mardi 11 novembre 2014

Vibrations - Raphaële Frier

Clara est amoureuse de Sylvain. Il ne s’est encore rien passé entre eux mais elle a bon espoir. Pour l’instant, ils ne font que manger ensemble à la cantine et s’envoyer des SMS plein de bisous virtuels. Accrochée à son portable, elle guette la moindre vibration dans sa poche, signe qu’un nouveau texto du bellâtre est arrivé. Mais le jour où elle emporte par erreur le téléphone du jeune homme et y découvre une vidéo raciste et humiliante tournée à l'encontre de son ami d’enfance Hakim, Clara comprend que Sylvain n’est pas celui qu’elle croit, que le prince charmant n’est rien d’autre qu’un affreux salopard.

Honnêtement, j’ai crains le pire au départ. Peur de tomber sur une bluette d’ados à coups de SMS sans relief. Honnêtement, je ne suis pas fan de l’écriture, de ces phrases à la première personne très orales au jeunisme un poil artificiel. Mais au-delà de ça, ce court roman possède d’indéniables qualités de fond. Il y est notamment question du refus de la haine ordinaire, d’une jeune fille à l’étonnante maturité, capable de prendre ses responsabilités, prête à s’indigner devant l’intolérable et à faire bouger les lignes. Le discours n’est pas simpliste, son attitude devrait pousser bien des jeunes lecteurs à la réflexion. Pas la pépite du siècle, certes. Mais un texte malheureusement d’actualité, un texte utile et qui a du sens, ce qui est déjà beaucoup.

Vibrations de Raphaële Frier. Talents hauts, 2014. 90 pages. 7,00 euros.

Une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.











lundi 10 novembre 2014

Le petit voleur de temps - Nathalie Minne

Petite fille, tu as changé ma vie. Avant ce lundi, je ne savais pas que tu existais et tous les jours se ressemblaient. Ce lundi, je t’ai vue et j’ai voulu tout savoir de toi. Tu m’as donné rendez-vous et  j’ai commencé à attendre. Combien de nuits devaient passer, combien de jours ? Cela semblait long, très long, infiniment long. Et puis le moment est arrivé. Ce jour-là tu m’as dit : « J’aime que tu sois timide, j’aime bien quand on se tait. » Le temps que l’on a passé ensemble a paru court, très court, infiniment court.

Depuis ce jour, tu ne m’as plus quitté. Nous avons choisi des mots, beaucoup de mots, pour décider quand se revoir : souvent, toujours, vite, encore, tôt ou tard, bientôt, quand tu veux ou tu veux, demain, samedi, tout à l’heure, jamais. Ensemble, nous volons un peu du temps chaque jour pour l’avoir à nous tout seuls. Et quelle que soit la fin de notre histoire, nous nous rappellerons toujours ce temps que nous avons volé et que jamais nous ne rendrons.

Un petit garçon qui tombe amoureux au premier coup d’œil, un lundi. Sa belle lui donne rendez-vous le jeudi suivant. Pour ne pas la rater, pour être certain de la revoir encore et encore, il va mémoriser les jours de la semaine, le nom des mois et des saisons. Avec la petite fille, "ils sauront que juin vient avant juillet, comme vendredi vient avant samedi". Il est question de sentiments, du plaisir d'être ensemble, de l'amour qui naît, qui chamboule et emporte tout sur son passage. Les illustrations, aux couleurs vives et aux formes géométriques, sont sublimes.

Un album pour apprendre la notion de temps autrement, en poésie. Un album à lire, à offrir, à partager sans retenue.


Le petit voleur de temps de Nathalie Minne. Casterman, 2014. 36 pages. 14,95 euros. A partir de 4 ans.







samedi 8 novembre 2014

5 ans déjà !

7 novembre 2009. Je créé ce blog et m’apprête à sauter dans le vide. Une bouteille à la mer dans laquelle je glisse modestement mon premier billet. Je doute fortement que cette bouteille soit ramassée et ouverte par qui que ce soit. Et à la limite peu m’importe, j’ouvre cet espace pour m’en servir de bloc-notes, pour garder une trace écrite de mes lectures, rien de plus. Je ne savais pas encore qu’en mettant timidement le nez dans la blogosphère, j’allais accumuler les découvertes et les belles surprises.

