lundi 8 septembre 2014

Dans le jardin de l’ogre - Leïla Slimani

Adèle a tout pour elle. Parisienne, 35 ans, belle, journaliste, mariée à un chirurgien, maman d’un petit Lucien. En apparence, elle a tout pour elle. Mais la réalité est bien plus sombre.

Son job ? « Adèle n’aime pas son métier. Elle hait l’idée de devoir travailler pour vivre. Elle n’a jamais eu d’autres ambitions que d’être regardée. […] Elle aurait adoré être la femme d’un homme riche et absent. Au grand dam des hordes enragées de femmes actives qui l’entourent, Adèle aurait voulu traîner dans une grande maison, sans autre souci que d’être belle au retour de son mari. Elle trouverait merveilleux d’être payée pour son talent à distraire les hommes. »

Son fils ? « Lucien est un poids, une contrainte dont elle a du mal à s’accommoder. Adèle n’arrive pas  à savoir où se niche l’amour pour son fils au milieu de ses sentiments confus : panique de devoir le confier, agacement de l’habiller, épuisement de monter une pente avec sa poussette rétive. L’amour est là, elle n’en doute pas. Un amour mal dégrossi, victime du quotidien. Un amour qui n’a pas de temps pour lui-même. »

Son homme ? « Dans la rue, ils marchent vite, l’un à coté de l’autre. Ils ne se touchent pas. S’embrassent peu. Leurs corps n’ont rien à se dire. Ils n’ont jamais eu l’un pour l’autre d’attirance, ni même de tendresse, et d’une certaine façon cette absence de complicité charnelle les rassure. »

Pour affronter le quotidien, Adèle multiplie les aventures et les coucheries. N’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui. Adèle joue les femmes fatales, elle existe à travers le regard des autres.  Le désir n’a pas d’importance. « Elle n’avait pas envie des hommes qu’elle approchait. Ce n’était pas à la chair qu’elle aspirait mais à la situation. Etre prise. Observer le masque des hommes qui jouissent. Se remplir. Goûter une salive. […] L’érotisme habillait tout. Il masquait la platitude, la vanité des choses. »

Le portrait d’une femme insatisfaite. D’une femme perdue, malade. Le portrait d’une nymphomane trompant son monde en permanence et dont la chute semble inéluctable. Leïla Slimani ne tombe pas dans la facilité et évite un enchaînement de scènes crues et gratuites auxquelles le déroulement du récit aurait pu pourtant l’autoriser. Il y a bien sûr quelques passages explicitement sexuels mais je n’y ai trouvé aucune surenchère. Pour autant, je ressors de ce premier roman à la limite de l’agacement. Le portrait de cette bourgeoisie parisienne m’a souvent semblé très caricatural. Le style froid n’a, à aucun moment, attiré mon empathie pour cette pauvre Adèle, que je me garderais bien de plaindre ou d’enfoncer. Bref, j’ai eu du mal, en tournant la dernière page, à donner du sens à cette histoire à la limite du pathétique. Mais bizarrement, j’ai aussi l’impression d’être passé à coté de quelque chose de plus profond. Bref, je suis un peu perdu.

Et je me demande si le problème vient de mon regard masculin, s’il ne faudrait pas un avis féminin pour éclairer ma lanterne. Donc, si une âme charitable veut se lancer dans ce premier roman difficile à cerner, qu’elle me fasse signe, je le ferais voyager jusqu’à elle avec plaisir.

Dans le jardin de l’ogre de Leïla Slimani. Gallimard, 2014. 215 pages.17,50 euros.

L'avis de Titou






samedi 6 septembre 2014

La chance que tu as - Denis Michelis

Il est assis à l’arrière de la voiture. La femme lui dit « Je suis ta mère et ce travail est la meilleure chose qui puisse t’arriver ». Il en déduit que l’homme au volant est son père. Tous deux le laissent devant les marches du « Domaine », une vaste maison bourgeoise avec une allée de gravier et, juste derrière, une immense forêt. Le domaine est un restaurant gastronomique. Le plus prestigieux de la région. Ses parents lui disent qu’il a été accepté comme serveur, que c’est un privilège, « presque un miracle ».

