Claire, huit ans, découvre dans une décharge un morceau de miroir en forme d’étoile. Pour la jeune fille, la trouvaille se révèle extraordinaire puisque ce miroir reflète non pas la réalité mais « des choses deux fois plus passionnantes et cent fois plus magiques que le quotidien prosaïque qui l’entoure de toutes parts. » Alors non, Claire ne basculera pas, tel Alice, de l’autre coté du miroir. Mais cet objet, qui l’accompagnera des années durant, va lui donner à voir une réalité bien plus douce que celle qu’elle doit affronter. Une réalité qu’il lui sera peut-être un jour possible de connaître…
Pour sa première incursion en littérature jeunesse, Jonathan Coe se contrefout des modes et déroule son histoire avec un grand classicisme formel. Loin des productions actuelles anxiogènes et ultra pessimistes, il propose un roman jeunesse à l’ancienne, à contre courant. Pas niais ni ringard, loin de là. Mais le texte offre la part belle à une forme d’utopie que beaucoup d’auteurs n’osent plus forcément défendre. C’est un texte aux valeurs positives n’éludant pas pour autant les maux de nos sociétés occidentales. Finalement, au-delà de l’aspect fantastique du départ, le propos est avant tout philosophique. L’injustice, les inégalités sociales, la surconsommation, le règne du paraître, tous ces sujets sont abordés en filigrane et poussent l’air de rien à la réflexion. Le miroir joue le rôle d’un guide, il embellit la réalité quotidienne mais il indique aussi une voie à suivre : « au lieu de nous montrer le monde comme il est, il nous le montre comme il devrait être. » Et surtout, comme il est possible de le rendre si chacun décidait d’y mettre du sien.
J’adore par ailleurs les illustrations un peu désuètes aux couleurs criardes de l’italienne Chiara Coccorese. Un plus d’être un excellent roman jeunesse, ce miroir brisé est également un fort joli objet-livre. Bref, c’est une très belle réussite.
Le miroir brisé de Jonathan Coe. Gallimard Jeunesse, 2014. 114 pages. 12,50. A partir de 10 ans.
Une lecture commune que je partage comme chaque mardi avec Noukette.
mardi 8 avril 2014
lundi 7 avril 2014
L’histoire de la chauve-souris qui voulait se faire des amis - Sarah Dyer
Charlie la chauve-souris se désole de ne pas être aussi
populaire que les autres animaux du zoo. Pour ne plus passer inaperçue, elle
décide d’aller faire un tour chez ses voisins les pingouins pour voir si elle
pourrait exécuter les mêmes acrobaties qu’eux. Mais plonger dans l’eau glacée
et manger du poisson, ce n’est pas son truc. Chez les gorilles, l’épouillage ne
l’emballe pas, comme la sieste à longueur de journée chez les lions. Et les
oiseaux quant à eux font bien trop de bruit. Bref, la pauvre Charlie rentre
chez elle en se disant qu’elle n’a pas sa place parmi les animaux qui attirent
les foules...
Encore un album en randonnée. Charlie rencontre les différents
pensionnaires du zoo les uns après les autres avant le final très réussi
réunissant tout le monde. L’intérêt majeur tient dans le fait que l’on découvre
chaque nouvelle espèce à travers le point de vue de la chauve-souris,
c'est-à-dire à l’envers ! Il faut donc retourner l’album pour voir les
illustrations « dans le bon sens ». Une petite manipulation rigolote
et répétitive qui plaira forcément aux enfants.
Les illustrations un tantinet naïves possèdent un charme un
peu désuet qui fait mouche. Voila un album sans prétention mais très réussi qui
aborde la question de l’amitié et de la différence d’une manière
« renversante ».
L’histoire de la chauve-souris qui voulait se faire des amis
de Sarah Dyer. Circonflexe, 2014. 26 pages. 13,00. A partir de 4 ans.
vendredi 4 avril 2014
Un yankee à Gamboma - Marius Nguié
Au milieu des années 90, la République du Congo est ravagée
par à une guerre civile entre sudistes et nordistes. A Gamboma, une petite
ville du nord, les partisans du président Lissouba règnent en maître. Benjamin
est l’un deux. Ce trentenaire, qui a commis de nombreuses exactions, se fait appeler
"Sous-off" par la population et sème la terreur partout où il passe. Il fascine aussi. Beaucoup. Notamment Nicolas, le narrateur, un gamin de 14 ans bien sous tous rapports. Bon élève, bon camarade et bon fils d'une mère qu'il admire, Nicolas déambule avec Benjamin dans les rues de Gamboa et apprend à ce dernier les codes et les usages d'une ville jadis paisible en proie à la violence et à l'arbitraire.
