mardi 19 mai 2015

Le journal de Gurty - Bertrand Santini

Aujourd’hui Noukette et moi avons décidé de donner dans le léger. Dans le divertissant, le rigolo. Le super rigolo, même. Aucun drame à l’horizon, pas de thématique anxiogène mais plutôt un enchaînement de scénettes cocasses qui font jouer les zygomatiques. Voila qui change et qui fait du bien !

Gurty est une chienne qui va comme chaque année passer ses vacances à Aix-en-Provence avec son maître Gaspard. Sur place, elle retrouve vite ses marques, sa copine Fleur et Tête de fesse, le sale matou des voisins. Les jours passent et Gurty consigne dans son journal les petits riens du quotidien : se cacher dans le foin, songer à fuguer, faire peur à un écureuil, se coller une barbe à papa aux fesses lors d’une sortie en ville, j’en passe et des meilleures. Autant de sketches où la petite chienne pose un regard à la fois naïf et plein de malice sur son environnement. L’ensemble est rythmé, dynamique, porté par le style enlevé de Bertrand Santini, qui a illustré lui-même (et avec talent) chacun des courts chapitres.

Pourquoi ça ne peut que fonctionner avec un enfant ? Parce que c’est une lecture facile et récréative, parce que l’écriture est plaisante et coule toute seule, que les dialogues font mouches et que les situations imaginées par l’auteur du Yark sont pleines d’humour.

Si vous avez un coriace à la maison, du genre à penser que les livres c’est nul et ennuyeux, que la lecture n’est qu’une activité à vous arracher des bâillements, proposez lui donc de jeter un œil au journal du Gurty, il y a des chances qu’il change d’avis.

Allez, juste un exemple pour vous prouver que je ne mens pas :

« J’aime l’odeur des roses et des lavandes. Le parfum subtil du vent soufflant dans les figues m’enchante aussi. J’apprécie le fumet de la terre après l’orage et les senteurs nocturnes d’un jardin sous la lune. Mais mon parfum préféré, c’est celui du caca. »

Alors, franchement, ne me dites pas qu’il n’y a pas là de quoi emporter l’adhésion du lecteur le plus réfractaire ? On prend les paris ? Et encore, je ne vous ai pas parlé des jeux, tests et conseils qui offrent une dimension ludique en fin d’ouvrage. Bref, des arguments pour entraîner vers la lecture plaisir, Gurty en possède des tonnes. Sérieusement !



Le journal de Gurty de Bertrand Santini. Sarbacane, 2015. 140 pages. 9,90 euros. A partir de 7-8 ans.

L'avis de Stephie












lundi 18 mai 2015

Un thé pour Yumiko - Fumio Obata

 « Je me sens perturbée. Cet endroit… L’air, la terre… J’ai beau retourner ça dans tous les sens, mes racines sont ici, c’est certain. Je crois que je l’ai nié trop longtemps. »

Vivant depuis des années à Londres, fiancée à l’anglais Mark, la japonaise Yumiko doit rentrer dans son pays natal suite au décès de son père. Un retour particulier tant la jeune femme se sent déconnectée de ses origines.

L’enterrement traditionnel, respectant une cérémonie longue et fastidieuse, ne lui arrache aucune larme. Ce manque d’émotion de surface cache en fait une tempête intérieure où la quête d’identité va faire vaciller ses certitudes.
Un parcours sensible et subtil où, peu à peu, Yumiko tombe le masque.

Beaucoup de silence dans le parcours à la fois méditatif et introspectif d’une femme à la recherche de sens. Un portrait d’expatriée tiraillée entre ses racines et une carrière « à l’européenne » d’apparence plus émancipatrice et épanouissante, surtout pour une femme. Yumiko s’interroge, elle doute, avouant même à sa mère que si elle n’avait pas rencontré Mark, elle serait rentrée définitivement au Japon.

Le dessin à l’aquarelle est sobre et élégant, parfaitement raccord avec le propos. Une réflexion tout en pudeur sur le deuil et la construction de l’identité qui sonne juste. Touchant.

Un thé pour Yumiko de Fumio Obata. Gallimard, 2014. 155 pages. 22, 00 euros.


