Alors non, ces émeutes n’avaient rien d’une révolution sociale en marche, elles n’ont pas fait avancer les choses et ont surtout mis à feu et à sang une mégalopole devenue hors de contrôle en à peine quelques heures. Ryan Gattis le démontre avec un brio incroyable et une froideur mécanique dans ce roman choral à la puissance renversante.
« Le monde dans lequel on habite est complètement sens dessus dessous, là. Le haut en bas. Le bas en haut. Le mal est le putain de bien. Et les badges veulent plus rien dire. Vu qu’aujourd’hui la ville appartient pas aux flics. C’est à nous qu’elle appartient. »
Du 29 avril au 4 mai 1992, suite à l’acquittement des policiers ayant battu à mort Rodney King, la ville de Los Angeles sombra dans le chaos. Le roman suit dix-sept personnes pendant ses six jours. Membres de gangs hispaniques, pompiers, infirmières, dealers… tous prennent la parole à tour de rôle et racontent, dans une langue vivante et rythmée, comment ils ont été emportés par un tourbillon de violence et de sauvagerie, comment certains ont profité de la situation pour régler leurs comptes en tout impunité, tandis que d’autres cherchaient au contraire à sauver des vies.
A partir du massacre d’un innocent au cours des premières heures des émeutes, Ryan Gattis tisse un canevas implacable, plongeant le lecteur dans une Amérique à l'abandon et montrant ce qui se passe quand les lois n’ont plus cours et que les secours d’urgence ne peuvent intervenir dans une ville de plus de 3,5 millions d’habitants assiégée par sa propre population. Ce meurtre sera le point de départ d’une cascade d’événements tragiques où chacun à sa manière va connaître une vertigineuse descente aux enfers. En creux se dresse le portrait fascinant d’une ville mosaïque, poudrière en perpétuel sursis ayant vécu pendant ces six jours la plus dévastatrice éruption urbaine de l’histoire des États-Unis (11 000 arrestations, 2 300 blessés, 11 000 incendies volontaires et plus de 60 morts).
Romanesque, violent, documenté et réaliste, ce récit nerveux et tendu rappelle s’il en était encore besoin que face à la paupérisation galopante et la perte de tout espoir en l’avenir, une étincelle suffit pour provoquer un embrasement incontrôlable. Un premier roman magistral et terrifiant !
Six jours de Ryan Gattis. Fayard, 2015. 430 pages. 24,00 euros.