Une chronique douce amère, sans doute très autobiographique, dont la légèreté peut paraître
surprenante eu égard au sujet. Le quotidien d’une population en proie à la
guerre civile n’a à la base rien de réjouissant. Mais le traitement à hauteur d’ado
apporte une certaine fraîcheur et la multiplication des personnages secondaires
dynamise l’ensemble. Personnellement je
retrouve dans ce texte le coté savoureux et un peu nonchalant propre à nombre de
romans africains ou à la littérature caribéenne. La filiation avec Alain Mabanckou,
Raphaël Confiant ou Dany Laferrière est également perceptible dans l’inventivité
linguistique dont font preuve les Gabomais.
Malgré quelques passages dérangeants et des scènes
difficiles, surtout celles concernant le traitement réservé aux femmes, je ne peux m’empêcher
de trouver ce premier roman plein de vitalité. Maintenant je comprends aussi qu’il
puisse être déroutant pour plus d’un lecteur. Question d’habitude sans doute. Mais
si vous voulez découvrir un jeune auteur congolais prometteur et une littérature quelque peu singulière, c'est le livre idéal.
Un ouvrage ramené du salon du livre avec Noukette. C'est donc en toute logique que je partage avec elle cette nouvelle lecture commune.
Un yankee à Gamboma de Marius Nguié. Alma, 2014. 84 pages.
12 euros.
mercredi 2 avril 2014
Max Winson T1 : La tyrannie - Jérémie Moreau
Max Winson est un phénomène. Le seul tennisman de l’histoire à avoir remporté tous ses matchs. N°1 mondial depuis 7 ans, 24 titres en grand chelem et 94 tournois gagnés d’affilée. Un gamin au physique de colosse qui ne se pose pas de question, une sorte de robot, programmé pour gagner, cornaqué par un père tyrannique ne lui laissant rien passer. Pourtant le jeune homme semble traîner une mélancolie persistante, une fragilité difficile à cerner.
Il va d’ailleurs suffire d’une interview télé catastrophique pour ébranler le mythe. Le paternel en fait une attaque et Max doit trouver un nouvel entraîneur. Ce sera Andy, un inconnu aux méthodes très particulières qui va le préparer au match le plus compliqué de sa jeune carrière….
Avec ce diptyque, Jérémie Moreau (Le singe de Hartlepool) a voulu faire un shonen à l’envers. Dans Dragon Ball ou Naruto, le héros, chétif, honnête et un poil naïf, devient le plus fort de tous en franchissant les paliers petit à petit alors qu’ici, Max Winson est au sommet dès le départ et il voudrait descendre de son piédestal. En filigrane l’auteur dénonce avec une certaine finesse les méfaits du sport spectacle, de sa médiatisation et de sa proximité avec la pire forme de libéralisme économique. Mais le cœur du propos reste la compétition à outrance qui caractérise notre société, ce besoin d’être meilleur que les autres et cette violence de la victoire qui galvanise les foules. C’est d’ailleurs le reproche que fait une journaliste à Max : « Tu incarnes la compétition sauvage. Pour s’en sortir, il faut écraser son voisin. Il faut être plus fort, plus performant, plus endurant, et pire… impitoyable. »
Par rapport au singe de Hartlepool le trait est ici plus relâché, plus nerveux, plus dépouillé. Quelque chose de brut et d’instinctif qui rappelle par moments Bastien Vives. Autant dire que je ne suis pas fan… Par contre, le noir et blanc est sympa et le découpage est super dynamique, avec quelques effets vraiment astucieux et risqués mais toujours très lisibles.
Une bonne surprise. Avec ce premier album solo, Jérémie Moreau s’est lancé sans filet pour dénoncer un modèle social faisant de la recherche de la réussite notre seule raison d’être. Le tout sans passer pour un donneur de leçon rabat joie. Chapeau !
Max Winson T1 : La tyrannie de Jérémie Moreau. Delcourt, 2014. 158 pages. 15,95 euros.