En cinq ans, que de rencontres ! Virtuelles et réelles, toujours positives. Des liens très forts se sont créés et de belles amitiés se sont nouées. Réelles et sincères. In et off. Beaucoup de off d'ailleurs. Il y a ce que l'on voit ici et tout le reste, qui compte au moins autant, voire davantage (les intéressées se reconnaîtront...). Finalement, c’est tout ce que j’aime dans ce passe-temps chronophage. Échanger, écouter, conseiller, offrir, recevoir, partager, respecter les points de vue d’autrui et défendre les siens. J’aime aussi les lectures communes (c’est rien de le dire), les rendez-vous hebdomadaires ou mensuels que je ne raterais pour rien au monde, les balades quotidiennes chez les uns et les autres.

Après, je crois que mon petit blogounet me ressemble. Simple, sans prise de tête. Pas donneur de leçon pour deux ronds, ouvert à toutes les curiosités livresques. J’ai mes préférences bien sûr, mes zones de confort, ma sensibilité (si, si !) et je manque très souvent d’objectivité, mais je me soigne. Je m’amuse, je prends du plaisir et tant que ce sera le cas, je me vois encore continuer longtemps. On verra bien, comme dirait l’autre…

En attendant, pour fêter ces cinq ans d’existence, un petit concours s’impose. Comme d’habitude, aucune règle. Il suffit juste de vous manifester dans les commentaires de ce billet et vous ferez partie du tirage au sort (sauf si vous ne le souhaitez pas, bien entendu). Qu’est-ce qu’on gagne ? On va dire que je vais sortir trois noms de mon chapeau magique et que les personnes concernées pourront choisir le titre qu’elles veulent parmi mes lectures de la rentrée littéraire. Et si elles préfèrent la BD, elles pourront fouiller ici.




vendredi 7 novembre 2014

Charlotte - David Foenkinos

Foenkinos a découvert la peintre Charlotte Salomon à l’occasion d’une exposition de ses toiles à Hambourg : « Ce fut immédiat. Le sentiment d’avoir enfin trouvé ce que je cherchais. » Depuis, la vie de cette femme est devenue son obsession et il a ressenti le besoin de mener l’enquête, de reconstituer son parcours, de la suivre pas à pas. Née en 1917 dans une famille juive de Berlin, Charlotte perd très tôt sa mère. Adolescente introvertie, hantée par les suicides qui frappent les siens à chaque génération, elle se découvre une passion pour la peinture qui ne la quittera plus. Fuyant l’antisémitisme après la Nuit de Cristal fin 1938, elle rejoint ses grand-parents à Villefranche-sur-Mer. C’est là qu’entre 1940 et 1942 elle réalisera quelques centaines de gouaches rassemblées sous le titre « Leben ? Oder Theater ? » (Vie ? ou Théâtre ?), aujourd’hui exposées au musée juif d’Amsterdam. Dénoncée, arrêtée, déportée à Drancy puis à Auschwitz, elle meurt dans les chambres à gaz à l’âge de 26 ans, enceinte de cinq mois.

Je n’avais jamais lu Foenkinos avant, je n’ai donc aucun point de comparaison possible avec le reste de son œuvre. Finalement, ce n’est pas plus mal. Sur le fond, la trajectoire de cette femme m’a passionné. Sa tragédie familiale, l’éveil de sa conscience artistique, son destin rattrapé par l’Histoire avec un grand H, ses petites victoires, ses joies dérisoires et ses grandes peines. Sur la forme, je suis plus mitigé. Déjà, le coté autofictionnel m’a agacé à plusieurs reprises. Quel intérêt a l’auteur de nous expliquer qu’il s’est rendu dans la maison d’enfance de l’artiste et qu’il n’a pu la visiter parce qu’on lui a claqué la porte au nez ? Franchement ? Pour nous prouver qu’il est bien parti à sa recherche ? Euh… on le sait depuis le début. Patrick Deville fait souvent le même genre d’intrusions dans ses récits mais elles ont toujours du sens, alors que là… Et puis sur la forme en elle-même, j’ai eu beaucoup de mal. Du sujet-verbe-complément-retour-à-la-ligne sans doute pas si simple que cela à écrire mais qui, à la lecture, offre une trop grande accessibilité au texte et lui enlève toute qualité littéraire.