Les avis de ChocoMoka et Stephie


samedi 16 mai 2015

Carnaval - Ray Célestin

La Nouvelle-Orléans, 1919. Un Serial Killer provoque la panique, frappant ses victimes à coups de hache et laissant sur les lieux de ses crimes des cartes de tarot. Le policier Michael Talbot cherche à comprendre les motivations du tueur  mais il n’est pas le seul à mener des investigations. Le journaliste John Riley, la détective privée Ida Davis et l’ancien flic Luca D’Andrea, à peine sorti de prison, vont eux aussi, chacun de leur coté, tenter de résoudre le mystère. Le temps presse, un ouragan approche, les morts s’accumulent et la ville semble proche du chaos…  

Inspiré d’une histoire vraie, ce premier roman, au-delà d’un solide polar, est un roman d’atmosphère avec des personnages bien campés et une narration très maîtrisée. Ray Célestin décrit avec maestria le fourmillement unique de La Nouvelle Orléans au début du 20ème siècle : l’influence française, la musique omniprésente, une tension raciale permanente, des communautés vivant repliées sur elles-mêmes dans des quartiers spécifiques (noirs, juifs, irlandais, italiens), le rôle de la mafia, le vaudou, le bayou et ses mystères…

Pour moi, c’est typiquement un livre de vacances, un livre à glisser dans ses valises (et il n’y a rien de péjoratif là-dedans, d’ailleurs je l’ai lu pendant mes vacances). Un pavé que l’on sait pouvoir dévorer quasiment d’une traite parce que l’on va avoir davantage de temps à consacrer à la lecture. Un page-turner  que l’on retrouve avec plaisir au fil de la journée, sur la plage ou dans un transat, un verre de rosé bien frais à la main. Un livre de vacances, quoi !

Détail qui me turlupine, je me demande pourquoi il y a marqué « Thriller » sur la couverture. Je ne suis absolument pas un spécialiste du genre mais il me semble que ce texte n’a rien d’un thriller. Pas de suspense haletant, pas de considérations psychologiques à outrance, rien de véritablement angoissant, c'est simplement un bon vieux polar efficace et très documenté à la construction ambitieuse, ni plus ni moins.

Une vraie lecture plaisir, sans prise de tête, mais dont la dimension historique apporte une véritable valeur ajoutée. Je ne savais pas à quoi ressemblait La Nouvelle-Orléans de cette époque, me voila maintenant parfaitement renseigné sur le sujet. Cet aspect m’a d’ailleurs bien plus intéressé que la traque du serial killer, rien de surprenant finalement quand on sait à quel point je ne suis pas un grand fan des intrigues policières.

Carnaval de Ray Célestin. Le Cherche Midi, 2015. 495 pages. 21,00 euros.





vendredi 15 mai 2015

Mama Black Widow d'Iceberg Slim - L'avis de Valérie

La femme noire positive utilise son rayonnement, sa force, son pouvoir pour guider son homme vers un accomplissement de lui-même, pour renforcer son autorité, pour que ses enfants puissent avoir sous les yeux une image forte qui leur serve de modèle. 

Otis a quitté le Missippi lorsqu'il était adolescent. Sa mère a réussi à persuader son père d'aller vivre à Chicago alors que lui serait bien resté dans le Sud à vivre presque comme l'Oncle Tom, en domestique obéissant. L'arrivée à Chicago sonne le glas du bonheur familial (qui soyons honnête, n'existait pas vraiment non plus dans le Sud). Le père ne trouve pas d'emploi et sombre dans l'alcool, la mère laisse son fils Junior, vaquer à ses occupations louches afin d'en retirer l'argent qui lui permettra de ne pas travailler pour les blancs pendant quelques jours. Au milieu de tout ça, Otis tente de comprendre qui il est, entre sa relation avec la riche Dorcas et son irrésistible attirance pour les garçons.

Ce roman est exactement de ceux que j'aime découvrir, il possède son univers propre, celui des bas-fonds américains et pour cause, l'auteur était proxénète et connaissait donc bien ce milieu. On sent très bien la déception qu'ont éprouvé les noirs du Sud quand ils se sont installés dans le Nord, des rêves pleins la tête. On découvre aussi l'univers glauque des amours qui ne sont que de surface car Otis, malgré ses défauts, cherche l'amour ; or il ne parvient pas à aimer celle qui est prête à le rendre heureux et se fait avoir par ceux qui l'attirent. J'ai été désarçonnée par certains passages, notamment celui où il devient le jouet sexuel d'un diacre alors qu'il n'est encore qu'un jeune adolescent, Ce n'est pas tant la scène en soi que le fait qu'Otis finit par trouver ça « très agréable ». Nous noterons que l'auteur n'est pas de ceux que j'aurais eu plaisir à rencontrer en vrai, puisqu'il frappait les prostituées qui travaillaient pour lui avec des cintres en métal.