En réalité, tel le Petit Poucet, le jeune homme a été abandonné dans un milieu hostile. Dès le premier contact avec Virg, sa responsable, il se doute qu’il vient de mettre les pieds dans un nid de vipères. Ses effets personnels disparaissent mystérieusement et lorsqu’il demande à signer son contrat, on lui réplique qu’il l’a fait depuis longtemps. Commencent alors les humiliations, les engueulades et le harcèlement permanent. Du simple bizutage, on passe rapidement au degré supérieur. Le chef cuistot abuse de lui sexuellement et, pour mieux le faire obéir, on l’affuble d’un collier et d’une muselière. Avec cet attribut, il devient une attraction pour les clients, un phénomène que l’on vient voir de loin…

Un premier roman inclassable. Inclassable parce qu’au réalisme le plus cru, Denis Michelis a préféré une forme plus énigmatique, proche du conte fantastique. Le Domaine semble être un lieu hors du temps et les personnages qui l’occupent sont désincarnés, froids et pervers. Le flou temporel demeure tout au long du récit et on ne sait pas combien de jours, de semaines, de mois ou même d’années va durer la torture subie. L’escalade progressive des brimades est terrifiante, cruelle. On assiste à la construction implacable d’une victime, d’un souffre-douleur. On s’étonne du peu de réaction du pauvre garçon mais l’enchaînement des événements  prouve simplement que l’« on s’habitue à tout ».

Entre Kafka et « Le prisonnier », un texte glaçant.

« Ici au moins, il est au chaud.
Ici au moins, il est payé, nourri, blanchi.
Ici au moins, il a du travail.
L'enfermement le fait souffrir certes, mais pense un peu à tous ceux qui souffrent vraiment.
Ceux qui n'ont plus rien.
Alors que toi, tu as une situation et un toit où dormir, ça n'est pas rien tu sais.
Et tu oses te plaindre. »

La chance que tu as de Denis Michelis. Stock, 2014. 153 pages. 17,00 euros.


L’avis de Blablablamia 






vendredi 5 septembre 2014

L’été des noyés - John Burnside

Il se passe de drôles de choses sur l’île de Kvalaya, à l’extrême nord de la Norvège. En mai 2001, Mats Sigfridsson s’est noyé dans le détroit de Malagen. Dix jours plus tard, ce fut au tour de son frère de disparaître dans les mêmes conditions. Liv les connaissait plus ou moins tous les deux. Cette jeune fille, vivant avec sa mère artiste peintre dans une maison grise offrant un vue imprenable sur les prairies et la grève, aime la solitude que ce « bout du monde » lui procure. Son seul ami est Kyrre, un vieil homme qui depuis son enfance lui raconte des histoires de trolls et de sirènes. Lui est persuadé que les noyades sont l’œuvre de la « huldra », une femme à l’irrésistible beauté et aux pouvoirs maléfiques qui séduit les jeunes hommes avant de les faire disparaître. Liv est plus terre à terre, elle pense que les racontars de Kyrre ne sont pas crédibles. Pourtant, les faits qui vont s’enchaîner au fil des nuits blanches de l’été arctique feront vaciller ses certitudes…  

Un roman étonnant. Un roman d’atmosphère. Un roman psychologique. Très psychologique même. Beaucoup trop pour moi en fait. Le paysage boréal a ce petit quelque chose de fantasmagorique qui dégage une inquiétante étrangeté. Liv est la narratrice unique du récit. Et elle a parfois un comportement assez flippant ! On en vient à se demander si les disparitions ont vraiment eu lieu ou si elle nous mène en bateau. On referme le livre en se disant que Burnside, quelque part, nous encourage à ne pas choisir, nous laisse volontairement démunis et en pleine perplexité. C’est du moins ce que j’ai ressenti et c’est une impression que je n’aime pas du tout !

Finalement, les noyades ne sont que des péripéties secondaires. La quête d’identité de Liv, son passage vers l’âge adulte, la relation particulière avec sa mère et l’absence d’une figure paternelle sont les véritables thématiques du texte.

Il y a quelque chose de David Lynch dans ce roman que beaucoup pourraient qualifier de fascinant. Le problème, c’est que l’univers de Lynch m’a toujours laissé de marbre. Personnellement, j’ai trouvé cet été des noyés plus nébuleux qu’envoutant. Il n’empêche, la partition offerte par John Burnside, au-delà de réticences qui me sont propres, a tout pour plaire. Son écriture, à la musicalité particulière, est parfois proche du baroque et possède une tonalité à l’incontestable originalité. Énormément de qualités donc, mais je dois bien reconnaître qu’en ce qui me concerne, le charme n’a pas opéré. Dommage.


