mercredi 12 février 2014

Le jardin d’hiver - Dillies et La Padula

« On ne choisit pas toujours qui on adopte et par qui l’on peut être adopté ».

Une ville grise et terne, un temps de chien, un temps à s’ouvrir les veines. Sam vivote dans un apart minable. Il bosse dans un troquet sans âme et traîne une mélancolie dont rien ne semble pouvoir le débarrasser. Même s’il y a Lili, la danseuse qu’il rejoint certains soirs avec plaisir. Il croit qu’il l’aime et se demande si c’est réciproque. Sam navigue dans un quotidien bien rôdé, tellement bien rôdé qu’il en a depuis longtemps perdu tout intérêt. Un quotidien empli de solitude et d’indifférence. Il faudra une rencontre avec son voisin du dessus pour qu’une porte s’ouvre. Le vieil homme le prend pour son fils. Il va surtout lui faire comprendre qu’une douce folie est nécessaire pour embellir la vie, pour faire en sorte que les rêves puissent s’accomplir.

Pour une fois Dillies n’est pas aux pinceaux mais sa petite musique résonne toujours aussi fort. On se dit au départ que le récit va être d’une insondable tristesse, une « ode » à la déprime que l’on devine dès la couverture. Mais cette fois-ci il y a de la lumière, beaucoup de lumière. Une jolie forme d’humanité alliée à une tendre poésie. Des corps et des esprits cabossés qui reprennent des couleurs. A la fin, la pluie a cessé, c’est un signe qui ne trompe pas.

De prime abord, le dessin anguleux de l’italienne Grazia La Padula interpelle. Mais sous l’apparente (et fausse) impression d’une certaine maladresse se cache un vrai talent graphique capable de créer une atmosphère servant à merveille le scénario.

Du bon Dillies, de l’excellent Dillies même. J’ai le sentiment de redire toujours la même chose à propos de cet auteur mais il est tellement rare de construire une œuvre sans faire la moindre fausse note que cela mérite d’être répété encore et encore.


Le jardin d’hiver de Dillies et La Padula. Paquet, 2009. 66 pages. 15,50 euros.

Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka

Les avis  de Choco, Loo, MarionNoukette et Yaneck.








mardi 11 février 2014

L’ombre de chacun - Mélanie Rutten

Des mois que cet album est posé sur mon bureau. Comme tant d’autres. En souffrance. Attendant que je me penche sur son cas. Et puis samedi dernier Moka a publié un avis sur ce titre. Un avis enthousiaste. Un peu plus que ça même. Quand elle a un tel coup de cœur, je la suis toujours les yeux fermés et je ne suis jamais déçu. L’ombre de chacun ne fera pas exception à la règle.

C’est l’histoire d’un Cerf et d’un petit Lapin qui vont devenir tout l’un pour l’autre.


« Est-ce qu’on sera toujours ensemble ? »
- Oui
- Toujours, toujours ?
- Un jour tu grandiras…
- Mais on sera quand même ensemble !
- Tu seras toujours dans mon cœur.
- Est-ce que tu vas mourir ? 
- Pas maintenant.
- Mais un jour…
- Un jour… c’est normal.
- Et est-ce que je serai toujours dans ton cœur alors ? 
- Je serai toujours dans le tien…
- alors on ne sera pas toujours ensemble… » dit le petit Lapin.

Mais c’est aussi l’histoire d’un Soldat en guerre, d’un Chat qui fait toujours le même rêve, d’un Livre qui veut tout savoir et d’une Ombre. C’est une histoire d’amitié et d’amour, d’altruisme et de solidarité. Affronter ensemble les épreuves, ses propres craintes. Se soutenir, aider l’autre sans condition. Une leçon de vie, quoi.

C’est un album qui se mérite, traversé par une certaine forme d’exigence. La polyphonie, les ellipses, une chronologie des événements par forcément évidente à reconstruire, c’est tout ce qui fait la richesse du récit. L’implicite a aussi une part importante dans ce texte. Une part fondamentale même. C’est l’interprétation, les interprétations possibles qui en font sa richesse. Si la littérature a à voir avec la beauté, et si ce qui crée la beauté c’est le style alors cet album est sacrément littéraire.

