mardi 9 décembre 2014

Boucle d’Ours - Stéphane Servant et Laetitia Le Saux

Toute la famille ours se prépare pour le grand carnaval de la forêt. Le papa est déguisé en grand méchant loup, la maman en Belle au bois dormant et l'ourson en Boucle d'Ours, ce qui déplaît à son père : les jupes et les couettes, ce n'est pas pour les garçons, son fils devrait plutôt se déguiser en chevalier ou en ogre féroce. Mais le fiston, soutenu par sa mère, refuse de changer d’avis. Et il va trouver un allié aussi convaincant qu’inattendu…

« Anxiogène, effroyable, terrible ». Voila ce que j’ai pu lire à propos de cet album sur certains sites ultracon(servateurs). Mais aussi cette phrase admirable de bêtise crasse : « Cet album vise à déconstruire et ridiculiser les conventions sociales et même les identités sexuelles biologiques sans se demander si ces conventions sont bénéfiques ou non. En particulier dans le cas de jeunes enfants (0 à 3 ans) auquel cet album est destiné et qui ont besoin de repères pour se construire, il parait étonnant de leur mettre dans la tête que l’on peut faire ce que l’on veut. […] C’est un manuel exemplaire de « trouble dans le genre » et de destruction du modèle familial qu’on fait lire à vos enfants de 3 ans dans les écoles de la République ! »

Ben voyons… Franchement, j’ai mal au ventre en lisant des conneries pareilles. Alors comme ça, ce livre est une abomination. Soit. Il est inadmissible. Il pervertit la jeunesse. Soit. Déjà, le proposer à un enfant de moins de 4-5 ans n’a strictement aucun sens. Mais passons, l’essentiel est ailleurs. Ce livre est dégueulasse parce qu’il est drôle. Furieusement drôle. Et le rire est un pêché, c’est bien connu et ce n’est pas Umberto Eco et son « Nom de la Rose » qui diront le contraire. Ensuite, ce texte est infâme parce qu’il détourne les contes traditionnels, il introduit la figure du loup du Petit chaperon rouge et fait référence évidemment à Boucle d’Or, mais aussi aux Trois petits cochons, donnant dans l’intertextualité, dans l’idée du palimpseste chère à Genette. Il offre aux tout-petits leur première leçon de littérature comparée, quelle honte ! Il brise aussi les repères de nos chères têtes blondes qui, évidemment, sont parfaitement au fait de nos « conventions sociales ». Faut-il rappeler les travaux de Bruno Bettelheim et sa « Psychanalyse des contes de fées » ? : « L’enfant qui est familiarisé avec les contes de fées comprend qu’ils s’adressent à lui dans un langage symbolique, loin de la réalité quotidienne. Le conte laisse entendre dès son début, tout au long de l’intrigue, et dans sa conclusion, qu’il ne nous parle pas de faits tangibles, ni de personnes et d’endroits réels. Quant à l’enfant lui-même, les événements réels ne prennent pour lui de l’importance qu’à travers la signification symbolique qu’il leur prête ou qu’il trouve en eux ». Bref, on est loin de la destruction du modèle familial. Et finalement, moi aussi je peux lui faire dire ce que je veux à cet album.

Ah, j’oubliais. J’ai eu la chance de rencontrer Stéphane Servant la semaine dernière au salon de Montreuil. J’ai découvert un homme charmant et ouvert à la discussion, forcément un peu embarrassé et désolé de voir la tournure que prennent  les événements. Nous avons parlé de ce texte qu’il a écrit sans penser un quart de seconde aux interprétations délirantes qui en sont faites par certains culs serrés. Et pour rassurer lesdits culs serrés, je peux affirmer avec certitude que son but n’est pas de faire de tous les enfants des travestis en puissance.