L'avis d'Yvan
Il va d’ailleurs suffire d’une interview télé catastrophique pour ébranler le mythe. Le paternel en fait une attaque et Max doit trouver un nouvel entraîneur. Ce sera Andy, un inconnu aux méthodes très particulières qui va le préparer au match le plus compliqué de sa jeune carrière….
Avec ce diptyque, Jérémie Moreau (Le singe de Hartlepool) a voulu faire un shonen à l’envers. Dans Dragon Ball ou Naruto, le héros, chétif, honnête et un poil naïf, devient le plus fort de tous en franchissant les paliers petit à petit alors qu’ici, Max Winson est au sommet dès le départ et il voudrait descendre de son piédestal. En filigrane l’auteur dénonce avec une certaine finesse les méfaits du sport spectacle, de sa médiatisation et de sa proximité avec la pire forme de libéralisme économique. Mais le cœur du propos reste la compétition à outrance qui caractérise notre société, ce besoin d’être meilleur que les autres et cette violence de la victoire qui galvanise les foules. C’est d’ailleurs le reproche que fait une journaliste à Max : « Tu incarnes la compétition sauvage. Pour s’en sortir, il faut écraser son voisin. Il faut être plus fort, plus performant, plus endurant, et pire… impitoyable. »
Par rapport au singe de Hartlepool le trait est ici plus relâché, plus nerveux, plus dépouillé. Quelque chose de brut et d’instinctif qui rappelle par moments Bastien Vives. Autant dire que je ne suis pas fan… Par contre, le noir et blanc est sympa et le découpage est super dynamique, avec quelques effets vraiment astucieux et risqués mais toujours très lisibles.
Une bonne surprise. Avec ce premier album solo, Jérémie Moreau s’est lancé sans filet pour dénoncer un modèle social faisant de la recherche de la réussite notre seule raison d’être. Le tout sans passer pour un donneur de leçon rabat joie. Chapeau !
Max Winson T1 : La tyrannie de Jérémie Moreau. Delcourt, 2014. 158 pages. 15,95 euros.
L'avis d'Yvan
mardi 1 avril 2014
Le premier mardi c'est permis (25) : Les cadeaux de Stephie
J’ai eu la chance de croiser Stephie au salon du livre. La grande prêtresse des 1ers mardis coquins m’avait préparé un colis spécial « Mille et une frasques », autant vous dire que j’ai été particulièrement gâté. Tout m’a plu dans ce colis : les friandises (même si certaines ne m’étaient pas destinées), le mug, le livre mystère (et oui parce qu’il y en avait un), les romans et les trois petites choses dont je vais vous parler aujourd’hui.
Commençons avec un tour du monde du Kama Sutra. 80 positions
dans 80 régions ou pays différents. La mise en page est simple : une illustration,
un descriptif de la position et une proposition de jeu sexy pour pimenter l’affaire.
Le problème c’est que les dessins sont affreux et pas émoustillants pour deux
ronds. Et puis entre les positions impossibles à réaliser (Nouvelle-Zélande ou Madagascar
par exemple) et celles déjà vues cent fois, il n’y a pas grand-chose à tirer de
ce petit guide. Le texte ne vole pas bien haut non plus. Comme les noms trouvés à
chaque position d'ailleurs (position du trèfle en Irlande, de la tulipe aux Pays-Bas, de
la moule en Belgique, etc.). Bref, c’est très, très léger…
Avec le sexy quiz des éditions de la Musardine, on passe dans un tout autre registre. Un recueil de questions et de tests pour savoir si votre homme est un bon coup. En théorie j’aurais dû laisser madame s’en charger, mais elle est tellement peu objective que j’ai préféré le faire moi-même. Je ne vais évidemment pas vous infliger tout le questionnaire mais juste en balayer les grandes lignes.
voyons ce que donnerait mon portrait chinois :
S’il était un genre cinématographique, il serait… Une comédie romantique (je préfère ça au film X, à la comédie déjantée ou au film « à la Tarentino »).
S’il était un vêtement, il serait… Un jean moulant !
S’il était un animal, il serait… Oublions le lapin, je dirais plutôt un cerf (le taureau fait trop bourrin et trop prétentieux)
S’il était un personnage de BD, il serait… Superman !
S’il était un groupe de Rock, il serait…. Les Rolling Stone (punaise, il y avait Tokyo Hotel et les Bee Gees parmi les autres propositions !)
