samedi 24 janvier 2015

La parole contraire - Erri de Luca

« Si mon opinion est un délit, je continuerai à le commettre. »

Poursuivi en justice pour avoir soutenu le mouvement NO TAV qui s'oppose à la construction de la ligne à grande vitesse du val de Suse devant permettre de relier Lyon à Turin, Erri de Luca a rédigé pour sa défense un pamphlet de 40 pages sur la liberté d’expression et la responsabilité de l’écrivain. Un texte publié par tous ses éditeurs dans le monde à la veille de son procès. Il risque cinq ans de prison pour « incitation au sabotage ».

« Un écrivain possède une petite voix publique. Il peut s’en servir pour faire quelque chose de plus que la promotion de ses œuvres. Son domaine est la parole, il a donc le devoir de protéger le droit de tous à exprimer leur propre voix. Parmi eux, je place au premier rang les muets, les sans voix, les détenus, les diffamés, les analphabètes et les nouveaux résidents qui connaissent peu ou mal la langue. […] Telle est la raison sociale d’un écrivain, en dehors de celle de communiquer : être le porte-parole de celui qui est sans écoute. »

Tout tient dans cette affirmation. A la responsabilité pénale, De Luca oppose sa responsabilité d’écrivain. Ce projet ferroviaire est une aberration environnementale. Par exemple, le percement et la pulvérisation de gisements d’amiante va disperser dans l’air des milliards de fibres toxiques. Depuis des années, l’auteur de Montedidio participe à la lutte menée par les habitants de la vallée. Dans une interview, il a déclaré : « La TAV (ligne à grande vitesse) doit être sabotée. Voila pourquoi les cisailles étaient utiles : elles servent à couper les grillages. Pas question de terrorisme […] elles sont nécessaires pour faire comprendre que la TAV est une entreprise nuisible et inutile […] les discussions du gouvernement ont échoué, les négociations ont échoué : le sabotage est la seule alternative. »

La question est : y-a-t-il eu, à travers ces déclarations, incitation publique à commettre un délit ? Pour la défense, la réponse est non : « Pour parler d’incitation à la violence, il faut démontrer le rapport direct entre les mots et les actions commises. » Or, il est, dans ce cas précis, impossible de démontrer ce rapport tant il y a eu de faits et de délits commis sur le chantier par des militants NO TAV avant et après la publication de l’interview.

Pour étayer son propos, De Luca convoque les figures ayant marqué sa vie de lecteur et sa vie tout court, Orwel et Pasolini en tête. Il réclame aussi le droit d’utiliser les mots dans un sens qui n’est pas celui que leur attribue la justice : « Les procureurs exigent que le verbe "saboter" ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens. Il suffisait de consulter le dictionnaire pour archiver la plainte. »

Je ne connais pas suffisamment le dossier pour me prononcer sur le fond de la question mais je dois bien reconnaître que la défense de l’auteur par lui-même est brillamment menée et que la lecture de ces quelques pages est une magnifique incitation à la réflexion.


La parole contraire d’Erri de Luca. Gallimard, 2015. 42 pages. 8,00 euros.


Un billet qui signe ma contribution mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.




vendredi 23 janvier 2015

Bleu éperdument - Kate Braverman

On ouvre ce recueil de nouvelles avec une femme qui se souvient de la petite fille qu’elle était et de sa mère, poétesse l’ayant éduqué de « façon excentrique selon une méthode de son cru ». On poursuit avec Erica et sa fille Flora, l’année de Tchernobyl, s’ennuyant à mourir au cours d’un hiver pluvieux. Puis on croise le chemin d’une écrivaine cocaïnomane harcelée par un type dont la toxicité s’avérera bien supérieure à celle de la drogue. Il y a aussi dans ce recueil Joan Moore, fêtant son quarantième anniversaire à Hawaï et bien décidée, enfin, à quitter son mari, Laurel Sloan, qui repense aux années d’université où elle écoutait Dylan à plein volume, Suzanne Cooper, fraîchement divorcée et en pleine reconstruction ou encore Jessica, aussi riche que désœuvrée…

Des portraits de californiennes au bord du précipice. Des femmes seules, désespérées, neurasthéniques, fréquentant les Alcooliques Anonymes. La mélancolie suinte à chaque page, les illusions perdues ne faisant qu’attiser les regrets. L’héritage des années hippies a laissé chez beaucoup de douloureuses cicatrices qu’elles traînent comme un boulet alors que le 21ème siècle approche à grands pas.