C'est un roman fortement inspiré de la vie de l'auteur, que je vous conseille si vous êtes curieux, surtout pas si vous êtes facilement choqué. Je l'ai lu dans la même pièce que mes enfants et mes parents et je peux vous dire que je vérifiais par dessus mon épaule qui était derrière moi en lisant certaines pages.

Merci à Jérôme pour cette lecture commune et pour m'avoir offert ce roman.

Publié chez Points en 2010, 345 p,







Mama Black Widow - Iceberg Slim

Un roman qui clôt une « trilogie du ghetto » unique dans la littérature américaine. Un roman lu il y a quinze ans. Un roman que j’avais envie de relire depuis longtemps. Un roman que j’avais envie de partager avec Valérie, pour lui faire découvrir un écrivain vraiment particulier et parce ce que je me demandais ce qu’elle pourrait bien en penser.

Iceberg Slim (1918-1992), venu à l’écriture sur le tard, fut un des plus célèbres proxénètes de Chicago dans les années 40-50. Une trajectoire qu’il raconte dans « Pimp », premier volet de la trilogie. Dans le second (« Trick Baby »), il plonge dans l’univers sans pitié des arnaqueurs. « Mama Black Widow », le dernier donc, est la biographie à peine romancée d’un travesti noir au terrible destin. Dans la préface, Slim explique sa démarche :

« En début de soirée, dans la première semaine de février 1969, je rendis visite à Otis Tilson. C'était un travesti incroyablement beau et tragique, rencontré de temps à autre, tout au long de ces vingt-cinq ans où moi-même j'étais un maquereau noir, à Chicago dans l'Illinois. Otis vivait dans un hôtel de troisième ordre à l'intersection de la 47e Rue et de Cottage Grove Avenue.
Nous nous installâmes sur un canapé défoncé dans son studio kitchenette. "Tout ce que tu as à faire c'est de raconter ton histoire." [...]
Lorsque j'ai écrit le livre, il m'a fallu restructurer des scènes, remettre en ordre des événements dans le récit d'Otis qui parfois s'égarait ou se noyait dans les larmes. Il n'y a pas de psychologie, de sermons ou de notes dans ce récit d'une vie. Les dialogues sont dans la langue crue des pédés, du ghetto noir, du Sud profond, des bas-fonds. Si peinture critique de la société il y a, elle se trouve dans l'âpreté de cette lutte tragique qu'Otis Tilson mène pour se libérer de la garce perverse brûlant en lui. »

Inutile de vous dire que je suis totalement fan d’un texte aussi décapant. L’histoire d’Otis dit les espoirs brisés d’une famille noire du Mississipi débarquant à Chicago en 1936 en pensant, comme beaucoup, y trouver un eldorado. Or c’est un autre enfer qui leur tend les bras, un enfer urbain où la ségrégation est toujours aussi présente. Son père ne trouve pas de travail, son grand frère va tomber peu à peu dans la délinquance et l’une de ses grandes sœurs dans la prostitution. Otis n’est qu’un enfant à cette époque et il voit le délitement progressif d’une cellule familiale pourtant soudée au départ. Sa mère jouera un rôle central dans la déchéance des siens (d’où le titre du roman), et lui ne pourra que constater les dégâts. Violé par un diacre, tiraillé entre sa volonté d’être un « homme comme les autres » et une homosexualité qui le dévore de l’intérieur, Otis va sombrer et enchaîner les coups durs. Tragique, il n’y a pas d’autres mots pour qualifier une existence à laquelle l’épilogue donne une terrible conclusion en quelques lignes…

J’adore Iceberg Slim  (en tant qu’auteur du moins parce l’homme en lui-même était plus que détestable, la lecture de Pimp vous le confirmera), c’est un écrivain de la rue, direct et sans concession, dont l’art des dialogues est un régal. Son écriture très orale et très crue retranscrit l’ambiance du ghetto noir, ses codes et sa violence. J'aime autant vous prévenir, certaines scènes sont d'un réalisme difficilement supportable, âmes sensibles s'abstenir !