Et si le mieux était de prendre ce livre pour ce qu’il est, c'est-à-dire une histoire légère et drôlissime aux illustrations particulièrement expressives. Une histoire à partager en famille qui fera rire petits et grands le temps d’une lecture complice. Ni plus ni moins.

Boucle d’Ours de Stéphane Servant et Laetitia Le Saux. Didier Jeunesse, 2013. 28 pages. 12,50 euros. A partir de 4 ans.  

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette et Stephie. Il fallait bien que l'on s'y mette à trois pour défendre cet album.

L'avis de Martine Littér'auteur





dimanche 7 décembre 2014

Moisson - Jim Crace

Une fois n’est pas coutume, je vais commencer mon billet par une petite revue de presse. Voila par exemple ce que j’ai trouvé dans « Lire » à propos de ce roman : « Moisson est un conte noir, dont la puissance est dissimulée sous les épis de blé, les bottes de foin, les réserves de chaumes, et au-dessus duquel le ciel menace sans cesse.  […]Moisson, c’est le feu du western qui arrive dans un roman naturaliste. […] Par un phrasé ample, tout à la fois psychologique et abstrait, chamanesque pour un peu, Crace tient son lecteur en apnée. […] Intemporel, Moisson est un des très grands moments de l’automne littéraire cette année ».

Et dans le Monde des livres : « Crace est un ménestrel. Il chante les temps d’avant la croissance mythique et s’interroge sur la moisson de la modernité. […] Il faut lire Crace, un écrivain poétique, politique et puissant. Un fabuleux fabuliste ».

Bon, alors de deux choses l’une : ou bien je suis un parfait abruti (hypothèse à ne pas écarter totalement, je vous le concède), ou bien ces critiques professionnels en font des caisses pour un roman qui ne casse pas trois pattes à un canard. La réalité doit sans doute se trouver quelque part entre ces deux possibilités.  Par rapport à l’article du monde, je ne retiendrais que l’aspect politique de l’œuvre. Parce que perso, je n’y ai rien vu de poétique ni de puissant. Quant au feu du western qui arrive dans un roman naturaliste dont parle « Lire », je me demande si on a lu le même livre. En tout cas je n’ai pas été tenu en apnée une seule seconde.

Mais au fait, de quoi il parle ce roman ? D’une petite communauté agricole de soixante âmes isolée du reste du monde et vivant en totale autarcie. On ne sait pas où elle se trouve, on ne sait pas quand l’action se déroule. Ce pourrait être le Moyen âge, ce pourrait être le 19ème siècle préindustriel. En fait, le fonctionnement du village au fil des saisons a tout de féodal. Le narrateur raconte l’arrestation de trois étrangers après un incendie ayant touché une partie du manoir du seigneur Ken. Accusés sans preuve, les deux hommes sont cloués au pilori et la femme parvient à s’échapper. Quelques jours plus tard apparaît maître Jordan, nouveau propriétaire des lieux voulant remplacer les cultures par l’élevage de moutons et faire basculer cette « bulle » hors du temps vers le progrès, vers le capitalisme de marché. Ces deux événements à priori sans rapport vont précipiter l’éclatement de la communauté.

Clairement, je me suis ennuyé. Le narrateur loue les vertus de la nature triomphante, de la  simplicité du travail de la terre. Il y a de longues descriptions des activités agricoles, des champs et des bois qui ont eu sur moi un effet soporifique indéniable. Après, je reconnais qu’il y a une forme de tension assez prenante par moment, que l’aspect intemporel donne une dimension mystérieuse et universelle au récit, que l’évidente allégorie dénonçant la mondialisation et le propos politique sous-jacent (notamment le racisme lié au repli sur soi) sont finement amenés. Mais de là à en faire « un des très grands moments de l’automne littéraire cette année », il y a un fossé, un énorme fossé, que je me garderais bien de franchir.