Ça pourrait (ça devrait même) être totalement plombant si la langue de Kate Braverman n’était pas aussi belle. « Sensuelle et luxuriante », précise la 4ème de couverture, j’avoue que ce n’est pas faux, même si c’est finalement beaucoup plus que ça : « La vallée est une gigantesque plaine qui s’étire indéfiniment jusqu’au pied des montagnes infécondes et hallucinatoires. Cette vallée abrite les tombeaux ouverts de femmes à l’aube du millénaire. C’est un vrai quadrillage de pavillons agglomérés en lotissements, où vivent des femmes soit seules, soit avec leurs enfants. Des femmes empêtrées dans une dépression nerveuse mais plus à même de payer leur traitement. Des enfants qui laissent derrière eux leurs maisons de poupée et leurs leçons de violon pour s’installer dans des immeubles où les voisins ne parlent pas la même langue qu’eux. »

Ou encore : « Elle a trente-sept ans, elle est divorcée, l’ex-femme de Jake, la mère de Stéphanie et Mark. Elle est membre des Alcooliques Anonymes. Elle est sobre. Elle ne boit plus, plus jamais. Cette année, ses enfants passeront le réveillon et le jour de Noël avec elle. Plus jamais elle ne s’endormira en laissant une cigarette allumée dans le cendrier, plus jamais elle ne s’évanouira dans le jardin en chemise de nuit. Elle ne fume plus et elle n’a plus de jardin. On peut compter sur elle maintenant. […] Elle est en passe de devenir le genre de femme qui met de la monnaie dans les parcmètres et poste ses cartes de vœux en temps et en heure. Elle est en train de devenir le genre de femme qu’on peut contraindre à s’exiler dans un appartement à Santa Monica en sachant qu’elle s’y pliera dans la plus grande discrétion, en toute dignité. Elle est le genre de femme qu’on peut bannir à moindre frais. »

Un magnifique recueil et, pour l’amateur de nouvelles que je suis, la découverte d’une voix envoûtante.

Bleu éperdument de Kate Braverman. Quidam, 2015. 245 pages. 20,00 euros.








jeudi 22 janvier 2015

Le grand méchant Renard - Benjamin Renner

Hop, hop, hop, coup de cœur !

Cet album raconte les mésaventures d’un renard incapable de faire peur aux poules qu’il veut dévorer. Un renard tellement gringalet que tout le monde se fout de lui. Un renard à qui le loup souffle un jour une idée géniale : s’il veut manger de la volaille, il n’a qu’à dérober des œufs, les couver et attendre leur éclosion pour se faire un gueuleton digne de ce nom. Ni une ni deux, le goupil met son plan à exécution. Et ça marche ! Sauf qu’à la naissance, les poussins sont trop petits. Il décide alors d’attendre quelques mois, le temps de les engraisser. Erreur fatale… Ben oui, on s’y attache à ces petites bêtes. Surtout quand, en sortant de l’œuf, elles font de la première personne qui leur tombe sous les yeux leur « maman d’amour » !