Résultat des courses, je vous le donne en mille : « c’est un véritable partenaire sexuel doué pour le partage des émotions fortes. Attention à ne pas vous le faire voler ! ». Ce n’est pas moi qui le dis…
Quiz suivant : « Est-il un grand romantique ? ». Même pas besoin de répondre aux questions, la réponse est forcément oui.
On a aussi droit à : « Est-il le roi des fantaisies érotiques ? ». Verdict : Pas loin du couronnement (en toute modestie bien sûr).
A la question « Un libertin ? Lui ? » je n’ai pas à remplir le questionnaire, je sais que la réponse est non. Pas nécessaire de faire non plus celui qui s’intitule « Est-il influencé par le porno ? » puisque la réponse est aussi négative (jamais au grand jamais de porno chez moi voyons !).
Franchement je ne suis pas certain, mesdames, que vous ressortiez de ce petit bouquin avec des certitudes concernant les compétences sexuelles de votre homme. Mais c’est dans l’ensemble plutôt frais et rigolo, surtout si on répond aux questions à deux. Une jolie découverte.
Le cahier de vacances érotiques propose quant à lui un nombre incalculable d'activités dans tous les domaines : littérature, grammaire, vocabulaire, arts plastiques, cinéma, musique, philo, maths ou sciences naturelles, il y en a pour tous les goûts.
On suit les tribulations de Léo et Léa, un couple libre qui se sépare le temps des vacances. Léa la coquine s'envole vers des contrées ensoleillées et multiplie les aventures tandis que Léo reste à Paris pour jouer les séducteurs urbains, sans grand succès. Alors que je m'attendais franchement au pire, j'ai été surpris par la richesse et la diversité du contenu qui s'avère particulièrement instructif. Un outil idéal pour approfondir de façon très ludique sa culture érotique, je vais m'attacher à répondre à tous les exercices proposés.
Stephie, je te remercie chaleureusement pour tous ces cadeaux et pour les petites attentions dont je ne parlerais pas ici. C'est vraiment un plaisir de te connaître !
On suit les tribulations de Léo et Léa, un couple libre qui se sépare le temps des vacances. Léa la coquine s'envole vers des contrées ensoleillées et multiplie les aventures tandis que Léo reste à Paris pour jouer les séducteurs urbains, sans grand succès. Alors que je m'attendais franchement au pire, j'ai été surpris par la richesse et la diversité du contenu qui s'avère particulièrement instructif. Un outil idéal pour approfondir de façon très ludique sa culture érotique, je vais m'attacher à répondre à tous les exercices proposés.
Stephie, je te remercie chaleureusement pour tous ces cadeaux et pour les petites attentions dont je ne parlerais pas ici. C'est vraiment un plaisir de te connaître !
lundi 31 mars 2014
Plume le lutin - Laurence Puidebois et Nicolas Lacombe
Plume est un lutin bienveillant et altruiste. Chaque fois qu’il croise la route d’un animal, il cherche à lui venir en aide grâce à la plume qui orne son chapeau. C’est ainsi qu’il chatouille l’élan pour lui redonner le sourire, qu’il caresse le crapaud en mal de câlin, qu’il permet à l’hermine d’écrire à son amoureuse ou encore qu’il rafraîchit la tortue en lui faisant du vent.
Chaque rencontre s’étale sur deux doubles pages, dans un petit format à l’italienne confortable et simple à manipuler. Une histoire en randonnée classique pleine de bons sentiments, au final assez surprenant.
Mais le charme de cet album tient sans conteste aux incroyables illustrations de Nicolas Lacombe. Je dis incroyables parce que j’ai eu l’occasion de le voir à l’œuvre lors du dernier salon du livre et je n’en suis toujours pas revenu. Pour donner vie à Plume et aux animaux, il n’utilise ni stylo, ni pinceau, ni tablette graphique. Il a juste besoin d’un rouleau de scotch, d’un cutter et de catalogues ou de magazines. Avec ces trois ingrédients, il a réalisé l’ensemble de l’album. J’étais avec Noukette quand nous lui avons demandé un dédicace et il nous a expliqué qu’il était le seul a utilisé ce procédé. Avec le scotch, il prélève la couleur puis découpe la forme souhaitée au cutter et colle le bout de scotch sur la feuille. La trace laissée par ses doigts sur l’adhésif donne un relief particulier à l’œuvre qui prend forme petit à petit. C’est juste bluffant.
Une petite vidéo extraite de son blog :
Plume le lutin de Laurence Puidebois et Nicolas Lacombe. Balivernes, 2014. 30 pages. 9,00 euros. A partir de 4-5 ans.
