Avec son frère de 14 ans, c’est plus compliqué («
Il n’a pas seulement l’air con, il l’est »). Esther vit à Paris dans un modeste appartement. Elle doit partager sa chambre avec son frangin et part en vacances en colo. Esther, elle est fraîche et pétillante, c’est une gamine bien dans sa peau, à la fois naïve et lucide, qui ne se prend pas la tête et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle trouve que les garçons sont fous, horribles et méchants, elle rêve d’un iPhone 6, est fan de Kendji Girac, Tal et Beyoncé. Elle pourrait regarder Raiponce en boucle et connaît tous les Disney par cœur. Son avenir est tracé, elle sera chanteuse et remplira les stades. Une gamine comme les autres quoi.
L’album regroupe des historiettes d’une page prépubliées dans l’Obs entre octobre 2014 et octobre 2015. Esther se raconte. A la maison, à l’école, avec son frère, son père, ses copines. En feuilletant l’album avant de m’y lancer, j’ai tiqué devant la surcharge de texte présente sur chaque planche. Mais à la lecture, ça passe tout seul. Esther est une fille, donc elle est bavarde, rien de plus normal (je sais de quoi je parle, j’en ai quatre à la maison).
Bon, je vais être un peu méchant. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Esther avec Pico Bogue (je ne sais pas si vous connaissez et si vous aimez Pico Bogue mais je sais que vous aimez bien quand je suis un peu méchant). Esther et Pico posent chacun leur regard d’enfant sur le monde qui les entoure. Celui de Pico m’agace fortement. J’ai lu tous ses albums (pour me convaincre à chaque fois que ça ne pourrait jamais coller entre lui et moi). Ses réflexions poético-philosophiques ne me touchent pas du tout. En fait je suis incapable d’apprécier ces mots d’auteurs mis dans la bouche d’un enfant, je trouve que tout sonne faux.
Avec Esther le charme opère parce qu’elle s’exprime à hauteur de petite fille. Une petite fille pas avare de gros mots, confrontée à un environnement souvent vulgaire, violent et cruel, mais dans lequel elle a trouvé sa place. Elle se demande ce qu’est un pédé, trouve que Violetta est la meilleure série du monde, côtoie des renois et des rebeus, pense que pour être belle il faut être souple et blonde, j’en passe et des meilleurs. En deux mots, elle est crédible (prends en de la graine Pico !).
La vie d’Esther sonne juste parce que Riad Sattouf a recueilli le témoignage à la source. Esther est la fille d’un couple d’amis .Chaque semaine, il échange avec elle, lui pose des questions, la laisse raconter les événements qui l’ont marquée. Avec ce matériau brut, il construit ses histoires au plus près de la réalité. Comme ses camarades de classe, Esther ne s’embarrasse pas de jugement, ni de la peur de blesser. La méchanceté gratuite ne la choque pas, ni le fait qu’une cour de récré se résume souvent à un clivage entre gros durs et souffre-douleurs. Son regard innocent et sans filtre, fortement (et logiquement) imprégnée par la société qui l’entoure, dresse au fil des pages le portrait infiniment juste d’une enfant de notre époque. Et ça fait un bien fou, même si ça pique un peu parfois.
Les cahiers d’Esther : Histoires de mes 10 ans de Riad Sattouf. Allary éditions, 2016.
54 pages.
Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec
Framboise et
Philisine (merci pour le cadeau et, une fois encore, félicitations pour la bonne nouvelle que tu m’as annoncée en début de semaine !).