Et puis il y a dans la relation entre le Cerf et le petit Lapin quelque chose qui résonne fortement en moi. Des petits lapins, j’en ai trois à la maison. Des petits lapins qui vont grandir et partir un jour. C’est logique et c’est tant mieux parce que de toute façon je ne serai pas toujours là. Alors je suis un peu comme le Cerf, je les encourage à grandir mais en même tant mon cœur me dit : « Pas trop vite, pas trop vite ! »

Bref, à mon tour de crier au coup de cœur. C’est beau, c’est fort, tellement plein d’émotion. Si cet album arrive un jour entre vos mains, ne le laissez  pas traîner sur votre bureau pendant des mois, il mérite tellement, tellement mieux que ça.

L’ombre de chacun de Mélanie Rutten. Memo, 2013. 52 pages. 17 euros.

L'avis de Moka






lundi 10 février 2014

Le goût sucré des pommes sauvages - Wallace Stegner

Wallace Stegner (1904-1993) était un total inconnu pour moi avant que Marilyne me propose cette lecture commune. Il est pourtant considéré comme la principale source d’inspiration des écrivains du Montana et reste LA référence absolue pour Jim Harrison. Prix Pulitzer 1972, il a également remporté le National Book Award. Une pointure de la littérature américaine, quoi.

Cinq nouvelles en tout dans ce recueil. Les deux premières abordent le registre de la nostalgie, du temps qui passe et sont traversées par une certaine forme de mélancolie. Je les ai malheureusement trouvées trop courtes. A peine le temps de s’y installer qu’il fallait déjà en sortir. La troisième est plus intéressante et met en scène un cocktail mondain, un pianiste retors et un narrateur à l’ironie mordante dans une ambiance digne de Gatsby le magnifique. La quatrième est sans conteste la plus faible et est surtout sans aucun intérêt selon moi.

J’étais donc pour le moins dubitatif avant d’attaquer le dernier texte. Pas vraiment emballé par ce que j’avais lu, je me demandais bien pourquoi on faisait de Stegner un des plus grands écrivains de l’Ouest. Mais cette nouvelle a tout changé. 130 pages de pure Nature writing où des cowboys traversent avec leur troupeau la plaine du Saskatchewan (Canada) en plein hiver 1906, un des plus rudes du 20ème siècle. On trouve dans ce mini-roman d’initiation une écriture inspirée, des descriptions magnifiques, des relations entre les personnages très travaillées et un scénario au cordeau. Bref, c'est un récit âpre et tendu, qui tient le lecteur en haleine. La volonté farouche des hommes face aux éléments déchaînés est parfaitement rendue. Le froid, la promiscuité, les efforts terribles à fournir pour continuer à avancer malgré le blizzard, la neige et les vêtements qui gèlent à en devenir cassant comme de la glace, etc. Formidablement évocatrice, la prose de Stegner se dévore littéralement.  

Un recueil qui mérite donc d’être lu, essentiellement pour cette magistrale dernière nouvelle. J’ai maintenant hâte de découvrir un de ses romans.

Le goût sucré des pommes sauvages de Wallace Stegner. Points, 2009. 300 pages. 8,50 euros.


Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Marilyne et une première participation au mois de la nouvelle de Flo.





samedi 8 février 2014

Quand ma pal BD grossit à vue d’œil

Début janvier, je faisais le point sur ma pal BD en me disant que la situation n’avait rien d’alarmiste : une grosse trentaine d’albums en souffrance pas de quoi s’affoler. Oui mais voila, depuis une dizaine de jours une véritable pluie de BD m’est tombé dessus, pour mon plus grand plaisir. Petit tour d’horizon de ces nouveaux arrivants sur mes étagères :

Les achats compulsifs (ceux auxquels je ne peux pas résister et surtout auxquels je n’ai pas envie de résister) :















Les albums offerts par deux adorables blogueuses (qui se reconnaîtront) pour mon anniversaire :


























Les albums gagnés dans le cadre des lotos BD organisés par Loula et Valérie :

