Moisson de Jim Crace. Rivages, 2014. 266 pages. 20,00 euros.











vendredi 5 décembre 2014

Fenêtre sur cour d’école - Laëtitia Coryn

Pendant une année, de la fenêtre de son atelier, Laetitia Coryn a observé une cour d'école. Elle y a croqué, au fil des mois, les heures d’entrée et de sortie des classes, les récréations toujours animées ou encore le centre aéré du mercredi.

Au menu, des jeux d’enfants, des chamailleries, des bobos, un caïd qui veut faire le malin, des incontournables comme le jour de la rentrée, la bataille de boules de neige, les déguisements du carnaval ou encore le ballon qui passe par-dessus le mur et que l’on réclame à corps et à cris au voisin.

Il n’y a pour ainsi dire aucun texte, c’est doux et sensible, poétique. C’est pour le lecteur un retour en enfance qui rappelle bien des souvenirs. Certaines trouvailles graphiques font mouche, comme le surveillant gérant les élèves à la manière d'un chien de berger regroupant son troupeau et le trait, spontané, donne beaucoup de dynamisme à ces élèves en perpétuel mouvement. On pourra reprocher à cet album son coté « bisounours », on pourra lui reprocher de caricaturer, de laisser les filles jouer à l’élastique et les garçons au foot (alors que c’est juste la réalité de cette cour de récré je suppose), on pourra s’étonner d’y voir des enfants sans portable et sans console de jeux (alors que ces objets sont simplement interdits dans la très grandes majorité des écoles), bref, on pourra toujours trouver des choses à redire. Moi je m’y suis senti bien dans cet album et j’ai aimé cette succession d’instantanés tout en simplicité. Pour tout vous dire, c’est un livre que j’aimerais glisser au pied du sapin, je sais déjà à qui il ferait très plaisir.

Fenêtre sur cour d’école de Laëtitia Coryn. Dargaud, 2014. 96 pages. 16,00 euros.

jeudi 4 décembre 2014

A Hell of a Woman / Une femme d’enfer - Jim Thompson et Thomas Ott

Faites une croix sur le calendrier, j’ai lu un polar ! Bon, attention, pas n’importe lequel. Un polar américain des années 50. Un polar à l’ancienne. Un polar à propos duquel Stanley Kubrick a déclaré : « Probablement le narrateur à la première personne le plus terrifiant et le plus crédible d'un esprit criminel tordu que j'aie jamais rencontré. » Un polar adapté au cinéma par Alain Corneau sous le titre « Série Noire » avec Patrick Dewaere, Marie Trintignant, Myriam Boyer et Bernard Blier. Un polar de Jim Thompson, auteur culte s’il en est, adulé par James Ellroy et Stephen King. Bref, pas de la gnognote.

Le narrateur à la première personne se nomme Frank Dillon. C’est un représentant de commerce à la petite semaine, le genre de gars qui a du mal à joindre les deux bouts, qui frappe à votre porte sans conviction, désabusé de chez désabusé. Le jour où une grand-mère lui propose sa nièce Mona en guise de paiement, Franck met le pied dans un nid de vipères. Découvrant grâce à la petite que la mamy cache un magot dans sa cave, le VRP met au point un plan imparable pour récupérer l’argent. Un plan tellement imparable que rien ne va se passer comme prévu.

Ah là là que j’ai aimé ce bouquin ! Le Frank est un loser de première, poissard comme c’est pas permis, engoncé dans des certitudes qui ne tiennent pas debout une seconde. Il est également retors, de mauvaise foi, cynique, vénal, égoïste, lâche, trouillard et exagérément mielleux quand les conditions l’exigent. Et puis il est entouré d’une bande d’affreux jojos irrécupérables. C’est simple, il n’y a pas un personnage pour rattraper l’autre. La méchanceté est partout, même chez les femmes (surtout chez les femmes devrais-je dire). Tout cela est ironique à souhait et furieusement drôle, un vrai régal d’humour noir.