L’été des noyés de John Burnside. Métailié, 2014. 320 pages. 20,00 euros. 

Une fois de plus, je partage cette lecture commune avec Noukette.

L'avis enthousiaste de Cryssilda ; Celui de Jostein






jeudi 4 septembre 2014

Yparkho - Michel Jullien

Ilias est sourd et muet, comme sa mère Maria. Tous deux vivent dans une petite maison crétoise, loin de tout. Maria est en bout de course. Totalement sénile. Ilias s’en occupe comme il peut. Dans la journée, il répare les camions venus trouver secours au seuil de son petit atelier. Le soir, il pêche dans les criques avec sa vieille barque. Un jour, entre deux falaises, Ilias entend le souffle du vent : « ses deux tympans s’ouvrirent, cravachés d’un coup de grisou expulsé du puisard. Quelque chose venait de hurler qu’il reconnut pour un bruit, le premier, entré dans sa tête. Un bruit neuf, distinct, pas de ces borborygmes claustrés tout le jour dans son immense caisse de résonance intérieure […] Un son intelligible, venu de l’extérieur. » Une impression nouvelle qui le bouleverse…

Que se passe-t-il dans ce court roman ? Pas grand-chose à vrai dire. La vie qui s’écoule, paisible. Silencieuse. L’écaillage d’un mérou, la réparation d’un camion, l’agonie d’une dorade, une séance de manucure, tout est prétexte à décrire le moindre geste, le moindre mouvement. Une écriture sensorielle à l’incroyable force d’évocation. C’est poétique sans être ronflant, imagée sans tomber dans la banale compilation de descriptions. Ça pourrait être très lourd, ça pourrait être de la pure esbroufe, de l’exercice de style sans âme. C’est au contraire une déclaration d’amour à la langue et au pouvoir enchanteur des mots. On sent un auteur exigeant, orfèvre, ciselant chaque phrase avec minutie et prenant un évident plaisir à le faire. Tout est là, je pense. Michel Jullien joue avec un lexique foisonnant, il créé une musicalité qui enchante et force l’admiration. Et le lecteur de se régaler de ces petits riens si joliment troussés. Juste somptueux.

Yparkho de Michel Jullien. Verdier, 2014. 137 pages. 13,50 euros.

Quelques extraits, j’aurais pu recopier des dizaines de pages :

« Plus que le silence familial, plus que leur défaut d’ouïe, Ilias et Maria partagent le peu de choix de leur vie d’élection, cet endroit délaissé, cette maison bâtie sous un virage en épingle à cheveux dont l’accotement verse parfois sur la toiture. Mère et fils ne se voient pas, non qu’ils s’ignorent : leur mutuelle surdité les en dispense, et puis manger force à regarder en bas. Ils n’ont jamais mis au point de gestations codées, de mimes, nulle distorsion de faciès pour un verbe, nulle agitation buccale où lire un mot, pantomine de lèvres, nul mouvement impudique de langue comme l’ont les sourds discutant entre eux à qui se coupe la parole. Il ne rient ni ne se consolent. Muets au pas de la mer, ils partagent leur pudibonderie depuis une quarantaine d’années… »


« Sur la barge de peu de pente, au départ de la barque, six chats postés tenaient l’air de ne surtout pas être là, sur pattes ou mal alanguis, la babine agitée d’un flegme sardonique. […] L’un d’eux s’étira, le dos en plein cintre, comme s’il allait quitter la place mais l’alibi de l’indolence le fit s’asseoir exactement là où il venait de se lever, seigneurial et galeux. Un autre boulé sur ses croûtes se pelageait le croupion de bonne foi, l’aine béante, une gigolette en l’air, cessant soudain ses lècheries pour regarder la barque s’éloigner, une lunule de langue figée entre ses dents. »


Ma 4ème participation au challenge
1% de la rentrée littéraire





mercredi 3 septembre 2014

La mondaine T2 - Lafebre et Zidrou

Suite et fin du diptyque concocté par Zidrou et Lafebre. Où l'on retrouve l'inspecteur Louzeau, cinq ans après son arrivée à la brigade mondaine (si vous voulez en savoir plus sur le tome 1, allez faire un tour chez Noukette et Stephie).