Douze nouveaux albums en quelques jours, une véritable avalanche. La question maintenant est : avec lequel vais-je commencer ? Et si vous êtes partant(e) pour une lecture commune, n’hésitez pas à me faire signe.



jeudi 6 février 2014

Baignade surveillée - Guillaume Guéraud

C’est l’histoire d’Arnaud et d’Estelle. Ils partent en vacances au camping du Cap-Ferret avec Auguste, leur fils de 9 ans. Un couple en lambeaux, en bout de course : « On ne baisait plus que tous les 36 du mois alors on ne comptait plus les nuits sans, la fréquence de nos emboîtements étaient de plus en plus faible et ça ne leur faisait pas pour autant gagner en intensité, merde, à quoi ça tenait, j’en sais rien, l’usure, le linge sale, les mauvaises habitudes, les remarques déplacées et les yeux qui se fermaient pendant que tout rabotait les angles qui nous imbriquaient l’un dans l’autre. » C’est aussi et surtout l’histoire de deux frangins. Arnaud est l’ainé, docker à Marseille, encarté à la CGT et fier de l’être. Max est le cadet, un voyou qui enchaîne les séjours en prison et trempe en permanence dans des combines malsaines. Entre Arnaud et Max, les relations sont tendues. Et quand ce dernier débarque sans crier gare au camping, le grand frère se doute qu’il y a anguille sous roche…

J’aime quand Guillaume Guéraud fait du Guillaume Guéraud. Une noirceur totale, une écriture nerveuse, sèche comme un coup de trique, sans chichi ni envolée lyrique. On reste à hauteur d’homme, on ne donne pas dans la psychologie de bazar et surtout on ne juge pas. Jamais. Les faits parlent d’eux-mêmes, ils vous électrisent et vous laissent groggy. Bien sûr c’est très sombre, bien sûr il y a comme un malaise et ça peut déranger, je le comprends tout à fait. Maintenant, lorsqu’un auteur sait aller à l’essentiel sans prendre de gants, ça me botte, et pas qu’un peu.

La construction du récit est efficace et alterne entre le présent des vacances au camping et des chapitres en flash-back revenant sur les événements tragiques qui ont poussé Max à rejoindre son frère. Des dialogues ciselés, des moments de tension et d’autres beaucoup plus légers avec parfois une vraie pointe d'émotion, des personnages sacrément malmenés... du grand art, quoi.

Baignade surveillée de Guillaume Guéraud. Le Rouergue, 2014. 125 pages. 13,80


Une nouvelle lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec les drôles de dames Moka, Noukette et Stephie.

mardi 4 février 2014

Le premier mardi c'est permis (24) : Kamasutra : ce que veulent vraiment les hommes

Depuis que je participe au rendez-vous de Stephie je vous ai présenté un dictionnaire coquin, je vous ai expliqué comment faire l’amour à un homme et comment rater sa vie sexuelle et je vous ai même fait un petit topo sur l’éjaculation précoce. Aujourd’hui je vais vous dire ce que veulent vraiment les hommes en matière de sexualité. Enfin, d’après ce bouquin, alors autant dire qu’il va falloir grandement relativiser ce qui va suivre.

Cinq grands chapitres, mêlant conseils pratiques et témoignages masculins.

1) Caresse-moi : je vous la fais courte mais en gros on adore les massages et les caresses (tu parles d’un scoop !). N’hésitez pas à titiller notre point F et notre point P, sans oublier notre point U (je vous laisse chercher à quoi tout ça correspond mais vous avez l’air malines maintenant avec votre seul point G^^). Mon passage préféré de ce chapitre a pour titre « Jouer aux boules » : « Nos boules sont très proches de la salle de bal (j’aurais plutôt dit du trou de balle même si c’est tout de suite moins glamour) mais on ne les invite pas à la fête. C’est bien dommage car elles sont pleines de terminaisons nerveuses et nous adorons quand vous jouez avec. »
Sinon, parmi la foultitude de conseils prodigués, il y en a quelques uns qu’il faut oublier avec moi comme le suçotage des doigts de pieds par exemple. Je trouve l’idée super dégueu (pas que j’ai les pieds crados mais le fétichisme des pieds, ça me donne des hauts le cœur). Autre truc à éviter, la brutalité (il paraît que nombreux sont les hommes qui aiment être brutalisés pendant les ébats. En ce qui me concerne, les menottes, les griffures, les fessées ou le martinet, c’est pas du tout mon truc).

