lundi 25 février 2013

Le procès - Stéphane Henrich

Heinrich © Kaléidoscope 2013
C’est une affaire tragique qui va être traitée devant le tribunal des animaux. Bertrand Loup est accusé d’avoir dévoré un agneau, ce qu’il ne nie pas. Mais selon lui, seule la faim l’a poussé à tuer. Tout l’enjeu du procès est de savoir si l’accusé peut bénéficier de circonstances atténuantes ou doit au contraire subir la peine capitale.

Les témoins défilent à la barre. Le sanglier, voisin du loup, déclare qu’il n’a jamais connu quelqu’un d’aussi gentil. La taupe affirme qu’elle a tout vu mais personne ne la prend au sérieux. Les trois petits cochons, amis de la victime, lui reprochent son inconscience : « il faut être fou pour monter dans la voiture d’un loup. » Puis défilent les experts ayant étudié le caractère du loup avant l’intervention de l’avocat général qui ne trouve aucune excuse à l’accusé. Heureusement son défenseur maître Bouledogue fait preuve d’une belle éloquence. Au final, le tribunal se retire pour délibérer. Quel sera le verdict ?

Un album sacrément bien fichu, à la fois drôle et didactique. Tous les rouages d’un procès sont décortiqués. Invité sur les bancs du tribunal, le petit lecteur découvre le rôle de chaque intervenant, des témoins à l’avocat général en passant par les enquêteurs, les experts et les jurés. Et l’air de rien, toute la complexité des décisions de justice est mise en lumière. Le loup est-il un infâme criminel ou la simple victime de ce fléau abominable et incontrôlable qu’est la faim ? Difficile de se faire une idée définitive. En tout cas la légèreté reste de mise malgré le sérieux du propos. La taupe aveugle qui a tout vu, le clin d’œil au trois petits cochons, le président qui ne pense qu’à faire évacuer la salle au moindre bruit et quelques échanges savoureux entre les différents protagonistes font sourire. Tout comme la référence à Jules Renard, tueur de poule, en dernière page.

Un album aussi savoureux qu’instructif qui mérite vraiment le détour.

Le procès de Stéphane Henrich. Kaléidoscope, 2013. 32 pages. 13,20 euros. A partir de 5-6 ans.

Heinrich © Kaléidoscope 2013





samedi 23 février 2013

Nos étoiles contraires - John Green

Green © Nathan 2013
Je suis un lecteur curieux. J’aime plein de genres différents mais faut pas pousser. En fait, ce qui me plait c’est la littérature qui gratte, qui pique, une littérature nerveuse et à vif. J’apprécie plus que tout naviguer avec les sans grades, les paumés, les losers. Me perdre dans les vapeurs d’alcool et de vomi, me rouler avec eux sur un couvre lit crasseux dans la chambre d’un hôtel miteux  aux murs tâchés de graisse et de tabac. Par pour rien que mon idole littéraire s’appelle Bukowski. Un gars qui a écrit  « se gratter les hémorroïdes jusqu’au sang, c’est meilleur que la baise. » Un gars qui a intitulé une de ses nouvelles « Tous les trous du cul de la terre et le mien. » Bref, un insupportable misanthrope alcoolique dont la plume corrosive et drôlissime m’enchante depuis plus de vingt ans.

Tout ça pour dire que passer de Bukowski à un roman mettant en scène des ados cancéreux en phase terminale, c’est faire un grand écart auquel  mon entrejambe et ma curiosité de lecteur risquaient de ne pas résister.  Pourquoi m’y lancer alors, me direz-vous. Parce que quand Stéphie, Noukette, Hérisson et Leiloona font du même roman un coup de cœur, ça interpelle. Et comme en général l’avis de ces quatre lectrices expertes n’est pas à prendre à la légère, vous vous dites que ce serait couillon de passer à coté d’un texte qu’elles ont adoré. Alors du coup vous foncez à la librairie…

Nos étoiles contraires, c’est l’histoire d’Hazel et d’Augustus. Ils se rencontrent dans un groupe de soutien pour cancéreux. Elle a 16 ans et un cancer de la thyroïde dont les métastases ont migré vers les poumons. Condamnée à plus ou moins brève échéance, elle s’accroche sans se plaindre. Lui a eu une tumeur osseuse sur une jambe et a dû être amputé. Semble depuis en rémission. Pas envie de vous en dire beaucoup plus mais sachez juste qu’entre eux, le courant va tout de suite passer. Sachez aussi qu’il est question d’un livre et d’un écrivain antipathique en diable. Sachez pour finir que Nos étoiles contraires est un petit bijou. 