1942. Paris sous l'occupation. La police française collabore de bon gré avec l'armée allemande. En juillet, ce sera la rafle du Vel d'Hiv. 13 000 juifs arrêtés, parqués au vélodrome d'hiver avant d'être quasiment tous déportés vers les camps de concentration. Un événement tragique de l'histoire de la seconde guerre mondiale auquel la mondaine apportera sa contribution sans rechigner. Louzeau de son coté semble dans une impasse personnelle insoluble. Valentine, la prostituée dont il est follement amoureux, refuse de s'engager avec lui. Par dépit, il demande à sa concierge de l'épouser. Mais quand il retrouve par hasard Eeva, la stripteaseuse tahitienne apparue dans le premier volume, ses plans volent en éclat. Et encore, je ne vous parle pas de ses parents...

Une fois encore avec Zidrou, on fait face à l'humanité en marche, dans toute sa complexité, ses faiblesses, ses vices et son peu de vertu. Les protagonistes, nombreux, sont tous attachants dans leur genre. Même Louzeau, un lâche pourtant qui, comme beaucoup, suivra les événements sans essayer de faire bouger les lignes. Point ici de héros ni de salauds lorsque la petite et la grande histoire se rejoignent. Juste des êtres de chair et de sang dont l'évident manque de courage apparaît à bien des égards compréhensible à défaut d'être excusable.

Pour ce qui est du dessin, le trait élégant de Jordi Lafebre restitue à merveille le Paris de l'époque.Il parvient également à faire passer beaucoup de sentiments et d'émotion dans les postures et les visages de ses personnages. Du travail d'orfèvre !

Ce diptyque épatant prouve une fois de plus que le talent de Zidrou est hors-norme et que ce scénariste n'a, à l'heure actuelle, pas d'équivalent.

Et ce n'est pas Noukette, avec qui je partage une fois de plus cette lecture commune, qui me contredira !

La mondaine T2 de Lafebre et Zidrou. Dargaud, 2014. 62 pages. 15,00 euros.




mardi 2 septembre 2014

Le premier mardi c'est permis (29) : Mémoires de Casanova T1 - Stefano Mazzotti

1789. Au crépuscule de sa vie, Casanova décide de rédiger ses mémoires. Il y raconte les nombreuses conquêtes amoureuses accumulées depuis ses seize ans mais surtout il propose une critique sans concession de la société de son époque dont il s’estime être le « produit » le plus représentatif. Ces mémoires (douze volumes dans l'édition intégrale publiée par Plon au début des années 60 !) sont donc avant tout une plongée dans les intrigues, les coulisses et les vices de l’Europe du XVIIIème siècle.
On y découvre  un Casanova individualiste forcené ne cherchant que son profit immédiat et la jouissance sans contrainte. Mielleux à souhait, déclarant le plus sérieusement du monde son amour enflammé à chacune de ses conquêtes (« j’ignorais ce qu’était le vrai amour, tu es la première femme à me révéler ce mystère ». Ben voyons…), le jeune homme profite de toutes les occasions se présentant à lui. Bellâtre, charmeur, il n’a rien contre les femmes mariées, bien au contraire (il faut dire qu’elles le lui rendent bien). Loin de toute modestie, il se peint en amant aussi attentionné qu’endurant. Duo, trio, nuits entières passées à copuler sans connaître la moindre faiblesse, le gaillard était, à l’entendre, un très, très bon coup. En même temps, ce sont ses mémoires, il a bien le droit de se donner le beau rôle, j’en ferai autant le jour où je m’attaquerai aux miennes. Le problème, c'est que les auteurs de cette adaptation en BD ne s’attardent que sur ses vantardises érotiques et masquent les aspects historiques les plus intéressants. Résultat, une succession répétitive de tableaux érotico-porno où les conquêtes s’enchaînent sans la moindre émotion. On sent en filigrane la décadence de la société de l’époque mais on reste en surface alors que cet aspect est sans aucun doute la partie la plus intéressante de l’œuvre originale. Dommage, vraiment dommage.