2) Aguiche-moi : On insiste sur l’importance du baiser, du souffle, de la langue. Suivent les sempiternels conseils sur la fellation et ses variantes avec cette règle d’or à respecter que je vous rappelle une fois de plus parce qu’on ne le dit jamais assez : « Sans les dents ! » Par contre, il est ici ajouté : « Sauf petit mordillement avec accord préalable. » Ce à quoi j’ai envie de répondre : même pas en rêve !

3) Séduis-moi : « Si vous désirez un homme, dites-le lui franco. Vos compliments lui iront droit aux parties génitales » (Euh, c’est pas si simple en fait). Envoyez-lui des sextos, félicitez-le quand il a été à la hauteur. (mouais, pourquoi pas…). « Passez un après-midi au lit ou octroyez-vous une grasse matinée coquine. » (moi je veux bien mais il faut être un couple sans enfants parce que sinon je ne vois pas comment c’est possible). Un chapitre sans intérêt qui se termine par le catalogue des positions et des lieux où l’on peut s’acoquiner (le genre de truc déjà vu cent fois ailleurs).

4) Fais-moi plaisir : Proposez des séances photos torrides (en short ?), baladez-vous en mini-jupe sans culotte et penchez-vous pour ramasser quelque chose (sérieux ?), donnez-lui votre rasoir et invitez-le à tailler votre petit buisson (sérieux ?), faites un strip-tease, etc. Plus étrange : « Allez au lit avec un chapeau. Cela peut sembler bizarre mais c’est une façon sexy et coquine de nous dire de quelle humeur vous êtes. » (??????).

5) Électrise-moi : N’hésitez pas à prendre des postures de chienne en chaleur, on adore ça (par contre vous, si ça vous gêne parce que, disons, vous avez un minimum de pudeur, peu importe…). Déguisez-vous, attachez-nous, faites-nous la surprise d’un plan à trois (avec deux filles si possible en ce qui me concerne), bref électrisez-nous !

Que dire en conclusion ? Entre les conseils vus et archi-vus des centaines de fois et ceux qui vont vous laisser pour le moins dubitatives, il ne reste pas grand-chose à sauver de ce « Guide indispensable écrit PAR des hommes POUR des femmes » (dixit l’éditeur). Personnellement, j’y vois une façon un brin grossière de prendre les femmes pour des cruches et ça m’agace au plus haut point.


Kamasutra : ce que veulent vraiment les hommes. Éditions Fetjaine, 2012. 240 pages. 9,90 euros.




lundi 3 février 2014

Coucou ! - Fiona Roberton

Quand Coucou sortit de sa coquille, tout allait très bien. Mais dès qu’il ouvrit la bouche, ses frères et sœurs virent qu’il était différent. Incapable de se faire comprendre, il quitta les siens pour trouver quelqu’un à qui il pourrait parler. Sa quête ne fut malheureusement qu’une succession d’échecs. Alors Coucou décida que, puisque personne ne parlait sa langue, il allait apprendre celle des autres...

Un joli petit album sur la différence et la volonté d’intégration d’un petit oiseau voulant à tout prix communiquer avec autrui. Beaucoup d’efforts, des difficultés d’apprentissage réelles et au final une belle note d’espoir. Les illustrations peuvent paraître simplistes mais certaines pages proposent des compositions
très travaillées.

L’histoire doit impérativement être déclamée à voix haute et le lecteur va se faire plaisir en imitant les cris de tous les animaux que Coucou va croiser sur sa route. Pour les enfants, c’est du bonheur garanti. D’ailleurs à la maison Pépette n°2, qui a pourtant passé l’âge d’une telle lecture, a dévoré cet album et l’a refermé avec cette sentence définitive : « C’est magnifique ! ». Et j’aime autant vous dire que tous les ouvrages passant entre ses mains ne se voient pas affubler d’un tel qualificatif, loin de là.