Vous l’aurez compris et vous le savez si vous passez régulièrement par ici, c’est typiquement la littérature que j’aime. Il est bon parfois de se replonger dans des textes qui ont fait de nous des lecteurs passionnés et insatiables, et je ne remercierai jamais assez Valérie d’avoir accepté de m’accompagner dans cette relecture.

Mama Black Widow d’Iceberg Slim. L’Olivier, 2000. 302 pages. 20,10 euros.








mercredi 13 mai 2015

Rosario - Sampayo et Stassi

Comme souvent, c’est la faute d’une femme (pas taper !). C’est à cause de Raquelita que Rogelio croupit derrière les barreaux depuis vingt ans. C’est à cause d’elle qu’il a commis un meurtre. Du moins c’est ce qu’il raconte dans une confession à un mystérieux destinataire. Amoureux fou de cette belle blonde, il partit à sa recherche après sa soudaine disparition. Tombant dans les griffes d’une autre femme (eh oui, forcément !), la sulfureuse mademoiselle Galiffi, fille d’un parrain de la pègre locale, Rogelio plongea la tête la première dans un nid de vipères dont il ne pouvait ressortir indemne.

A Rosario, dans l’Argentine du début des années 30, la ville appartenait au crime organisé. Les italiens et les juifs, spécialisés dans la prostitution, se partageaient le gâteau et les pouvoirs publics, corrompus, fermaient les yeux. Mais avec les troubles sociaux prenant de l’ampleur et l’implantation de plus en plus importante des anarchistes et des syndicalistes, la mafia trouva un ennemi commun à combattre.

C’est l’histoire d’un homme piégé par la passion amoureuse et devenu une marionnette dans les mains de malfaiteurs sans scrupules. Un polar noir à souhait, extrêmement classique, même si, vu le nombre de protagonistes et les incessants flash-back, l’ensemble peut paraître à première vu dense et complexe. L’ambiance de la ville portuaire sud-américaine au début du 20ème siècle, de sa coterie et de ses bas-fonds, est parfaitement restituée. Les manigances sont permanentes, les clans, en apparence soudés afin de lutter contre les mouvements d’extrême gauche, ne manœuvrent en fait que pour leurs propres intérêts. Un scénario mêlant affaires troubles et politique sans grande surprise qui ne me marquera pas durablement je pense. J’ai par ailleurs trouvé assez étrange ce tic du scénariste consistant à révéler l’avenir funeste de ses personnages en plein milieu de l’action, comme s’il voulait spolier son propre récit et lui ôter une bonne dose de suspens.

Graphiquement par contre, rien à dire, le trait épais et les couleurs directes à l’aquarelle sont superbes. Pas suffisant cependant pour emporter mon adhésion. Décidément, le polar, même en BD, j’ai du mal.

Rosario de Sampayo et Stassi. Ankama, 2015. 76 pages. 14,90 euros.



mardi 12 mai 2015

Trop tôt - Jo Witek

« Il est entré en moi. Je ne désirais rien d’autre. Je n’ai pas vu son sexe. J’ai simplement senti sa force dans mon ventre. Une légère douleur, puis une danse couchée sur le sable. »

Voila, c’est tout. Une première fois inattendue. Les choses n’étaient pas censées se passer comme cela au départ. Pia, 15 ans, voulait juste séduire. Avec sa cousine Marthe, elles ont bravé le couvre-feu parental de minuit et se sont retrouvées dans la boîte de nuit d’un camping de Royan, un soir de juillet. Elles cherchaient un flirt, rien de plus, histoire de ne pas conclure les vacances bredouilles. Nathan lui a adressé la parole et tout s’est emballé. Il a pris sa main et elle est « passée dans un autre monde ». Une aventure d’un soir, sur la plage, aux conséquences terribles : Pia est enceinte et sa vie bascule. Il est trop tôt, beaucoup trop tôt…

Incroyable petit roman d’une puissance phénoménale. Un récit sur un fil, pas caricatural pour deux sous, hyper réaliste au contraire. J'ai adoré la réaction des parents, le soutien de la cousine et du copain qui joue les grands frères, et puis sa réaction à elle, tellement lucide, ses réflexions sur le désir en décalage avec l'éducation sexuelle enseignée à l'école, sa colère, ses doutes, sa volonté sans faille une fois sa décision prise et sa peur (que dis-je, sa terreur !), tellement légitime face une situation aussi inimaginable.