Et le dessin me direz-vous ? Bof, bof… Je ne connaissais Stephano Mazzotti que de nom et je trouve son trait bien trop figé pour émoustiller la rétine. Bon, ok, j’avoue, je ne le connais pas que de nom, j’ai déjà découvert ses talents en feuilletant par le plus grand des hasards (et à plusieurs reprises) les albums de la série Selen. Ça ne vous dit rien ? Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire :


(au passage je vous conseille le très réussi « La baronne avale la fumée ». Tout est dans le titre.). Bref, revenons à nos moutons pour constater en toute honnêteté que cet album est une vraie déception. Récitatifs plombants, graphisme hyper réaliste bien trop froid pour provoquer le moindre début d’excitation et mise sous silence de la partie « documentaire » de l’œuvre, ça fait quand même beaucoup de points négatifs. Je ne sais pas quand sortira le second volume, mais ce sera sans moi.     

Mémoires de Casanova T1 : Bellino de Stefano Mazzotti. Delcourt, 2013. 62 pages. 14,95 euros.

Une déception, certes, mais que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.








lundi 1 septembre 2014

La bibliothécaire - Gudule

Allez, un petit coup de gueule, y avait longtemps. Ce roman jeunesse est celui que pépette n°1, comme tous les futurs élèves de 5ème de son collège, devait lire pendant les vacances. Une bonne idée je trouve cette lecture imposée avec, leur a-t-on précisé en juin, « une évaluation dès la rentrée ». Bonne idée donc mais très mauvais choix d'ouvrage. Je m'explique.

La bibliothécaire est un roman en hommage aux bibliothécaires et aux documentalistes (ce qui est plutôt un bon point). Il met en scène Guillaume, un garçon rêveur à l'imagination foisonnante et au parcours scolaire peu reluisant. Guillaume, donc, suite à un enchaînement d'événements pour le moins improbables que je ne raconterais pas ici, se voit plonger avec son ami Doudou au cœur de quelques œuvres majeures de la littérature française à la recherche d'un mystérieux grimoire. Je dis bien « plongé » car le jeune homme est tout simplement « téléporté » à l'intérieur de ces œuvres. C'est ainsi qu'il va découvrir Alice au pays des merveilles, Poil de Carotte, les poèmes de Rimbaud, Les misérables ou encore Le petit prince. L'idée est sympa mais l'enchaînement des péripéties n'est pas toujours d'une clarté absolue. C'est d'ailleurs parce que pépette a eu du mal à comprendre certains passages qu'elle m'a demandé de lire le texte pour pouvoir lui expliquer. Et c'est bien là que le bât blesse.

Ce roman a besoin de l'accompagnement d'un adulte pour être dompté. Du moins pour une très grande majorité d'enfants. C'est pourquoi les laisser se débrouiller seuls pendant les vacances avec une telle histoire n'est franchement pas l'idée du siècle. Les œuvres citées ne leur parleront pas forcément (combien connaissent Rimbaud et Les misérables à la fin de la 6ème?) et les éléments fantastiques sont parfois trop brouillons pour être bien maîtrisés. Donc je m'interroge.

Au moment de retourner en classe, combien l'auront lu ? Combien auront compris ce qu'ils ont lu ? Combien auront pris plaisir à le lire ? J'ai ma petite idée sur les réponses à ces questions et je trouve que c'est bien dommage. Dommage car je décèle derrière tout cela une certaine facilité de la part des enseignants. La bibliothécaire est paru en 1995. Près de vingt ans. C'est devenu un incontournable du collège, prescrit à tour de bras (l'éditeur annonce un million de lecteurs!). Une valeur sûre pourrait-on dire. Surtout, c'est le bouquin sur lequel on a déjà travaillé cent fois, on le connaît par cœur, pas besoin de se casser la tête. Mais depuis vingt ans, il y en a eu bien d'autres, des romans pour de futurs élèves de 5ème. Originaux, modernes, bien écrits, suffisamment trépidants pour qu'on ne les lâche pas une fois ouverts. Ce qui n'est clairement pas le cas de celui-là.

Loin de moi l'idée de passer pour un donneur de leçon ou de me mettre au-dessus de la mêlée. Je choisis des ouvrages pour des élèves depuis des années et je me suis trompé plus souvent qu'à mon tour. Mais au moins j'essaie en permanence de renouveler les titres que je leur propose, je ne m'appuie pas en permanence sur les références poussiéreuses découvertes pendant la préparation de mon CAPES il y a quinze ans.