Une petite vidéo extraite de son blog :
Plume le lutin de Laurence Puidebois et Nicolas Lacombe. Balivernes, 2014. 30 pages. 9,00 euros. A partir de 4-5 ans.
samedi 29 mars 2014
Le tort du soldat - Erri De Luca
Deux narrateurs dans ce court récit de mon écrivain italien
préféré. Le premier s’est rendu à Aushwitz et Birkenau 50 ans après la shoah et
en est revenu totalement bouleversé. A tel point qu’il a décidé d’apprendre le
Yiddish, une langue moribonde : « Le Yiddich a été mon entêtement de
colère et de réponse. Une langue n’est pas morte si un seul homme au monde peut
encore l’agiter entre son palais et ses dents, la lire, la marmonner,
l’accompagner sur un instrument à cordes ». Alors qu’il est en train de travailler
à la traduction en italien d’une nouvelle d’Israel Joshua Singer, frère du prix
Nobel Isaac Bashevis, son regard croise celui d’une femme et d’un homme,
attablés dans le même restaurant que lui. Une fille et son père. Elle sera la
narratrice de la seconde partie du récit et expliquera que son père est un
criminel de guerre nazi caché depuis des années sous un uniforme de facteur
autrichien. Un criminel qui, en voyant dans le même lieu que lui une
personne lisant des feuilles couvertes de caractères hébraïques, va se sentir
menacé...
Encore et toujours la plume sensible et délicate de De Luca.
Elliptique aussi, le texte se présentant sous forme de courts paragraphes,
comme autant de petites touches qui composeront le tableau final. Un tableau dont
la mémoire et la responsabilité sont à l’évidence les thèmes centraux.
La voix de la jeune femme est d’une justesse bouleversante.
Elle raconte son histoire, ce père qu’elle a longtemps cru être son grand-père
et avec lequel elle vit depuis toujours. Le vieux nazi n’a qu’un seul regret,
celui d’avoir perdu ; « je suis un soldat vaincu, tel est mon
crime. Le tort du soldat est la défaite. » De son coté, elle voit les choses aussi
simplement que sincèrement : « Je n’avais rien à voir avec sa vie
d’homme caché, je m’étais simplement occupé de lui. »
Mais une telle vie aura forcément influencé sa relation aux
hommes : « Je crois avoir été une bonne fille. J’ai pris soin d’un vieux
père. J’ai respecté sa vie cachée, je ne l’ai pas dérangé par un mariage. Je
n’ai pas été une religieuse, je n’ai pas pratiqué la chasteté. J’ai attendu des
hommes les mains qui, enfant, m’allégeaient en me mettant sur un lit d’eau et
de doigts. Aucun ne m’a comblée. Ils pénétraient par poussées, plongeaient en
moi qui nageais sur le dos sous le lest de leur corps. [...] Aucun garçon,
aucun homme n’avait atteint la surface où battent mes palpitations. Ils avaient
plongé leurs corps dans mes entrailles, ils m’avaient creusée par leurs
étreintes. Mais ma vie était sur ma peau, mon sens majeur était le toucher, qui
a son siège partout entre la tête et les pieds. »
Un long extrait qui souligne la beauté de la prose de De
Luca. Je ne suis pas objectif parce que je suis fan de cet écrivain, tout à
fait fan. Mais avouez quand même que sa petite musique laisse en bouche un goût
délicieux...
Le tort du soldat d’Erri De Luca. Gallimard, 2014. 90 pages.
11,00 euros.
vendredi 28 mars 2014
Bordel - Sophie Bonnet
Un bordel. En suisse. Un truc officiel, dans les règles.
Quinze chambres, une vingtaine de filles. Le client fait son choix dans un menu
sur lequel sont affichés les prestations et les tarifs. Il paie à l’avance et
s’il veut rajouter des prestations par la suite, il peut le faire depuis la
chambre.
« Les filles se présentent aux clients plus de douze
heures par jour et sortent très peu du salon. La plupart travaillent la nuit.