Un roman engagé au parti-pris pro avortement totalement assumé. Un roman trop intelligent pour tomber dans un militantisme simpliste et braillard. Un roman trop délicat pour ne pas toucher en plein cœur ses lecteurs et lectrices, quelles que soient leurs convictions. Un roman trop important pour que vous fassiez l’impasse, qu’on se le dise.

Trop tôt de Jo Witek. Talents hauts, 92 pages. 7,00 euros. A partir de 14 ans.


Une pépite jeunesse, une vraie de vraie, que je partage cette semaine encore avec Noukette.


Beaucoup de passages marquants dans ce texte …

A propos de la réaction de la mère :

« Ça ne s’est pas passé comme dans les films avec des dialogues déchirants, des pleurs et des embrasements lyriques. Maman était trop bouleversée pour me consoler. Trop chamboulée pour me témoigner de l‘empathie. La nouvelle l’a complètement vidée de ses forces et c’est d’abord la colère qui s’est imposée. »

A propos de la nuit où tout à basculé :

« Face à la mer, j’ai compris que cette nuit d’amour volée à mes vacances en famille était mon premier choix d’adulte. Qu’il fallait assumer. Que c’était ça grandir. S’embarquer et essuyer des tempêtes. »

A propos du désir :

« Moi, je ne veux pas qu’on me pardonne. Je veux qu’on accepte. Je veux qu’on dise l’amour fait perdre la tête et les cours d’éducation sexuelle devraient être accompagnés d’autre chose que d’un kit de prévention des risques. Capote-pilule-MST. Tu parles d’un triptyque ! C’est comme ça qu’on nous parle de la première fois. Rien sur les frissons, les émotions, rien sur la force des désirs. C’est comme si un marin se préparait au tour du monde sans tenir compte de la puissance du vent. Moi, jai glissé dans une tornade et personne ne m’avait prévenue d’un tel cataclysme. »
[…]
« Pourquoi tu ne m’as pas prévenue, maman ? Le désir fou, ça existe. Mais peut-être qu’on ne peut pas dire l’amour, le frisson, la passion. Peut-être que l’amour ne peut que s’éprouver. Que les mots ne suffisent pas. Partenaire, orgasme, contraception, fécondation. Les mots pour dire la sexualité sont si laids. C’est sans doute pour cela qu’ils provoquent tant de malentendus. »










lundi 11 mai 2015

Le caillou - Sigolène Vinson

La narratrice quitte Paris pour la Corse à la mort de son voisin Monsieur Bernard. Là-bas, elle veut retrouver le portrait d’elle que le vieil homme sculptait dans la roche à chacun de ses voyages sur l’île. Une forme d’hommage au disparu mais aussi un nouveau départ pour une jeune femme seule et sans ambition particulière, une jeune femme « pas très en accord avec le fait d’exister ». Sur place, elle croise une « faune » étrange et un environnement minéral dans lequel elle va peu à peu se fondre avec l’ambition de devenir, à terme, un caillou.

Un roman qui, à bien des égards, m’a rappelé « La dictature des ronces », lu tout récemment. Même personnage enfoncé dans la solitude et mal dans sa peau, même départ vers une île où les autochtones sont de sacrés numéros, même attachement soudain à un décor qui les fascine et les « enracine », même fausse légèreté de ton où l’humour de façade cache des réflexions bien plus profondes qu’il n’y paraît, même écriture nerveuse où le sens de la formule est un régal. Il y a peut-être là une nouvelle génération de jeunes auteurs français modernes et décomplexés, enfin prêts à botter les fesses de cette autofiction que j’exècre.

Un texte qui se lit tout seul et avec plaisir, bourré d’audace et de lâcher prise, sans la moindre trace de timidité. Une liberté de ton et une originalité qui font mouche, incontestablement.

Le caillou de Sigolène Vinson. Le Tripode, 2015. 200 pages. 17,00 euros.