Bref, c'était mon petit coup de gueule du jour. Rien de grave, et je suis peut-être à coté de la plaque mais je persiste à croire que le choix de cet ouvrage comme lecture de vacances n'est vraiment pas un bon choix, si tant est que le but des enseignants était d'offrir une lecture plaisir à des enfants peu portés sur cette activité.

La bibliothécaire de Gudule. Le livre de poche jeunesse, 2013. 186 pages. 4,95 euros. A partir de 11 ans.



samedi 30 août 2014

Debout-payé - Gauz

« Les noirs sont costauds, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement et dans chacun des noirs venus exploiter ces clichés en sa faveur. » La longue file d'hommes noirs qui montent les escaliers ce matin-là est venue chercher un job. Ils seront tous vigiles. Formation minimaliste, aucune expérience exigée, regard volontairement bienveillant sur les situations administratives, devenir vigile est le moyen le plus simple de décrocher un CDI pour les africains de Paris. « Ceux qui déjà ont une expérience du métier savent ce qui les attend les prochains jours : rester debout toute la journée dans un magasin, répéter cet ennuyeux exploit de l'ennui, tous les jours, jusqu'à être payé à la fin du mois. Debout-payé. »

Gauz raconte dans ce premier roman très autobiographique l'itinéraire d'Ossiri, étudiant ivoirien sans papiers devenu vigile dans le Paris des années 90. Il retrace aussi à travers lui l'histoire d'une communauté et l'évolution de ce métier particulier depuis la Françafrique jusqu'à l'après 11 septembre. On trouve entre chaque chapitre des interludes, sortes d'instantanées croqués sur le vif par Gauz lui-même lorsqu'il travaillait comme vigile dans un magasin de fringues de Bastille puis dans la plus grande parfumerie des Champs-Élysées. Autant de réflexions sur la société de consommation ou sur son travail, de portraits de clients et d'aphorismes particulièrement bien troussés. Exemples :

« Les jeunes de banlieue à qui l'on donne le titre abusif et arbitraire de racailles viennent se parfumer systématiquement au rayon Hugo Boss, ou avec One Million de Paco Rabanne, une bouteille forme de lingot d'or. Il y a du rêve dans la symbolique et de la symbolique dans le rêve. »

« Ennui, sentiment d'inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d'imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile. Or, militaire est une forme très exagérée de vigile. »

« Une théorie lie l'altitude relative du coccyx par rapport à l'assise d'un siège et la qualité de la paie. Elle peut être énoncée comme suit : Dans un travail, plus le coccyx est éloignée de l'assise d'une chaise, moins le salaire est important.
Autrement dit, le salaire est inversement proportionnel au temps de station debout. Les fiches de salaire du vigile illustrent cette théorie.
 »

C'est très bien écrit, c'est drôle, empreint d'une ironie mordante qui fait mouche. Le regard porté par Gauz sur sa communauté est aussi tendre que lucide. Cette lucidité permanente, cette fausse légèreté, cette causticité exempte de toute méchanceté donnent au récit une atmosphère douce-amère pleine de sensibilité. Une excellente surprise parmi les nombreux premiers romans de la rentrée et un auteur à la plume singulière qui mérite vraiment que l'on s'attarde sur son cas.


Debout-payé de Gauz. Le nouvel Attila, 2014. 172 pages. 17,00 euros.



Un billet qui signe mon entrée dans
 le challenge tous risques d'Aaliz



Et une troisième participation au
challenge 1% de la rentrée littéraire








  

vendredi 29 août 2014

Soie - Allesandro Baricco

A Lavilledieu, en 1861, Hervé Joncour mène une existence paisible. C’est « un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre ». Seul son métier étonne. Car Hervé Joncour achète et vend des vers à soie. Où plutôt des œufs de vers à soie. Pour cela, il doit se rendre dans toute l’Europe mais aussi en Syrie et en Égypte. Seulement, quand une épidémie touche l’ensemble des productions de vers européennes et méditerranéennes, ce drôle de commerçant n’a plus qu’un endroit où aller pour s’approvisionner : le Japon. « Une île faite d’îles », refusant depuis des siècles tout contact avec le continent et l’étranger. Une destination fascinante dont il ne reviendra pas indemne.