Par contre, j’ai aimé que Foenkinsos se justifie, qu’il assume son parti-pris formel : « Pendant des années, j’ai pris des notes. J’ai parcouru son œuvre sans cesse. […]. J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois. Mais comment ? […] Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ? Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais. Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite. Je me sentais à l’arrêt à chaque point. Impossible d’avancer. C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » Point de coquetterie donc, une vraie sincérité, une certaine pudeur aussi.

Je trouve donc la démarche de l’auteur touchante mais ce minimalisme, cette volonté d’en dire le moins possible pour aller à l’essentiel m’a beaucoup trop laissé à distance. Le style télégraphique fini par être d’une froideur clinique et ne laisse aucune place à l’émotion. Tout l’inverse de ce qu’a par exemple fait Valentine Goby avec Kinderzimmer et que j’ai tant aimé. Je ressors donc ni véritablement déçu ni totalement convaincu. On sent l’œuvre portée par l’auteur pendant des années et son besoin quasi viscéral de la coucher enfin sur le papier pour, quelque part, s’en libérer. Mais du strict point de vue de la lecture et de la petite musique des mots, il ne m'a donné aucun plaisir.

Charlotte de David Foenkinos. Gallimard, 2014. 220 pages. 18,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que je partage, une fois de plus, et c'est toujours le même plaisir, avec Noukette.

Les avis de Blablablamia, Laure, Laurie, L'irrégulière, Mango, Sandrine, Unchocolatdansmonroman






jeudi 6 novembre 2014

La source des jours - Mélanie Rutten

C'est l'histoire d'une ourse danseuse, d'un cerf amoureux d'une louve, d'un livre qui a perdu sa première page, d'un petit chat à la recherche de son ballon, d'un bison musicien ou jardinier et d'un lapin blanc. C'est aussi et surtout une histoire de rencontres, de trajectoires à priori éloignées qui vont finir par se croiser. Dans cette histoire, on n'est rien d'autre que ce que l'on est. Et dans la tempête, certains sont contents d'avoir un grand frère, d'autres se débrouillent tout seul, d'autres aimeraient que quelqu'un soit là, tandis que d'autres encore jouent les protecteurs en attendant que les choses se calment.

Résumée comme cela, cette histoire peut paraître confuse, elle peut sembler n'avoir ni queue ni tête. Or c'est tout le contraire. Je n'ai malheureusement pas le talent de conteur de Mélanie Rutten. Si vous vous laissez prendre par la main, elle vous emmènera dans son univers tendre et poétique. Vous comprendrez d'où vient la source des jours, surtout si comme moi vous avez eu la chance de lire son précédent album, « L'ombre de chacun ». On retrouve ici les mêmes personnages et l'on remonte à l'origine de leur rencontre.

Une fois encore c'est un livre qui se mérite : beaucoup d'ellipses, beaucoup d'implicite, une multitude d'interprétations possibles. Et une fois encore Mélanie Rutten enchante par son trait coloré, inventif et plein de douceur. Elle nous offre une parenthèse hors du temps et du triste quotidien, un voyage dépaysant vers une contrée où il fait bon vivre. C'est simple, c'est beau, tout en émotion. C'est à des années lumière de ce que j'ai l'habitude de fréquenter mais qu'est-ce que c'est bon !


La source des jours de Mélanie Rutten. MeMo, 2014. 52 pages. 17,00 euros.