Coucou ! de Fiona Roberton. Circonflexe, 2014. 32 pages. 13 euros.



samedi 1 février 2014

Concerto pour la main morte - Olivier Bleys

Mourava, Sibérie centrale. Un hameau ravitaillé par les corbeaux tous les trente-six du mois. Un trou perdu que voudrait quitter Vladimir Golovkine, surnommé l’éboueur. Seul moyen pour lui de rejoindre la grande ville la plus proche, prendre le bateau qui s’arrête (rarement) près du village. Mais Vladimir n’a pas suffisamment d’argent pour monter à bord. Faute de pouvoir partir, il va voir débarquer dans sa vie Colin, un musicien français arrivant chez lui avec son piano. Colin est venu s’isoler en Sibérie pour guérir l’étrange mal qui le ronge. A chaque fois qu’il se lance dans le concerto n°2 de Rachmaninov, sa main droite se recroqueville comme une pince de crabe et refuse de lui obéir. Pour l’éboueur et les soixante âmes qui peuplent Mouravia, l’arrivée du pianiste raté représente un événement aussi étrange qu’inattendu.

J’ai beaucoup aimé ce roman frais et léger, sorte de fable à la frontière de l’absurde et du surréaliste. La galerie de personnages vaut son pesant d’or. L’improbable duo Vladimir/Colin bien sûr, mais aussi Dimitri l’épicier, Sergueï l’indécrottable alcoolique, Oleg l’ancien spationaute devenu ermite ou encore Sveta la vieille rebouteuse. Et puis il y a la Sibérie. Sa nature sauvage, sa forêt profonde, son froid polaire, sa neige immaculée, sa vodka coulant à flot et ses ours parfois particulièrement agressifs.

Olivier Bleys enchaîne les scènes cocasses, les dialogues enlevés et les descriptions évocatrices. Le ton devient par instants plus grave mais on fini toujours le sourire aux lèvres. Ce Concerto pour la main morte est aussi une belle déclaration d’amour à la musique et à son charme universel. Bref,  ce roman est une réussite qui m’a quelque peu sorti de mes lectures habituelles et j’en suis ravi.

Un grand merci à Un chocolat dans mon roman qui n’a pas hésité à faire voyager ce livre depuis La Réunion afin que je le découvre.


Concerto pour la main morte d’Olivier Bleys. Albin Michel, 2013. 234 pages. 18 euros.






jeudi 30 janvier 2014

La fille surexposée - Valentine Goby

 « La fille est nue. De profil, côté droit. Les seins pèsent. Le bras droit replié masque les tétons. Les doigts tiennent une cigarette à peine allumée dont la fumée gris clair se dissout dans le gris foncé de l’arrière plan. Le ventre bombé répond courbe pour courbe à la cambrure, noir des reins creusés, blanc tranchant de l’abdomen. Le cadre coupe le corps au ras du pubis. Le visage incliné est bordé d’ombre, la peau est mate, c’est la vraie peau de la fille. Bouche charnue, nez épaté, yeux baissés. Visage statuaire, sans regard, qui fixe le sol. »

Une photo. Une carte postale coloniale représentant une femme-objet costumée selon les standards aguicheurs du début du 20ème siècle.  La photo date de 1924. En 2011, Isabelle découvre cette carte postale dans les affaires de son grand-père. Il l’a envoyée à son ami Alexandre en 1954. En 2011 toujours, l’artiste Miloudi Nouiga balafre cette même photo de peinture, dans un geste venu non du bras mais de l’estomac, chaque projection de couleur trempant « dans la bile du dedans. » Un geste provoquant, plein de révolte. On suit le parcours de cette carte à travers ceux qui, à moment ou l’autre, vont l’avoir en main. Miloudi, Isabelle, son grand-père Maurice, soldat français fréquentant dans les années 50 le Bousbir, ce quartier clos de Casablanca entièrement réservé à la prostitution mais aussi celui qui a pris le cliché en 1924 ou encore la prostitué qui a eu Maurice pour client. Une carte postale comme un symbole, tant du colonialisme d’hier et de son érotisme exotique que du changement profond connu par le Maroc depuis son indépendance.