Un très beau texte. Raconter une histoire aussi dense avec une telle légèreté et une telle économie de moyens est un tour de force admirable. C’est simple, c’est limpide, je dirais presque « essentiel »,  tant il n’y a pas un mot de trop dans ce court roman. L’écriture est dépouillée de tout effet trop recherché mais les phrases restent étonnamment musicales (d’ailleurs la qualité du travail de la traductrice est à souligner). Baricco procède par scènes, par séquences. La construction de la narration alterne les phases «d’action » et de « respiration » et le récit coule tout seul, c’est un vrai bonheur de lecture.

Raffinée et élégante, la soie d’Allesandro Baricco a la douceur du miel. Un délice.

Soie d’Allesandro Baricco. Folio, 2001. 142 pages.  6,20 euros.  

Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.

jeudi 28 août 2014

Viva - Patrick Deville

Ce livre n’est pas un roman. C’est plutôt une fiction biographique. Certains qualifient le genre d’exofiction, en opposition à l’autofiction que j’exècre. Pour faire court, dans l’exofiction, le romancier n’est pas que biographe, il ne livre pas uniquement le résultat de ses recherches mais il fait également part au fil du texte de ses réflexions, de ses découvertes, il n’hésite pas à se mettre en scène. Bref, tout ça pour dire que Patrick Deville est un adepte du genre et qu’il maîtrise l’exercice à merveille, comme j’avais déjà pu le constater dans l’excellent Peste et Choléra.

On retrouve dans ce Viva l’auteur et ses fameux carnets en peau de taupe dans lesquels il consigne avec méticulosité le fruit de ses investigations, sur les lieux même où ont vécu les personnages dont il retrace le parcours. Direction le Mexique et l’année 1937. « La dictature somoziste est installée au Nicaragua, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne et le stalinisme en Russie. C’est la guerre d’Espagne, bientôt la déroute des républicains et la victoire du franquisme. » C’est aussi l’année où Trotsky arrive à Mexico, accueilli par Frida Kahlo dans sa maison bleue. L’ancien commissaire du peuple, l’ancien chef de l’armée rouge, qui commandait cinq millions d’hommes, n’est plus qu’un proscrit, poursuivant la fuite éperdue entamée depuis qu’il a pu s’extraire des geôles sibériennes où Staline l’avait fait déporter. Cette même année, Malcolm Lowry et sa femme Jan débarquent du paquebot Penssylvania à Acapulco. « Lowry a vingt-sept ans, un physique de boxeur, les doigts trop courts pour atteindre l’octave au piano comme à l’ukulélé. Il vient de subir une première cure de désintoxication alcoolique. Jamais encore il n’a gagné le moindre rond, et vit de la pension que chaque mois son père lui fait remettre par des comptables obséquieux. » Ce n’est ni un fuyard, ni un proscrit, il a choisi le Mexique parce que les alcools y sont moins chers. Il y trouvera certes le mescal et la tequila qu’il était venu chercher mais aussi et surtout le décor de ce qui restera à jamais son seul et unique chef d’œuvre, Au-dessous du volcan.

Trotsky et Lowry. Le révolutionnaire et le génie littéraire. Ces deux-là ne se rencontreront jamais et le texte suit en parallèle leur destin tragique. Mais pas que. C’est là toute la force de Deville. Son ode à ces deux figures mythiques, qui n’a rien d’un panégyrique pleurnichard, ne s’y limite pas. On croise dans ces pages Frida Kahlo, Diego Rivera, la photographe Tina Modotti, Antonin Artaud, André Breton et bien d’autres. Un tourbillon de noms, de faits, d’anecdotes, de rencontres et de rendez-vous manqués. Chronologies et biographies se bousculent, se télescopent parfois, sans que jamais le lecteur ne perde le fil. Le canevas est tissé tellement serré, avec une telle dextérité, une telle érudition, une telle plume, que l’on ne peut que s’extasier devant une fresque aussi saisissante.

Viva est un hymne à la révolution, à la poésie, à l’art. C’est une plongée vertigineuse au cœur d’une époque où l’idéalisme politique et le culte de la littérature bouillonnaient de concert. Une époque où des hommes et des femmes servaient des causes qu’ils mettaient au-dessus de leur propre existence. Une époque depuis longtemps révolue…

« A l’impossible, chacun de nous est tenu. »

Viva de Patrick Deville. Seuil, 2014. 210 pages. 17,50 euros.


Et une seconde participation au challenge
 1% de la rentrée littéraire