Une lecture commune partagée en nombre aujourd’hui avec Aifelle, Evalire, Noukette, Philisine, Une Comète et Zazy.






mercredi 6 mai 2015

Nora - Léa Mazé

On est-où avant d’être né ? Et pourquoi Mme Jeanne n’a jamais eu d’amoureux ? Maman m’a dit que tout le monde avait un amoureux ou une amoureuse quelque part et qu’un jour on le trouve. Si Mme Jeanne a toujours été seule, est-ce que c’est parce que son amoureux a oublié de naître ?

Été 1975. Nora est confiée à son oncle agriculteur pendant que ses parents préparent leur déménagement.  La petite fille, un peu sauvage, s’occupe comme elle peut et trouve refuge dans le tronc d’un arbre gigantesque. En escaladant les branches elle aperçoit la voisine, seule dans sa cour. Son oncle lui apprend que Mme Jeanne, 82 ans, est la vieille fille du coin. Pour Nora, il est temps de trouver à cette pauvre femme l’amoureux qui lui est forcément destiné…

La vie, l’amour, la mort, la sexualité, la solitude, tous ces thèmes sont abordés dans cet album. J’ai aimé que « Nora » soit un roman graphique intimiste qui sorte les jeunes lecteurs de leur zone de confort habituelle. J’ai aimé le fait que Léa Mazé installe son récit dans une certaine lenteur, qu’elle prenne le temps de dérouler des séquences muettes invitant à la méditation. J’ai aimé les réactions de l’oncle désarçonné par des questions existentielles auxquelles il n’est pas simple de répondre. J’ai aimé le point de vue à hauteur d’enfant, la naïveté et la logique du raisonnement de la fillette. J’ai aimé le dessin parfois proche du crayonné et la douceur du monochrome sépia. J’ai aimé refermer l’album en me disant que rien n’était gravé dans le marbre, qu’il y avait sans doute autant d’interprétations possibles que de lecteurs, que chacun pourrait y trouver son compte en fonction de son propre imaginaire.

En fait, je crois que j’ai tout aimé dans « Nora ».

Nora de Léa Mazé. Éditions de la Gouttière, 2015. 72 pages. 16 euros.

Une lecture commune que je partage avec mes deux complices Noukette et Stephie.

Les avis de Mo’ et Moka.











mardi 5 mai 2015

Le premier mardi c'est permis (36) : Hanayoi - Yuka Murayama

A Tokyo, Asako tient un magasin de kimonos anciens. Des trucs affreusement chers et affreusement fragiles réservés à une clientèle haut de gamme. Asako est mariée à Seiji, et leur ménage est installé dans un quotidien planplan sans relief. Mais le jour où le couple va croiser Chisa et Masataka, les lignes vont bouger : persuadé que sa femme le trompe avec Masataka, Seiji va en faire de même avec Chisa. Commence alors un jeu de dupes et de mensonges où chacun va découvrir des plaisirs charnels jusqu’alors inconnus avec son nouveau partenaire.

Une variation autour de l’adultère qui aurait pu être brûlante mais qui s’avère au final bien trop sage. L’insatisfaction pousse chacun dans les bras d’un autre, rien de nouveau sous le soleil. La relation entre Seiji et Chisa, basée sur un équilibre entre domination et humiliation, offre quelques scènes qui auraient méritées d’être bien plus pimentées. Quant aux ébats d’Asako et Masataka, on reste dans du très classique. J’ai l’impression que l’auteure n’est pas parvenue à se lâcher totalement, qu’elle a écrit les scènes coquines avec le frein à main, et c’est bien dommage. Pour le reste, j’ai appris plein de choses sur les kimonos mais là encore, la déception domine : tenue sexy et suggestive s’il en est (enfin selon moi), ce vêtement affriolant à la douceur de la soie n’apparaît jamais « au cœur de l’action », comme s’il était trop sacré pour être souillé par des parties de jambes en l’air.

Cerise sur le gâteau, non seulement le ton devient moralisateur sur la fin (l’adultère, c’est mal !) mais j’ai en plus eu le sentiment que le roman n’était pas terminé, qu’il manquait des pages et qu’on me laissait en plan sans clore l’histoire de manière nette et précise.

Bref, une mauvaise pioche. Bien la peine de m’allécher avec un sous-titre aussi prometteur (La chambre des kimonos), je déteste quand il y a tromperie sur la marchandise !

Hanayoi : la chambre des kimonos de Yuka Murayama. Presses de la cité, 2015. 380 pages. 21,50 euros.