Je ne pouvais partager cette lecture qu'avec Moka. C'est à elle que je dois ma découverte de Mélanie Rutten et j'espère que nous lirons ensemble bien d'autres album de cette grande artiste.




mercredi 5 novembre 2014

Le linge sale - Rabaté et Gnaedig

Après vingt ans derrière les barreaux, Pierre Martino retrouve la liberté. Trompé par sa femme, il avait voulu l’assassiner avec son amant dans l’hôtel où ils avaient l’habitude de se retrouver. Mais il s’était trompé de chambre et avait tué un autre couple avant de blesser un des policiers venus l’interpeller. Libéré pour bonne conduite, le prisonnier modèle n’a rien oublié et il est bien décidé à terminer la mission qu’il n’avait pu achever deux décennies plus tôt. Et comme entre temps son ex s’est mariée avec l’amant, il imagine que la tâche n’en sera que plus facile. La vengeance est un plat qui se mange froid mais que l’on peut parfois avoir bien du mal à digérer…

Un récit tenant à la fois du polar rural, de la chronique sociale et de la comédie de mœurs. La nouvelle famille de l’ex-femme est beauf jusqu’au trognon, vivant de rapines dans une maison délabrée en pleine cambrousse. Père, mère, enfants et grands-parents dorment sous le même toit, vident les bouteilles à l’unisson et jurent comme des charretiers. Un quart monde décrit avec humanité et sans misérabilisme. C’est sordide mais jamais cynique, Rabaté n’étant pas du genre à se mettre au-dessus de ses personnages. Et c’est aussi très drôle, tant grâce aux dialogues plein de gouaille qu’aux péripéties pathétiques vécues par cette bande de pieds nickelés ingérable. Le cocu assassin est quant à lui un antihéros aigri et déterminé, tendant méticuleusement et patiemment la toile qui doit lui permettre de prendre sa revanche. Tellement déterminé qu’il en deviendrait presque sympathique et que l’on souhaiterait de tout cœur le voir mener à bien son entreprise.

Si ce linge sale est bien du Rabaté pur jus, je n’en ferais pas mon préféré. Dans la même veine, Crève saucisse et La marie en plastique m’avaient plu davantage. Ici, la fin, grinçante à souhait, est bien trouvée mais le reste est par moment poussif. Il faut dire aussi que j’ai eu beaucoup de mal avec le trait particulièrement naïf de Sébastien Gnaedig qui ne sert pas au mieux le scénario, c’est le moins que l’on puisse dire. Une lecture agréable, du bon Rabaté mais pas de l’excellent Rabaté.

Le linge sale de Rabaté et Gnaedig. Vents d’ouest, 2014. 126 pages. 19,50 euros.








mardi 4 novembre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : In Bed - Lydia Frost et Kalondji

Dans un hôtel de Central Park, un couple après l’amour. La femme est rayonnante, l’homme bien plus soucieux. Il faut dire que Rachel et Luka sont mariés, mais pas ensemble. Une relation adultérine vécue différemment par ses deux protagonistes, l’un culpabilisant beaucoup plus que l’autre…

Une réflexion très fine sur l’adultère. Il est appréciable que les auteurs ne se soient pas emparés du sujet pour tomber dans la simple histoire de cul multipliant les visuels aussi froids que cliniques. Ici, tout est en suggestion, l’approche étant essentiellement psychologique. L’histoire est certes des plus banales mais l’intérêt tient dans le fait que l’on s’intéresse aux causes et aux conséquences de la tromperie. Sans jugement, sans défendre où accuser. Lui va voir ailleurs parce qu'il est dans une fuite en avant, ne sachant pas vraiment ce qu’il cherche ni ce qu’il veut. Il est fragile, mal à l’aise, manquant d’assurance. Il est lâche et ne parvient pas à compartimenter les choses. C’est un homme, quoi. Rachel est au contraire une working girl bien sa peau, qui veut juste briser la routine d’un quotidien avec mari et enfants. Elle assume, fait la part des choses et ne se prend pas la tête. Je ne dirais pas qu’elle a le beau rôle, mais presque.