C’est un bijou parce que les malades que l’on rencontre sont des jeunes gens avant tout. Certes ils souffrent dans leur chair et ont plus souvent qu’à leur tour le moral dans les chaussettes. Mais ils font preuve d’une belle lucidité, d’une bonne dose d’humour et d’une délicieuse répartie. Et puis ils envisagent l’amour pour ce qu’il devrait toujours être : quelque chose de simple et de léger, une évidence face à laquelle il ne sert à rien de résister. Et c’est aussi et surtout un bijou parce que John Green n’a pas l’indécence de nous faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu’à  la fin une issue favorable est possible. Tout cela sans aucun pathos. Je pourrais ajouter que j’ai aimé ce vieux salopard de Van Houten comme j’ai aimé la dignité des parents d’Hazel, leur approche « intelligente » et tellement touchante de la maladie de leur fille. En fait je crois que j’ai tout aimé, la finesse du propos, ces personnages incarnés à la psychologie tellement bien construite que je ne suis pas près de les oublier. Nombreux sont ceux avant moi à avoir qualifié ce texte de « lumineux ». Je crois que c’est tout à fait ça.

Non, je n’ai pas pleuré en refermant ce livre. Pas même un sanglot dans la gorge. Il n’empêche. Cette magnifique histoire m’a touché, m’a secoué, m’a fait sourire, m’a profondément ému  et a fendu le cœur de pierre que l’on me prête (à juste titre) depuis des années. Un livre dont il ne faut pas avoir peur malgré le terrible sujet qu’il aborde. Un livre que je n’ai pas fini de prêter, assurément.

Nos étoiles contraires de John Green. Nathan, 2013. 330 pages. 16,50 euros.

Les avis de Hérisson ; Leiloona ; Noukette ; Stéphie.




vendredi 22 février 2013

Valentine remède - Jeanne Benameur

Benameur
 © Thierry Magnier 2002
Quand son père et sa mère se disputent, Valentine a beaucoup de chagrin. Un jour où elle se fait mal à la cheville, elle constate que ses parents se précipitent pour la consoler et oublient de se disputer. Alors Valentine devient malade chaque fois qu’elle entend crier dans la maison. D’abord de faux maux de ventre qui se transforment peu à peu en véritable douleur puis en vomissements. Seule la tendresse d’une maman pourra l’apaiser ainsi que la certitude que « les disputes, c’est pas si grave, elles passent... »

Un petit texte de rien du tout. Trois fois rien. Et pourtant la prose de Jeanne Benameur fait mouche. Pas besoin de grands effets de manche pour décrire la douleur de cette enfant qui intériorise son angoisse au point de s’en rendre malade. Quelques jolies phrases, une parabole autour d’un petit oiseau et le tour est joué. Du grand art !    

Valentine remède de Jeanne Benameur. Thierry Magnier, 2002. 46 pages. 5,10 euros. A partir de 9 ans.

Un billet qui signe ma seconde participation
au challenge Jeanne Benameur de Noukette


jeudi 21 février 2013

Ma nouvelle vie - Isabelle Lortholary

Lortholary © Casterman 2012
Violette vit seule avec sa mère à Paris. Quand cette dernière lui annonce qu’elles vont déménager dans l’Ariège, le coup est rude à encaisser. Quitter ses copains et la grande ville pour se retrouver dans une vieille baraque nichée au cœur d’un petit village, voila une perspective qui n’enthousiasme pas la jeune fille. Pour autant, la découverte de la vie rurale lui réserve de bien belles surprises et peu à peu Violette apprivoise son nouvel environnement au point d’oublier définitivement Paris sans aucun regret.  