Et que dire de cette édition grand format illustrée par l’excellent Thomas Ott et publiée dans l’esprit des pulp américains de la première moitié du 20ème siècle. L’ensemble se présente comme une intégrale regroupant sept fascicules aux couvertures différentes et forme un gros volume au graphisme et à la mise en page vintage pleine de charme. Un superbe objet-livre, vraiment.

A Hell of a Woman ou « La véritable histoire du combat d’un homme contre un sort injuste et des femmes indignes ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Frank. Je ne suis pas du tout un lecteur de polar et il n’y a aucune raison que ça change mais si à chaque fois que je me lance je tombe sur un titre de cette qualité, je risque de finir par y prendre goût.

A Hell of a Woman – Une femme d’enfer de Jim Thompson. La Baconnière, 2014. 206 pages. 25,00 euros.




mercredi 3 décembre 2014

Petites coupures à Shioguni - Florent Chavouet

« Kenji avait emprunté de l'argent à des gens qui n'étaient pas une banque pour ouvrir un restaurant qui n'avait pas de clients. Forcément, quand les prêteurs sont revenus, c'était pas pour Goûter les plats. » Alors oui, forcément, il a pris cher Kenji. Mais les choses ne sont pas si simples, les policiers chargés de l’enquête vont s’en rendre compte. Le procès verbal de la nuit du 26 octobre montre à quel point les événements se sont enchaînés de manière étrange avant et après l’agression subie par Kenji dans son restaurant. Et s’il s’avérait que les yakuzas n’étaient pas venus pour lui mais pour la seule cliente qu’il avait eue ce soir-là ? Et si cette jeune femme était la clé de voûte de cette soirée dont chacun se souviendra longtemps ?


Pour sa première intrusion dans la fiction après deux excellents carnets de voyage (Tokyo Sanpo et Manabé Shima), Florent Chavouet fait fort et se lance dans une trépidante course poursuite dans les rues de Shioguni (je ne suis pas certain que cette ville ou ce quartier existe d’ailleurs, mais peu importe). Il y met en scène des gangsters pieds-nickelés, des policiers pas fute-fute, un chauffeur de taxi aigri, un cuisinier revanchard, un tigre en liberté et surtout une insaisissable gamine qui tire les ficelles sans avoir l’air d’y toucher. Ça peut paraître foutraque de prime abord mais les pièces du puzzle s’imbriquent petit à petit lorsque l'on découvre les éléments venant peu à peu s’ajouter au rapport de police qui sert de fil conducteur à l’intrigue.


Chavouet met sa virtuosité graphique au service de l’histoire sans jamais tomber dans l'exercice de style et le résultat est bluffant. Sa science du cadrage fait mouche, même si la prise de risque est permanente. L’objet-livre en lui-même est superbe avec sa couverture cartonnée maousse costaud et ses pages saturées d’encre qui dégagent une odeur entêtante.

Un conseil : accrochez votre ceinture avant d’ouvrir cet album parce qu’il va à cent à l’heure et ne vous lancez pas si vous n’êtes pas certain de pouvoir tout lire d’un coup, il doit vraiment se savourer sans interruption du début à la fin.


Petites coupures à Shioguni de Florent Chavouet. Picquier, 2014. 180 pages. 21,50 euros.









mardi 2 décembre 2014

Le premier mardi c'est permis (31) : L’amande - Nedjma

Nedjma se présente comme « une maghrébine d’une cinquantaine d’années, moitié berbère, moitié arabe, célibataire ». On n’en saura pas plus. Aucune photo, même sa famille n’est pas au courant de ses talents d’écrivain. « L’amande », publié en 2004, est considéré comme le premier roman érotique écrit par une musulmane. Depuis, elle a sorti un second roman tout aussi torride et elle continue à vivre dans la clandestinité. « Je n’ai pas le courage d’un Rushdie, j’ai choisi de prendre un pseudonyme ».