Elles arrivent dans l’après-midi et se préparent lentement. Dès 18 heures,
elles sont habillées, coiffées, maquillées, mais beaucoup semblent écrasées de
fatigue. Levées depuis quelques heures à peine et pourtant complètement
éteintes. Elles attendent, affalées sur les fauteuils en cuir de la salle
commune. Les premières sonneries de client vont donner le signal du départ. Le
business commence. »
La plupart de ces filles arrivent de France. Elles sont très
jeunes, entre 18 et 22 ans. Rares sont celles de plus de 30 ans. Beaucoup sont
des maghrébines venant de cités sensibles. Elles sont là 3 ou 4 jours par
semaine et rentrent incognito dans leurs familles. Elles peuvent toucher
jusqu’à 15 000 euros par mois. « L’impossibilité d’évoquer l’argent
gagné et de partager leur réussite matérielle avec leurs proches les pousse à
faire disparaître les sommes gagnées. » Bijoux, drogues, fringues,
chaussures, sacs à main de luxe, elles claquent tout. Seules quelques unes ont
l’intelligence de garder une partie de leur salaire pour des projets concrets
comme l’achat d’une voiture ou d’un appartement. Entre elles, c’est au pire une
compétition sans pitié, au mieux une cohabitation forcée. Jamais elles ne
donnent leur véritable identité et certaines disparaissent du jour au
lendemain. Le turnover est important et la « gérante» de la maison clause
reçoit chaque jour de nouveaux CV.
Sophie Bonnet, journaliste d’investigation pour l’agence
Capa, a enregistré, avec leur accord, les conversations tenues par les filles.
Le résultat est effarant, tant les banalités s’enfilent comme des perles. De
celle qui se plaint de ne plus avoir de Red bull (une boisson qu’elles
ingurgitent à longueur) aux défilés de mode improvisés pour montrer aux copines
les derniers achats en date en passant par les chamailleries dignes d’une cour
de récré et les réflexions philosophiques à deux balles, on reste au ras des pâquerettes.
On a aussi droit à quelques entretiens d’embauche pas piqués des hannetons où
les postulantes cochent dans une grille les prestations qu’elles acceptent de
faire : « Tu fais la sodomie ? » ; « Tu
suces ? » ; « Tu embrasses ? ». « Oui, ils
adorent embrasser. Moi ça me dégoûte un peu, mais bon, je le fais quand même
parce que aujourd’hui on n’a plus vraiment le choix. En suisse, tu ne peux plus
travailler dans un seul salon si t’embrasse pas. De toute façon, tu leurs suces
bien la bite, donc embrasser, après tout, c’est moins gênant. » (perso je ne suis pas certain de ça, mais
bon…)
Les filles passent aussi leur temps à dire du mal des
clients (ce que je peux comprendre) et les gérants en font autant à propos de
leurs "employées" (ce qui est déjà beaucoup plus lamentable). Du glauque, du
glauque, du glauque… et une petite nausée qui vous monte au fil des pages. Le
gros problème c’est qu’il n’y a rien de passionnant là-dedans, tout sonne creux
à part les premiers chapitres expliquant le fonctionnement du bordel, l’origine
et la motivation des filles (bon en fait, soyons clair, la motivation c’est
l’argent et rien d’autre. Aucune, absolument aucune ne fait ça pour le plaisir.
Je précise juste au cas où certains en douteraient encore).
mercredi 26 mars 2014
Clair-obscur dans la vallée de la lune - Mongermont et Alcante
1998. José est guide touristique sur les hauts plateaux chiliens. D’habitude il encadre des groupes mais il se retrouve pour la première fois avec une seule et unique cliente, Joan, jeune femme insouciante et pleine de peps. Cette américaine à la chevelure flamboyante agace José autant qu’elle le trouble. Lui est un homme taciturne, torturé par un passé que l’on sent particulièrement douloureux. Ensemble, José et Joan vont peu à peu s’apprivoiser et les rôles s’inverser, le guide n’étant pas forcément celui que l’on croit.
Une très belle histoire. Je vous arrête tout de suite : non, Joan et José ne vont pas tomber amoureux l’un de l’autre, c’est beaucoup plus fin. Il est torturé par la haine et la vengeance et ne peut se libérer des terribles souvenirs laissés par la dictature de Pinochet. Elle, derrière le sourire et la bonne humeur de façade, porte les stigmates d’un drame personnel effroyable. Leur rencontre aura un effet cathartique et permettra à chacun, enfin, d’imaginer une possible reconstruction.
Si l’album est aussi somptueux, c’est parce que le dessin est à la hauteur du texte. Quels décors, quelle lumière, quelles couleurs ! Il se dégage de l’ensemble une vraie poésie douce-amère, où les silences en disent bien plus que de longs discours.