Un roman jeunesse trop simple et trop simpliste. Trop simple parce que Violette accepte avec facilité le départ de la capitale annoncé quasiment la veille du déménagement. Comment peut-elle ne pas sortir de ses gonds et se révolter contre une situation qu’elle trouve intolérable ? Il manque à l’évidence quelques scènes de rébellion pré-adolescente pour pimenter l’ensemble. Trop simpliste ensuite parce que la rivalité Paris/province, qui tourne largement à l’avantage de cette dernière, ne cesse d’accumuler les clichés navrants : dans son village, les commerçants l’appellent par son prénom (la belle affaire) ; dans son village, elle peut se promener seule dans les rues (c’est bien connu les pédophiles kidnappeurs d’enfants n’agissent que près des champs Élysées) ; dans son village, le dimanche, tout le monde met son beau costume, va à la messe puis déjeune en famille (dans les années 50 peut-être mais aujourd’hui…) ; dans sa classe, ses nouveaux camarades trouvent qu’elle est toujours habillée à la mode (évidemment puisqu’elle vient de Paris alors que, c’est bien connu, les cul terreux se fringuent comme des sacs à patates) ; et quand elle écrit à son ancienne école, personne ne prend la peine de lui répondre (c’est bien connu les parisiens sont de sales individualistes qui ne pensent qu’à eux alors qu’en province l’altruisme est un art de vivre).

Vous l’aurez compris ce texte m’a profondément agacé, d’une part parce qu’il est d’un parti pris aussi flagrant que ridicule (je le dis d’autant plus facilement que je ne suis pas du tout parisien) et d’autre part parce qu’il est cul-cul la praline en diable. Et ce jusqu’à la dernière phrase, puisqu’il se termine au moment où la mère de Violette lui propose de partir une semaine en vacances et que la gamine refuse, préférant rester au village pour lire dans le grenier de la vieille maison au milieu des araignées. Bien sûr, bien sûr…

Ma nouvelle vie  d’Isabelle Lortholary. Casterman, 2012. 84 pages. 6,75 euros. A partir de 9 ans.

mercredi 20 février 2013

Black Hole - Charles Burns

Burns © Delcourt 2006
Chris et Keith sont deux lycéens vivant dans la région de Seattle au beau milieu des années 70. Tous deux vont contracter une MST qui fait des ravages parmi la jeunesse locale. La Crève (c’est le nom de cette maladie) provoque des mutations physiques aussi aléatoires qu’incontrôlables et transforment ceux qu’elle contamine en abominables freaks. Pour ne pas subir la vindicte de la population qui les rejette, les malades se réfugient en forêt et vivent en groupe, condamnés à la marginalité. D’abord bien décidés à cacher leur situation, Chris et Keith vont peu à peu sombrer à leur tour, incapables de gérer les conséquences physiques et morales engendrées par la Crève.
    
C’est Cristie qui m’a donné envie de découvrir cette œuvre majeure de la BD made in USA. Black Hole est un roman graphique fleuve d’une richesse incroyable. Charles Burns y décrit, sous couvert d’un récit à dominante horrifique, l’enfer de l’adolescence : transformation des corps, éveil du désir, peur de l’avenir, violence des rapports sociaux, rien n’est épargné à ces jeunes lycéens en perdition. Sans doute pas un hasard si le récit se déroule pendant les années 70. Burns veut tirer un trait définitif sur le Flower Power de la décennie précédente. Le monde n’est pas paix et amour, les jeunes n'ont aucune perspective et les drogues sont souvent le point de départ de mauvais trips où les éléphants roses sont remplacés par d’insupportables cauchemars. Malgré ce nihilisme assumé, Black Hole garde une incontestable part de poésie. Une forme de romantisme à l’ancienne, noir, désespéré, crépusculaire. Le dessinateur a lui-même qualifié son œuvre de « romance d’horreur ». C’est incontestablement la définition la plus juste. 
     
La force du récit tient aussi pour beaucoup dans le trait glacé de Burns. Un noir et blanc d’une vertigineuse profondeur qui vous plonge au cœur des tourments de ces ados attachants. Le découpage est pourtant simplissime mais les figures torturées, souvent montrées en gros plan, et le traitement hallucinatoire de certaines scènes ont quelque chose de fascinant. Une espèce d’attirance malsaine, presque morbide, qui hypnotise.  

A l’évidence, Black Hole est une œuvre incontournable de ces quinze dernières années. Un pavé qui se dévore à pleines dents et qui ne s’oublie pas de sitôt.               


Black Hole de Charles Burns. Delcourt, 2006. 368 pages. 29,95 euros.