Et finalement, c’est ce que j’ai aimé. Le portrait, même un poil caricatural, d’une femme belle, talentueuse et sûre d’elle face à un homme qui se perd en tergiversations. Comme j’ai aimé l’individualisation d’une problématique universelle, le fait que leur histoire banale possède un caractère unique. Et puis niveau dessin, c‘est d’une rare élégance et les scènes « coquines », certes discrètes, sont passionnées et brûlantes.

Finalement, la réflexion est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pour Rachel, coucher n'est pas tromper. Pour Luka, ce n'est pas si simple, loin de là. Pour le lecteur, c'est une question de point vue, d'opinion ou d'expérience personnelle, voire de mauvaise foi...

In Bed de Lydia Frost et Kalondji. Delcourt, 2014. 90 pages. 15,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka. Et ce n'est rien dire que ça me fait très plaisir !









lundi 3 novembre 2014

Meursault, contre-enquête - Kamel Daoud

« Un français tue un arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c’est l’été 1942. Cinq coups de feu suivis d’un procès. L’assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé d’elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil où à de l’oisiveté pure. […] Tout le reste n’est que fioritures, dues au génie de ton écrivain. Ensuite, personne ne s’inquiète de l’arabe, de sa famille, de son peuple. A sa sortie de prison, l’assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l’absurde. Tu peux retourner cette histoire dans tous les sens, elle ne tient pas la route. »

Un vieil homme se confesse dans un bar d'Oran. Dans un long monologue proféré à un prétendu universitaire, il raconte celui qui, pour tous, a toujours été « l'arabe », et rien d'autre. Une victime innocente, tuée sur une plage. Une victime qui n'était autre que son frère, Moussa : « celui qui a été assassiné est mon frère. Il n'en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera. » Haroun n'avait que sept ans à l'époque. Il ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé ce jour-là. Alors il extrapole, il digresse et revient sur son enfance, sur cette mère assoiffée de vengeance qui l'a toujours traité comme un moins que rien. Sur le meurtre qu'il commettra lui-même vingt ans plus tard, en 1962, au moment de l'indépendance. Un meurtre gratuit, contre un français.

Tout cela a bien entendu à voir avec « L'étranger » et sonne comme une réponse à ce dernier. Pourtant, jamais le nom de Camus n'est cité. Le livre est attribué à Meursault, qui l'aurait écrit lui-même en sortant de prison. Comme s'il s'agissait d'un véritable fait divers, comme si la réalité rejoignait la fiction. Les correspondances entre cette contre-enquête et « L'étranger » sont nombreuses et l'on peut dire que Daoud écrit contre Camus, collé tout contre lui. L'effet miroir est saisissant : son « héros » a un problème avec sa mère, son héros tue sans véritable raison un français, son héros voit sa solitude fugitivement brisée par une figure féminine, son héros hait la religion et le crie bien fort.

Ce ne pourrait être qu'un exercice de style, c'est bien plus ambitieux. Peut-être trop d'ailleurs. J'avoue que je suis resté sur ma faim. L'idée d'exploiter la figure de la victime anonyme, cet angle mort du roman de Camus, ce « hors champ », était intéressante, mais j'aurais préféré découvrir vraiment la vie de cette victime plutôt que celle de son frère. Je m'attendais à découvrir cette histoire-là, je ne sais pas pourquoi. Du coup, le monologue décousu du narrateur sur sa propre existence, sa volonté, inconsciente ou pas, de créer le parallèle avec le personnage de Meursault m'a laissé quelque peu indifférent. Pas vraiment une déception, j'admire la façon dont le sujet a été traité, mais ce n'est pas celui que j'aurais aimé découvrir.

Dernière précision qui a son importance, je trouve l'écriture de Kamel Daoud très belle, oscillant sans cesse entre colère sourde et envolées pleines d'exaltation : « Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace ».

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. Actes Sud, 2014. 153 pages. 19,00 euros.

Une lecture commune que je partage une fois encore avec Noukette.

