65 textes en 150 pages. Des tout petits riens, des instantanés, des polaroïds. Beaucoup d’histoires de couples qui vacillent, mais pas que. Les narrateurs sont des hommes et des femmes qui savent manier l’ironie et ont la répartie cinglante. Des hommes et des femmes désabusés, lucides, d’une sincérité qui ne laisse aucune place à l’orgueil mal placé. C’est un régal absolu, c’est parfois absurde, souvent cruel, toujours très drôle. Et la légèreté de façade cache des réflexions bien plus profondes qu’il n’y parait.
L’exercice est incroyablement difficile. Parvenir à une telle épure et à une telle efficacité en termes d’écriture et de narration relève du tour de force. Et puis l’art de la chute est ici maîtrisé à la perfection. Mes histoires préférées ? Celle du gars seul qui, pour son anniversaire, s’achète un cadeau, le planque dans la maison et quelques jours plus tard s’enfile une bouteille de whisky. «
Et une fois que je ne sais plus comment je m’appelle ni s’il fait jour ou nuit, je cherche mon cadeau. Cette année, je l’ai retrouvé. C’était un papillon épinglé dans une boîte. Je ne sais pas ce qui m’a pris de m’offrir un truc pareil. » J’ai aimé aussi celle du gars discret et silencieux, celui qu’on ne remarque jamais mais qui s’explose les oreilles chaque soir avec du hard rock (sans doute parce qu’il m’a rappelé quelqu’un…) ou encore ce dîner guindé où de l’apéritif au digestif, la discussion glisse de «
Ah, moi je suis plutôt parc à l’anglaise, les jardins à la française m’ennuie… » à «
Comment tu veux que je te branle ? ». Je pourrais en citer des tas d’autres tant les pépites se suivent à chaque page.
Un énorme coup de cœur, donc. Ce recueil, c’est la micro-fiction comme je l’aime, tellement, tellement plus irrévérencieuse que ce que fait Delerm par exemple.
On ne va pas se raconter d'histoires de David Thomas. Stock, 2014.
150 pages. 14,00 euros.
Un recueil que je m’empresse d’ajouter au challenge
« Nos pépites de l’année » chez Galéa et une lecture commune que je partage une fois de plus avec une
Noukette tout aussi emballée que moi.
Les avis de
Krol et
Moka
Allez, trois petits textes en cadeau :
Un autre homme
« Je ne regrette pas de t’avoir rencontré. Je ne regrette pas les enfants, d’avoir renoncé à bien des choses pour les élever, d’avoir quitté ma ville que j’aimais tant pour que tu aies ce boulot qui te plaisait tant. Je ne regrette pas ces vacances en Bretagne, même si, comme tu le sais, je déteste la Bretagne. Je ne regrette pas d’avoir fait pendant toutes ces années des dîners pour tes amis que je trouve un peu cons-cons, pas bien méchants, mais pas bien futes-futes non plus. Je ne regrette pas que tu m’aies trompée pendant six mois avec cette petite idiote, je ne t’en veux même pas, elle était très jolie et je l’étais nettement moins que lorsque que l’on s’est rencontrés. Je ne regrette pas que tu ne te sois jamais intéressé aux mêmes choses que moi, que tu n’aies jamais pu supporter ma sœur ou que tu m’emmènes pour mes anniversaires dans des villes ou des pays que tu rêvais de découvrir. Je ne regrette rien, mais dire que j’ai passé quinze ans avec toi, et qu’il a juste fallu que je rencontre un autre homme pour comprendre enfin que tu ne vaux rien. »
Volonté
« Ça y est ? Tu as pensé toutes tes horreurs, ça va mieux ? Je sais ce que tu t’imagines, et si je ne dis rien c’est parce qu’il n’y a rien à dire. C’est la faute au temps, c’est la faute au quotidien, c’est la faute au désir, c’est la faute au travail, c’est la faute à pas de chance, y a toujours une bonne raison. Toutes les raisons sont bonnes pour en avoir marre, pour céder, pour renoncer. Toutes et aucune. C’est une question de volonté. C’est tout. On a la volonté ou on ne l’a pas. Et toi, tu ne l’as plus. Tu n’as pas perdu ton désir pour moi, tu n’as pas perdu ton amour pour moi, tu n’as perdu que ta volonté. Je t’aime d’une façon beaucoup plus forte et plus intelligente qu’il y a douze ans. Mais cet amour-là, il t’ennuie. Et ça, ce n’est pas ma faute. »
Boule de pétanque
« Ça a commencé par des regards en biais, puis des soupirs, puis des gestes secs et enfin, pour que la parole se joigne aux actes, des insultes. Ensuite on s’est envoyé à la gueule tout ce qu’on avait sous la main, d’abord des torchons, après des bouteilles d’eau vides, puis pleines, et les choses sont devenues vraiment sérieuses avec des objets plus durs, à l’image des colères et des ressentiments. On est passés aux casseroles, appareils photo, ordinateurs portables, chaises… et hier ça a été une boule de pétanque demi-dure en acier et inox de 700 grammes et 78 millimètres de diamètre. Une boule de tireur, faite pour les carreaux. Ça a brisé net mon poignet. Et notre couple. »