Les avis de Mango, Cristie, Mo', Yvan


Burns © Delcourt 2006


Eisner Award 2006 du meilleur album (réédition)






lundi 18 février 2013

Sans même nous dire au revoir - Kentarô Ueno (Kana)

Ueno © Kana 2011
« A tous mes lecteurs français. En réalité, j’aurais préféré que l’on fasse connaissance avec un manga plus joyeux, mais malheureusement, celui que vous tenez entre les mains est empreint d’une grande tristesse. Certaines personnes pourront trouver son propos trop « cru » et, de ce fait, ressentir pour lui de l’aversion. Cependant, au-delà des questions de goût pour ce manga, la mort est inévitable pour tout le monde. J’ai donc dessiné ce manga, persuadé qu’il trouvait là sa raison d’être. »

Un préambule de l’auteur pas si anodin tant le sujet qu’il aborde est sensible. Kentarô Ueno raconte dans ce manga le décès de sa femme et le deuil qui s’ensuivit. Le 10 décembre 2004, à minuit, le mangaka trouve sa chère Kiho allongée dans la cuisine, face contre terre. Une crise cardiaque foudroyante. Malgré l’arrivée des secours, elle ne pourra être réanimée.

Ueno décrit avec minutie les heures, les jours, les semaines et les mois qui ont suivi. La préparation de la crémation, la venue de la famille, le dernier adieu. Le retour à la maison avec l’urne contenant les cendres. L’homme est brisé par cette tragique disparition. Il se replonge dans les souvenirs, effrayé à l’idée d’oublier son grand amour, la mère de son enfant, âgée de 10 ans à l’époque des faits. Beaucoup de dignité dans ces pages pas racoleuses pour deux sous. A aucun moment Ueno ne cherche à tirer des larmes au lecteur. Il veut juste  revenir sur le long cheminement lui ayant permis, peu à peu, de se reconstruire. Kiho était une femme fragile, sujette à de terribles crises d’asthme et souffrant d’une profonde dépression. Pourtant il n’avait de cesse de la supporter et de l’aider : « Pouvoir être ensemble nous rendait heureux. Dans les moments difficiles, c’est merveilleux d’avoir un nom à murmurer, m’avait dit Kiho. Autrefois, ce nom me servait de lumière dans l’obscurité. C’est si dur, il n’y rien à faire. »    
   
L’honnêteté et la simplicité du propos rendent ce récit autobiographique bouleversant. Une justesse de ton à priori impossible à trouver. Il aurait été si facile de donner dans le mélo pur et dur pour faire pleurer dans les chaumières. Ueno ne cède jamais à cette tentation. Sans doute parce que ce manga n’a pas été réalisé à chaud mais avec quelques années de recul. Il sonne à la fois comme un dernier hommage et une thérapie cathartique nécessaire pour, enfin, pouvoir avancer. Sans doute le manga le plus mature qu'il m'ait été donné de lire jusqu'à présent.

« Merci d’avoir été » est-il écrit au début du recueil. Une épitaphe que j’aimerais voir figurer sur ma tombe.        
Je dois la découverte de ce one shot à Tristan, nouveau chroniqueur manga de la revue Les années. Il a présenté deux titres pour l’instant (le 1er était La plaine du Kantô de Kazuo Kamimura) et à chaque fois il a tapé dans le mille en ce qui me concerne. Vivement le prochain numéro !

PS : son billet est tellement mieux que le mien que je vous le mets ci-dessous.     

Sans même nous dire au revoir  de Kentarô Ueno. Kana, 2001. 272 pages. 12,70 euros. 

Ueno © Kana 2011






samedi 16 février 2013

Les remèdes du docteur Irabu - Hideo Okuda (Wombat)

Okuda © Wombat 2013
Il faut vraiment avoir perdu tout espoir pour se rendre en consultation chez le docteur Irabu. Ce psychiatre obèse qui vit encore chez sa mère et roule dans une Porsche caca d’oie vous accueille en vous proposant d’emblée une piqûre sans même savoir ce qui vous amène. Ladite piqûre est effectuée par Mayumi, infirmière sexy en diable, un poil exhibitionniste et aussi froide qu’un glaçon. Le rituel est immuable, à chaque visite une piqure. Il faut dire qu’Irabu, en vrai fétichiste, bave et est excité comme une puce en voyant l’aiguille s’enfoncer dans la chair. A un patient en érection depuis des jours n’arrivant pas à calmer sa crise de priapisme, il balance un terrible coup de genou dans l’entrejambe comme base du traitement. Aucun effet bien entendu, si ce n’est une douleur abominable pour le patient et un éclat de rire pour le lecteur (même si j’ai aussi grimacé et serré les dents en découvrant ce passage). Dans les quatre autres nouvelles du recueil, on croisera une jeune femme narcissique persuadée d’être suivie en permanence par des pervers, un lycéen accro à son portable, un fumeur souffrant de toc et craignant dès qu’il sort de chez lui d’avoir oublié un mégot mal éteint dans son cendrier ou encore un homme tellement obsédé par la natation qu’il finit par mettre son couple en danger. 

