« Ta copine découvre que tu la trompes. (Bon en fait
c’est ta fiancée, mais après tout, bientôt ça n’aura vraiment plus
d’importance.) Elle aurait pu te surprendre avec une sucia, elle aurait pu te surprendre avec deux, mais comme tu n’es
qu’un sale fils de cuero qui n’a
jamais vidé la corbeille de sa messagerie électronique, elle t’a surpris avec
cinquante ! Certes, étalées sur une période de six ans, mais quand même.
Putain, cinquante nanas ? Et merde. […] Tu ne recules devant rien pour la
garder. Tu lui écris des lettres. Tu la
conduis au boulot. Tu cites Neruda. Tu rédiges un mail collectif qui répudie
toutes tes sucias. Tu bloques leur
adresse mail. Tu changes de numéro. Tu arrêtes de boire. Tu arrêtes de fumer.
Tu déclares être un accro au sexe et commence à assister à des réunions. Tu
rejettes la responsabilité sur ton père. Tu rejettes la responsabilité sur ta
mère. Tu rejettes la responsabilité sur le patriarcat. Tu rejettes la
responsabilité sur Saint-Domingue. Tu trouves un psy. Tu fermes ton compte
facebook. Tu lui donnes les mots de passe de toutes tes messageries
électroniques. Tu commences à prendre des cours de salsa comme tu l’as toujours
promis pour que vous puissiez danser ensemble.
[…] Tu essaies tout, mais un jour elle se redressera simplement dans le
lit et dira : C’est fini. »
J’aime cette écriture parce malgré la brièveté de chaque
phrase elle sonne comme un flot ininterrompu. J’aime cette écriture parce qu’elle
est vivante, pleine d’énergie. J’aime cette écriture parce que sa liberté et sa souplesse m'électrisent. Évidemment ce recueil de nouvelles n’est pas à
mettre entre toutes les mains. Il pourrait déplaire. Fortement. Il n’y a
pourtant rien de réellement abrasif au fil de ces huit textes mettant en scène
les membres de la communauté Dominicaine installée dans les environs de New
York. C’est juste que le personnage de Yunior, qui sert de trait d’union entre
chaque histoire, est un beau salopard. Le mâle latin dans toute sa splendeur.
Macho, queutard invétéré et sans scrupules. Yunor pense pourtant qu’il n’est
pas tout à fait comme ses congénères. Il cherche l’amour, le vrai, le pur. Un
coté fleur bleue qu’il oublie rapidement quand une nouvelle partie de jambes en
l’air se présente.
Avec lui on découvre l’arrivée de sa famille sur le sol
américain, le départ du père avec une fille bien plus jeune que sa mère, la vie
de débauche de Rafa, le frère aîné trop tôt emporté par un cancer. Et au milieu
de ce maelstrom Yunior tentant de se construire comme il peut. Il ne va pas
vraiment mal tourner, il ne finira pas dealer de crack au coin de la rue. Il poursuivra
ses études jusqu’à l’université et deviendra prof. Mais au niveau sentimental, c’est le naufrage.
Tromper une petite amie qui refuse de le laisser glisser une main dans sa
culotte avec une prof bien plus âgée que lui n’a rien d’infamant. Voir sa chère
Magda le traiter d’enfoiré parce qu’il a couché « avec une fille qui se
coiffait façon doigts dans la prise, comme dans les années quatre-vingt »,
il a du mal à comprendre. Lui ne se considère
pas comme un sale type. Juste un mec « faible et plein de défauts,
mais avec un bon fond. » Bien sûr, bien sûr…
La langue de Junot Diaz est fleurie, vivifiante. Un mélange
d’argot, de mots espagnols, de néologismes truculents et d’images qui vous
sautent à la gorge. Surtout lorsqu’il parle des femmes et de leur diversité :
guyanaises, asiates, latina, métis à la peau couleur de miel, « blanquitas
un peu péquenaudes » qui ont « un faible pour les négros » et
« baisent avec la discrétion d’un train de marchandise. » Yunor les
aiment toutes, certaines plus que d’autres, mais il se révèle au final incapable
de les garder, incapable de leur être fidèle. Le triptyque
coucheur-trompeur-menteur lui va comme un gant. Yunor, c’est un gars qui
enchaîne les déboires et que l’on n’a pas du tout envie de plaindre. C’est
drôle, corrosif et moderne. Bon j’ai adoré mais je ne vous conseille pas de
vous ruer sur ce recueil inclassable qui m’a, à bien des égards, rappelé le « Coup de sang » d’Enrique Serna. C’est à vous de voir. Débrouillez-vous, quoi…