C’est l’histoire d’un couple en bout de course, qui tente
encore de faire semblant d’y croire. A peine. Elle ne le voit plus, il lui
demande si elle veut un amoureux ou juste une présence. Il aimerait hurler sa
colère, lui dire qu’elle est devenue tellement chiante… ça ne peut plus durer.
Il choisit de se taire. Les silences et les non-dits sont pires qu’une franche
discussion. Puis viennent les engueulades inutiles, les accusations non
fondées. La ligne rouge est franchie, la séparation inéluctable. Il y a bien
une occasion ratée. Cette ultime possibilité de recoller les morceaux à coté de
laquelle on passe...
Un sujet des plus banals, déjà vu des milliards de fois. Certes.
Mais quand Luke Pearson s’en empare, les choses prennent une autre tournure. Le
génial créateur de la série jeunesse Hilda possède un ton inimitable. Il crée
un univers, une atmosphère où l’onirisme s’imbrique le plus naturellement du
monde dans la réalité. Pendant que ce couple se sépare, des géants veillent sur
la mer ou s’amusent à jeter des astéroïdes vers la terre depuis l’espace.
Pendant que ce couple se sépare, d'étranges créatures scrutent minutieusement les faits
et gestes des humains et un sapin se
déracine et se met à danser. Mais personne ne remarque rien. Une famille
ne remarque pas l’intrus dans l’entrée qui y reste une heure et puis s’en va.
Une petite fille ne remarque pas les efforts d’un garçon pour communiquer par
télépathie. Un vieil homme ne remarque pas le corps de son épouse s’élever et
se séparer en seize morceaux avant de se rassembler parfaitement.
Sous ses airs naïfs, le dessin
exprime beaucoup de choses avec très peu d’effets. La bichromie d’orange et de
noir donne un coté crépusculaire parfaitement adapté à cette histoire d’amour
qui se termine en douleur.
Bon, ok, ce n’est pas un album
super joyeux. Mais il serait dommage de s’arrêter à l’aspect tristounet du
scénario. Ce petit livre est beaucoup plus que cela, tellement plus que cela même.
Éthéré, vaporeux, inventif, tout en subtilité,
il possède un charme fou. C’est juste de la poésie en BD et ça fait du bien.
Loin des yeux… de Luke Pearson. Nobrow, 2013. 40 pages. 14 euros.
Une lecture que j'ai l'immense plaisir de partager avec les indispensables Moka et Noukette. Mesdames, j'espère que vous avez autant apprécié cet ovni que moi !