Tous ces gens débarquent dans son bureau en pleine crise et plutôt que de chercher à régler le problème, Irabu commence par encourager le patient à entretenir son malaise. En fait, le médecin souhaite le pousser à bout pour qu’il se rende compte par lui-même de la pathologie qui le touche et puisse y apporter la solution appropriée. On ne cesse en découvrant ses pratiques de se demander si le docteur Irabu est un génie ou un parfait crétin. J’avoue qu’en refermant le recueil je suis incapable de me faire un avis définitif sur la question.

Une bien belle surprise. C’est drôle, barré à souhait comme j’aime et puis l’écriture est simple et coule toute seule, un vrai plaisir. Sans compter que l’air de rien Hideo Okuda appuie là où ça fait mal en abordant quelques névroses assez caractéristiques de la société japonaise.

Trois recueils des aventures du docteur Irabu ont été publiés au Japon. Le second a remporté le prestigieux prix Naoki en 2004. La série, avec plus d’un million d’exemplaires vendus a connu un énorme succès dans son pays d’origine et a été adaptée à la télé, au cinéma et en manga. Grâce aux éditions Wombat, il est maintenant possible de la découvrir chez nous. Franchement, si vous aimez les personnages aussi désopilants qu’improbables, il serait dommage de vous en priver.   

Les remèdes du docteur Irabu d’Hideo Okuda. Wombat, 2013. 282 pages. 20 euros. 

vendredi 15 février 2013

Bye bye, my brother - Yoshihiro Yanagawa

Yanagawa   © Sakka 2013
Ancien boxeur vedette, Nido est devenu SDF suite à une tragique agression l’ayant privé du plein usage d’une de ses jambes. Il se voit régulièrement proposer une place d’entraîneur dans un club tenu par l’un de ses anciens admirateurs fortunés mais il refuse à chaque fois, rongé par la culpabilité depuis la mort de son frère cadet dont il avait la charge. Comme si la misère était le seul châtiment qu’il mérite. Pourtant, sa rencontre avec l’apprenti boxeur Jirô semble quelque peu changer la donne…

Un univers de chats anthropomorphes aux attitudes tellement humaines que l’on oublie vite avoir affaire à des animaux. Cette histoire d’amour fraternel et de rédemption frôle parfois le mélo sans jamais franchir la ligne jaune qui le ferait passer de l’émouvant au mièvre. Parmi les points négatifs, la présence du gros chat noir symbolisant la mort donne un aspect fantastique et pseudo philosophique (surtout dans la seconde partie qui est en fait une histoire courte pouvant se lire indépendamment du premier récit) qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est une réflexion assez foireuse sur les choix à faire dans la vie pour  ne pas subir un destin tracé d’avance.

Pour autant ce one shot mérite d’être découvert pour ces personnages touchants à la psychologie plutôt fouillée et surtout pour le dessin de Yoshihiro Yanagawa dont le trait souple et élégant est une vraie réussite. Sans compter que son découpage, notamment l’alternance entre les moments de calme et la furie des combats de boxe, donne à son histoire un rythme très intéressant.

« Sympatique découverte mais pas totalement emballé » : je reprend cette phrase de Mo’, avec qui j’aurais dû partager cette lecture commune la semaine dernière. Maintenant qu’elle a publié son avis, je peux comparer nos points de vue et je constate que de son coté elle a beaucoup aimé la présence du gros chat noir et la touche fantastique. Finalement je crois que si l’intrigue s’était uniquement centrée autour de l’aspect « drame social », je l’aurais davantage appréciée. Pour autant Bye bye my brother restera un agréable moment de lecture que je ne regrette absolument pas (tout comme Mo' finalement. Allez donc lire son avis vous verrez que je ne raconte pas de bêtise).      

Bye bye, my brother de Yoshihiro Yanagawa. Casterman, 2013. 190 pages. 7,95 euros. 