L’amande raconte l’histoire d’une paysanne marocaine qui fuit la campagne et son mari commis d’office pour rejoindre Tanger et découvrir la sexualité auprès d’un cardiologue érotomane. Pour Driss, elle fera tomber un à un les tabous liée à son éducation ultraconservatrice et sombrera dans un déchaînement sexuel dont elle aura du mal à sortir indemne.

Les chapitres alternent entre son enfance à la campagne et son présent dans les nuits luxueuses de Tanger. En guise d’introduction, la narratrice précise : «  J’ai décidé d’écrire librement, sans chichis, la tête claire et le sexe frémissant ». Mariée à dix-sept ans à un notable qui en avait quarante, elle devient une épouse servile : «  Le servir, puis débarrasser. Rejoindre la chambre conjugale. Ouvrir les jambes. Ne pas bouger. Ne pas soupirer. Ne pas vomir. Ne rien ressentir. Mourir. […] M’essuyer l’entrejambe. Dormir. Haïr les hommes. Leur machin. Leur sperme qui sent mauvais ». Ou encore, à propos de sa nuit de noces, alors que son mari ne parvient pas à la pénétrer : « Ma belle-mère me ligota les bras aux barreaux du lit avec son foulard et Naïma se chargea de me plaquer solidement les jambes. Pétrifiée, j’ai réalisé que mon mari allait me déflorer sous les yeux de ma sœur. Il m’a rompue en deux d’un coup sec et je me suis évanouie pour la première et unique fois de ma vie ».

Dénonciation de mœurs barbares et séculaires, émancipation d’une femme désireuse de briser le carcan dans lequel on a voulu l’enfermer, « L’amande » est un texte cru et virulent, un cri de révolte et de colère, un texte sensuel, puissant et sans concession.

L’amande de Nedjma. Pocket, 2005. 212 pages. 6.80 euros.











lundi 1 décembre 2014

La tendresse des pierres - Marion Fayolle

Samedi à Montreuil, dans les allées du salon, Moka me rappelle l'air de rien que je n'ai toujours pas lu cet album pour lequel elle avait eu un véritable coup de cœur et qu'il y a là quelque chose d'absolument inadmissible ! Elle m'avait déjà fait le coup avec « Le bleu est une couleurchaude », je m'étais exécuté fissa et je ne l'avais pas regretté, ce n'est rien de le dire. Cette BD, je l'ai achetée il y a un an et depuis, elle traîne sur mes étagères, attendant que je lui accorde l'attention qu'elle mérite. Alors hier matin, j'ai profité d'une maisonnée endormie pour m'y plonger la tête la première.

« C'était un homme insaisissable, souvent absent et au tempérament très dur. La maladie venait mettre un grand coup dans sa vie. Tout s'écroulait. C'était triste mais j'étais convaincue que ça allait le rendre meilleur, que tout irait mieux entre nous, maintenant que tout allait mal pour lui. S'il avait failli mourir mais qu'il n'était pas mort, c'était que la vie lui avait donné un sursis pour qu'on aille à la rencontre l'un de l'autre ».

La narratrice raconte l'agonie de son père. C'est d'abord un poumon qu'on lui ôte, puis le nez, qu'il va dorénavant porter au cou comme un ruban, et enfin la bouche. On lui offre de nouveaux poumons, qu'il doit traîner derrière lui comme une valise à roulettes. Petit à petit, le père redevient un enfant dont il faut s'occuper sans cesse, incapable de marcher, incapable de se nourrir seul, qui ne parle plus, faisant la sieste chaque après-midi et qu'il faut embrasser chaque soir sur le front pour le rassurer avant de dormir. Un père tyrannique auquel chaque membre de la famille offre son temps sans jamais avoir le moindre remerciement. Un père finalement condamné le jour où la sentence des médecins tombe, définitive : « Papa va mourir ».