Un album génial, ni plus ni moins. Totalement barré, plein de quiproquos, de personnages un peu crétins comme j’aime, de répliques et de mimiques à hurler de rire. Du comique de situation mais pas que. Des rapports parents-enfants compliqués, une naïveté désarmante et un enchaînement de séquences cocasses parfaitement maîtrisé. Benjamin Renner signe ici sa première BD. Co-réalisateur d’Ernest et Célestine, cet auteur venu de l’animation insuffle un sens du rythme et du dialogue absolument ébouriffant ! Ne s’encombrant pas de cases ni de bulles, découpant chaque planche en gaufrier de six à huit dessins et usant d’un décor minimaliste, sa narration est d’une grande fluidité. J’ai craint au départ la succession de scénettes sans véritable lien, de sketchs indépendants les uns des autres, mais il y a bien un fil directeur constant et une seule et unique histoire.



Pas envie d’en dire plus, sachez seulement que cet album fera sans aucun doute possible partie de mon top de l’année 2015. Un livre précieux, jubilatoire, qui fait un bien fou. Bref, à lire, à offrir et à faire lire aux enfants dès 8-9 ans. J’espère que j’ai été clair !

PS : je vous conseille aussi d'aller découvrir sur le site de l'éditeur la BD interactive qui respecte à la lettre l'esprit de l'album

Le grand méchant Renard de Benjamin Renner. Delcourt, 2014. 188 pages. 16,95 euros.



mercredi 21 janvier 2015

Capitaine Trèfle - Hausman et Dubois

Ardennes, 18ème siècle. Surpris par une tempête automnale, le Capitaine Trèfle trouve refuge dans une auberge abandonnée. Il y découvre un lutin séquestré par d’affreux pirates. Après un rude combat, il délivre le malheureux et l’amène au magicien Noctiflore afin qu’il panse ses blessures. Remis sur pieds, le Guib (nom donné à cette race de lutins des sables) raconte son histoire à ses sauveurs. Chassés par les hommes, les créatures fantastiques du petit peuple vivaient en paix depuis des siècles au-delà de la mer, de l’autre coté du monde. Jusqu’au jour où y débarquèrent le terrible Capitaine Écarlate et son sinistre équipage, bien décidés à faire des sirènes, elfes et autres dragons de vulgaires bêtes de cirque. N’écoutant que son courage, Trèfle se lance à la rescousse des opprimés au cours d’un périlleux voyage au fil des océans…

Plonger dans un album du duo Haussman/Dubois, c’est accepter de réinventer le monde. Conteurs hors-pair, ils cisèlent leur récit avec une rare minutie et nous emmènent dans un univers où l’imaginaire est roi. Loin des modes, cette ode au petit peuple  fleure bon les livres d’antan. Ici, le langage est précieux, une « enseigne rouillée ne cesse de grincer comme s’éraille le rire d’une sorcière » et les « chat-pitres » deviennent des « chat-clowns ». Artisan d’une BD à l’ancienne où chaque détail mérite la moindre attention, l’orfèvre Hausman signe des planches d’une beauté sidérante. Dubois ne pouvait trouver meilleur complice pour mettre scène le bestiaire fabuleux née de son imagination débordante. Un bijou d’album, idéal pour peupler les rêves des grands et des petits.


Capitaine Trèfle d’Hausman et Dubois. Le Lombard, 2014. 62 pages. 15,00 euros.

L'avis de manU

Une lecture que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette. C'est d'ailleurs elle qui, aujourd'hui, accueille les liens des participants à la BD de la semaine.











mardi 20 janvier 2015

Les bébés ont un goût salé - Dominique Sampiero

Pas simple, la vie de Malika. A treize ans, au cœur de la cité, elle doit gérer seule le départ de son père, les disparitions subites de sa mère et surtout cette petite sœur de cinq mois dont elle s’occupe comme une grande. Le jour où le centre social propose aux gamins du quartier une semaine à la mer, Malika doit y renoncer pour jouer la nounou. Pourtant, la mer, elle en rêve Malika, elle ne l’a jamais vue en plus. Alors avec l’aide de Steven, elle va imaginer un stratagème pour partir quand même, quitte à glisser un bébé dans ses bagages...