Soyons franc, je n’ai pas été autant secoué par ce texte que par Kinderzimmer, mais en même temps, comment aurait-il pu en être autrement ? J’ai par contre retrouvé avec le même plaisir la « patte » de Valentine Goby. Une écriture sensuelle, précise, ultra descriptive, où le corps occupe une place fondamentale. Après tout je n’y peux rien si la petite musique de cette auteure me parle et me touche autant.

Dans une mini postface, elle explique sa réflexion autour des « multiples mensonges de l’image. » La photo saccagée par le peintre que l’on voit en couverture du livre, elle l’a croisée dans une galerie de Rabat. « Qu’est-ce qu’on voit vraiment ? De quoi, de qui est-ce qu’on parle ? Je dessine, restitue, invente le hors-champ, le hors-temps de l’image, du moment : cela fait des romans. » Position de l’écrivain par rapport à l’artiste dont elle cherche à comprendre la démarche. « Je suis la fille qui se trompe, […] voit dans le tableau un geste de censure où il a y en fait un appel, une terreur de l’oubli. Je suis la fille qui rencontre le peintre, comprend qu’elle s’est trompée d’interprétation, et cherche à rendre compte de son erreur, du véritable geste du peintre, des multiples mensonges de l’image depuis sa construction il y a presque cent ans, et des vérités qu’elle révèle, rappelle, fixe définitivement. »

Au final cela fait un roman. Un excellent roman.

La fille surexposée de Valentine Goby. Alma, 2014. 128 pages. 17 euros.


Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Leiloona et Noukette.



Un billet qui signe ma seconde participation au challenge de Valérie



mercredi 29 janvier 2014

La guerre des lulus, 1915 : Hans - Régis Hautière et Hardoc

Rappelez-vous des Lulus. Lucas, Lucien, Ludwig et Luigi. Quatre orphelins picards abandonnés au moment de l’évacuation de leur village à l’automne 1914. Quatre gamins obligés de se débrouiller seuls dans la forêt où ils ont construit une cabane. Rapidement rejoints par un cinquième élément, Luce, les enfants tombent nez à nez avec Hans, un soldat allemand mal en point.

Dans ce second volume, on les retrouve au début de l’année 1915, au moment où ils découvrent que Hans n’est pas forcément un ennemi. Cet homme est un déserteur fuyant l’horreur des combats et son seul objectif est de retrouver sa femme enceinte. Avec ce nouvel allié les Lulus vont affronter dans la bonne humeur le printemps et l’été qui s’annoncent. Mais l’horreur de la guerre n’est jamais bien loin et les enfants vont l’apprendre à leurs dépens.

Quel bonheur de retrouver ces personnages si attachants. Il y a dans cet album une forme de fraternité et d’humanisme qui fait un bien fou. Pour autant point d’angélisme, ce serait mal connaître Régis Hautière. Si la partie se déroulant au printemps allie légèreté et tendresse, la fin de l’été sera tragique. Parce qu’au fond, tout cela n’est pas un jeu et les dernières planches de ce second tome laissent à penser que les Lulus ne sont pas au bout de leur peine.

Graphiquement, j’ai l’impression qu’Hardoc a beaucoup progressé. Les nombreuses scènes se déroulant en forêt sont magnifiques et le travail sur la lumière est somptueux. Et le fan du noir et blanc que je suis dois bien avouer que la mise en couleur est de toute beauté.

Un deuxième volume encore supérieur au premier. La profondeur du propos, la façon dont l’histoire progresse dans une succession de scènes enjouées et d’épisodes douloureux rendent l’ensemble absolument irrésistible. Pas besoin d'en dire davantage, la Guerre des Lulus est une très grande série tout public, rare et précieuse.  

La guerre des lulus, 1915 : Hans de Régis Hautière et Hardoc. Casterman, 2014. 64 pages. 13,50 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec mes chères complices Moka et Noukette, elles aussi grandes fans des Lulus.

L'avis de Sandrine




Ce billet signe par ailleurs ma première participation au challenge « Une année en 14 » de Stephie.