Incroyable album à l'inventivité graphique sans limite, parfois proche du surréalisme, épuré à l'extrême et d'une force d'évocation stupéfiante. Le rapport au père est souligné avec une pudeur bouleversante. On sent la souffrance, la perte à venir, les non-dits, ces mots d'amour qui jamais ne viendront. L'accompagnement vers les derniers instants est décrit avec une sensibilité qui mettrait la larme à l’œil au gros dur le plus aguerri. Au delà du sujet pour le moins douloureux, je trouve le rapport texte/images proprement fascinant. Un très, très, très grand album. Moka avait raison, il aurait été inadmissible de le laisser prendre la poussière plus longtemps.

« Si j'avais dû trouver un élément pour symboliser mon père, j'aurais choisi les pierres. Mais, attention pas les galets lisses et doux. Non, plutôt les rochers qui piquent les pieds si on leur marche dessus sans chaussures. Ceux qui sont recouverts d'aspérités. Ceux qui râpent, qui coupent, qui sont agressifs et froids. Mon père était un rocher sur lequel on aurait aimé s'agripper sans se blesser. Sous lequel on aurait aimé s'abriter sans se sentir menacé ».

La tendresse des pierres de Marion Fayolle. Magnani, 2013. 140 pages. 25,90 euros.

Les avis de Mirontaine et Moka.





samedi 29 novembre 2014

La fabuleuse histoire de la poire géante - Jakob Martin Strid

Un message et une graine dans une bouteille suffisent pour que Mitch et Sebastian se lancent bien malgré eux dans une grande aventure maritime. Au menu, de terrible pirates, la mer de la nuit noire, une île mystérieuse, un monstre marin et des poires géantes.

J'ai adoré ! Un ressenti très personnelle, l'impression de revenir en enfance, de retourner dans la maison de vacances de mes grands-parent où je me glissais le soir venu sous un énorme édredon en plumes avec un livre d'images choisi sur les étagères de la bibliothèque du salon.

Cette « Fabuleuse histoire de la poire géante » a le goût et la patine des ouvrages d'antan. On l'ouvre et un monde merveilleux s'ouvre à nous, un monde dans lequel on voudrait se projeter. On l'ouvre et on entre dans un bulle qui nous isole du triste quotidien, nous plonge dans une délicieuse histoire aux péripéties rocambolesques, sans danger et sans enjeux anxiogènes. On l'ouvre et on est fasciné par la beauté des illustrations, ces plans de machines et d'habitations où chaque détail compte, où rien ne manque. On l'ouvre et on se dit que, décidément, la littérature de jeunesse est d'une infinie richesse.

J'ai ouvert ce livre et j'ai eu à nouveau huit ans pendant une heure. C'était magique.

La fabuleuse histoire de la poire géante de Jakob Martin Strid. Pocket Jeunesse, 2014. 106 pages. 19,90 euros. A partir de 7 ans.








vendredi 28 novembre 2014

Retour à Little Wing - Nickolas Butler

Ils étaient quatre. Inséparables depuis l’enfance, ayant grandi dans ce coin paumé du Wisconsin appelé Little Wing, dans le trou du cul de l’Amérique. Ils sont devenus courtier, champion de rodéo, fermier et rock star. Entrés de plain pied dans la trentaine, l’heure est aux grands changements. Leurs chemins se sont séparés mais aujourd’hui chacun revient sur la terre qui l’a vu naître. Les retrouvailles sont chaleureuses. Ou pas. Doute, nostalgie, avenir incertain et cadavres sortis du placard vont mettre en danger des liens d’amitié plus fragiles qu’il n’y paraît.

