Depuis qu’elle fréquente le juge Didier, Aya espère pouvoir se venger du prof de fac qui a tenté de la violer. De son coté, après avoir dilapidé les millions de son père dans des projets caritatifs, Moussa se retrouve en prison. Il y rencontre Grégoire, détenu pour avoir détourné l’argent de ses fidèles en se faisant passer pour un prêcheur. Albert, lui, ne parvient toujours pas à assumer son homosexualité et il s’apprête à épouser une mégère pour ne pas froisser ses parents. A Paris, Innocent découvre la difficile condition des sans papiers mais peut toujours compter sur l’amitié de Sébastien. On retrouve aussi dans ce sixième tome Bintou, Adjoua, Gervais, Fanta, Hervé, Mamadou et tous ceux qui animent depuis cinq ans cette incomparable saga.
Récit choral, feuilleton digne des meilleures séries télé, Aya de Yopougon se déroule en Côte d’Ivoire dans les années 70 et raconte la vie de quelques habitants de Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan. Aya en est l’héroïne principale autour de laquelle gravitent de nombreux personnages, tous de tempéraments très différents. Chaque tome est un enchaînement de scènes indépendantes qui parfois se croisent où se chevauchent. Il faut s’accrocher au début pour reconnaître et suivre tous les protagonistes, mais une fois que la mécanique est en place et que l’on a assimilé les différentes intrigues, c’est un vrai régal.
Graphiquement, la construction est depuis le début aussi simple qu’efficace. Le système du gaufrier avec six cases par planche peut paraître monotone mais il permet de maintenir un bon rythme de narration. Par ailleurs, la plupart des scènes se distinguent l’une de l’autre par un code couleur différent. Le Yopougon de Clément Oubrerie est coloré et très fidèle à la réalité. Il faut dire que le dessinateur s’est rendu sur place et est revenu avec plus de 5000 photos. De quoi varier les décors en respectant au maximum l’ambiance typique du quartier. Mettre en images un tel récit est une gageure. Aya, ce n’est que du dialogue, quasiment sans action. D’où une vraie difficulté pour être inventif dans la mise en scène. Mais la fluidité qui découle des six volumes est la preuve que Clément Oubrerie a su relever le défi haut la main.
Autre point qui donne à la série un charme incomparable, la richesse de la langue utilisée par les ivoiriens, un mélange de français et de dialectes africains. Le nouchi (nom de ce langage de la rue inventé par les jeunes) est tout simplement savoureux et très facilement compréhensible grâce au lexique se trouvant en fin d’ouvrage. Et que dire des joutes verbales présentes tout au long de chaque album. Marguerite Abouet le reconnaît, « c’est un sport national là-bas, notamment dans la gestion des conflits de tous les jours. On n’en vient jamais aux mains comme en France, mais les piques volent très haut et très fort. Les habitants ont énormément de sens de la répartie. »
Il faut le reconnaître, l’Afrique d’Aya fait plaisir à voir. Loin des guerres, des famines et du Sida (n’oublions pas que l’action se déroule dans les années 70), les auteurs montrent le coté vivant, les réalités quotidiennes de ce magnifique continent. Et Dieu sait que ce parti pris positif leur a été reproché. Un journaliste a notamment écrit que Marguerite Abouet jouait à l’autruche en niant les problèmes de l’Afrique. Mais Aya est finalement une histoire universelle qui pourrait se passer n’importe où, et c’est très bien ainsi.
Avec se sixième tome, on quitte Yopougon et tous ces personnages haut en couleur pour la dernière fois avec un pincement au cœur. Un feuilleton qui s’est étalé sur plus de 700 pages en gardant le même niveau de qualité, voila qui est rare. Finalement, Aya, c’est un peu comme ce pot de confiture dans lequel on trempe un doigt juste pour goûter et que l’on finit par boulotter en entier parce qu’il n’y a rien à faire, c’est trop bon et on ne peut plus s’arrêter ! Alors attention à vous si vous jetez un œil à cette série, vous risquez de vous engager dans une délicieuse aventure au long cours.
Aya de Yopougon T6, de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Gallimard, 2010. 112 pages. 17 euros.
L’info en plus : Au départ, Aya devait être une série pour la jeunesse racontant l’enfance de Marguerite Abouet à Yopougon. Mais devant le refus des éditeurs, les deux auteurs ont revu leur copie pour proposer un projet plus adulte. Le succès de la série a depuis permis a Marguerite de mener à bien sa première idée en publiant au mois de juin 2010 un album pour les plus jeunes intitulé Akissi, l’histoire d’une petite fille effrontée et dégourdie qui se mêle de tout dans son quartier et fait tout comme les garçons.
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