La vie de Malika est difficile, c’est une vie minuscule et âpre, comme tant d’autres. Les cages à lapin des HLM, le collège, les trafics, les copains. J’avoue que j’ai eu du mal à croire au déroulement de l’intrigue. Des éducateurs qui laissent une gamine les accompagner à la mer avec un bébé caché dans un sac de sport, ça me paraissait totalement improbable. Mais le fait est que l’anecdote est réelle, Dominique Sampiero devait même en tirer un film. Le projet n’ayant pas abouti, il en a fait un roman jeunesse. Je trouve quand même le trait un peu forcé. Je l’espère en tout cas, parce qu’un tel niveau d’irresponsabilité de la part des adultes accompagnateurs, c’est juste effrayant !

Les points forts de ce texte tiennent dans les dialogues très travaillés, d’un grand réalisme, comme les interactions entre les différents personnages. La langue est parfois poétique, à d’autres moments très familière. La bienveillance et l’altruisme alternent sans cesse avec des scènes de tension, la tendresse se mêle à une certaine forme de violence. Et puis il y a cette fin que je ne m’imaginais pas une seconde. Ce ne pouvait être qu’une happy end, pas possible autrement. Sauf que…

Les bébés ont un goût salé de Dominique Sampiero. Rue du monde, 2014. 108 pages. 9,50 euros. A partir de 12 ans.


Et comme chaque mardi ou presque, c'est une lecture commune que je partage avec Noukette.



dimanche 18 janvier 2015

Un été - Vincent Almendros

Jean et Jeanne sont dans un bateau. Ils s’apprêtent à y accueillir le frère de Jean et sa petite amie Lone. Le voilier n’est plus de première fraîcheur mais il suffira pour une croisière de quelques jours le long des côtes italiennes. Au fil des heures, au fil des jours, la chaleur et la promiscuité aidant, les corps se frôlent, les sens s’aiguisent et la tempête s’annonce…

C’est un roman d’ambiance un peu vain, dérisoire oserais-je dire. Très littéraire, finalement. Quelque part, c'est un roman d’aujourd’hui qui ressemble à un film des années 60. Un roman un poil nombriliste, autocentré, aux enjeux inexistants. Un huis clos maritime à l’érotisme contenu, se déroulant  dans un espace exigu et sous une chaleur étouffante. Des rapports humains ambigus, une tension palpable et une pirouette finale que je n’avais pas vu venir.

Est-ce que j’ai aimé ou pas ? Aucune idée. Je l’ai lu distraitement, sans lui accorder une attention particulière, ce qui n’est jamais bon signe. Je l’ai lu sans déplaisir mais les mots ont coulé sur moi sans laisser de trace. Je dois donc en conclure que j’y suis resté imperméable et c’est bien dommage. Mais ce texte trouvera ses lecteurs, c’est une certitude. Son charme suranné, sa sobriété et sa fluidité sont d’indéniables atouts. Un roman-aquarelle subtil, construit par petites touches. Sans doute trop subtil pour moi.


Un été de Vincent Almendros. Édition de Minuit, 2015. 95 pages. 11,50 euros.  








vendredi 16 janvier 2015

Entre frères de sang - Ernst Haffner

Incroyable destin que celui de ce livre ayant connu un immense succès en Allemagne au moment de sa publication en 1932 avant d’être interdit et brûlé par les nazis lors d’autodafés puis de tomber dans l’oubli après 1945. De son auteur, on ne sait presque rien, à part qu’il a été journaliste, sans doute travailleur social, et qu’il a vécu à Berlin entre 1925 et 1933.

Les frères de sang, c’est le récit des aventures d’une bande de garçons dans le Berlin des années 30. Des gamins des rues frappés par la crise économique ou dont les familles avaient été détruites par la première guerre mondiale. Placés par l’assistance publique dans des institutions destinées aux mineurs, ne supportant pas les brimades d’un système cherchant à les briser, ces enfants en fuite se réfugiaient le plus souvent dans les grandes villes. Se regroupant en bandes, ils vivotaient entre petits trafics et prostitution, toujours en quête d’un repas chaud et d’un toit pour la nuit. De jeunes voyous solidaires dans la souffrance, s’abrutissant au mauvais schnaps dans les bouges des quartiers populaires. Ceux qui se faisaient arrêter par la police passaient par la case prison avant de retourner en foyer et de s’en échapper à nouveau.