Un roman choral qui ne me laissera pas un souvenir impérissable. Il avait pourtant tout pour me plaire. Une histoire d’hommes, les grands espaces, les petits riens des petites gens… Et pourtant je l’ai trouvé trop plat, trop « facile ». Les hommes de Little Wing dont il est question ici sont les descendants d’un western de pacotille. Ils sont bourrus, ont l’amitié virile, portent santiags et jeans, roulent avec leur pick-up entre les champs de maïs. Ils boivent de la bière tiédasse dans d’infâmes bouis-bouis sentant la grassouille et regardent chaque matin le soleil se lever les larmes aux yeux. Un catalogue de clichés très lisses et une scène finale que j’ai trouvée absolument ridicule. Et puis il y a des phrases tellement cucul dans ce texte : « Je me suis levé et approché d’elle, comprenant en cet instant que nous avions déjà commencé à vieillir et que nous vieillirons ensemble » ou encore : « j’ai senti la main de Ronny dans la mienne, sa peau rugueuse, et je l’ai serrée en me sentant à la fois triste pour lui et heureux d’être à ses côtés, heureux qu’il soit là. […] J’avais dans le cœur un énorme puits d’amour que je sentais déborder, tout en le sachant intarissable. » Sérieux ????

Je suis désolé mais l’amitié célébrée avec de telles niaiseries, je ne peux pas. Surtout quand je repense à « Je refuse » qui abordait la même thématique avec beaucoup plus de finesse et d’aspérités, avec une écriture pleine de souffle et une narration cent fois plus attrayante. Un roman bien trop simple (j’ai envie de dire simpliste), bien trop naïf, célébrant une forme d’amitié et d’authenticité bien trop artificielle. Une belle grosse déception, quoi. Ça arrive, malheureusement.

Pour la peine, je retourne écouter le Little Wing de Jimmy Hendrix. Au moins avec celui-là, je n’ai jamais été déçu.

Retour à Little Wing de Nickolas Butler. Autrement, 2014. 445 pages. 22,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Sylire, Tiphanie et Valérie.

Les avis de ClaraHélèneEstellecalim ; Kathel ; KrolLéa Touch Book ; Sandrine ;







J'ai reçu ce livre dans le cadre des matchs de la rentrée Priceminister
et il faut que je lui mette une note. Le pauvre...
Allez, je vais être bon prince et lui donner un généreux 11/20.










jeudi 27 novembre 2014

Le livre de perle - Timothée de Fombelle

Quel plaisir de replonger dans un roman de Timothée de Fombelle ! Un auteur assez rare finalement, loin de toute surproduction éditoriale, qui prend son temps entre chaque ouvrage, préférant à l’évidence fignoler que bâcler. Et quand on voit le résultat, on se dit qu’il a drôlement raison de procéder de la sorte.

Il était une fois un prince chassé de son royaume enchanté et projeté dans Paris à la veille de la seconde guerre mondiale. Recueilli par un couple de confiseurs, il prend part au conflit, est fait prisonnier puis entre dans un réseau de résistants. Par la suite, il cherchera à retrouver dans notre monde des objets venant de « son » royaume et gardera toujours l’espoir de retourner chez lui pour retrouver la fée qu’il n’a jamais cessé d’aimer.

Il est difficile de résumer ce foisonnant roman à tiroirs tant sa construction particulièrement subtile le rend à la fois limpide et complexe. Tout l’art de conteur de Timothée de Fombelle s’y déploie. Artisan minutieux, il tricote son canevas serré-serré, mêle intimement les fils qui relient ses personnages, nous balade à travers les mondes et les époques sans jamais nous perdre en route. C’est simple, j’ai rarement lu un texte jeunesse aussi ambitieux, aussi maîtrisé et aussi prenant.

Ode à l’amour et à la puissance de l’imaginaire, Le livre de Perle relate la quête impossible d’un paradis perdu. Un récit sur un fil, entre onirisme et dure réalité. Pour Timothée de Fombelle, « les histoires nous inventent ». Il suffit juste d’y croire pour qu’elles existent.

Le livre de perle de Timothée de Fombelle. Gallimard jeunesse, 2014. 298 pages. 16,00 euros. A partir de 14 ans.

L'avis de Léa Touch Book