Yanagawa   © Sakka 2013

jeudi 14 février 2013

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans - Faulkner

Faulkner © Folio 2012
Je voulais lire l’ensemble des Croquis de la Nouvelle-Orléans publié par Gallimard il y a quelques années mais c’est un ouvrage que la médiathèque n’a jamais acheté. Du coup je me suis rabattu sur cette « compilation » sortie l’été dernier. J’aime beaucoup découvrir comment un auteur est entré en littérature. Pour Faulkner (comme pour beaucoup d’autres d’ailleurs) ce fut par l’intermédiaire de la nouvelle. Ce Coucher de soleil regroupe des textes rédigés suite à un séjour de six mois dans la plus grande ville de Louisiane en 1925. On y trouve un mari à la jalousie maladive, un pauvre hère qui cherche l’Afrique de l’autre coté du Mississipi, un mendiant embarqué par la police, des contrebandiers d’alcool ou encore un fieffé menteur qui a la mauvaise idée, pour une fois, de raconter une histoire véridique.

Des gens simples et des nouvelles d’un certain classicisme formel où l’on voit déjà poindre quelques éléments qui feront par la suite la renommée de Faulkner, notamment la cohabitation entre une tonalité profondément réaliste et quelques pointes de lyrisme. Malgré l’unité de lieu, il est à noter que les situations proposées sont très variées et les personnages hauts en couleur valent le détour.

Entre humour et désillusion, la langue est d’une belle fluidité et les dialogues sonnent juste. Un petit recueil idéal pour découvrir les premiers pas d’un futur prix Nobel de littérature et déceler les promesses d’une œuvre à venir dont la qualité aura marqué de manière indiscutable la littérature américaine du 20ème siècle.

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans de William Faulkner. Folio, 2012. 112 pages. 2 euros. 

mercredi 13 février 2013

Un peu de bois et d’acier - Chabouté

Chabouté © Vents d'ouest 2012
C’est l’histoire d’un banc. Un banc qui regarde passer les gens. Certains s’arrêtent et s'assoient, d’autres l’ignorent royalement. Des gens âgés, des plus jeunes, des amoureux transis qui attendent leur belle, des lecteurs, des musiciens, un SDF qui vient de temps en temps lui tenir compagnie la nuit venue… Des gens qui se croisent sans se regarder et un banc qui, au fil des saisons et des années, demeure un spectateur aussi silencieux qu’attentif…   

336 planches en noir et blanc et sans texte, il fallait oser. Chabouté le reconnaît, s’il n’avait pas depuis quelques années acquis une certaine notoriété, jamais son éditeur n’aurait accepté de publier un album pareil. Autant le dire tout de suite, je n’étais pas chaud pour me lancer dans cette lecture et si je ne l’avais pas croisé à la médiathèque je ne me serais jamais laissé tenter. J’avais peur de l’exercice de style, de la démonstration graphique froide, sans âme et surtout sans intérêt. Pour le coup mes aprioris se sont révélés totalement faux. Chabouté parvient à raconter quelque chose en laissant sa caméra posée face à ce banc sur des centaines de pages. Des petits riens qui, mis bout à bout, forment un tout. Les personnages passent, disparaissent, reviennent et évoluent (avec une mention spéciale pour le policier municipal). Aucun des procédés habituellement utilisés pour nourrir une intrigue ne sont présents et pourtant cette apparente futilité m’a beaucoup parlé. C’était d’ailleurs une volonté affichée dès le départ : « Je voulais un récit à la Tati, capable de rappeler à quel point l’inutile et le quotidien peuvent être beaux pour peu qu’on les regarde d’un œil attentif. » (interview casemate)

Graphiquement c’est toujours aussi fort. Plutôt que de proposer un seul et interminable plan fixe sur le banc, Chabouté ne cesse de tourner autour, utilisant les cadrages somptueux et variés qui sont sa marque de fabrique. Pour une fois, les blancs sont davantage marqués que les noirs et les décors sont réduits au strict minimum, sans doute pour donner au jardin public où se trouve le banc un coté universel dans lequel chaque lecteur pourra projeter ses propres références.

Une bien belle surprise donc. Pas un chef d’œuvre du niveau de Tout seul mais je m’attendais à beaucoup moins bien et j’avoue sans honte que mes aprioris n’avaient finalement aucun fondement. Il faut savoir le reconnaître quand on se trompe…

Un peu de bois et d’acier de Chabouté. Vents d’ouest, 2012. 336 pages. 30 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Hélène. Allez vite découvrir son avis. Mon petit doigt me dit qu’elle a moins apprécié cet album que moi… 


Chabouté © Vents d'ouest 2012