Ce roman dit la misère sans misérabilisme. Il tient du témoignage, même si c'est clairement une fiction. Haffner dénonce la brutalité de l’assistance publique. Il décrit la violence permanente de la rue, le froid, la faim, le désespoir. Son texte est d’un grand réalisme, douloureux sans être dénué d’espoir. Surtout, on sent la proximité de l’auteur avec ses personnages, sa compassion jamais larmoyante, sa sincérité totale.

Un livre important pour découvrir le sort d’innombrables jeunes gens qui, dans l’Allemagne en crise de l’entre-deux-guerres, essayèrent de survivre tant bien que mal avant sans doute (même si le roman ne nous le dit pas) d’être emportés par le tourbillon du nazisme.

Entre frères de sang d’Ernst Haffner. Presses de la cité, 2014. 270 pages. 20,00 euros.

mercredi 14 janvier 2015

Fatale - Max Cabanes d’après le roman de Jean-Patrick Manchette

Lorsqu’elle débarque à Bléville, la tueuse professionnelle Aimée Joubert se rapproche des notables de cette petite ville portuaire sans âme. Elle étudie longuement leurs comportements et leurs liens, identifie les forces et faiblesses de chacun avant de s’engouffrer dans une faille dont elle compte bien profiter. Dans quel but ? Mystère…

Je ne suis pas polar mais j’adore Manchette et sa façon bien à lui de mener un récit. Il était en quelque sorte le chantre du behaviorisme à l’américaine, ne décrivant que des comportements sans jamais entrer dans des considérations psychologiques. Au lecteur de s’interroger sur les pensées et l’état d’esprit des protagonistes. Avec Fatale, on est face à un polar qui n’en est pas vraiment un (d’ailleurs le roman avait été refusé dans la collection « série noire »). L’ambiance est plus contemplative, proche de l’étude de mœurs.

Manchette égratigne la bonne société provinciale et ses élites véreuses. Il fait sauter le vernis des apparences policées pour montrer les ambitions personnelles, les coups-bas, la respectabilité de façade. Sa tueuse est l’élément perturbateur qui va peu à peu faire bouger les lignes jusqu’à l’explosion finale. Beaucoup d’ambiguïté chez tous les personnages. D’ailleurs, les victimes sont souvent plus solides que leur bourreau.

Un album sombre à l’ambiance poisseuse magnifiée par le bleu électrique de la nuit et le jaune-orangé des scènes diurnes. Un album crépusculaire, sans concession, qui restitue l’atmosphère glauque des villes de province des années 70. Un album à la froideur clinique, sans espoir, proche de la tragédie. Vertigineux et impressionnant.


Fatale de Max Cabanes d’après le roman de Jean-Patrick Manchette. Dupuis, 2014. 136 pages. 22,00 euros.




mardi 13 janvier 2015

La règle d’or - Isabelle Minière

Léo le trouve étrange ce nouvel élève : « il s’est avancé dans la cour, il a regardé tout autour, l’air tranquille, comme s’il était en visite dans un musée et qu’il regardait les objets exposés. Les objets, c’était nous, alors ça nous a fait bizarre, à mes copains et moi, on n’avait pas l’habitude d’être exposés. A sa place j’aurais eu un peu peur d’arriver là sans connaître personne, lui non. » Quand la maîtresse a demandé à chacun ce qu’il voudrait faire plus tard, il a simplement répondu : « Je veux faire le bien, c’est tout ». Il y en a quelques uns qui se sont foutus de lui, l’ont baptisé Superman. A la sortie, trois garçons lui ont sauté dessus, c’était pas beau à voir. Il s’est relevé le visage en sang et une bosse sur le front, sans haine ni volonté de vengeance,  il a au contraire cherché à minimiser les choses. Décidément, pour Léo, ce n’est pas un garçon comme les autres…

