« Aujourd’hui maman est morte. » Meursault vient de
perdre sa mère. Il se rend à l’asile pour l’enterrement. Sans émotion, il
veille le corps, refuse de faire ouvrir le cercueil et repart aussitôt après la
mise en terre. Le lendemain il rencontre Marie, l’emmène au cinéma et couche
avec elle. Puis son voisin Raymond le sollicite et les ennuis commencent. La
tragédie se jouera sur une plage écrasée de soleil. Meursault tire d’abord une
fois puis il presse à nouveau la détente à quatre reprises. Un meurtre qui va
le confronter à l’implacable « justice » des hommes.
Adapter L’Étranger en BD est un pari risqué. Jacques
Ferrandez était sans doute le plus à même de relever le défi. D’abord parce qu’il
a déjà adapté Camus (L’hôte, une nouvelle tirée du recueil L'exil et le royaume)
et ensuite parce que c’est un dessinateur parfaitement à l’aise pour mettre en
images l’Algérie des années 30. Respectant au maximum le texte d’origine, sa
construction suit scrupuleusement la chronologie des événements et il a
focalisé toute son attention sur les dialogues, laissant le plus souvent de
coté la voix off qui est très présente dans le roman. Le résultat, gratté
jusqu’à l’os, est bluffant.
L’Étranger, c’est avant tout une réflexion philosophique sur
la condition humaine. Meursault est un personnage totalement atypique sur
lequel la vie semble constamment glisser. Il traverse chaque jour avec
insouciance. Rien, absolument rien, n’a d’importance. Son patron lui propose une
promotion ? Pour lui cela n'a pas de sens. La seule question valable est :
que fait-on sur cette terre ? La vie est absurde, elle ne vaut pas la
peine d’être vécue. Meursault refuse les règles de la société. Il ne croit pas
en Dieu. Sa confrontation avec l’aumônier, qu’il refuse d’appeler « mon
père », est d’une rare violence. Profondément antisocial, c’est un être
mystérieux dont il est impossible de comprendre le fonctionnement intime.
Graphiquement, la patte de
Ferrandez est inimitable. Mélangeant dessin au trait et aquarelle, il
représente à merveille la mer, le soleil, la lumière si particulière de la
méditerranée, la chaleur... La retranscription d’Alger est par ailleurs d’une
grande fidélité (notamment le port et la prison Barberousse) et on a l’impression
de ressentir le bruit et les odeurs d’épices qui montent de la ville.
Une adaptation lumineuse.
Difficile de matérialiser les silences de Meursault, difficile de traduire en
images son état d’esprit si particulier, insaisissable. Jacques Ferrandez a
su exprimer le détachement que le jeune homme affiche en toute circonstance.
Avec talent et simplicité, il offre un magnifique écrin au chef d’œuvre de
Camus. Un très grand album.
L’Étranger de Jacques Ferrandez, d’après Albert Camus. Gallimard,
2013. 134 pages. 22 euros.