L'avis de Marilyne





vendredi 31 octobre 2014

La malédiction du bandit moustachu - Irina Teodorescu

Ça commence comme un conte. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, quelque part en Roumanie, et une malédiction est lancée à l’encontre de Gheorghe Marinescu par un bandit moustachu détrousseur de bourgeois : la mort frappera tous les descendants mâles de sa famille, et ce jusqu’à l’an 2000. A partir de là nous suivons, de génération en génération, le destin tragique des fils Marinescu qui ne pourront échapper à la fatalité. Et l’on découvre que les Marinescu n’ont rien de bons samaritains, tant les hommes que les femmes d’ailleurs. Ce ne sont pas « Maria la cochonne », « Maria la laide », « Ana la sorcière » ou « Margot la vipère » qui me contrediront.

Bof, bof, bof, ai-je envie dire. Ce premier roman d’une jeune auteure roumaine de 35 ans (écrit en français, je précise que ce n’est pas une traduction) a un coté loufoque qui pourrait être plaisant. L’écriture est dynamique, le changement de niveaux de langue donne beaucoup de vivacité, comme les chapitres très courts. Mais pour le reste... Les choses vont trop vite. On passe d’une époque à l’autre, d’un « Marinescu » à l’autre sans véritable liant. Et puis je me rends compte que j’ai beaucoup de mal dès qu’il y a plus de cinq personnages dans un roman. Je suis finalement un lecteur assez limité (bon ça, il y a longtemps que je le sais). Mais là, franchement, pour suivre le rythme et m’y retrouver, il m’aurait fallu un arbre généalogique détaillé. L’autre aspect qui m’a dérangé, c’est la méchanceté et le cynisme permanent dont font preuve les membres de cette famille. Je freine toujours des quatre fers devant le cynisme et la méchanceté. Il paraît que ça peut être drôle mais ça ne me fait jamais sourire. Du coup, les Marinescu et leur histoire, je n’en ai rien eu à faire, et ce dès le début. J’ai même été bien content de les quitter en tournant la dernière page, c’est dire.

Alors oui, c’est un premier roman enlevé et original qui sort des sentiers battus et de l’autofiction généralisée (ce qui est quand même un sacré bon point !), mais non, il ne m’a pas séduit une seconde et en ce qui me concerne,  je vais le classer sans regret dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».


La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu. Gaïa, 2014. 155 pages. 17,00 euros.





jeudi 30 octobre 2014

Un pommier dans le ventre - Simon Boulerice et Gérard Dubois

Quand Raphael mange une pomme, il la mange en entier, sauf la queue. Lorsqu’on son copain Rémi l’apprend, il est affolé : « Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ?! ». Raphael ne veut d’abord pas le croire mais il finit par se plier aux arguments de son ami. Horrifié, il retourne en classe avec des crampes à l’estomac. Plus tard, devant le miroir, il lui semble voir son ventre tout bosselé. Et quand il cogne sa poitrine, il a l’impression de frapper une porte en bois. A la maison, sa mère lui coupe les cheveux. Les yeux fermés, il sent « que le plancher de la cuisine se couvre de petites branches et de feuilles mortes »…

Un très joli album sur les peurs enfantines, sur la capacité des bambins à laisser leur imaginaire extrapoler une situation du quotidien jusqu’à la rendre particulièrement anxiogène. Les proportions prises par la certitude pour Raphael qu’un pommier pousse dans son ventre deviennent vite incontrôlables. Heureusement, en partageant son angoisse avec sa mère, il parviendra à la raisonner. La conclusion est très joliment trouvée, laissant au final l’insouciance de l’enfance emporter la partie.

Graphiquement, c’est totalement vintage, à tel point que j’ai cru au départ avoir entre les mains la réédition d’un album des années 50. Les illustrations sont superbes, elles ont le charme suranné des vignettes d’antan. Un très bel objet-livre, une histoire à la fois tendre et sensible qui permettra peut-être à certains petits lecteurs d’exorciser leurs propres peurs. Que demander de plus ?

Un pommier dans le ventre de Simon Boulerice et Gérard Dubois. Grasset Jeunesse, 2014. 48 pages. 13,50 euros. A partir de 5 ans.


Les avis de Martine et Sophie Van der Linden