La règle d’or du titre, c’est celle que Camille, cet enfant étrange, se répète comme un mantra. Il l’applique à chaque occasion, en a fait en quelque sorte un mode de vie. Léo est fasciné par sa liberté d’esprit et son altruisme. Camille est un enfant différent, un sage qui met le respect d’autrui et la tolérance au-dessus de toutes les autres valeurs.

Tout cela pourrait être bien naïf, moralisateur et limite ridicule. Mais ça ne l’est pas une seconde. Point de leçon ici, juste la démonstration par les faits que l’attention aux autres et la bienveillance sont les armes qui forgent les plus belles amitiés. Autant vous dire que par les temps qui courent, ce petit texte sans prétention au message tellement pacifique devrait être déclaré d’utilité publique.


La règle d’or d’Isabelle Minière. Ed. du jasmin, 2013. 60 pages. 8,00 euros. A partir de 8 ans.

Une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.




lundi 12 janvier 2015

Tout foutre en l’air - Antoine Dole

Si vous avez lu ses romans précédents, vous savez sans doute que l’on entre dans un texte d’Antoine Dole sur la pointe des pieds, en se demandant de quelle façon il va s’y prendre pour nous serrer les tripes. On s’attend à être bousculé, éprouvé, à en sortir rincé. Celui-là ne déroge pas à la règle, évidemment.

Une nuit froide et humide. Des trombes d’eau. « Les gouttières crachent une eau crasseuse qui dilue les murs, les couleurs ». Une ado quitte ses parents en claquant la porte. Elle part retrouver celui qu’elle aime. Ce soir, ils vont le faire. Ensemble ils courent sous la pluie. Leur destination ? Un immeuble en construction. La fin de l’histoire ? Ne compter pas sur moi pour vous la raconter.

Comme de coutume dans cette collection, une seule voix. La narratrice est cette gamine en fuite. Ses mots disent d’abord sa détermination. Son ras le bol aussi. De ces parents qu’elle ne supporte plus. « Combien de fois j’ai eu l’impression de vivre en dehors de tout cela, à coté, en marge. Mon existence sur leurs contours, jamais tout à fait dans leur vie à eux. » Marre de « toutes ces choses qu’on dit qu’on fera et qu’on ne fait jamais. » Alors, elle va le faire. Son amoureux a quatre ans de plus. Elle l’a rencontré sur internet. Ses parents ont découvert leurs échanges et l’ont privée d’ordi. Ils l’ont mise en garde, ont voulu la raisonner. Ça n’a fait que renforcer sa volonté de passer à l’acte. Mais plus la nuit avance et plus son discours évolue. Il évolue jusqu’à…

Décidément, j’adore la plume d’Antoine Dole. Ses phrases courtes, tendues, sa capacité à décrire les fêlures et la souffrance. Sa relation au corps, sa façon unique de lier le psychique et le physique, de glisser les mots sous la peau, de retranscrire les sensations les plus intimes sans en faire des caisses. Sa force d’évocation est sidérante, il lui suffit d’une phrase pour que l’image se forme, s’imprime sur la rétine du lecteur, y laisse une trace indélébile.

Il est des auteurs (rares) dont j’attends chaque nouvelle publication avec impatience. Pas comme un fan en transe (j’espère ne jamais être fan de qui que ce soit) mais simplement parce que je sais que je vais y trouver un univers à part, une voix unique qui m’interpelle. Antoine Dole fait incontestablement partie de ces auteurs.

Tout foutre en l’air d’Antoine Dole. Actes sud, 2015. 72 pages. 9,00 euros. A partir de 14 ans.


Une lecture que je partage avec Noukette. Je ne pouvais décemment pas parler du nouveau Antoine Dole sans elle !