Un récit sensible qui avance par petites touches et amène de la clarté dans des existences meurtries. Une totale réussite !
Clair-obscur dans la vallée de la lune de Mongermont et Alcante. Dupuis, 2012. 64 pages. 15,50 euros.
Un album offert par Cristina. Je la remercie pour cette gentille attention et pour la pertinence de son choix.
Les avis de Cristina et Yvan.
Une très belle histoire. Je vous arrête tout de suite : non, Joan et José ne vont pas tomber amoureux l’un de l’autre, c’est beaucoup plus fin. Il est torturé par la haine et la vengeance et ne peut se libérer des terribles souvenirs laissés par la dictature de Pinochet. Elle, derrière le sourire et la bonne humeur de façade, porte les stigmates d’un drame personnel effroyable. Leur rencontre aura un effet cathartique et permettra à chacun, enfin, d’imaginer une possible reconstruction.
Si l’album est aussi somptueux, c’est parce que le dessin est à la hauteur du texte. Quels décors, quelle lumière, quelles couleurs ! Il se dégage de l’ensemble une vraie poésie douce-amère, où les silences en disent bien plus que de longs discours.
Un récit sensible qui avance par petites touches et amène de la clarté dans des existences meurtries. Une totale réussite !
Clair-obscur dans la vallée de la lune de Mongermont et Alcante. Dupuis, 2012. 64 pages. 15,50 euros.
Un album offert par Cristina. Je la remercie pour cette gentille attention et pour la pertinence de son choix.
Les avis de Cristina et Yvan.
mardi 25 mars 2014
Un de perdu - Gilles Abier
D’un coté Mélanie, une maman inconsolable depuis la disparition de son fils Clément pendant les fêtes de la ville de Bègles. C’était il y a cinq ans. De l’autre Enzo, un enfant en souffrance, victime d’une terrible forme de maltraitance que j’appellerais « l’indifférence parentale ». Des parents qui selon lui ne le méritent pas, des parents face auxquels il a l’impression d’être de trop. Enzo a douze ans, l’âge qu’aurait Clément. En voyant la photo de ce dernier affichée dans le hall de la gare de Périgueux, il découvre avec surprise qu’il lui ressemble de manière frappante. Je vous laisse imaginer la suite…
Pour tout vous dire, j’ai eu peur, très peur. Peur que tout cela ne tienne pas debout, que les grosses ficelles soient bien trop apparentes. Une impression qui a d’abord eu tendance à se confirmer mais qui, au fil du texte, s’est évaporée. Parce que Gilles Abier tricote son intrigue serrée-serrée, évitant les faux pas. Il vous ballade un peu, il alterne entre la rencontre Mélanie-Enzo et les jours qui ont précédé. La mayonnaise prend davantage à chaque page et au moment de conclure, alors que l’on pense voir le soufflé retomber, le récit gagne en intensité et la fin est parfaitement trouvée selon moi.
Une thématique forte et un texte dense, voila un petit roman ado qui rentre parfaitement dans le cadre du nouveau rendez-vous que nous souhaitons vous proposer Noukette et moi. Et je peux déjà vous dire que l’on a d’autres cartouches sous le coude pour les semaines à venir…
Un de perdu de Gilles Abier. Sarbacane, 2013. 64 pages. 6,00 euros.
Pour tout vous dire, j’ai eu peur, très peur. Peur que tout cela ne tienne pas debout, que les grosses ficelles soient bien trop apparentes. Une impression qui a d’abord eu tendance à se confirmer mais qui, au fil du texte, s’est évaporée. Parce que Gilles Abier tricote son intrigue serrée-serrée, évitant les faux pas. Il vous ballade un peu, il alterne entre la rencontre Mélanie-Enzo et les jours qui ont précédé. La mayonnaise prend davantage à chaque page et au moment de conclure, alors que l’on pense voir le soufflé retomber, le récit gagne en intensité et la fin est parfaitement trouvée selon moi.
Une thématique forte et un texte dense, voila un petit roman ado qui rentre parfaitement dans le cadre du nouveau rendez-vous que nous souhaitons vous proposer Noukette et moi. Et je peux déjà vous dire que l’on a d’autres cartouches sous le coude pour les semaines à venir…
Un de perdu de Gilles Abier. Sarbacane, 2013. 64 pages. 6,00 euros.
Les avis de Noukette et de Sophie/Hérisson
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